Solidaires a 25 ans. Moi aussi !
Solidaires a 25 ans ; un peu plus en vérité, si on en croit ce que décrivent plusieurs articles de ce numéro, écrits par des militantes et militants qui ont parcouru ce quart de siècle Solidaires ! Mais quel regard sur cet outil lorsqu’on a par exemple … 25 ans aujourd’hui !
Syndiqué à Solidaires Étudiant-e-s de 2018 à 2021, lorsqu’il était à l’université de Caen, Judicael Livet a rejoint SUD Éducation dès son embauche, en parallèle de ses études, comme surveillant dans un lycée, à Caen. Il est aujourd’hui toujours surveillant, et milite au sein de SUD Éducation Calvados et de l’union interprofessionnelle Solidaires Calvados.
1998, année de création du G10 – Solidaires, 1998, c’est aussi mon année de naissance. Venant d’une famille pas particulièrement syndicaliste, et même pas particulièrement militante en général, c’est en arrivant à l’université, à 20 ans, que Solidaires Étudiant-e-s fut mon premier engagement syndical. Travaillant aussi en tant que surveillant dans un bahut, je me syndique directement à SUD Éducation en parallèle.
De Solidaires Étudiant-e-s…
Si notre organisation n’est pas la plus massive, ou la plus représentative de l’ensemble des travailleurs et des travailleuses, elle dénote par contre par son grand écart d’âge en son sein, et la présence manifeste de « jeunes ». Cela est dû, en partie, à une branche plus ou moins dédiée, Solidaires Étudiant-e-s, voulant se donner pour objectif d’organiser les « travailleurs et travailleuses en formation ». Cette spécificité, née dès l’année 1995 avec la création de SUD Étudiants (donc dès « les origines ») est propre de notre Union (pour l’instant en tout cas). C’est la perspective d’un syndicat étudiant ancré dans un rapport de classe, et dans cette logique membre d’une Union interprofessionnelle, qui m’a tout de suite parlé. En effet, au contraire des autres organisations étudiantes qui concentrent leur action sur les universités et des thématiques très corpo, l’ambition (certes parfois plus idéologique que pratique) de Solidaires Étudiant-e-s est de dépasser les corporatismes, et même d’encourager la double syndicalisation pour des étudiant∙es en formation professionnelle ou étudiant∙es salarié∙es.
Il est vrai que le syndicalisme étudiant semble, à beaucoup d’entre celles et ceux qui y sont passé∙es, assez frustrant : de par un fort turn-over, on a souvent une idée précise de ce qu’on veut y faire que lorsque c’est le moment de partir. Néanmoins, en étant membre d’une Union interprofessionnelle, on a tout de suite après une perspective de lutte évidente et naturelle et des camaraderies déjà tissées dans les divers secteurs d’emploi. Évidemment, un point d’attention qu’il est important de questionner, c’est que le syndicat étudiant ne devienne pas un simple appareil de propulsion de « cadres du syndicalisme » dans notre Union. En effet, parmi les mandaté∙es dans les instances interprofessionnelles, il n’est pas rare de croiser d’anciens et d’anciennes camarades. Ce constat mériterait peut-être une étude. Évidemment, si les mandats syndicaux se retrouvaient largement préemptés par d’anciens et anciennes syndicalistes étudiant∙es, on pourrait penser que la formation dans les syndicats professionnels est trop faible.
… à Solidaires
Autre aspect attirant pour des jeunes, c’est l’ouverture, dès la création de Solidaires, à certaines questions qui peuvent paraitre assez éloignées du syndicalisme dans d’autres Unions et confédérations. L’exemple le plus parlant à mon avis, ce fut la réflexion enclenchée très tôt par l’Union à propos des enjeux environnementaux. La sensibilité de ma génération à la question et la politisation de beaucoup de jeunes à travers la prise de conscience des limites écologiques ne sont pas à prouver. Le fait de questionner le travail et notre rapport à la production, avec cette limite en tête, m’est apparu nécessaire. Et, en même temps, les efforts pour essayer d’interroger nos pratiques syndicales dans cette optique pousse notre syndicalisme à se définir dans une perspective très politique, l’éloignant de la simple routine corporatiste ou bureaucratique.
