VIOME à Thessalonique
Commençons par le début. VIOME S.A. a été fondé en 1982, en tant que filiale du groupe Philkeram-Jhnston S.A. Implantée dans la périphérie de Thessalonique, en Grèce du nord, l’usine fabrique des produits chimiques pour le secteur industriel. A cause de la récession économique générale et d’une administration défaillante, la maison-mère fit faillite en 2011, abandonnant l’usine VIOME à son propre sort. La seule chose que les propriétaires laissèrent derrière eux fut d’énormes dettes qui comprenaient, bien évidemment, les salaires impayés. Déséspéré.es, et devant la perspective du chômage, les employé.es de VIOME, organisé.es syndicalement depuis 2006, décidèrent collectivement d’occuper les locaux et d’appeler à la solidarité. La raison initiale de cette occupation, au-delà de son importance en tant que moyen de luttes et du symbole, était de s’assurer que le stock et les machines restent dans l’usine, empêchant ainsi les propriétaires de tout liquider.
LES DÉBUTS DE LA COOPÉRATIVE DE VIOME
Un an et demi plus tard, en 2013, avec l’aide d’un grand mouvement de solidarité, les employé.es de VIOME tentèrent un grand pas en avant : se charger eux-mêmes de la production ! Ils et elles mirent en place une coopérative afin d’avoir un statut légal, et l’engrenage de la lutte se mit en marche. Depuis ce moment, au lieu de générer d’énormes profits pour les patrons par l’exploitation des travailleurs et travailleuses, l’usine devint, pour les membres de la coopérative, un lieu de dignité, un lieu de relations professionnelles égalitaires et de rémunérations décentes. La deuxième décision cruciale que prirent les travailleurs et travailleuses en réouvrant l’usine, a concerné le changement de production : VIOME remplacerait sa production initiale par la production de détergents naturels, des éco-détergents et des savons à l’huile d’olives, respectant ainsi l’environnement et la santé des humains. Les produits VIOME sont distribués via la succursale d’Athènes et le bureau de vente par correspondance ; mais aussi par un certain nombre de centres sociaux, de squats, de coopératives et de petites épiceries à travers le pays. Ils sont également exportés vers des coopératives à l’étranger.
Travailler ensemble.
Travailler à VIOME ne ressemble en rien à travailler dans n’importe quelle autre usine. Nous ne pensons pas aller trop loin en décrivant ce qui se passe comme « une création de liens » ; c’est un processus qui établit une intimité vivante entre l’activité professionnelle et la production à VIOME, mais qui également crée une véritable fusion entre la vie de tous les jours et la lutte politique. Les événements qui ont conduits à la création de VIOME, tel qu’on connaît cette entreprise aujourd’hui, peuvent permettre de mieux comprendre toute la force de cette situation. L’occupation et la récupération des locaux de Thessalonique représentent une des plus longues et plus importantes luttes des travailleurs et travailleuses dans l’histoire moderne de ce pays. Par l’occupation des locaux, les travailleurs et travailleuses de VIOME, avec et leurs soutiens solidaires, ont réussi à empêcher la fermeture et la perte d’emplois au milieu d’une monstrueuse crise, marquée par l’austérité et le chômage.
Ils et elles participèrent également de façon active aux manifestations contre l’austérité, apportèrent leur soutien à d’autres travailleurs et travailleuses qui voulaient reproduire leur exemple et développèrent de forts liens de solidarité avec un bon nombre de luttes sociales. Après avoir développé des relations avec le mouvement argentin des « entreprises récupérées », VIOME a adopté le slogan « Occupez, résistez, produisez ». Un slogan qui montre l’ampleur de la dimension politique d’un tel projet ; cela pourrait être décrit, non seulement comme un mouvement contre le monde néolibéral dominant, mais aussi comme une pratique pré-figurative qui créé une réelle alternative au « ici et maintenant ». Le mot « mouvement » est particulièrement important. Il est utilisé pour décrire une activité – Occuper ; Résister ; Produire – qui, à un moment et en même temps, émerge en tant que lutte politique contre l’hégémonie néo-libérale et créé un futur à notre présent.
Que dire de la viabilité et de la durabilité de tels projets ? Le danger numéro un concerne l’expulsion et la vente aux enchères de l’usine, qui ont été annulées de nombreuses fois, à la suite d’actions protestataires de la part des ouvriers, ouvrières et membres des collectifs de solidarité. Cependant, ce danger existe toujours. En outre, il y eut également de mauvaises décisions prises et des difficultés internes car le chemin vers l’autogestion était une terra incognita pour tous et toutes. Malgré tout, les travailleurs et travailleuses de VIOME ont réussi à survivre ces 5 dernières années et demi, définissant eux-mêmes et elles-mêmes leur façon de travailler, partageant les succès et les erreurs. En gardant leur usine « vivante », ils n’ont pas sombré dans la dépression qui découlent du chômage. L’expérience vécu, l’échange de connaissances avec les autres « entreprises récupérées » et les luttes sociales ont joué un rôle crucial en permettant aux VIOME d’inventer un paradigme alternatif à la façon de travailler ensemble. Depuis les premiers pas de cette entreprise autogérée, les personnes impliquées ont décidé de suivre un modèle qui repose sur deux décisions majeures : la rotation des tâches dans la chaîne de production et un salaire identique pour toutes et tous. Cette nouvelle façon de travailler ensemble est basée sur l’égalité, l’horizontalité et la participation directe des membres à la vie quotidienne de l’entreprise. Ainsi, toutes les décisions – allant de questions sur les procédés de production ou les tâches journalières jusqu’à des sujets et des plus vastes – sont prises collectivement, surtout dans les assemblées générales hebdomadaires mais également pendant les assemblées matinales quotidiennes.
