Sport, éducation physique et sportive, et émancipation

Partagez cet article

L’institution scolaire a toujours disputé le rapport aux Pratiques physiques et sportives (PPS), cherchant à mettre à distance l’Education physique et sportive (EPS) et le Sport, à décontextualiser parfois de manière radicale mais sans y avoir réussi complètement, la discipline et les pratiques sportives pour privilégier une voie uniquement scolaire des pratiques physiques. De nombreux responsables politiques ont, quant à eux, cherché à externaliser l’EPS pour réduire le « coût » du service public d’Education. Quels sont les enjeux des luttes qui ont permis de mettre en échec au moins provisoirement ces projets ?


Sylvie Larue, professeur d’Éducation physique et sportive à Rennes, est militante du SNEP-FSU. Elle est également membre du comité éditorial de Cerises la coopérative.


« EPS et loisirs », Contre-Pied hors-série n°29, 2021. [SNEP-FSU]
« EPS et loisirs », Contre-Pied hors-série n°29, 2021. [SNEP-FSU]

« Création collective, instinctive, continue, dynamique grandiose de l’imaginaire, le sport traverse avec assurance l’histoire des peuples et n’a pas été inventé, au cours des âges, sur décision des princes ou recommandation des philosophes. Il est vivant, populaire, spontané. Il est émotion. Il est passion. »  Bernard Jeu, Le sport, l’émotion, l’espace [1].

Le sport fait partie de la culture

La culture est un ensemble complexe de comportements, de techniques, de normes, de valeurs, de rites, de modes de sociabilité, d’institutions, d’outils qui caractérisent une société humaine à un moment donné de son histoire et de son développement. Les Pratiques physiques et sportives sont des objets culturels qui cristallisent ce que les femmes et les hommes ont inventé et produit comme techniques corporelles pour s’émanciper des déterminismes qui les entourent. Elles prennent racine dans des pratiques ancestrales (se déplacer, chasser, se transporter, combattre, s’organiser en groupe, communiquer…) pour se détacher de leur fonction utilitaire et constituer un champ autonome de pratiques sociales au cours d’un long processus historique. Ces pratiques sociales réservées à une élite se sont progressivement démocratisées, ont produit un système de règles puis se sont développées à l’échelle de la planète. Elles sont devenues au delà des langues, et des histoires de chaque pays, des instruments de communication et de rencontres planétaires.

Les maux du sport sont le reflet de notre société capitaliste

Un regard critique sur le sport est nécessaire. Dopage, salaires extravagants, dumping sur les retransmissions, achat de joueurs, mais aussi violences, chauvinisme, voire nationalisme, comme toute pratique sociale, les Pratiques physiques et sportives sont percutées par le contexte dans lequel elles se développent. Les grandes compétitions internationales, les Jeux olympiques et paralympiques (JOP) n’échappent pas à ces contradictions. Les JOP sont l’occasion de la plus grande rencontre internationale de sport, l’aboutissement de nombreuses années d’entraînement, d’efforts, et un moment merveilleux pour tous les athlètes qui se confrontent, et pour les spectateurs et spectatrices dont je suis. Et dans le même temps, ils concentrent toutes les dérives citées, soumission accentuée aux intérêts des grands groupes capitalistes internationaux, médiatisation à outrance, marchandisation, et ingérence des sponsors jusque dans les règlements sans compter la corruption des plus hauts dirigeants du Comité Olympique.

Ne confondons pas le sport et sa marchandisation capitaliste

Certains critiques considèrent le sport comme totalement déterminé par le mode de production capitaliste voire constituant une façon de détourner l’attention des femmes et des hommes des luttes émancipatrices, une sorte d’opium du peuple, un vecteur d’aliénation. Que dire alors du travail ? Le travail, est gangrené par la logique de marchandisation, de rentabilité à tout prix, est parfois même empêché au point de pousser des travailleurs à se suicider. Revendique-t-on de supprimer le travail ? Ou revendique-t-on de transformer les conditions dans lesquelles il se déploie ? De pouvoir décider de la manière dont on l’organise ? De permettre à toutes et tous de choisir son activité de travail ?


« Ravivons la flamme de l’EPS », le 24 janvier 2024, à Rennes. [SNEP-FSU 35]
« Ravivons la flamme de l’EPS », le 24 janvier 2024, à Rennes. [SNEP-FSU 35]

Les critiques portent souvent sur le sport de haut niveau. Mais ce n’est pas le seul domaine où les logiques capitalistes s’engouffrent. Les salles de sport privées se multiplient et témoignent du besoin de pratique physique auquel ne répondent pas les structures sportives associatives actuelles. Il y a un continuum entre les pratiques de haute performance et les pratiques de masse. La compétition et la haute performance ne sont pas par essence des principes du système capitaliste, nourrissant des processus de domination, elles peuvent être placées au cœur de processus d’émancipation en rendant possible la recherche du dépassement de ses propres limites, aussi bien individuellement que collectivement. Le développement des activités sportives adaptées pour les personnes porteuses de handicap en sont une formidable démonstration. Claude Onesta entraineur de l’équipe de France masculine de handball de 2001 à 2016 déclare à propos de son expérience, que le haut niveau c’est la recherche permanente d’innovations, le fait d’être sur le terrain de solutions que les autres n’ont pas encore explorées. Il lie innovation permanente et épanouissement des joueurs à partir de sa maxime « L’autre n’est pas mon ennemi, il est ma chance [2] ».

