Vers un syndicalisme de luttes et d’actions à Jeunesse et Sports ?

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Et les sports vu du ministère qui porte, en partie, ce nom ? C’est ce qui est évoqué ici, à travers l’expérience du jeune syndicat Solidaires Jeunesse et Sports.


D’abord entraîneur à la fédération de badminton de 1997 à 2002, Raphaël Millon est passé professeur de sport au ministère des Sports en 2003. Initialement syndiqué au SNAPS-‘UNSA, il rejoint SUD Education en 2016. Il crée Solidaires Jeunesse et Sports avec Marine Provini, Sébastien Midavaine, Julie Babaammi-De Sousa et Perrine Demoulins en 2018. Ils et elles sont rapidement rejoints par des dizaines de camarades pour continuer cette aventure syndicale.


Juin 2021, une action de Solidaires Jeunesse et Sports devant le ministère, pour lancer une mobilisation des personnels, partenaires et usager·es [Solidaires JS]

2018, démarrage en trombe

Le 7 septembre 2018, lors de l’AG constitutive du syndicat à la Grange aux belle (GAB), la poignée de camarades qui crée le syndicat n’imagine pas que le syndicalisme d’action et de luttes qui est en discussion depuis le mois de février 2018, va démarrer aussi vite. Ce jour-là, une fuite dans la presse annonce que le gouvernement veut « détacher » vers les fédérations sportives 1600 Conseiller∙ères techniques sportif∙ves (CTS), fonctionnaires d’Etat. Un tiers des effectifs du ministère Jeunesse et Sports perdraient leur statut. C’est le déclenchement d’une mobilisation des CTS qui va durer deux ans. Avec l’intersyndicale UNSA, FSU et CGT, les premières discussions se tiennent. Dans les faits, c’est surtout avec le SNAPS-UNSA, le syndicat ultra-majoritaire des professeurs de sports que les décisions se mûrissent, non sans mal. Le SNAPS voulant dès les premières semaines « négocier » avec la ministre, quand nous exigeons de notre côté, l’absolue nécessité de construire un rapport de force, avec grèves et manifestations. Heureusement, dans les fédérations sportives, les collègues CTS, scandalisé∙es par cette troisième tentative de privatisation des CTS, vont mettre une pression collective. Mais jusque-là, la mobilisation est difficile à Jeunesse et Sports (JS), un secteur historiquement maîtrisé par un syndicat majoritaire qui passe uniquement par le dialogue dans les salons feutrés.

En 1996, la première tentative de privatisation avait été tuée dans l’œuf en quelques semaines. La menace de boycott de la cérémonie d’ouverture des JO d’Atlanta par la délégation française avait été stoppée nette par Jacques Chirac, à l’Élysée. La deuxième tentative de privatisation des CTS, en 2009, au moment de la RGPP [1] de Nicolas Sarkozy qui prévoit de réduire les effectifs de fonctionnaires de 300 000, sera un peu plus longue. Si les baisses d’effectifs sont très violentes dans de nombreux ministères dont le nôtre (un∙e fonctionnaire sur deux non remplacé∙e), le poids historique du SNAPS, à l’époque, force le gouvernement à renoncer une deuxième fois à la privatisation des CTS, en négociant au passage « la sanctuarisation des CTS ». En clair, ce sont les autres corps du ministère qui payent les baisses d’effectifs les plus conséquentes.

En 2018, pour cette troisième tentative de privatisation, la mobilisation est d’une autre intensité. Il faudra des grèves ponctuelles et des actions devant le ministère des Sports, l’INSEP et le CNOSF [2], pendant 18 mois, pour que le gouvernement renonce. Notre jeune syndicat est en pointe dans cette mobilisation, très impliqué à tous les niveaux, et bien présent dans les fédérations sportives pour permettre de maintenir une pression constante sur le ministère et de pousser une ligne radicale avec les autres syndicats et collectifs. Les moyens syndicaux de Solidaires (Solidaires Paris et SUD PTT notamment) vont jouer un rôle déterminant dans les moments clés, pour se faire entendre et obtenir des audiences médiatiques indispensables. Cette mobilisation donne une visibilité à notre syndicat qui obtient un siège aux élections de décembre 2018 après seulement quatre mois d’existence, devant FO qui n’est pas représentatif et devant la CGT.

