Le système de retraite à points

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UN RÉGIME PAR RÉPARTITION

Le régime à points reste par répartition, c’est-à-dire que la masse monétaire des cotisations ne va pas sur le marché, n’est pas investit dans les entreprises, mais est immédiatement redistribué sous forme de pensions. La répartition est le seul système pérenne et sûr, tant qu’il y aura des emplois et des cotisations, il y aura des pensions. Mais le capitalisme n’aime pas que des capitaux lui passent sous le nez, surtout lorsqu’il s’agit de plus de 300 milliards par an !

Le système Macron est à répartition, mais laisse une plus grande place à la capitalisation, il comporterait trois niveaux :

  • Le minimum de pension, augmenté à 85 % du SMIC (donc indexé sur le SMIC). Ce n’est pas nouveau, cette mesure figure déjà dans la loi retraite de 2003, mais n’a pas été appliquée. Actuellement près de 40 % des personnes en retraite sont au minimum, ce pourcentage devrait augmenter immédiatement si le montant de ce minimum s’élève et progressivement au fur-et-à-mesure du temps et des baisses relatives des pensions, baisses programmées puisque le rapport Delevoye remis au gouvernement veut bloquer la part des dépenses de retraite dans les richesses créées (PIB), alors que le nombre de personnes en retraite augmente chaque année de plus de 150 000. La même part pour plus de monde, c’est moins pour chacun. Une grande partie, voire une majorité de retraité.es seront sur ce minimum, mais tous ne bénéficieront pas de 85 % du SMIC, seulement celles et ceux qui auront cotisé pendant 43 ans, les autres ne toucheront qu’une proportion, déterminée par leur durée de cotisation validée.
  • La pension déterminée par le système à points. Un certain nombre de points, achetés par les cotisations, permettra de calculer la pension en fonction de la valeur de service du point.
  • La capitalisation volontaire qui sera d’autant plus nécessaire que la pension à points sera faible et baissera. Actuellement le gouvernement favorise déjà et encourage fiscalement la capitalisation (loi PACTE).

Le rapport Delevoye prévoit une incitation à la capitalisation de deux autres façons :

  • Une moindre cotisation des hauts salaires : actuellement la caisse complémentaire obligatoire Agirc fait cotiser jusqu’à 27 000 € mensuels, le système à points s’arrête à 10 000 € ce qui libère des cotisations, 18,78 % du salaire brut, pour une capitalisation individuelle.
  • Les régimes riches comme les notaires et les avocats ont engrangé beaucoup de cotisations d’actifs pour peu de pensions de retraités, d’autres disposent de réserves financières, ils auront le droit « d’abonder des étages de retraite supplémentaire, en dehors du système universel ».

SYSTÈME A PRESTATIONS OU COTISATIONS DÉFINIES

Nos régimes actuels « à prestations définies » permettent de connaître à l’avance le montant de la pension qui est garantie, qui dépend du salaire pris en compte et de la durée de cotisation.  Le régime à points est « à cotisations définies », on sait ce que l’on verse, on ne sait pas ce que l’on aura à la fin. On peut suivre le nombre de points acheté par les cotisations, il faudrait verser environ 11,11 € de cotisation dont une partie, 10 €, permettrait d’acheter un point. Mais la valeur du point qui transformera le nombre de points en montant de pension varierait chaque année et en fonction de l’âge de départ. Ainsi, le jour de l’application de la loi prévu le 1er janvier 2025, le point vaudrait 0,495 € en cas de départ à 62 ans, 0,5225 à 63 ans, 0,55 à 64 ans, 0,5775 à 65 ans et 0,605 à 66 ans… L’année suivante, la valeur du point changerait, c’est le gouvernement qui, en dernière instance, déciderait du montant qui figurera dans le PLFSS, le projet de loi de financement de la Sécurité sociale.