S’émanciper en se confrontant aux Pratiques physiques et sportives

L’individu se développe en s’inscrivant dans des activités sociales et en s’appropriant des instruments culturels que l’humanité produit. Les enfants, les femmes et les hommes qui se confrontent aux Pratiques physiques et sportives s’approprient des techniques, développent de nouvelles capacités motrices qui au delà du plaisir d’apprendre ou de vivre des situations émotionnelles fortes, leur permettent de vivre mieux. « Dans le sport, il y a des règles, des protocoles attendus, bref l’équivalent des formes d’usage de soi, d’usage du corps-soi par les autres : sans les règles, les codes, les normes antécédentes de l’agir, il n’y aurait pas d’activité qui est précisément la négociation de notre corps-soi avec ces normes et ce qui nous fait résistance. La pratique du sport est une suite continue de réinterprétation des normes, des contraintes et de normalisation de notre corps-soi pour les opérationnaliser. » Yves Schwartz parle « d’une série inanticipable d’arbitrages où le corps-soi décide de ce qu’il peut ou doit faire dans la situation. Une invention permanente de soi par soi dans l’activité [3]. » En s’inscrivant dans la culture de l’humanité les enfants, les femmes et les hommes se donnent les moyens de sa transformation.

L’école, le lieu premier de l’accès de toutes et tous à la culture sportive

L’école accueille tous les enfants d’une même classe d’âge. Au sein de l’école, l’EPS vise l’accès de toutes et tous à la culture des Pratiques physiques sportives (et artistiques) et la maîtrise de sa vie physique. En tant que professeur d’EPS, elles constituent pour moi les objets de référence de mon enseignement auxquels il faut ajouter les Pratiques artistiques comme la danse, ou le cirque. Il s’agit de viser l’émancipation à travers l’appropriation du patrimoine culturel corporel, c’est à dire comme le précise Daniel Bouthier, « des techniques élaborées, capitalisées et transmises par des passeurs de mémoire (enseignants, entraîneurs, éducateurs), maîtrisables dans l’action, transformables descriptibles et objet de communication réinvestissables dans différents rôles sociaux, qui offrent de nouveaux pouvoirs d’agir et de nouvelles sources de développement personnel » [4]. Les Pratiques physiques et sportives mettent en jeu des ressources multiples motivationnelles, attentionnelles, décisionnelles, gestuelles, énergétiques, émotionnelles. Les élèves puisent dans leurs ressources propres, s’adaptent, transforment leurs ressources, les améliorent, les renforcent. Ils déploient leur activité personnelle dans une pratique sociale qui existe en dehors d’eux.

Compétition et performance, émulation et coopération

La compétition est inhérente à l’activité sportive. Dans un cadre commun, qui suppose l’acceptation des règles de la compétition, les élèves comme les sportives et les sportifs déploient leur activité physique en recherchant la performance et/ou un résultat optimal. Elles et ils s’éprouvent, se fatiguent, font leurs preuves en se confrontant à des contraintes, en se confrontant à eux mêmes ou aux autres et se développent en dépassant leur motricité habituelle. Faire vivre le principe selon lequel l’adversaire est l’ami qui me fait progresser, et non mon ennemi, nécessite tout un travail qui souvent remet en cause les représentations de nos élèves dont certains privilégient l’élimination de l’adversaire, ou d’autres n’y trouvent aucun intérêt…


« Le sport scolaire », Contre-Pied hors-série n°30, 2022. [SNEP-FSU]
« Le sport scolaire », Contre-Pied hors-série n°30, 2022. [SNEP-FSU]

L’organisation de la compétition en EPS relève aussi de choix éducatifs essentiels et permet de jouer sur le rapport émulation/coopération  : des compétitions où les règles évoluent en fonction des acquisitions des élèves, des compétitions où tout le monde continue à jouer quel que soit le résultat, des compétitions où les résultats de chacun·e comptent, des compétitions solidaires avec des équipes hétérogènes, où ce qui va compter c’est la solidarité entre les élèves performants et les élèves mois débrouillés, des compétitions où la convivialité est de mise et les résultats sont dédramatisés…

Lutter contre les inégalités et démocratiser l’accès à la culture sportive

Les inégalités sociales et scolaires ont la vie dure. Le développement de la précarité, et de la pauvreté éloigne des pratiques physiques et sportives. Aussi, démocratiser l’accès aux pratiques sportives, faire réussir tous les élèves en EPS parce que tous nos élèves sont capables, nécessite de poursuivre l’incessant travail de recherche didactique et pédagogique mais aussi de donner les moyens nécessaires à ces objectifs. Cela passe par plus et mieux d’EPS à l’école, et par un sport scolaire renforcé dans son rôle. L’UNSS [5] fédération multisport, développe des formes de pratiques mixtes qui pourraient inspirer et transformer les pratiques fédérales. En formant les élèves aux rôles d’arbitre, de juge, de coach et d’organisateurs ou organisatrices des compétitions, le sport scolaire permet de préparer à une vie sportive citoyenne. 4 heures d’EPS pour toutes et tous de la 6eme à la terminale, une section sportive au moins dans chaque établissement scolaire, un plan de construction d’équipements sportifs écoresponsables en priorité dans les départements sinistrés comme dans le 93. A l’école maternelle et l’école primaire, il faut aussi développer l’accès aux pratiques sportives et pas seulement faire 30 minutes de bougeotte tous les jours comme le préconise le gouvernement actuel.

Sylvie Larue


[1] Bernard Jeu, Le sport, l’émotion, l’espace : essai sur la classification des sports et ses rapports avec la pensée mythique, éditions Vigot, 1977.

[2] Claude Onesta dans « EPS et Culturalisme », revue Contrepied éditée par le SNEP-FSU.

[3] Yves Schwartz dans « EPS et Culturalisme », revue Contrepied éditée par le SNEP-FSU.

[4] Daniel Bouthier dans « EPS et Culturalisme », revue Contrepied éditée par le SNEP-FSU.

[5]Union Nationale du Sport Scolaire

Les derniers articles par Patrick (tout voir)

Partagez cet article