Le Havre, une intersyndicale
Pour commencer, il y a eu un premier appel intersyndical national à la grève et à manifestations. Dans ce cadre, l’intersyndicale CGT, Solidaires, FSU, CFDT du Havre s’est réunie pour construire la mobilisation. Lors de cette réunion, il a été discuté de la forme que pouvait prendre cette mobilisation : certains plutôt partisans d’appeler à une manifestation, d’autres demandant des actions plus fortes aboutissant à un blocage de l’économie. Consciente de la nécessité de bloquer l’économie, mais également de ne pas se couper de la population, l’intersyndicale a finalement pris les décisions suivantes : initier le mouvement par différents blocages à l’entrée du Havre avec la participation massive des Ports et Docks, puis organiser une manifestation du départ historique de la maison des syndicats, que l’on appelle « Franklin », et enfin que la manifestation se terminerait par une assemblée générale interprofessionnelle proposée par l’intersyndicale afin de pouvoir discuter avec le plus grand nombre de la possible de la reconduction de la grève et des futures actions à mettre en œuvre.
Dès cette première manifestation massive, toutes les décisions qui suivront, à savoir, reconduction de la grève, rassemblements, actions, blocages, seront systématiquement décidées en assemblée générale interprofessionnelle, le soir après la journée de grève. Les reconductions de la grève se décidaient d’abord en assemblée générale dans chaque entreprise ou chaque secteur et ensuite des représentants et représentantes de chaque secteur assistaient à l’assemblée générale interprofessionnelle qui se tenait chaque soir à Franklin, pour décider des actions communes à mettre en œuvre et organiser la suite.
Lors de chaque assemblée générale interprofessionnelle, des tableaux d’organisation étaient mis en place par l’intersyndicale, pour permettre à l’ensemble des personnes qui souhaitaient s’investir dans la lutte, de s’inscrire sur les diverses activités : cela pouvait aller de la distribution de tracts, collage, création de banderoles, création d’affiches, jusqu’à la gestion de l’organisation des journées et soirées avec notamment l’achat de boissons et de nourriture.
Le ciment de toute cette cohésion a été plus particulièrement, la publication journalière du bulletin « Le Havre de grève ». Ce dernier reflétait l’expression de l’assemblée générale interprofessionnelle et était publié chaque soir par l’intersyndicale. Il relatait ce qu’il s’était passé dans la journée dans la ville, ainsi que dans les autres villes de France, en termes de mobilisation, indiquait les entreprises qui reconduisaient le mouvement de grève et précisait les rassemblements et actions du lendemain. Le lendemain, « Le Havre de grève » était distribué dans la ville à l’ensemble des Havrais et Havraises.
Une convergence des luttes syndicales européennes mais également des syndicats et des politiques s’est mise en place par l’organisation de meetings toujours décidés en assemblée générale interprofessionnelle. Il avait également été décidé, dès le début du mouvement, en assemblée générale interprofessionnelle, de mettre en place une caisse de grève intersyndicale. Pour son fonctionnement, une association a été créée et un représentant de chaque syndicat siégeait à la commission en vue d’une redistribution équitable des fonds récoltés, selon un calcul qui avait été voté en assemblée générale. La distribution des fonds s’est faite à la fin de l’ensemble de cette mobilisation, qui a duré plusieurs mois, et alors que malheureusement, le mouvement dans de nombreuses villes commençait à s’essouffler.
A cette époque, grâce à cette unité, l’investissement de l’ensemble de l’intersyndicale havraise et la présence importante des personnels des Ports et Docks, nous avions réussi à bloquer l’économie de la ville du Havre, obligeant d’ailleurs l’Etat à ravitailler la raffinerie par la voie maritime. Il est ressorti de ce mouvement que c’est en grande partie l’absence de relais par les instances syndicales nationales d’un appel à la grève générale dans l’ensemble du pays, qui a constitué les prémices d’une démobilisation, que l’on a payé à l’époque et qui laisse encore des traces aujourd’hui.
Cette intersyndicale soudée a continué à fonctionner après ces mobilisations et malgré l’échec de 2010. Cependant, la CFDT a quitté cette dernière lors de la lutte contre l’Accord national interprofessionnel de 2013, alors que FO et l’UNEF l’ont rejointe. Dans le cadre de la mobilisation contre la loi El Khomri, tout comme pour les manifestations contre les retraites de 2010, il y a eu un premier appel national à la grève et à manifestations. Dans ce cadre, l’intersyndicale CGT, Solidaires, FSU, UNEF, FO du Havre s’est réunie pour construire cette nouvelle mobilisation. Lors de cette réunion, il a de nouveau été discuté de la forme que pouvait prendre cette mobilisation : comme lors de la mobilisation pour nos retraites, certains étaient plutôt partisans d’appeler à une manifestation, alors que d’autres insistaient sur la nécessité d’aboutir à un blocage de l’économie et à des actions plus fortes. Il a finalement été décidé de commencer par des barrages filtrants à chaque entrée de la ville du Havre ainsi que sur la zone industrielle, avec distribution de tracts, le matin même avant la manifestation. Puis, une manifestation est organisée, comme toujours, au départ de Franklin. Elle se termine sur la place de l’hôtel de ville, où au vu du nombre de manifestants et manifestantes, une assemblée générale en plein air est proposée par l’intersyndicale. Cependant, tout le monde n’a pas eu l’occasion de pouvoir s’exprimer, nous étions beaucoup trop nombreux et la portée des micros n’était pas suffisante pour que l’ensemble des personnes rassemblées puissent entendre et prendre part à la discussion.
