Quel antifascisme ?

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Comment lutter contre l’extrême droite ? À notre sens, cela ne peut être qu’en pratiquant un antifascisme radical, au sens premier du terme : s’attaquer aux causes d’un mal, plutôt qu’à ses (seuls) symptômes ; un antifascisme pragmatique, ce qui implique une continuité entre les fins et les moyens ; et enfin, un antifascisme de masse, c’est-à-dire qui soit le fait de l’ensemble de la population et en premier lieu du monde du travail.


La commission antifasciste de l’Union syndicale Solidaires trace ici les grandes lignes de notre politique syndicale en matière d’antifascisme.


« Ni Le Pen ni ses idées » (Ras l’front). [Coll. CM]

Solidaires a toujours favorisé les démarches unitaires qui sont une arme contre l’extrême droite. Depuis l’assassinat, en juin 2013, de notre camarade Clément Méric, les violences d’extrême droite, racistes, sexistes, homophobes et contre les antifascistes n’ont pas cessé. L’exemple de la ville de Lyon est sans doute le plus parlant. Des groupes d’extrême droite considèrent la rue comme leur terrain de chasse et agressent celles et ceux qu’ils désignent comme leurs ennemis. À leur tableau de chasse : des jeunes sortant d’un concert antifasciste, des personnes « suspectées » d’être étrangères ou encore des syndicalistes attablés en terrasse. Depuis 2013, des réseaux antifascistes se sont réactivés, parfois de façon très éphémère, mais l’implication des militant·es Solidaires, dans ce combat, est importante. Parmi ceux-ci on peut citer : l’association Vigilances et initiatives syndicales antifascistes (VISA), qui, depuis 1996, dispense se des formations intersyndicales sur l’extrême droite et produit du matériel et des analyses de qualité ; aussi, la trop éphémère Coordination nationale contre l’extrême droite (CONEX).

Trois cadres nationaux se également sont mis en place depuis 2013

Le réseau « Clément », constitué dans les jours qui ont suivi l’assassinat de notre camarade, fait le lien entre les 80 organisations (collectifs antifascistes, syndicats, associations, organisations politiques) qui avaient appelé aux manifestations des 22 et 23 juin 2013. Le Comité pour Clément, lui, est plutôt un regroupement d’individus et de proches de Clément. Deux éléments ont malheureusement affaibli ce réseau :le refus, dès l’origine, de la CGT de s’y impliquer ;le désintérêt très rapide de la quasi-totalité des organisations politiques signataires de l’appel.Dans le texte unitaire de 2013, « Le fascisme tue, ensemble combattons-le », on peut lire « le fascisme se nourrit des peurs face à l’avenir : 5 millions de chômeurs et chômeuses, 8 millions de personnes vivant sous le seuil de pauvreté, 3,5 millions de mal logé∙es, accroissement de la précarité, conditions de travail dégradées, licenciements, fermetures d’entreprises […] Face à l’explosion des inégalités et aux politiques d’austérité, il faut reconstruire l’espoir collectif en une société plus juste. La question de la répartition des richesses que nous produisons est fondamentale. L’extrême-droite est à l’opposé de ces valeurs. Utiliser la mort de Clément serait méprisable. A contrario, c’est honorer sa mémoire que de dire publiquement et ensemble ses engagements syndicaux et antifascistes, et de poursuivre encore plus nombreux·euses et déterminé·es ses combats pour la liberté et une autre société. »Relativement informel et servant surtout d’outil d’échange d’information sur l’actualité de l’extrême-droite, les argumentaires et les ripostes antifascistes à travers une lettre, rédigée par Solidaires toutes les 2 ou 3 semaines, ont permis, pendant quelques années, d’informer et de faire échanger ensemble des structures aux histoires et modes d’interventions différents.

La campagne unitaire contre l’extrême droite, ses idées et ses pratiques, regroupe la CGT, la FSU, Solidaires et des organisations de jeunesse (UNEF, FIDL et UNL). Elle fut lancée en janvier 2014, par une journée de débats qui a rassemblé plus de 600 militant∙es syndicaux des trois organisations syndicales. Cette initiative s’était conclue par un meeting unitaire. La campagne s’était traduite, aux plans local et régional, par des formations et des initiatives publiques : plusieurs dizaines se sont tenues, dont celle, symbolique, à Béziers, le 6 mai 2015 : plus d’une centaine de militants et militantes se sont réuni∙es, pour analyser et faire un bilan des politiques mises en œuvre dans les municipalités conquises par l’extrême droite.Ce cadre unitaire a permis de rappeler que face au danger de l’extrême droite, l’unité des organisations syndicales était une nécessité et que la lutte contre l’extrême droite, c’est aussi le rôle des syndicats.Malheureusement, nous n’avons pas été en mesure de réactiver cette dynamique dans les mois qui ont précédé la dernière campagne présidentielle, marquée par une mise en avant des discours réactionnaires, xénophobes, racistes et qui a vu l’ensemble des candidat∙es d’extrême droite recueillir plus de 11 millions de suffrages au premier tour et Marine Le Pen se qualifier, pour la seconde fois, pour le deuxième tour où elle a recueilli plus de 13 millions de voix.