La casse du service public JS

Dans le même temps, les attaques se poursuivent pour l’ensemble du secteur JS, à bas bruit ou de manière plus visible. En coulisse, une lutte « public-privé » fait rage. Clairement, tous les derniers gouvernements soutiennent une privatisation qui ne dit pas son nom : recours à des cabinets privés, recrutement de salarié∙es en contrat privé à la place de fonctionnaires, mise en place d’une Agence nationale du sport publique-privée qui crée une déflagration au ministère, fragilisation des structures de l’Éducation populaire, création de dispositifs pour s’attaquer au cœur de métiers des personnels, le Service national universel (SNU) comme politique centrale et toujours de graves sous-effectifs (baisse de 40% du nombre de personnels en 15 ans) ! La casse du service public se poursuit maquillée derrière un effort de com’ important.

En 2021, c’est le transfert à l’Éducation nationale, voulu par l’intersyndicale UNSA-FSU-CGT, que le secteur JS va subir de plein fouet. C’est une véritable absorption des services et des personnels JS dans une machine rigide et autoritaire, au sein de la DGRH, dans les rectorats et les DSDEN [3]. Les pressions hiérarchiques, l’absence d’accompagnement des personnels, la maltraitance institutionnelle, les défaillances nombreuses impactent les conditions de travail des personnels et fragilisent encore la qualité du service rendu aux usager∙es. Dans les instances officielles (CSA Ministériel et groupes de travail), nous alertons depuis 2021 mais faisons face à une administration qui n’entend rien ! Au niveau local, les instances officielles sont mêmes fondues avec celles l’Éducation nationale, alors que nos effectifs ne représentent que 0,5% des effectifs de l’Educ. Autant dire que les spécificités et les problématiques de JS sont invisibilisées et jamais traitées. Et le pire, avec ce « dialogue social » cadenassé par l’administration, c’est que les syndicats qui ont demandé le transfert à l’Éducation nationale de notre secteur JS, laissent faire. Ils râlent en instance mais ne font rien pour qu’on soit entendu et qu’on pèse réellement. Dernièrement, l’UNSA, la CFDT et la CGT ont même laisser le ministère mettre en place un régime indemnitaire plus injuste, le RIFSEEP [4], en subissant les mensonges et le chantage du ministère. Ce régime indemnitaire, qui était rejeté en bloc depuis 2014 (seule la CFDT y était favorable, depuis longtemps) crée dans les services une concurrence entre collègues et encourage la soumission à la hiérarchie.


Janvier 2020,lors de la mobilisation contre le projet de retraite à points, Marine de Solidaires JS remporte le concours de “lancer de rapports de merde” [Solidaires JS]

Au-delà des conditions de travail exécrables pour les personnels, l’attaque de la démarche d’éducation populaire au sein des services est violente. Les choix politiques actuels ont aussi un impact sur le secteur associatif (précarisation, instrumentalisation, chantage avec le Contrat d’engagement républicain, intervention des services de Renseignements dans les choix de subventions de la vie associative … tout passe allègrement). Les libertés associatives sont clairement menacées et l’État intervient volontairement pour museler toute expression dissidente. 

Nécessité d’inventer un syndicalisme de luttes et d’actions

Chaque jour, il nous apparaît plus nécessaire que jamais de construire et renforcer un syndicalisme d’actions et de luttes pour s’organiser entre personnels du ministère JS et se faire entendre réellement. Cela faisait partie, dès la création du syndicat de l’enjeu de sortir du cadre ronronnant du « dialogue social ». Comment se faire entendre ? Comment remporter des victoires collectives ? Comment construire une culture de luttes et d’actions dans notre secteur ? Au départ, l’action de terrain va guider nos temps syndicaux : organisation de porteurs de parole pour lancer une mobilisation contre un déménagement de la Direction régionale Ile-de-France, AG pic-nics, heures syndicales musclées et beaucoup de présence dans les services là où nous avons des militants et militantes. La toute première action filmée que nous faisons en Ile-de-France, en juillet 2018, sous la bannière Solidaires Jeunesse et Sports est menée par deux militants alors que le syndicat n’est pas officiellement créé. « L’action avant tout » guide nos premiers pas.