Au-delà de l’usine, des infrastructures populaires
Basée sur ces nouveautés organisationnelles et opérationnelles, qui constituent ce que nous avons appelé un nouveau paradigme de travail ensemble, VIOME a réussi, lentement mais sûrement, à augmenter le salaire et à recruter un certain nombre de nouvelles personnes, 24 au total. Tout l’inverse des fortes réductions de salaires et des licenciements qui sont monnaie courante dans les entreprises capitalistes. Ceci a également permis le développement de nouveaux produits, couvrant les besoins du nettoyage basique pour les ménages et les locaux professionnels, tout en améliorant de façon continue la qualité ; là encore, à l’opposé du système capitaliste qui tend à dégrader la qualité sur l’autel du profit. Finalement, au contraire de la logique néolibérale de profit rapide et temporaire qui va de pair avec la production de dettes, VIOME met en avant une perspective de contribution sociale, en créant de nouveaux emplois et en redistribuant les profits à la société. Cette interaction sociale avec la société et les localités, une interaction qui est basée sur la solidarité, la convivialité et la participation directe, montre de façon évidente la différence entre l’entreprise récupérée VIOME et les lieux de production capitaliste. Comme la commune les a aidés à récupérer l’entreprise, les travailleurs et travailleuse de VIOME ont décidé de partager leur entreprise avec tous les secteurs qui sont proches d’eux. Ainsi, au cœur de l’organisation sociale de VIOME se trouve l’Initiative Solidaire – un groupe en soutien aux luttes de VIOME – qui se réunit toutes les semaines et qui est composé d’étudiant.es, de résident.es, d’autres entreprises autogérées et bien sûr des travailleurs et travailleuses de VIOME.
Par ces différentes activités de travail en commun, les travailleurs de VIOME et « la communauté des solidarités » ont réussi à créer une usine toujours ouverte et accessible pour tous ceux qui luttent. Dans ce contexte, beaucoup d’initiatives importantes ont été prises dans cette usine sans patron. Tout d’abord, la Cliniques des travailleurs à VIOME » : c’est une clinique sociale et solidaire, dans laquelle les médecins, les infirmièr.es et les psychothérapeutes proposent gratuitement des services de soins holistiques et de base aux VIOME, à leur famille, aux membres d’autres collectivités de travailleurs et travailleuses, mais également à tout citoyen.ne avec ou sans assurance médicale. La Clinique des travailleurs fut la première structure parallèle établie dans l’usine VIOME, un élément de la stratégie mise en place pour encourager la création d’autres projets autogérés à l’intérieur de l’entreprise récupéré. De plus, en 2015, au plus fort de la soi-disant crise des réfugié.es en Grèce, une grande partie des bâtiments a servi de lieu de collecte de matériels de soins d’urgence pour les milliers de personnes qui étaient détenues vers la frontière nord de la Grèce. En outre, depuis la réouverture de l’usine par ses ouvriers et ouvrières, une pléthore d’actions ont eu et continuent d’avoir lieu à l’intérieur de l’espace occupé VIOME : des ventes directes, des concerts, des représentations théâtrales, des présentations de livres, des projections de films par des productions auto-gérées… VIOME a accueilli la 2ème rencontre Euro/méditerranée de l’Économie par les travailleurs en octobre 2016. Le premier festival en extérieur, qui s’est tenu dans les espaces de VIOME du 12 au 14 octobre, a été organisé par un grand nombre de sociétés coopératives locales autogérées.
L’ouverture sociale de cette infrastructure populaire, comme celle de l’entreprise récupérée VIOME, dégage un horizon de possibilités à partir desquelles on peut repenser et envisager de nouvelles et créatives façons d’organiser le travail et la vie de tous les jours. Ce qui, auparavant, n’aurait pu être qu’un simple lieu de travail en vient à inclure une grande variété de relations sociales et affectives, de nouvelles émotions et solidarités. Non pas communautés utopiques et imaginaires, des initiatives telles que VIOME sont les lieux de réelles luttes quotidiennes, dans lesquelles les gens façonnent leur vie quotidienne, collectivement, à partir de de leurs besoins communs. En même temps, ils et elles créent des richesses communes, dans des relations d’égalité, d’attention et d’aide mutuelle. Nous comprenons ces lieux communautaires comme porteurs d’une nouvelle stratégie politique, visant la transformation complète du système social existant.
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