SYSTÈME DISTRIBUTIF OU CONTRIBUTIF

Actuellement, les régimes de retraite organisent les solidarités en leur sein. Une partie du salaire, les cotisations retraite, est socialisé, la société décide de la répartition des cotisations : une grande partie sous forme de pensions et près d’un tiers pour les solidarités envers les personnes qui ont subi le chômage, l’arrêt pour éduquer un enfant, l’invalidité, … et le veuvage (réversion). C’est un système distributif qui donne plus aux personnes qui en ont besoin. Par exemple, la pension n’est pas calculée sur les salaires des années de galère ou des premières années, tous ces bas salaires sont éliminés du calcul qui ne prend en compte que le dernier salaire du fonctionnaire et les meilleures années du privé (10 ans à l’origine, augmentées à 25 aujourd’hui). A l’inverse, le système à points prend en compte toutes les années, il accroit les inégalités.

Le système à points repose sur le principe mis en avant par E. Macron « un euro cotisé donne les mêmes droits », c’est un système contributif où l’on récupère pour la retraite, en proportion de ce que l’on a donné sous forme de cotisations. Un tel système injuste n’aurait aucune chance de passer, une rustine est prévue pour accorder des solidarités. En parallèle au régime dit universel, un « Fonds de solidarité vieillesse universel » FSVU serait créé pour prendre en charge les dépenses de solidarité. Il attribuerait aux personnes concernées, des points de solidarité, les minima de retraite, les droits familiaux. Il serait financé par des recettes fiscales et des transferts d’autres branches ou organismes finançant ces dispositifs (famille, chômage). Les avantages de départs anticipés seraient en dehors, financés par des cotisations des employeurs concernés.

Les solidarités, intégrées aujourd’hui au cœur du système, dépendraient directement du gouvernement et risquent de devenir des variables d’ajustement du budget, au moins pour la partie alimentée par la fiscalité. La pérennité de la partie famille et chômage repose sur la politique envers les cotisations, en baisse et non compensée entièrement.

QUEL SYSTÈME UNIVERSEL POURRAIT ÊTRE JUSTE ET ÉQUITABLE ?

Nous pouvons énumérer les nombreuses régressions sociales au cœur du système à points, nous pouvons montrer la baisse des pensions et l’accroissement des inégalités qu’il engendre (voir encart ci-dessous). Nous pouvons même prôner une amélioration des systèmes actuels, en supprimant toutes les régressions subies depuis 1986 (voir article ci-dessus dans la partie histoire) … Mais le « c’était mieux avant » risque de ne pas mobiliser et de rester incompréhensible pour les jeunes qui vivent mal les systèmes actuels. De plus, ces systèmes bâtis pour l’époque de l’après-guerre, un homme qui trouve facilement du travail, n’est pas satisfaisant pour notre société actuelle : la pension est fortement diminuée par une faible durée de cotisation à cause des carrières hachées, des temps partiels imposés aux femmes qui subissent aussi une pénalisation pour l’éducation de chaque enfant. Nous devons réfléchir à autre chose, pour construire un rapport de forces suffisant, pour emporter l’appui de la majorité de la population qui semble séduite par l’idée d’un régime universel.

Un régime accordant les mêmes droits à tout le monde ? Il serait profondément injuste, des particularités sont souhaitables, comme de permettre à l’ouvrier de partir en retraite 6,5 ans plus tôt que le cadre afin que ces deux personnes profitent de la retraite pendant le même nombre d’années. Mais nous pouvons jeter des bases universelles applicables à tout le monde :

  • Pension égale à 75 % du salaire pris en compte, avec 37 années de cotisation, et un minimum au SMIC revendiqué (montant que nous jugeons indispensable pour une vie décente) pour une carrière complète.
  • Départ en retraite à 60 ans, plus tôt pour certains métiers.

Ces principes universels méritent des précisions.

QUELLE DURÉE DE COTISATION EXIGER ?