Perrine et Seb de Solidaires JS, lors d’une manifestation pour s’opposer à la contre-réforme de la fonction publique, au printemps 2019 [Solidaires JS]

Puis, on construit, pas à pas (un travail de fourmis), notre organisation, à partir d’une feuille blanche. En toute honnêteté, c‘est passionnant mais bien plus difficile qu’on ne l’avait imaginé. L’Union Solidaires, ses syndicats, ses moyens, ses militant∙es historiques vont clairement nous soutenir. On organise des rencontres avec Annick (Coupé), Christian (Mahieux), Gérard (Gourguechon) et d’autres camarades qui nous aident, nous stimulent et nous accueillent avec une grande simplicité. L’outil syndical de Solidaires, les moyens, la GAB, qui est à notre disposition, facilitent nos réunions, nos formations. A force d’efforts de développement et de structuration, nos effectifs grossissent. Aux élections professionnelles de 2022, nous confirmons et doublons notre score, obtenant un deuxième siège et nous passons devant la FSU. Notre syndicat est actuellement le troisième du CSA ministériel JS (à 60 voix de la CFDT, loin derrière l’UNSA) et le deuxième syndicat de la CAP des personnels techniques et pédagogiques. Ces résultats ont de l’importance quant aux moyens syndicaux qu’ils donnent en termes de décharge syndicale. Cela donne des moyens pour mener un syndicalisme féministe, antiraciste et internationaliste, pour organiser des formations syndicales, pour diffuser des tracts dans les services, pour créer une lettre, Archipels des Résistances, pour participer au renforcement d’une culture de luttes… Bref, il s’agit d’adopter des pratiques résolument différentes, en s’appuyant sur une démarche d’éducation populaire qui nous stimule en permanence. Cela bouscule clairement les habitudes syndicales à JS et vient troubler le jeu des syndicats réformistes qui se contentent des miettes.

JEUNESSE ET SPORTS EN CHIFFRES :
– 5400 agent∙es du ministère JS,
– des milliers de collectivités impliquées,
– 1,5 million d’associations,
– près de 2 millions de salarié∙es associatif∙ves,
– 13 millions de bénévoles,
– 18 millions de licencié∙es dans les fédérations sportives.

Mais si notre syndicat a grandement participé à la victoire des CTS en 2020 – une mobilisation historique pour notre secteur – si des victoires locales ont été obtenues (contre des déménagements, contre des hiérarchies maltraitantes, etc.), si nous soutenons au quotidien de nombreux collègues, il est clair qu’aujourd’hui, il est absolument indispensable d’être plus combatif encore, plus stratège. Plus proche du terrain, plus engagé au cœur des luttes avec les collègues ; il faut mettre l’outil syndical à disposition des collègues. Nous devons poursuivre deux fronts en même temps : un syndicalisme politique pour transformer en profondeur la société et le travail très concret sur les conditions de travail, pour la défense de métiers porteurs de sens. Il nous reste évidemment à renforcer le syndicalisme de nos rêves, celui qui concilie un idéal de justice et de démocratie, et qui permet aux collègues de retrouver des conditions de travail émancipatrices. Tout ceci ne peut se faire sans une remise en question permanente : comment peser plus fort face à un ministère qui, globalement, veut la peau du service public JS ? Comment réussir à impliquer plus de camarades pour faire face aux multiples enjeux ? Comment être dans l’action plus concrètement sans perdre de vue la nécessité d’élaborer une réflexion collective qui prend du temps ? Comment mieux articuler l’action interprofessionnelle et le syndicalisme professionnel à JS ? 

« Ne doutez jamais qu’un petit groupe de gens décidés puisse changer le monde, c’est d’ailleurs toujours comme cela que ça s’est passé ». Margaret Mead, anthropologue états-unienne


Raphaël Million


[1]  Révision générale des politiques publiques.

[2] Institut national du sport, de l’expertise et de la performance ; Comité national olympique et sportif français.

[3] Direction de services départementaux de l’Éducation nationale.

[4]  Régime indemnitaire tenant compte des fonctions, des sujétions, de l’expertise et de l’engagement professionnel ; ce système a remplacé la plupart des primes et indemnités qui existaient dans la fonction publique de l’État.

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