Manifestation à Lyon, avril 2022. [DR]

Depuis près de deux ans, la Coordination unitaire antifasciste (CUAF) regroupe diverses organisations syndicales (Solidaires, CNT), politiques (NPA, UCL), le collectif La Horde et des collectifs antifascistes locaux. Si quelques évènements ont été organisés avec succès ici et là, cette coordination n’est pas encore parvenue à dépasser le cadre des organisations habituellement présentes sur les thématiques de l’antifascisme. Ses difficultés internes montrent aussi la perte d’habitude de travailler en coordination large sur la question de l’antifascisme. En effet, rien n’est venu combler le vide laissé par la fin des réseaux No Pasaran qui se sont progressivement éteints, à de très rares exceptions près, au cours des années 2000/2010.

Dans tous ces cadres Solidaires continue de porter un engagement en faveur d’un élargissement à toutes les structures de notre camp social et notamment la FSU et la CGT, convaincue que les syndicats ont un rôle essentiel à mener dans le combat contre l’extrême droite.

Le travail antifasciste de l’Union syndicale Solidaires

Au-delà de ces ripostes unitaires, nous pensons que la riposte du syndicalisme face à la diffusion des thèses de l’extrême droite passe par au moins, quatre niveaux.

En interne : formation et information à tous les niveaux. Formation et information sur l’extrême droite sont des enjeux importants pour les organisations syndicales. C’est le sens des débats que nous organisons à ce propos lors des réunions du Bureau national de Solidaires, ou lors de nos journées annuelles interprofessionnelles. Il est prévu d’intégrer ces questions lors des formations syndicales de base, au même titre que les questions d’autonomie du mouvement syndical ou de démocratie syndicale. Ces débats et formations ont aussi lieu au sein des structures professionnelles et locales, parfois de façon unitaire, ce qui montre que nous avons pris conscience, dans la plupart de nos organisations, de l’importance d’aborder frontalement ces sujets. C’est dans la même logique que s’est mis en place un groupe de travail « Ripostes syndicales face à l’extrême droite » au sein de Solidaires, devenu depuis le congrès de 2021 une commission à part entière. Les objectifs de cette commission sont multiples : échanger et partager les informations entre structures professionnelles et locales sur cette question, en fonction des réalités vécues ; approfondir notre réflexion sur les discours et actions des différentes organisations d’extrême droite ; mieux coordonner le travail qui est fait par nos différentes organisations et enfin collectiviser la production de matériel en direction des adhérent·es et des salarié·es. Le choix n’est pas de créer un groupe de « spécialistes » de l’extrême droite, mais bien de travailler à la production de matériel simple et directement utile aux équipes militantes pour répondre aux discours de l’extrême droite qui se répandent et se banalisent autour de nous. Du matériel à utiliser dans les ateliers et les bureaux, lors des tournées syndicales, parce que cela est une nécessité que nous ne pouvons ignorer. Pourquoi ce nom de « Ripostes syndicales face à l’extrême droite » ?: si nous n’avons pas de souci avec le terme « antifascisme », et ce qu’il peut signifier dans sa tradition historique, le terme d’extrême droite, au vu de la diversité de ce courant, est plus pertinent, à cette heure, que « fascisme ». Et « ripostes syndicales » a été choisi pour montrer la spécificité du travail syndical sur cette question, sur les lieux de travail notamment – mais pour Solidaires, sur cette question comme sur les autres, notre syndicalisme ne s’arrête pas aux portes des entreprises et des services – parce que nous pensons que les syndicats ont une responsabilité particulière et des moyens d’action non négligeables dans le combat contre l’extrême droite, par leur présence et les actions de solidarité quotidiennes et concrètes auprès des salarié·es.

