Le Miroir du football : un journal de référence

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Raccourci pour répondre aux exigences de mise en page, le titre initial de l’article est « Le Miroir du football de François Thébaud : un journal de référence ». On comprendra en lisant l’article la place de celui qui fut rédacteur en chef du magazine de 1960 à 1976. Pour autant, c’est bien d’une expérience éditoriale et sportive collective dont nous parle Loïc Bervas, celle d’un magazine sur le football ouvertement progressiste, en phase avec les mouvements sociaux impactant ce secteur, à leur initiative souvent, dans la mouvance de la presse communiste mais farouchement indépendant.


Loïc Bervas est secrétaire de l’Association des Amis de François Thébaud et anime le site www.miroirdufootball.com Il a collaboré au Miroir du football dans les années 70 et a publié Christian Gourcuff – Un autre regard sur le football (Liv’éditions, 2013) et Le Mouvement football Progrès et la revue Le Contre Pied. Un combat des footballeurs amateurs 1970-1980 (avec Bernard Gourmelen, éditions L’Harmattan, 2016).


François Thébaud, Coupe du monde de football. Un miroir du siècle (1904-1998), éditions Syllepse, 2022. [Syllepse]
François Thébaud, Coupe du monde de football. Un miroir du siècle (1904-1998), éditions Syllepse, 2022. [Syllepse]

Vie et mort d’un journal

Le Miroir du football est né en janvier 1960, de la volonté de François Thébaud, qui s’est battu auprès de la direction de Miroir-Sprint, journal omnisports dont il était en charge de la rubrique football, pour lui imposer ce magazine -d’abord mensuel, puis bimensuel en 1971- entièrement voué au football : il faudra tout d’abord quatre « suppléments football » à Miroir-Sprint , puis trois « numéros spéciaux », qui connaissent un grand  succès,  pour convaincre les dirigeants frileux des Éditions J qu’un magazine spécialisé est viable. Ce grand journaliste sportif, qui incarne l’amour et la connaissance du football, servis par une indépendance d’esprit à l’égard de tous les pouvoirs (footballistique, politique, économique, médiatique), en sera le rédacteur en chef. Cette indépendance, il la défendra dès le début en refusant que le sommaire soit contrôlé par la direction avant parution, et maintiendra cette autonomie éditoriale vaille que vaille jusqu’au bout.

Il ne veut pas que le football soit instrumentalisé par la politique ; pour lui, le football est une fin en soi. Il racontait volontiers un fait qui l’avait fait quitter un précédent journal dirigé par le Parti communiste français (PCF), auquel il collaborait : passer 20 lignes sur un match qualificatif de Coupe du monde opposant la France à la Yougoslavie devant un public de 50 000 personnes à Colombes et faire sa une de cinq colonnes de tête sur un match de deuxième division, CA Paris-Besançon, suivi par deux douzaines de  spectateurs, parce que le dirigeant yougoslave Tito n’était pas en odeur de sainteté au Kremlin ! Cela l’avait « vacciné » sur l’intrusion du politique dans un journal sportif. Mais les Éditions Vaillant, qui ont succédé aux Éditions J, toutes deux liées au PCF, ne supportent plus cette liberté et veulent donner au journal une orientation plus « positive », plus opportuniste, en relation avec l’image que veut montrer le PCF, copiant par là des publications du groupe L’Équipe (le quotidien et son hebdomadaire France-Football), contre lesquelles F. Thébaud a constamment ferraillé ! A partir de 1974, la direction se livre à un harcèlement permanent sur la rédaction. La rupture est consommée en mai 1976. La quasi-totalité des collaborateurs permanents et pigistes le suit et démissionne du Miroir. Le magazine, devenu comme les autres mais sans leurs moyens, s’éteindra en 1979.

Les principes du Miroir

L’éditorial du numéro 1 du journal est un manifeste pour « le bon football », pour reprendre la formulation d’Eduardo Galeano dans son merveilleux livre Le football, ombre et lumière [1] :

« Footballeurs… prenez conscience de votre force !

Footballeurs mes frères, êtes-vous affligés d’un complexe d’infériorité ?