Il en est de même pour la lutte antifasciste. La montée en flèche de l’extrême droite, notamment du FN/RN, lors des élections et plus largement dans le champ politique, constitue pour une grande partie de la jeunesse une source d’attention importante. La propagation des idées d’extrême droite, notamment à travers Internet, rend de plus en plus de personnes de ma génération ouvertes à celles-ci : lors des élections de 2022, c’est quand même un quart des moins de 34 ans qui votaient pour Marine Le Pen. Récemment, des organisations fascistes ou fascisantes spécifiquement étudiantes (UNI, Cocarde, etc.) veulent montrer les crocs et n’hésitent plus à attaquer celles et ceux qui se mobilisent sur les lieux d’études ; la riposte devient nécessaire. Et parmi les organisations syndicales, Solidaires est depuis longtemps la plus encline à assumer ce combat, encore une fois politique, sans le déléguer à des partis (en lesquels les jeunes ont de plus en plus de mal à faire confiance). C’est notamment de par ma participation à la commission antifasciste de Solidaires Étudiant-e-s que j’ai commencé à tisser des liens de camaraderie interprofessionels avec des syndicalistes mobilisé∙es sur ce sujet.
La jeunesse, un atout pour Solidaires
Cette présence relativement forte de la jeunesse permet à notre organisation d’avoir une réserve de militant∙es actifs et actives, qui n’ont pas de responsabilités familiales par exemple, et ont donc du temps à donner à la lutte. Elle permet aussi, souvent, d’être le cortège le plus animé des manifestations, et dans un cercle vertueux attire justement la sympathie des plus jeunes. Autre vertu, elle peut permettre d’éviter les routines bureaucratiques, en encourageant les plus anciens et anciennes à continuer l’activité de terrain (tournée d’ateliers, de services, collages, etc.), qui peut paraitre lassante et énergivore au fil du temps, mais susceptible d’intéresser des camarades fraichement arrivé∙es, motivé∙es pour militer. Car le syndicalisme à Solidaires c’est bien un syndicalisme « de lutte et de transformation sociale » ; y entrer ce n’est normalement pas comme rentrer dans une organisation dont le fonctionnement repose non sur des militant.es syndicaux mais sur des élu.es perdant de vue le caractère syndical de leur mandat (même si nous ne sommes pas immunisé∙es contre le fait que cela ne le devienne)… Solidaires a vite su, plus que d’autres, développer un large réseau militant et des liens avec toute sorte d’organisations. Se syndiquer à Solidaires se fait donc souvent par la proximité qu’a notre organisation syndicale avec des associations militantes, des collectifs, des assemblées auxquelles les syndicats Solidaires acceptent de participer, contrairement à d’autres organisations syndicales. Ne nous leurrons pas, ce n’est donc pas n’importe quel∙les jeunes qu’attire Solidaires, mais souvent des jeunes avec un début de prise de conscience politique, avec parfois déjà des expériences militantes.
Le renouvellement assez continu de jeunes camarades que connait notre Union permet, couplé à une volonté de fonctionnement démocratique, d’en réinterroger continuellement autant les valeurs que le fonctionnement. Face à ce constat, il est important d’éviter deux écueils : le formatage permanent ou le dégagisme permanent. En effet, d’un côté les fortes valeurs de Solidaires et la richesse de son cahier revendicatif nécessitent pour perdurer un cycle de transmission et de formation important. Cela dit, savoir mettre ses valeurs en pratique dans le quotidien syndical nécessite une approche pragmatique. En cela, il est important de ne pas s’accrocher à ces valeurs de manière abstraite pour transformer celles-ci en dogmes intangibles. Militer en 2024, ce n’est pas militer en 1998, d’abord dans le rapport même des travailleuses et des travailleurs au syndicalisme, et il faut savoir le comprendre pour avancer. D’un autre côté, l’arrivée de jeunes camarades en nombre, avec parfois des préconçus idéologiques, ne doit pas être une raison pour qu’à chaque génération s’opère une table rase. Si la présence de jeunes dans une organisation peut témoigner de sa vitalité, la présence et l’accroche de camarades avec « de la bouteille », et même de retraité∙es (permise à Solidaires, entre autres avec l’UNIRS), en est une autre dimension à prendre en compte. Un effet de dégagisme permanent signifierait au contraire que la camaraderie intergénérationnelle au sein de notre Union serait impossible, et amènerait à un recommencement continuel à chaque nouvelle génération. C’est donc important pour nous, jeunes, de savoir écouter et comprendre ce qui fait l’histoire de Solidaires.