Une dimension internationaliste. Notre activité internationaliste est essentielle. Les rencontres européennes des divers réseaux antifascistes sont un cadre de la mise en œuvre de la solidarité internationale et d’une riposte antifasciste contre la montée des extrêmes droites en Europe. C’est aussi un des axes de travail du Réseau syndical international de solidarité et de luttes. Nous participons, et souvent impulsons, des campagnes unitaires : pour la libération du militant antifasciste A. Koltchenko condamné à 10 ans de camp de travail par l’État russe, en soutien aux syndicalistes d’Iran, arrêté∙es, torturé∙es, tué∙es, en défense du peuple de Rojava attaqué par Daesch, pour le droit des travailleurs et travailleuses de Chine à s’organiser dans de vrais syndicats, etc. Au plan international aussi, l’antifascisme est partie intégrante de notre syndicalisme !

Auprès des salarié·es, s’affirmer, s’afficher antifascistes tout le temps ! Nous devons affirmer, sans concession, notre antifascisme, parce qu’il est partie intégrante de notre identité et de notre projet syndical. Certes, ce n’est pas toujours un sujet facile : il est clivant et la solution de facilité est de ne pas l’aborder ; parfois, on sent que nos arguments ne pèsent guère face à des slogans simplistes et des fausses évidences. Pourtant, sur bien d’autres sujets, nous devons aussi lutter contre le discours dominant, faire preuve de pédagogie, expliquer sans cesse. Il est normal de le faire aussi sur la question de la lutte contre l’extrême droite. C’est pourquoi, il y a quelques années, l’Union syndicale Solidaires avait par exemple édité à 500 000 exemplaires un tract « l’extrême droite est un danger mortel, le FN est son venin ». Il est difficile de savoir de quelle façon ce tract a été distribué même si l’on sait par ailleurs que des équipes syndicales ont été inquiétées par leur direction trouvant que ce tract était « politique » (l’entreprise GFI est même allée au tribunal, où elle a été déboutée sur ce point). Des équipes ont annoncé qu’elles ne distribueraient pas ce tract, expliquant qu’elles n’avaient pas de souci avec le contenu, mais que c’était compliqué vis-à-vis de certains salarié∙es… là aussi, il y a un combat à mener.

Il ne s’agit pas de proclamer un « antifascisme moral » (qui n’aurait, par ailleurs, rien de déshonorant), mais bien d’expliquer et démontrer que le FN/RN est un parti de bourgeois (s’agissant de Zemmour personne n’a de doute à ce sujet), au service du capitalisme, qu’il n’est pas « contre le système » mais complètement intégré au système capitaliste, et que son projet de société n’est en rien d’améliorer les conditions de vie et de travail des salarié∙es. De la même façon, il s’agit de montrer clairement aux collègues que l’obsession antisémite de la bande à Soral/Dieudonné, comme le racisme du FN/RN, ne sert qu’à diviser les salarié·es et masquer les vraies responsabilités. En désignant tel ou tel groupe, on épargne une classe sociale, celle des patrons, des actionnaires et des banquiers. Évidemment, pour celles et ceux qui pensent que leurs conditions de travail se dégradent ou que les services publics sont attaqués parce que le monde est dirigé par les Illuminati, il faut reconnaître que la pédagogie peut trouver ses limites. Il nous faut combattre « les théories du complot » qui empoisonnent la pensée critique. Internet véhicule beaucoup de rumeurs et d’intox cherchant à élaborer des thèses racistes comme, par exemple, les liens entre les Juifs, le pouvoir et les réseaux pédophiles qui rappellent le mythe du Juif mangeur d’enfants, ou bien se basant sur des faits divers comme a pu le faire Édouard Drumont au XIXe siècle pour justifier ses thèses antisémites, utilisant le côté voyeuriste à des fins racistes. Il en est de même pour la manipulation par l’image que l’on croise régulièrement sur les réseaux sociaux. Ainsi nous nous devons de démonter ces amas de sottises et promouvoir le travail fait par exemple par les camarades investis dans les Debunkers. Il nous faut réfléchir au moyen de diffuser plus largement et de populariser nos analyses critiques du système capitaliste et notre projet de transformation sociale en nous appuyant sur les valeurs d’égalité des droits, de solidarité internationale et d’émancipation.