Vous êtes le nombre. 500 000 en France, 20 millions peut-être avec les spectateurs qui communient avec vous. Et pourtant lorsque les tribuns parlent avec grandiloquence du “sport de masse” de l’âge d’or, ce n’est pas à vous qu’ils pensent.

Vous êtes pauvres. Et pourtant c’est aux meilleurs d’entre vous que l’on demande de fournir la “matière” des Concours de Pronostics qui aviliront votre Sport, sous prétexte de lui fournir les miettes d’un festin auquel vous n’êtes pas conviés.

Votre sport apporte la joie naturelle d’une confrontation pacifique, aux péripéties variées à l’infini, toujours imprévisibles. Et pourtant on vous offre officiellement l’idéal ascétique des disciplines “ingrates”. »

Votre sport suscite l’enthousiasme parce que dans ses manifestations supérieures, il s’élève au niveau de l’art. Et pourtant, le dire, c’est tomber, paraît-il dans l’hystérie littéraire.

Votre sport exige le concours constant de l’intelligence. Ses problèmes multiformes suscitent les initiatives individuelles les plus étonnantes, les inspirations créatrices collectives les plus stupéfiantes. Et pourtant les esthètes officiels s’accrochent au culte désuet des manifestations primaires de l’effort physique.

Votre sport exige toutes les qualités athlétiques : vitesse, souplesse, détente, adresse, résistance à la fatigue et aux chocs. Synthèse attrayante, parce que naturelle, des “disciplines” physiques les plus diverses, elle est à la mesure de l’Homme. Et pourtant on lui reprochera de n’être pas l’apanage exclusif des phénomènes.

Vos professionnels pratiquent un métier dangereux, à la rentabilité aléatoire et réduite. Et pourtant le système des transferts les ravale au rang des marchandises, leur dénie de droit de participer à la gestion de leur sport, leur vaut trop souvent les sarcasmes de gens ignorant les difficultés techniques du jeu, et les servitudes de leur métier.

Vous avez en France la 3e équipe du monde, et quelques-uns des meilleurs joueurs du globe. Et pourtant le plus grand de vos stades fait sourire de pitié vos frères de petites nations comme l’Uruguay, la Suisse, la Belgique, la Hongrie et la Roumanie.

Footballeurs mes frères, il vous faut prendre conscience de votre force. D’une force qui a permis à la F.I.F.A. de grouper sous son pavillon, sans discrimination de races, de croyances religieuses, de convictions politiques, 95 Fédérations Nationales, soit un nombre de pays supérieur à celui des membres de l’O.N.U. D’une force qui a permis de surmonter les obstacles qui s’opposaient à la réalisation du match U.R.S.S.-Espagne de la Coupe d’Europe.

Ce sera le but du Miroir du Football que de vous aider, footballeurs anonymes ou célèbres, entraîneurs, spectateurs des petites et des grandes rencontres, dirigeants de clubs obscurs, à mieux connaître cette force, à l’exalter, à la développer, à en découvrir les raisons profondes. A lutter contre le chauvinisme qui repose sur l’ignorance des réalités du jeu, contre l’exploitation mercantile de votre passion…Bref, de contribuer à la grandeur du football.

Si vous recherchez dans nos pages matière à satisfaire l’orgueil nationaliste, l’esprit de clocher, ou le culte commercial de la vedette… Ne poursuivez pas votre lecture.

Mais si vous aimez le football pour lui-même, si vous cherchez à étendre le champ de vos connaissances dans tous les domaines du sport qui a conquis le Monde…. Alors, le Miroir du Football est déjà votre revue.


