Sport en entreprise : des revendications syndicales ?

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La question du sport en entreprise est complexe, militant∙es de la transformation sociale, nous aurions tendance à rappeler le paternalisme patronal. Certaines réflexions contemporaines peuvent nous conforter dans cette position ; par exemple, un ouvrage publié en 2015, préfacé par Stéphane Diagana, présenté comme sportif mais aussi comme conférencier en entreprise, demande si le sport « [constitue] (vraiment) un outil pertinent de management des ressources humaines ? ». Cette vision managériale et paternaliste est également renforcée par les tenants de la théorie critique du sport qui associe sport et capitalisme. Tout cela a un impact sur les revendications de nos organisations. CGT, FSU et l’Union syndicale Solidaires, n’hésitent pas à avoir des revendications sortant du champ strict du travail. Pourtant la question du sport et surtout de son accès pour les travailleurs et travailleuses passe à la trappe. Seule la CGT propose des revendications sur ces question.


Gabriel Bonnard est professeur en lycée professionnel et militant au sein de SUD Education Somme.


« L’équipe féminine travailliste de l’Union sportive des cheminotes (future championne de France de basket-ball 1926), au stade de la Seigneurie à Pantin, en 1923. » Fonds FSGT, reproduit dans La FSGT. Du sport rouge au sport populaire, éditions La ville brule, 2014. [Coll. CM]
« L’équipe féminine travailliste de l’Union sportive des cheminotes (future championne de France de basket-ball 1926), au stade de la Seigneurie à Pantin, en 1923. » Fonds FSGT, reproduit dans La FSGT. Du sport rouge au sport populaire, éditions La ville brule, 2014. [Coll. CM]

Cet état de fait est relativement récent. Immédiatement après la Seconde Guerre mondiale, les revendications insistent sur l’importance du contrôle des œuvres sociales des entreprises par les travailleurs et travailleuses. En 1947, « Benoît Frachon déclare sans ambages qu’il faut prendre en main la gestion des œuvres sociales dans l’entreprise pour en supprimer toute trace de paternalisme  [1]». Cette vision est liée à l’obtention des congés payés en 1936 mais également aux liens renforcés dans la Résistance entre les organisations de classe d’une part et les mouvements du sport ouvrier et d’éducation populaire d’autre part. Dans un premier temps, nous reviendrons sur le combat pour l’accès à l’activité physique, de 1934 à 1945. Puis nous verrons quelles revendications sont portées dans les organisations ouvrières après la Seconde Guerre. Dans une troisième partie, nous essaierons de comprendre ce qui a provoqué l’affaiblissement de ces revendications. Nous terminerons avec des pistes de réflexion sur la possibilité de réinterroger et de revendiquer cette question du sport en entreprise aujourd’hui.

Front populaire, résistance et libération : le combat pour le droit à l’activité physique et sportive

La victoire du Front populaire en 1936 permet l’accession des travailleuses et travailleurs aux loisirs. La victoire de la coalition électorale est rendue possible par une politique d’union dans les différents secteurs du mouvement ouvrier, la CGT et la CGT-U, notamment, se sont réunifiées en 1936, mais la première organisation ouvrière à s’unir est liée au sport. La Fédération sportive et gymnique du travail (FSGT) est fondée en 1934, par la fusion de l’Union des sociétés sportives et gymniques du travail (USSGT), liée à la CGT et à la SFIO, et de la Fédération sportive du travail (FST), lié à la CGT-U et au PCF. La FSGT prendra une part importante dans les travaux initié par Léo Lagrange, ministre des Sports du Front populaire. La CGT, pour sa part, est consultée dans le cadre de ces réflexions. La confédération s’implique notamment dans la question de la politique touristique, liée au sport et à l’éducation populaire [2]. La CGT a des liens avec l’organisation sportive ouvrière. Liens politiques avec l’appel au boycott commun des Jeux olympiques de Berlin, mais également des militant∙es membres des clubs de la FSGT ; nous pouvons citer notamment Henri Krasucki membre du Yiddisher Arbeiter Sport Klub, club fondé par des membres de la section MOI [3] yiddishophone [4]. Enfin, dans le cadre du Front populaire, la question sportive n’est pas uniquement celle du sport proprement dit mais est liée à la pratique de loisirs (sains), notamment le tourisme de nature, proche de ce qui est aujourd’hui désigné sous le terme d’APS, Activité physique et sportive.