Les 37 ans ne sortent pas du chapeau, il s’agit de la durée moyenne validée constatée aujourd’hui. Mais cette moyenne est obtenue avec des durées plus longues et plus courtes. Ce sont les personnes qui ont subi une vie active plus difficile, notamment des femmes ayant élevé des enfants et celles subissant du temps partiel imposé, qui se voient pénalisées davantage par la prise en compte d’une durée de cotisation qu’elles n’ont pas atteint. Une réflexion sociétale pourrait déboucher sur une durée de cotisation inférieure, ou même sur un système s’inspirant de celui de la maladie, où la majorité des personnes cotisent sur leur salaire, mais où tout le monde est soigné. Dans ce cas la durée de cotisation disparaît, tout le monde aurait droit à une retraite, payée logiquement par une partie des richesses créées dans les entreprises, une cotisation sur tous les revenus distribués par les entreprises, salaires, intéressement, participation, dividendes, … tout sauf les investissements.

QUI PEUT PARTIR PLUS TÔT EN RETRAITE ?

La réponse du rapport Delevoye n’est pas satisfaisante, il supprime la catégorie active des fonctionnaires (départ à 57 ans), les régimes spéciaux, sauf pour les militaires, la police, l’administration pénitentiaire, … Il argumente sur le fait que certains métiers permettent un départ anticipé alors que ce même métier ne le permet pas dans le privé. Sa justice, c’est l’harmonisation par le bas, sans envisager l’inverse. Il généralise l’actuel C2P, le compte professionnel de prévention, pour reconnaître les pénibilités et leur permettre un départ anticipé, au plus tôt à 60 ans. Ce C2P, géré par la CNAM, a remplacé il y a 2 ans le compte pénibilité dont s’occupait la CNAV. Il a supprimé 4 facteurs de risque sur les 10 (agents chimiques dangereux, charges lourdes, postures pénibles, vibrations mécaniques). De fait, il concerne peu de monde.

Une réflexion sociétale pourrait déterminer les conditions de travail, les pénibilités, les métiers, les contraintes de missions de service public (travail décalé, de nuit, 365 jours par an), … qui doivent absolument permettre un départ anticipé en retraite. Il faudrait notamment regarder les espérances de vie moindres : l’ouvrier meurt 6,5 ans plus tôt que le cadre, les cheminots vivent moins longtemps que l’ensemble de la population, … Il faudrait aussi prendre en compte la durée de la retraite en bonne santé, un ouvrier subit sa première incapacité à 64 ans. Certains métiers ne peuvent plus être exercés à partir d’un certain âge, ce qui justifie aujourd’hui la retraite anticipée du chauffeur routier. Et un danseur étoile ? Tous les métiers sont à regarder et une raison objective de partir plus tôt serait admise par tous, ce ne serait pas perçu comme un « avantage » injuste.

Le système à points est inéquitable, illisible, injuste, compliqué et n’est pas unique.

Inéquitable :
➔ Entre les générations, car le blocage de la part des retraites dans le PIB a pour effet de diminuer le taux de remplacement chaque année, et aussi car l’âge d’équilibre de 64 ans va reculer chaque année, de 2/3 de l’augmentation de l’espérance de vie.
➔ A l’intérieur de chaque génération, avec une pension déterminée par l’espérance de vie moyenne de cette génération, alors que le cadre la touchera pendant 6,5 années de plus que l’ouvrier.
➔ Les taux de cotisations diffèrent, tout le monde cotise 28,12 % pour la partie de salaire inférieure à 3 300 € (mais une partie des cotisations des médecins est payée par la Sécu), ensuite jusqu’à 10 000 €, les salarié.es cotisent toujours 28,12 %, mais les indépendants seulement 12,94 % …