Mai 68, l'occupation de la Fédération française de football. [DR]
Mai 68, l’occupation de la Fédération française de football. [DR]

Ce journal de référence pour tous les amoureux de beau football est écrit par quatre journalistes permanents (François Thébaud, Mahjoub Faouzi, Francis Le Goulven, Jean Boully) et des pigistes (mensuels ou à l’article).  Il s’appuie sur un réseau de correspondants choisis en Europe francophone principalement, mais également en Europe de l’Est, en Amérique -du sud mais aussi du nord-, ainsi qu’en Afrique sous la houlette de Mahjoub Faouzi, véritable encyclopédie du football africain. Les journalistes du Miroir étaient des footballeurs (quelques pros et beaucoup d’amateurs) et appliquaient leurs conceptions dans les clubs du championnat « normal » où ils pratiquaient (APSAP Bretonneau et Espoir FC). La rédaction n’avait pas un fonctionnement habituel : pas de conférences de rédaction, mais des échanges permanents au siège du journal, au café ou au restaurant du coin. Une précision de taille : tous ceux qui se retrouvaient dans ce manifeste avaient leur place au Miroir. C’était l’unique critère de recrutement de collaborateurs, quelles que soient leurs convictions politiques personnelles.

Le football est pour François Thébaud un fait social universel : si son invention était apparue dans les public schools de l’élite anglaise, les couches populaires se l’étaient rapidement approprié sur presque tous les continents. Comme tout fait social d’ampleur, il méritait donc d’être étudié dans toutes ses dimensions : ses caractéristiques techniques et tactiques bien sûr en premier lieu, mais aussi ses expressions philosophiques, culturelles, et son insertion dans un environnement économique, idéologique et politique. Car jusqu’alors, les magazines spécialisés étaient pauvres sur le fait football -des comptes-rendus de matches, les résultats, des anecdotes-, à l’exception des articles de Gabriel Hanot, plume reconnue du journalisme sportif. Il s’appuie sur un certain nombre de principes, sur lesquels il ne transige pas. Le « beau jeu » pour le Miroir, c’est le jeu offensif, faisant appel à la créativité et l’inspiration du joueur, s’il est placé dans un cadre collectif adéquat. L’équipe, ce n’est pas seulement l’addition de talents individuels ; elle doit parvenir à une œuvre commune, alliant efficacité et dimension esthétique. C’est en ce sens que F. Thébaud en parle comme d’un Art (il mettait une majuscule !). Un jeu qui apporte du plaisir aux joueurs et suscite le plaisir, les émotions des spectateurs.

Pour cela, il présente l’actualité du football en privilégiant les équipes et les joueurs qui incarnent ce jeu collectif, créatif, offensif : le Brésil et la France de la Coupe du monde 1958, le Stade de Reims d’Albert Batteux, le FC Nantes de José Arribas, mais il s’intéresse aussi aux amateurs du CS Cavalaire (Var) de Robert Bérard ou du Stade Lamballais (Côtes d’Armor) de J-Claude Trotel et bien d’autres. Pelé, Kopa, Fontaine, Di Stefano, Puskas… sont les modèles récurrents de ce football spectaculaire. Régulièrement, il présente de longs reportages, avec de nombreuses photos de joueurs en action, sur le football sud-américain, sur les clubs du Brésil notamment. Pelé est bien sûr le joueur qui aura le plus souvent sa photo en couverture, parce qu’il personnifie ce jeu.


Loïc Bervas et Bernard Gourmelen, Le Mouvement football Progrès et la revue Le Contre Pied. Un combat des footballeurs amateurs 1970-1980, éditions L’Harmattan, 2016. [Coll. CM]
Loïc Bervas et Bernard Gourmelen, Le Mouvement football Progrès et la revue Le Contre Pied. Un combat des footballeurs amateurs 1970-1980, éditions L’Harmattan, 2016. [Coll. CM]