Attirer toutes et tous les jeunes
Tout cela dit, il est aussi important de voir comment aller plus loin. Comment faire pour attirer davantage de jeunes, et surtout toutes et tous les jeunes ? Par exemple, il m’apparait que des jeunes camarades ayant choisi la CGT l’ont fait notamment par continuité familiale. Si cela existe aussi à Solidaires, il est toutefois clair que la place de la famille dans notre militantisme n’est pas vraiment la même. Étant à Solidaires depuis déjà 5 ans, j’avoue ne pas forcément connaître les conjoint∙es ou les enfants de mes camarades. D’ailleurs, la plupart de mes camarades de Solidaires qui viennent d’une famille syndicaliste ont justement des parents à la CGT. J’ai dit au début venir d’un milieu familial pas particulièrement syndicaliste, mais je dois corriger : une partie de ma famille a travaillé sur le port de Cherbourg, elle était donc, bien évidemment, à la CGT. Je n’ai pas vraiment connu cette époque, car mon grand-père et plusieurs de mes oncles et cousins étaient déjà partis ou en retraite quand j’ai commencé à le comprendre, mais il est intéressant pour moi de noter qu’on emmène plus souvent toute sa famille quand on est à la CGT qu’à SUD. Pourquoi donc ?
Évidemment Solidaires étant bien plus récent, l’aspect « héritage » n’est pas le même. Mais dans l’organisation de Solidaires aussi il y a une différence. Par exemple, le maillage d’Unions locales de Solidaires, assez maigre, gagnerait à être développé, ainsi que leur vitalité au quotidien (donc en dehors des mouvements de grève). Les regroupements interprofessionnels, s’ils sont utiles pour militer sur des questions intercatégorielles et plus larges, sont aussi un lieu de politisation et de sociabilité intéressant : en proposant plus souvent des repas, des soirées, des rencontres ouvertes à la famille, Solidaires pourrait davantage parvenir à intégrer cette dimension dans son fonctionnement. C’est aussi cette dimension qui me semble aussi attirer beaucoup de jeunes vers certains milieux dits « autonomes », qui, même s’ils perdent souvent de vue la perspective large et ouverte de la lutte, ont, beaucoup plus que nous, su capitaliser sur le développement territorial (ouverture de squats, de lieux autogérés, soirées de lutte, club de sport, etc.). J’ai pu observer aussi, venant d’une famille plutôt catholique, qu’il en est de même pour les organisations chrétiennes de gauche (JOC, MRJC), qui sont capables de réunir énormément de jeunes d’horizons différents. Un syndicalisme qui saurait aussi se baser sur la sociabilité, en tant que classe, parviendrait d’autant plus à intégrer des jeunes, notamment les jeunes qui ne passent pas par Solidaires Étudiant-e-s (qui cible celles et ceux en études supérieures). La jeunesse de Solidaires et son réseau militant pourraient justement participer à cette dynamique si on arrivait à s’en donner les moyens.
Intégrer toutes et tous les jeunes
Une dimension de Solidaires qu’il a par contre fallu m’expliquer quand je suis arrivé, et avec laquelle je ne suis pas toujours très à l’aise, c’est la grande différence qu’il y a d’un syndicat à l’autre, d’une fédération à l’autre (dans les noms, dans les fonctionnements, etc.). En somme, la différence qu’est une Union par rapport à une Confédération. Un exemple emblématique pour moi : si, dans l’éducation, j’ai été intégré assez vite par des AG régulières, ouvertes à toutes les adhérentes et tous les adhérents, ce n’est pas le cas de camarades dans d’autres secteurs qui ne<br> sont pas forcément très au courant de ce que fait leur syndicat, encore moins l’interpro. Pour des jeunes, il est parfois peu aisé de comprendre la totale autonomie, voire indifférence, qu’ont les syndicats les uns avec les autres. Car en effet, si on n’a pas vécu les dérives du confédéralisme à la CFDT et l’exclusion de sections combatives, et le rapprochement entre des organisations avec des histoires et des cultures très différentes que furent celles des SUD et du G10, il est difficile de comprendre pourquoi une si grande diversité. Cette remarque vaut d’ailleurs aussi pour beaucoup de travailleurs et travailleuses « non-jeunes », qui, dans leur majorité, ne connaissent pas vraiment cette histoire avant de se syndiquer. L’indépendance nécessaire peut sembler, parfois, plus tenir ou aboutir à une forme de corporatisme, plutôt qu’à la vraie liberté espérée, et c’est l’interpro qui en pâtit le plus. Pour moi, il est important de réinterroger cette indépendance, non pas pour s’en défaire, parce qu’elle garantit la liberté et le fonctionnement très horizontal et décentralisé de notre Union, mais justement pour qu’elle n’ait pas des effets néfastes à notre fonctionnement interprofessionnel en devenant un anathème récurrent et abstrait qui nous empêche de progresser, et qu’elle puisse aussi garantir une certaine égalité entre toutes et tous les jeunes qui intègreront l’Union.
⬛ Judicael Livet
- Du congrès Solidaires… - 31 août 2024
- Dialectik Football - 30 août 2024
- Le Miroir du football : un journal de référence - 29 août 2024