Illisible :
➔ Chaque personne peut tenter d’estimer le nombre de points acquis le jour du départ, mais ne peut pas connaître la valeur de service du point qui détermine la pension et qui change chaque année.
➔ Cette valeur du point change selon l’âge de départ, au 1er janvier 2015, elle serait de 0,495 € en cas de départ à 62 ans, 0,5225 à 63 ans, 0,55 à 64 ans, 0,5775 à 65 ans et 0,605 à 66 ans…

Injuste :
➔La prise en compte de l’ensemble de la carrière fait entrer dans le calcul des pensions les premières années au faible salaire, les années de galère, que les systèmes actuels éliminent du calcul.
➔ Le blocage des retraites dans le PIB va baisser le niveau de vie des retraités par rapport à celui des actifs : comparable aujourd’hui, il sera de 80 % en 2070.
➔ Celui, souvent ouvrier, qui travaille de 20 à 62 ans, pendant 42 ans, aura une valeur de service du point de 0,495 €, tandis que celui, souvent cadre, qui travaille aussi 42 ans mais à partir de 24 ans aura un point à 0,605 € à 66 ans, sa pension serait majorée de 22 % et, de plus, il profitera de sa retraite pendant 2,5 ans de plus.
➔ Le départ anticipé pour travaux pénibles, une juste compensation, disparaît pour les fonctionnaires et les régimes spéciaux, tout le monde aura le restrictif Compte professionnel de prévention qui ne prend pas en compte les charges lourdes, les produits chimiques dangereux, les postures pénibles et les vibrations mécaniques.
➔ Le fonctionnaire à la prime moyenne de 20 % de salaire aura la même pension, le cadre à la prime de 40 % y gagnera, l’enseignant avec moins de 10 % y perdra.
➔ Les femmes perdent les majorations de durée d’assurance, le couple devra choisir à qui il attribue les 5 % de majoration de points pour chaque enfant, choisir entre la justice (la femme qui est pénalisée par l’éducation des enfants) et l’intérêt (l’homme dont le salaire en général supérieur apporte davantage de points).

Compliqué :
➔ Au lieu de prendre le dernier salaire du fonctionnaire, il faudra prendre en compte chaque salaire annuel, calculer le montant des cotisations utiles, transformer en points et tenir à jour le compte…
➔ La valeur de service du point, déterminée chaque année par le gouvernement de façon à équilibrer recettes (cotisations) et dépenses (pensions) varie selon l’âge de départ.

Pas unique :
➔ Il y aurait trois étages de retraite, le minimum de pension qui concerne aujourd’hui 39 % des personnes en retraite et davantage demain si ce minimum augmente et que les pensions baissent ; la pension de la retraite à points dont le montant ne suffira pas à beaucoup ; une multitude de complémentaires aidées fiscalement, mises en place dans les grandes entreprises, acquises par les personnes qui cotisent aujourd’hui jusqu’à 8 plafonds de la Sécurité sociale et demain jusqu’à 1 plafond comme tout le monde puis moitié moins jusqu’à 3 plafonds. Cette multitude remplacerait les grands régimes d’aujourd’hui, privé (base et complémentaires qui pourraient être intégrées à la base), public, indépendants et agricoles, régimes spéciaux et plusieurs tout petits régimes.
➔ Les chiens de garde, militaires, polices, … conservent les avantages acquis comme un départ anticipé, que les autres professions perdent.
➔Certains métiers conserveraient une assiette réduite des cotisations sous forme de points supplémentaires payés par le budget de l’État (artistes, journalistes, marins).
➔ Certains régimes de retraite « riches » du fait d’un meilleur rapport cotisant / retraité, d’autres qui ont des réserves financières pourraient être utilisées leurs fonds pour régler une partie des cotisations, ou augmenter les pensions, ou payer des complémentaires par capitalisation.


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Patrice Perret

est un des secrétaires de l’Union nationale interprofessionnelle des retraités et retraitées Solidaires (UNIRS). Cheminot retraité, auparavant, il a notamment été secrétaire national de la FGTE/CFDT, puis de SUD-Rail et Solidaires