« 24 décembre 1934. Congrès de fusion. L’émotion est à son comble au 33 rue de la Granges aux belles, à Paris. A l’unanimité, les délégués de la FST et de l’USSGT décident de créer la Fédération sportive et gymnique du travail (FGST). “Devant les menaces fascistes, et les dangers de guerre, les organisations sportives des travailleurs ne sauraient prolonger plus longtemps leur division, ne méconnaissant pas les enseignements qui se dégagent des durs combats que la classe ouvrière des autres pays (Allemagne, Autriche, Italie, Lettonie) a dû engager contre des adversaires dont la victoire n’a été possible qu’en raison de la division ouvrière.” » Fonds FSGT, reproduit dans La FSGT. Du sport rouge au sport populaire, éditions La ville brule, 2014. [Coll. CM]
[Coll. CM]

« 24 décembre 1934. Congrès de fusion. L’émotion est à son comble au 33 rue de la Granges aux belles, à Paris. A l’unanimité, les délégués de la FST et de l’USSGT décident de créer la Fédération sportive et gymnique du travail (FGST). “Devant les menaces fascistes, et les dangers de guerre, les organisations sportives des travailleurs ne sauraient prolonger plus longtemps leur division, ne méconnaissant pas les enseignements qui se dégagent des durs combats que la classe ouvrière des autres pays (Allemagne, Autriche, Italie, Lettonie) a dû engager contre des adversaires dont la victoire n’a été possible qu’en raison de la division ouvrière.” » Fonds FSGT, reproduit dans La FSGT. Du sport rouge au sport populaire, éditions La ville brule, 2014.

Sous l’occupation nazie, une partie de la FSGT, devenue USGT, se rapproche du pouvoir vichyssois. Il s’agit notamment des dirigeants liés à l’aile droite de la SFIO. Une autre partie des membres de la FSGT, proche du PCF et certains anciens dirigeants, chassés suite au pacte germano-soviétique, fondent eux un réseau de résistance : « Sport libre ». Le réseau, proche des Jeunesses communistes clandestines, permet d’entretenir les liens entre le mouvement ouvrier et son pendant sportif. La FSGT présente un programme de réforme sportive dès sa refondation [5] et participe aux travaux du Conseil national de la résistance (CNR).

L’après-guerre, un moment de revendication

Le mouvement ouvrier et les syndicats, principalement la CGT, sont donc sortis de la Seconde guerre mondiale avec des propositions lié aux APS. Propositions forgées à la fois par les victoires de 1936 mais également par des liens avec les organisations sportives ouvrières, renforcés dans la Résistance. S’inscrivant dans la politique de reconstruction, les propositions sur les APS faites au 26e congrès de 1946 ont un fond largement hygiéniste et productiviste. Citons le rapport de la commission jeunesse : « Afin de répondre au besoin de mouvement indispensable aux jeunes, à la fois à leur santé physique et à leur effort de production […]  [6]». Toutefois, les propositions émises lors de ce congrès insistent également sur le sport pensé comme un loisir. Il s’agit notamment de défendre l’accès à des pratiques bourgeoises, notamment les sports d’hiver et l’aviation (tenant à la fois du sport mais également des loisirs et du tourisme). Pour organiser ces Activités physiques et sportives, la confédération préconise de s’appuyer sur les Comités d’entreprise (CE) nouvellement créés, donc de financer via les moyens des entreprises. Enfin, il faut signaler l’aspect offensif des revendications portées par la CGT à cette époque. Il ne s’agit pas de vagues demandes ; ainsi, le congrès de 1948 affirme que « pour faire du sport, il faut en arracher les moyens  [7]», associé à une revendication de 3 heures hebdomadaires payées pour l’éducation physique.

Des évolutions et des reculs

Quelques années après la victoire contre les fascistes, en s’appuyant sur les liens renforcés dans la Résistance avec les organisations du sport ouvrier, le principal syndicat de lutte de l’époque fait de la pratique des APS un enjeu revendicatif. La création des CE est vue comme un point d’appui important pour défendre le droit à l’activité physique pour toustes les travailleureuses. Depuis cette période, les revendications ont largement perdu en clarté. Les revendications portées par la CGT sont nettement moins offensives. À Solidaires, il n’y a même aucune revendication spécifique. Quelles sont les raisons de ce recul ?

Tout d’abord, nous pouvons estimer que cela est en partie lié à l’évolution des pratiques sportives dans la société. Le sport a connu un processus de démocratisation [8]. Paradoxalement, le sport ouvrier, lui, perd en puissance. Cette démocratisation est liée à la plus grande place prise par l’État dans la promotion des pratiques sportives. Durant les années 1960, le régime gaulliste lance un programme de construction d’équipement. Les activités physiques gagnent également une place plus importante dans l’éducation. Ce soutien aux pratiques sportives n’est pas idéologiquement neutre ; pour le régime gaulliste, c’est une manière d’affirmer la puissance de la France dans le cadre de « la guerre froide ». Cette portée idéologique nuit à la FSGT, soupçonnée de soutien au Bloc de l’Est. La fédération affinitaire subit d’autant plus que les fédérations à délégation de service [9] gagnent en puissance. Ce poids idéologique de l’État accompagne les évolutions du sport. Celui-ci devient un marché et un spectacle rentables. Cela nourrit la théorie critique du sport, qui estime que « le sport moderne ne constitue rien moins que le cheval de Troie de la domination capitaliste dans ses dimensions les plus mortifères : exploitation, machisme, racisme, etc.  [10] » Ce mouvement est porté par des militants trotskystes et syndicalistes au SNUEP-FSU et au SGEN-CFDT. Cette critique, portée par une partie de la gauche cédétiste, a eu une influence sur la vision du sport au sein de l’Union syndicale Solidaires.


