Le Comité d’action des prisonniers et ses suites
On ne peut évoquer les prisons, les prisonniers et les prisonnières sans évoquer le Comité d’action des prisonniers (CAP). L’article ne prétend pas en raconter l’histoire ; il faut pour cela se rapporter au livre de Christophe Soulié * ou à la collection des journaux **. Au-delà du CAP sont mentionnés les organisations qui lui ont fait suite. Volontairement, le prisme choisi est celui des informations glanées à travers divers bulletins et journaux de ces années-là à propos de tentatives de syndicats de prisonniers et prisonnières. Elles sont diverses ; la plupart sont restées à l’état de projet ; quelques textes marquent par ailleurs une rupture certaines avec ce que défendait le CAP, d’autres non. Une précision : les prisonnières sont très absentes des extraits ici repris. C’est un fait qu’il faut relever, mais qui n’autorise pas à une démasculinisation a posteriori qui serait trompeuse. De même pour les quelques textes féminisées : c’est à travers les parenthèses (e) que les femmes transparaissent. * Libertés sur parole ; contribution à l’histoire du Comité d’action des prisonniers, Christophe Soulié, Editions Analis, 1995. ** Sur le site archivesautonomies.org, qui est une ressource remarquable.
Cheminot retraité, coopérateur des Editons Syllepse, Christian Mahieux est membre de SUD-Rail et de l’Union interprofessionnelle Solidaires Val-de-Marne. Il participe à l’animation du Réseau syndical international de solidarité et de luttes *, ainsi qu’au collectif Se fédérer pour l’émancipation et à Cerises la coopérative * * et à La révolution prolétarienne ***. * laboursolidarity.org ** ceriseslacooperative.info *** revolutionproletarienne.wordpress.com
De 1972 à 1980, le Comité d’action des prisonniers a joué un rôle important dans les luttes des prisonniers : le CAP n’appelle pas à des révoltes de prisonniers : il les soutient quand les premiers concernés les ont décidé. Le CAP porte la voix des prisonniers et des prisonnières hors de la prison. Les combats ont été nombreux : contre les Quartiers de haute sécurité (QHS), la peine de mort ou encore la détention provisoire, pour la suppression du mitard, contre la censure, pour le droit de lire en prison les livres de son choix, etc. Tout cela à travers des manifestations, des réunions publiques, des appels dans la presse, des permanences… Et surtout par le journal : diffusé via divers réseaux militants -à 6 000 exemplaires pour le premier numéro-, il est aussi vendu devant les prisons aux familles et proches de détenu∙es se rendant au parloir. Durant des mois, ce sera l’objet d’une bataille acharnée avec l’Etat qui envoie systématiquement sa police pour mettre fin à ces ventes devant les prisons. Mais la CAP gagnera cette bataille !
La création du CAP est aussi la conséquence d’une rupture avec les militantes et militants de la Gauche prolétarienne alors impliqué∙es dans une campagne pour la « justice populaire » : constitué avant tout de prisonniers et ex-prisonniers, le CAP se positionne contre l’emprisonnement, y compris si le coupable est bourgeois et la victime prolétaire ; de même pour les patrons responsables d’accidents du travail.
« Le noyau fondateur du CAP, Serge Livrozet, Michel Boraley et Claude Vaudez, vient de la centrale de Melun, là même où se trouve l’imprimerie pénitentiaire, et où les prisonniers ont inscrit leur lutte dans celles du mouvement ouvrier en se nommant “les ouvriers détenus de la centrale de Melun”. Ils se sont battus sur la question des salaires. Ils ont posé la question du travail après leur libération. Ils ont débrayé. Ils ont imprimé clandestinement des tracts et des affiches en prenant des risques importants, dans un univers où toute action revendicative et surtout collective est bannie, passible du cachot et du transfert. Dans un premier temps, c’est vers la classe ouvrière traditionnelle qu’ils vont se tourner pour essayer de lui faire comprendre que le combat des ouvriers prisonniers est le même que celui des ouvriers dans les usines. […] Les militants du CAP essayent alors d’établir des contacts avec les syndicats ouvriers, organisent des débats dans des usines en grève afin d’expliquer leur analyse de la délinquance et le lien existant entre ouvriers et détenus. En vain. Ils ne touchent que les marges du mouvement ouvrier, c’est-à-dire l’extrême-gauche. […] Dans le numéro du CAP d’octobre 1976, c’est le constat d’échec, dans les deux sens, à propos de cette stratégie consistant à relier le combat des prisonniers à celui de la classe ouvrière : “Naïvement, est-il écrit, les intellectuels et les anciens détenus qui ont créé le CAP croyaient qu’il suffirait de tenir un discours cohérent à la population pénale, du genre -la réussite individuelle ne sert à rien, c’est un leurre; seule la lutte collective est payante; rejoignez le combat révolutionnaire; non vous n’êtes pas plus immoraux que des agents immobiliers ou que des fumiers qui, au nom de la liberté, de l’égalité, et de la fraternité acceptent et revendiquent de gagner 10 à 100 fois le salaire d’un smicard-, pour les voir rejoindre le combat collectif dons nous croyions alors être l’embryon. On s’est lourdement trompés. […]Nous pensions également toujours, avec la même crédulité, qu’il suffirait de démontrer aux gens, preuves à l’appui, que 90 % des prisonniers sont issus de la classe ouvrière, pour commencer à voir un peu de monde se poser des questions politiques et économiques sur la fonction et l’utilité de la prison. Nouveau doigt dans l’œil ! » [1]