[DR]

Réaffirmer un syndicalisme de transformation sociale

Il nous faut, aussi et surtout, démontrer que le syndicalisme est porteur d’un projet de transformation sociale à la fois utopiste et crédible, face aux politiques libérales, que l’unité et la maîtrise des luttes par les salarié∙es sont une force. Le Rassemblement national, et l’extrême droite de façon générale, ne sont jamais très à l’aise en période de fort mouvement social et leurs prises de position peuvent alors varier d’un jour à l’autre. En revanche, ils savent bien que chaque défaite du mouvement social, comme chaque lutte non menée, leur ramèneront leur lot de nouveaux électeurs et électrices potentielles. Comme le disaient déjà l’appel des 250 et Ras l’front il y a 30 ans, « Leurs avancées sont faites de nos reculs ». Déjà, lors des échéances électorales de 2014, le Front National a réussi à polariser l’attention sur ses réussites dans les villes qu’il avait ciblé, ou sur ses 24 sièges d’eurodéputés, faisant passer au second plan le nombre important d’abstentions (sans parler des jeunes non-inscrit∙es) qui montre un désintérêt croissant pour le jeu politique institutionnel. Lors des élections départementales de 2015, avec 5,1 millions de voix au 1 er tour et 4,1 millions au second, il retrouve le nombre de suffrages obtenus à la présidentielle de 2002 (et relativement comparable aux 4,7 millions de voix aux européennes de 2014, soit bien moins que les 6,4 millions de voix obtenues par Marine Le Pen aux présidentielles de 2012)… mais obtient 62 conseillers départementaux qui s’ajoutent aux 1500 conseillers municipaux élus en 2014. Et lors de la récente présidentielle de 2022, si l’extrême droite peut agréger quelques 13 millions de suffrages, il ne faut pas oublier qu’au second tour près de 3 millions de votes blancs ou nuls ont été comptabilisés et que plus de 13 millions de personnes se sont abstenues… sans compter celles et ceux qui par choix ou obligation ne sont pas inscrit·es sur les listes électorales !

Le FN/RN entend faire de « ses villes » et des cantons gagnés des relais pour sa banalisation, sa dilution dans l’espace politique « démocratique » français. Le syndicalisme interprofessionnel a, là encore, un rôle à jouer, en solidarité avec les agents des collectivités territoriales, mais aussi pour la défense des libertés publiques, du droit d’expression et d’association, l’expression d’une solidarité concrète au sein des couches populaires sans laisser cet espace à l’extrême-droite. Mais pour Solidaires, la lutte contre le fascisme ne se limite pas aux enjeux électoraux. Nous avons plus lutté contre la progression de l’extrême droite et du fascisme en agissant depuis des années au quotidien pour l’égalité des droits, contre l’injustice, pour la sécurité au travail, etc., que ne l’ont fait ceux qui, par leurs pratiques, décrédibilisent toute action politique au sens large du terme. Et c’est cela que nous devons continuer. C’est là que se mène l’essentiel de la lutte contre l’extrême droite. Au quotidien, dans la fraternité des luttes où se retrouvent côte à côte l’ensemble des salarié·es, quelles que soient leur nationalité ou leur lieu de naissance, dans le respect du débat démocratique qui s’oppose aux « coups de gueule » et à « la loi du plus fort », dans la prise en charge des problèmes (y compris d’insécurité) pour éviter que leur non-résolution ne tourne au fantasme, etc.


Tract tiré à 500 000 exemplaires. [DR]

Pour nous, sans les hiérarchiser, tous les racismes ne pas sont portés de la même façon, mais sous des formes et des « intensités » variables. Certains sont plus acceptés et repris que d’autres. Nous réaffirmons que tout racisme ou toute discrimination est inacceptable, puisqu’elle vise à diviser et détourner des vraies questions. Notre riposte se veut globale contre tous les racismes et contre tous les fascismes. La présence et l’activité syndicales au plus près des travailleurs et des travailleuses (quotidiennement sur les lieux de travail), la reconstruction d’un tissu syndical interprofessionnel de proximité sont des actes antifascistes concrets. Cela peut paraître une banalité, mais nous le répétons, c’est parce que nous mènerons des luttes victorieuses sur le terrain des droits sociaux et économiques que nous pourrons faire reculer durablement.

Partisan d’un syndicalisme de transformation sociale – comme la CGT, la CNT, la CNT-SO ou la FSU – nous pensons que ce système doit être combattu et radicalement modifié, qu’un autre partage des richesses est une nécessité absolue ! C’est, pour nous, une des façons les plus sûres pour faire redescendre le poids de l’extrême droite au niveau groupusculaire et de la voir disparaître à jamais dans les poubelles de l’histoire.


Commission antifasciste Solidaires

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