Pour promouvoir ce football, il propose des articles théoriques et pédagogiques (la passe courte, le centre en retrait, la défense de zone…) en particulier sous la plume de Pierre Lameignère. Les photos visent au même objectif, alliant esthétique et analyse du jeu (positions des joueurs, sens des déplacements…). Il considère que le 4-2-4 -inventé par la Hongrie dès 1953 et reprise par le Brésil en 1958- et sa défense en ligne, grâce à l’utilisation de la loi du hors-jeu, sont le moyen le plus rationnel pour construire un jeu économique physiquement et varié, propre à déséquilibrer l’adversaire. Cette tactique permet aux attaquants d’avoir le maximum de possibilités (passe aux partenaires ou dribble), et aux défenseurs de récupérer le ballon collectivement. Il faut préciser que si le Miroir défendait ardemment les équipes et entraîneurs qui l’avaient adoptée (le FC Anderlecht de Paul Sinibaldi, le FC Nantes de José Arribas, l’équipe de France 1967 de Just Fontaine -pour deux matches seulement-, Valenciennes de Domergue), il ne faisait pas un dogme de la défense en ligne : il traitait avec sympathie des équipes qui ne l’avaient pas adoptée, mais qui étaient tournées vers l’offensive et la construction, par exemple le stade de Reims, l’AS Monaco, le Stade rennais sous Jean Prouff, ainsi que Michel Hidalgo en équipe de France.

Un journal engagé : ses combats

De ce fait, il s’opposait frontalement au « béton », au « catenaccio », se caractérisant par une défense renforcée, individuelle, et des contres. Un système de jeu favorisant le duel et impliquant fatalement la violence ou l’intimidation, les tricheries. Il n’accepte pas la position du « résultat par tous les moyens ». Une question de morale. C’est le mouvement dominant dans les années 60, venu d’Italie (AC Milan d’abord, puis Inter de Milan d’Helenio Herrera). Il est appliqué par les différents sélectionneurs et entraîneurs de l’équipe de France, théorisé par Georges Boulogne, sélectionneur puis Directeur technique national en 1971. Un football fondé sur le physique, le travail des joueurs, la discipline.  Avec comme conséquences des prestations indigentes et des résultats médiocres pour la sélection nationale, qui traverse « une décennie noire ».

Il est volontiers polémique contre la Fédération française de football (FFF), peu démocratique.  Le combat le plus marquant du Miroir fut celui du contrat à temps, à la place du contrat à vie (35 ans) imposé aux joueurs depuis la naissance du professionnalisme, en 1930 en France. Ils étaient totalement liés à leur employeur, qui pouvait les transférer sans leur demander leur avis. Ce contrat à temps était déjà objet de campagnes par F. Thébaud du temps où il était à la rubrique football au Miroir-Sprint. Il prit la défense de Raymond Kopa auteur d’un article retentissant paru en juillet 1963 dans France Dimanche, intitulé « Les footballeurs sont des esclaves ». Ce grand du football ayant subi pour cet article les attaques de la FFF, relayées par L’Équipe. Les dirigeants regimbaient à appliquer ce contrat à temps pourtant acquis en 1969, à la suite de l’occupation de la FFF en mai 68. Au congrès de l’Union nationale des footballeurs professionnels (UNFP, syndicat des joueurs), à la suite duquel certains furent sanctionnés par leur club, ils décidèrent la grève en 1972, très suivie, et obtinrent satisfaction sur leur revendication.

« Le football aux footballeurs ! » : ce mot d’ordre affirmé dès le numéro 1 du Miroir est le slogan de l’affiche placardée sur la façade du siège de la Fédération française de football en mai 1968, lors de son occupation par des joueurs amateurs et professionnels, à l’initiative des journalistes et lecteurs du magazine [2]. Parmi les revendications élaborées lors de cette occupation : le contrat à temps pour les professionnels. Et pour les amateurs, la suppression de la licence B (l’obligation pour un joueur amateur de jouer en équipe B après une mutation dans un autre club, sous prétexte d’empêcher « l’amateurisme marron »), et de meilleures conditions matérielles pour les footballeurs amateurs dans la pratique de leur sport (plus d’infrastructures : terrains, vestiaires etc.).