Après cette journée, il est donc décidé par l’intersyndicale qui suit cette assemblée générale de plein air, de renforcer les points de distribution et barrages filtrants pour convaincre encore plus les travailleurs et les travailleuses, ainsi que l’ensemble de la population, de la casse des droits sociaux engendrée par la loi El Khomri ; ceci, dans l’attente du retour des assemblées générales qui étaient organisées dans les entreprises et d’une nouvelle date de grève et de mobilisation nationale.
C’est à compter de la deuxième ou troisième journée de mobilisation, que lors d’une assemblée générale interprofessionnelle organisée par l’intersyndicale après la manifestation1, qu’il est décidé de commencer un mouvement de barrage/blocage de la zone industrielle, ainsi que de toutes les entrées de la ville du Havre. Ce blocage s’est organisé avec la participation massive des salariés des Ports et Docks et pour le reste, par l’intersyndicale et les autres entreprises en lutte et en grève, en s’appropriant les carrefours et ronds-points d’entrée de la ville, durant des journées entières. Des opérations « péages gratuits » ont également été effectuées sur les ponts de Tancarville et Normandie. Ces blocages, malgré une présence policière plus rapprochée qu’à l’accoutumée, ont duré plusieurs semaines, et ce toujours dans l’attente d’un appel à la grève générale des instances syndicales nationales.
Finalement, pour ne pas complètement essouffler le mouvement, il était de nouveau décidé en assemblée générale interprofessionnelle, après une nouvelle manifestation à l’appel des organisations syndicales nationales, de ne pas attendre et de mettre en œuvre ce que l’on a appelé « les jeudis de la colère ». Cela consistait à organiser chaque jeudi une action qui pouvait être, en fonction du nombre de personnes présentes, soit des blocages filtrants, soit de véritables blocages, soit de simples rassemblements devant des lieux stratégiques comme par exemple, la sous-préfecture, la mairie qui a d’ailleurs été envahie par les manifestants et manifestantes, la permanence du PS, qui quant à elle, a été quelque peu chahutée, le MEDEF…
C’est dans cette effervescence que les salariés de Total et de la CIM2, appuyés par ceux des Ports et Docks, ont décidé d’entrer en grève reconductible. Cette grève, votée tous les jours sur les lieux de travail par les salariés, a duré trois semaines. Elle a entrainé l’arrêt de la raffinerie Total. A la CIM, un piquet de grève permanent du personnel devant la boite s’est mis en place pendant plusieurs semaines ; il s’accompagnait d’un blocage de cette même entreprise par les salariés des Ports et Docks, afin que rien ne rentre, ni ne sorte. Cependant, le patronat de la CIM s’était organisé avec ses cadres, qu’il a retenus dans l’entreprise pendant la mobilisation, pour effectuer le travail des grévistes et attenter ainsi à leur droit de grève. Cette initiative des salariés de Total et de la CIM a été relayée et soutenue par l’intersyndicale et de nombreux salariés des autres entreprises de l’agglomération havraise, par des présences physiques quotidiennes, l’apport de nourriture, d’aide financière pour la caisse de grève. Ces fonds n’ont cependant pas été utilisés par les salariés qui ont préféré les garder pour les prochaines actions de grève qui pourraient avoir lieu.
C’est, là encore, en grande partie l’absence de relais au niveau des instances nationales ainsi que le sentiment de faire partie des rares entreprises en grève reconductible, qui a eu raison de leur mouvement exemplaire. Ce découragement laisse malheureusement encore des traces aujourd’hui. Parallèlement, pendant le mouvement, plusieurs réunions publiques, ainsi qu’un meeting, en présence notamment d’un représentant du Secrétariat national de Solidaires, de la FSU, de nombreux représentants de la CGT et la présence remarquée de Fakir, ont été organisés et ont connu de francs succès. Là encore une convergence des luttes syndicales européennes mais également des syndicats et des politiques, toujours décidée en assemblée générale interprofessionnelle, s’est mise en place.
Cependant, cette fois-ci et malgré cette unité, l’investissement de l’ensemble de l’intersyndicale havraise et la présence toujours importante des personnels des Ports et Docks, nous n’avons pas réussi à bloquer l’économie de la ville du Havre. Payons-nous encore les pots cassés de l’échec de la mobilisation pour nos retraites de 2010 ?
Au vu des nouvelles attaques dont les travailleuses et travailleurs font l’objet, notamment avec les ordonnances Macron, mais également les attaques contre les jeunes, les retraités, les chômeurs et les fonctionnaires, l’intersyndicale du Havre, forte de son expérience, continue de tenter de construire au plus proche des travailleurs et de la population, une mobilisation d’ampleur, avec en conscience la nécessité absolue de bloquer l’économie, nécessitant des actions fortes et un relais indispensable de l’intersyndicale nationale, pour contrer l’ensemble des attaques antisociales.
1 Cette fois-ci et au vu de la dernière expérience, dans les locaux de Franklin.
2 Compagnie industrielle maritime.
- Le Havre, une intersyndicale - 22 octobre 2018