La une de La vie de la FSGT, du 15 décembre 1949. Fonds FSGT, reproduit dans La FSGT. Du sport rouge au sport populaire, éditions La ville brule, 2014. [Coll. CM]
La une de La vie de la FSGT, du 15 décembre 1949. Fonds FSGT, reproduit dans La FSGT. Du sport rouge au sport populaire, éditions La ville brule, 2014. [Coll. CM]

Implication accrue de l’État, marchandisation associée aux critiques gauchistes sont des raisons de la baisse qualitative de nos revendications. Toutefois, une autre raison, interne, existe. Le syndicalisme a perdu de son influence. Avec moins de militant∙es, nous nous concentrons sur les revendications liées au travail. Pour l’Union syndicale Solidaires, un autre problème se pose : nous sommes trop rarement présent∙es dans les CE, et encore plus rarement majoritaires. De plus, avec la loi travail de 2016, CE et CHSCT ont fusionné au sein des CSE. Les camarades élu∙es, syndicalistes de lutte, se concentrent logiquement sur la santé et la sécurité au travail avant de s’intéresser aux activités sociales.

Sport en entreprise, des revendications syndicales !

Pour des raisons idéologiques et pratiques, il est difficile de défendre l’accès aux APS comme une perspective syndicale. Toutefois, nous souhaitons proposer quelques pistes dans cet article. Tout d’abord, il nous faut défendre l’existence de CE dans les entreprises. Pour cela, notre revendication doit être de revenir sur la loi travail de 2016, mais il faut également nous préparer à affronter les futures attaques contre les CSE. Le droit aux loisirs de notre classe doit être financé par le patronat.

Une seconde chose que nous devons défendre, c’est une vision élargie de ce que sont les APS. Nous avons dit dans ce texte que les organisations du sport ouvrier développaient également des pratiques plus proches du tourisme que du sport proprement dit. Nous pouvons également noter que le 32e congrès de la CGT évoque les APS comme une activité culturelle. Dans le cadre des CE, il peut être intéressant de défendre cette vision et de penser les APS au sein d’une culture ouvrière émancipatrice. Il ne s’agit donc pas de faire payer des abonnements à la salle par le CSE, mais plutôt de s’appuyer sur les organisations sportives populaires et tenter de défendre des pratiques différentes. La FSGT a largement participé à développer le sport féminin et les pratiques partagées handi/valide ; nous devons nous appuyer sur cette expérience et participer à renforcer la FSGT. De plus, penser les APS dans une optique féministe, antivalidiste et non compétitive peut nous permettre des alliances au sein des CSE avec les organisations de lutte mais également d’autres confédérations défendant ces valeurs émancipatrices, principalement la CFDT.

Pour conclure, il faut rappeler que nos organisations ont longtemps eu un discours défendant le droit au sport pour la classe. La victoire de 1936, la lutte et la victoire contre les fascistes, les nouveaux droits obtenus après 1945, tous ces éléments ont pu renforcer la défense du droit aux loisirs. La CGT étant à l’époque très offensive, exigeant la création d’un temps payé pour la pratique des APS. Par la suite, la marchandisation du sport, et sa critique, soutenue par le régime gaulliste et ses successeurs ont affaibli nos revendications. La pratique sportive s’est démocratisée, bien que les classes populaires restent moins pratiquantes, mais également individualisée. Si nos organisations veulent défendre la pratique des APS, elles doivent défendre l’existence des CSE et des CE mais également penser le cadre idéologique de ces pratiques, pensant les aspects émancipateurs de ces activités et s’opposant aux usages réactionnaires du sport, c’est à notre sens le projet de ce numéro des Utopiques.


Gabriel Bonnard


[1] Igor Martinache, « Les clubs sportifs d’entreprise, des organisations prises entre le marteau managérial et l’enclume syndicale ? », Annales des Mines – Gérer et comprendre, 2018/2 (N° 132).

[2] Jean-François Davoust et Igor Martinache. Du sport ouvrier au sport oublié  Histoire mêlée de la CGT et du sport. Geai Bleu éditions, 2013.

[3] Dès les années 1920, la Main d’œuvre immigrée (MOI) regroupait les travailleurs immigrés au sein de la CGT-U.

[4]Ibid.

[5] Nicolas Ksiss-Martov, « Le réseau Sport libre et la persécution des sportifs juifs sous l’Occupation. La Résistance face à l’antisémitisme d’État dans le sport », Sport, corps et sociétés de masse. Le projet d’un homme nouveau, Armand Colin, « Recherches », 2012.

[6] Jean-François Davoust et Igor Martinache.Ibid.

[7] Idem.

[8] Thierry Terret, « Sport et mondialisation (1975-2011) », Histoire du sport, Presses universitaires de France, 2011.

[9] Les fédérations classiques, type Fédération française de football ou Fédération française de rugby par exemple.

[10] Igor Martinache, « Sport et émancipation », La Pensée, 2020/1 (n° 401).

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