Un des derniers édito de François Thébaud pour le Miroir. [Coll. CM]
Un des derniers édito de François Thébaud pour le Miroir. [Coll. CM]

Le Miroir a participé en 1974 à la fondation du Mouvement football progrès (MFP), mouvement d’amateurs suscité par un décret du ministère des sports en 1973 imposant des entraîneurs diplômés par la 3F, très dirigiste en la matière, d’abord aux clubs de Division d’honneur [3], pour l’imposer ensuite aux divisions inférieures. Ses journalistes y ont tenu un rôle important. De plus, il était une vitrine sur ses positions et ses actions [4]. Il a mené différentes campagnes avec succès : le « douzième joueur » pour remplacer un joueur blessé, adopté par l’International Board [5] en 1967. Ainsi que pour la sélection en équipe de France de Jean-Marc Guillou, pétri de classe mais qu’ignorent superbement pendant longtemps les sélectionneurs des « tricolores », considérant comme Stefan Kovacs qu’il n’avait pas « le top niveau » !

Cette vision du football l’amène à s’affronter régulièrement à L’équipe et son journal spécialisé France Football, qui apportent un soutien à cette pauvre conception du football. Plusieurs rubriques écrites par F. Thébaud réjouissent ses lecteurs sur ce plan. L’une s’appelle « la reprise de volée », où les discours et actes de tous ces gens sont visés avec une ironie mordante. D’autres s’attaquent au mépris des joueurs qu’affiche ce petit monde (dirigeants, sélectionneurs et journalistes), leur inculquant un complexe d’infériorité : « Il y des joueurs en France », présente un joueur français qui n’a pas les critères attendus en haut lieu : grand, physique, très « travailleur » et surtout discipliné. Mais qui, quelle que soit sa taille, est technique, intelligent et créatif. Et aussi la rubrique « le temps des girouettes » : elle confronte les analyses contradictoires des journalistes avant et après les matchs. Par exemple, en Coupe des clubs champions 1974-1975, contre Hajduk Split, les Stéphanois avaient été largement battus à l’aller et Jacques Ferran écrit que « ce sont des petits garçons ». Puis, après le fameux match retour où les Verts gagnent 5-1 à Geoffroy-Guichard, il explique doctement que Saint-Étienne est une équipe remarquable. Seul le résultat compte…

Il s’intéresse enfin aux rapports entre football, société et économie. Sur ce plan, il est prophétique, peut-on dire, quand il dénonce les premières dérives du football-business. Les concours de pronostics : « Les joueurs ne sont pas des chevaux ! ». Ou la publicité sur les maillots : « Les joueurs ne sont pas des hommes-sandwiches ! » Il sent que la parole du Brésilien Joao Havelange à son arrivée à la tête de la FIFA en 1974, « je suis là pour vendre un produit appelé football », va entraîner un bouleversement dans le football. En 1974, dans son livre Pelé, une vie, le football, le monde, (Éditions Hatier), il analyse cette tendance du football : « Depuis que le football est devenu une branche importante de l’industrie du spectacle, et met en jeu des intérêts financiers considérables, voire des intérêts politiques sous le pavillon du prestige national, la recherche du rendement, du résultat par tous les moyens s’est substituée, sous le vocable de « réalisme », au plaisir du jeu, condition primordiale de l’Art. » En 1982, dans son livre consacré à l’aventure du magazine, Le temps du Miroir – Une autre idée du football et du journalisme » (Éditions Albatros), il revient sur cette évolution qui dénature le football : « Le jeu devenu destructif amène d’inévitables séquelles […]. Les grandes compétitions n’en sont pas moins financièrement rentables, grâce à leurs recettes propres mais aussi aux droits de télévision et de publicité. Cette commercialisation aura pour première conséquence de valoriser le résultat et de dévaloriser la qualité du jeu. »


François Thébaud, Le temps du Miroir, une autre idée du football et du journalisme, éditions Albatros,1982. [Coll. CM]
François Thébaud, Le temps du Miroir, une autre idée du football et du journalisme, éditions Albatros,1982. [Coll. CM]

Tous ces combats montrent que cette revue était manifestement engagée. Mais, comme nous l’avons précisé plus haut, il s’interdisait d’entrer sur le terrain « politique ». Dans son ouvrage sur le Miroir, il s’exprime très clairement sur cette position : « Après avoir démontré dans les colonnes du Miroir que le football était dominé par le pouvoir de l’argent, et qu’une véritable participation des joueurs à la direction de la Fédération était irréalisable en raison d’un système d’élection antidémocratique, fallait-il aller plus loin ? Examiner les moyens par lesquels on pouvait on pouvait envisager de modifier l’environnement social du football ? C’était la tâche d’un journal politique et non d’un journal de sport. Et si le Miroir avait révélé les rapports de la politique et du sport, stigmatisé les efforts des politiciens pour utiliser le sport à des fins de diversion, ce n’était pas pour se placer à leur service. »

Il reconnaît avoir cru, avec la victoire sans bavure (4-1) du Brésil au Mondial de Mexico en 1970 face à l’Italie, symbole du football « réaliste », « moderne », que le football négatif des années 1960 allait être balayé. Et il en tire dans son livre la conclusion que c’est normal que le Miroir ne puisse plus vivre dans ce nouvel environnement économique (les considérations financières) et idéologique (la montée de l’individualisme) dans lequel baigne le football.

Cette conception ne peut mourir

Depuis ce constat, tous les traits sur lesquels il mettait l’accent se sont considérablement développés au stade du capitalisme financier mondialisé. Est-ce à dire que la conception du football exprimée par le Miroir et F. Thébaud est bonne à ranger au musée, comme une chose de temps révolus ? Mais cette idée du football qui correspondrait aux aspirations des hommes peut-elle mourir ? Bien sûr, les temps ont changé et des éléments défendus par le Miroir sont maintenant dépassés. Un seul exemple : le Miroir était un pionnier pour défendre la défense de zone contre le marquage individuel et le libero. Aujourd’hui, même les équipes les plus « prudentes » le pratiquent. Mais, au-delà des formes, cette idée est toujours vivante, selon nous : on vibre encore à telle belle action collective, à tel but marqué de façon surprenante, à tel geste technique inattendu. On s’enthousiasme quand les attaques se succèdent d’un but à l’autre. Et on s’ennuie au redoublement de passes entre arrières ayant comme unique motivation de ne pas perdre le ballon. Le Barça des années Guardiola nous a autant émus que le Brésil de 1970, comme Manchester City aujourd’hui dirigé par ce même grand entraîneur.

Des journalistes s’intéressent au Miroir pour des émissions radiophoniques, par exemple Philippe Collin, dans L’œil du tigre, sur France Inter, des documentaires télévisuels, comme celui d’Hubert Beasse sur des chaînes de Bretagne, des magazines, ainsi So Foot parmi d’autres. Le site de l’Association des amis de François Thébaud reçoit de nombreuses demandes d’articles du Miroir, de la part de journalistes ou réalisateurs (parfois étrangers), pour utiliser ce journal de référence dans leur « papier » ou leur  film sur tel ou tel sujet. Des chercheurs également s’y intéressent. Les animateurs du site Miroir du football sont régulièrement invités à participer à des débats concernant le football. Gardons l’optimisme d’Eduardo Galeano qui, dans son livre déjà mentionné, déclare : « Le football professionnel fait tout son possible pour castrer cette énergie de bonheur, mais elle survit en dépit de tout » ou «  Les technocrates ont beau le programmer jusque dans ses moindres détails, les puissants ont beau le manipuler, le football veut toujours être l’art de l’imprévu  ». Comme F. Thébaud, nous pensons qu’un environnement économique et social plus favorable, tourné plus vers l’humain que vers le profit, permettra à ce football d’exister…


Loïc Bervas


[1] El fútbol a sol y sombra a été publié en 1995. En français, Eduardo Galeano, Le football, ombre et lumière, éditions Lux, 2014.

[2] Cf François-René Simon, Alain Leiblang, Faouzi Mahjoub, Les enragés du football: L’autre mai 68, éditions Calmann-Lévy, 2008.

[3] La DH était alors la deuxième division des amateurs, après le Championnat de France Amateurs (CFA), soit aujourd’hui la Nationale 2 (N2).

[4] Loïc Bervas et Bernard Gourmelen, Le Mouvement football Progrès et la revue Le Contre Pied. Un combat des footballeurs amateurs 1970-1980, éditions L’Harmattan, 2016.

[5] Instance qui détermine et fait évoluer les règles du football.

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