Pour autant cet ancrage de classe, laissera des traces dans la pratique des militants du CAP en prison. Ils sont nombreux à tenter de discuter avec le personnel pénitentiaire. S’adressant aux gardiens, Serge Livrozet écrit : « Vous êtes conditionnés à croire que vous allez garder de dangereux malfaiteurs, alors que vous n’allez, la plupart du temps, rencontrer que de pauvres types devenus voyous comme on devient surveillants. Non par vocation mais par nécessité […]. Parce que nous avons le courage politique de nous affirmer des vôtres au-delà de l’antagonisme artificiel qui nous oppose, on s’acharne en haut lieu à vous inciter à nous haïr, alors que notre seul but est d’unir tous les exploités dans le même espoir, dans un même combat contre ce système injuste » [2] . Les résultats furent mince sur ce plan. Encore que, des années plus tard, ce n’est sans doute pas sans lien si on retrouve dans le « nouveau » syndicat CGT Pénitentiaire
Dans le numéro 35 du journal, en avril 1976, le CAP rappelait ses positions
« […] Le Comité d’action des prisonniers (C.A.P.) est constitué par des détenus à l’intérieur des prisons, et par des anciens détenus à l’extérieur, soutenus par de nombreux sympathisants et militants de diverses origines. Il est très important que ce soit les détenus ou anciens, détenus qui animent le groupe et prennent la parole en tant que tels. Entendons-nous bien, la qualification d’ancien détenu ne constitue pas une condition essentielle pour être du C.A.P., toute personne qui se sent concernée par notre lutte est du C.A.P. dès lors qu’elle combat à nos côtés. Il n’est pas nécessaire d’être allé en prison pour prendre conscience que notre justice est pourrie.
Le C.A.P. est constitué par un groupe d’individus concernés par une idée, une lutte commune : abattre le système judiciaire répressif et par là même, remettre en cause la société dont il est le support. Pour atteindre ce but, et il existe de nombreuses solutions et chacun peut choisir celle qui lui convient: Il s’agit que chacun se prenne en charge, soit responsable de son choix et l’assume avec le groupe. Nous n’avons pas de structures ; nous refusons toute forme d’autorité sur le groupe, d’où qu’elle vienne ! Le C.A.P. n’a pas et refuse un chef, un patron, un président… Les décisions qui engagent le groupe sont prises collectivement et assumées par le groupe. Mais chacun peut choisir de lutter là où il pense être le plus efficace et avec les moyens qu’il estime être adaptés à la situation.
Nous combattons pour et avec tous les prisonniers de tous les systèmes politiques sans aucune distinction. Le C.A.P. combat toute répression sous forme de justice de classe […] Il dénonce les structures, les moyens et les auxiliaires de cette justice pourrie : tribunaux, lois, flics, prisons, asiles… C’est pourquoi nous disons que toute délinquance a une origine politique, économique et sociale et par la suite que tout prisonnier est « politique» au sens large du terme.
Le C.A.P. s’est fixé pour tâche immédiate d’obtenir une réforme totale de la condition carcérale. Nous présentons une liste de revendications minimum, hors desquelles aucune réforme véritable ne saurait être prise au sérieux :
1 – Suppression du casier judiciaire.
2 – Suppression de l’interdiction de séjour.
3 – Suppression de la peine de mort.
4 – Suppression de la prison à vie.
5 – Suppression de la tutelle pénale (relégation).
6 – Suppression de la contrainte par corps: aménagement des frais de justice.
7 – Réorganisation du travail en prison: Salaire minimum égal au SMIC – Sécurité sociale pour la famille – Certificat de travail à la sortie – Généralisation de la formation professionnelle durant la détention.
8 – Droit au parloir et à la correspondance libres.
9 – Droit à des soins médicaux et dentaires corrects.
10 – Droit de recours et de défense des détenus devant l’administration pénitentiaire.(Prétoire, libération conditionnelle, mesures de grâce, etc.).
11 – Droit d’association à l’intérieur des prisons (moyen essentiel de faire valoir les revendications précédentes).
Le C.A.P. ne demande pas l’aumône et ne la fait pas non plus. Il exige ce qui est dû à tout individu, être traité comme un homme et que cessent les humiliations et procédures d’intimidation que subissent tous les détenus. Mais ce que nous savons, pour l’avoir vécu nous-mêmes, c’est que l’aménagement des conditions d’existence des prisonniers ne règlera rien au problème de la délinquance et des prisonniers eux-mêmes. Les prisons et les méthodes pénitentiaires modernes ont les mêmes buts qu’auparavant: briser l’individu qui ne s’est pas soumis à la « morale » de notre société… mais cette fois par des méthodes plus insidieuses (isolement, psychiatrisation, handicap, etc.). C’est pourquoi le C.A.P. inscrit son action à long terme dans la perspective d’une société meilleure où les hommes seront libres et responsables, ou Il ne sera plus nécessaire de bâtir des prisons… d’où son mot d’ordre ultime: « Suppression de la prison, de toutes les prisons ».
Le C.A.P. ne se réclame d’aucun parti politique, même s’il lui arrive d’être soutenu par l’un ou par l’autre au cours d’une action précise.
Le C.A.P. édite un journal, journal des prisonniers, qui constitue avant tout un moyen d’expression pour les détenus sans censure ni sélection. Tous ceux qui subissent la répression et la prison peuvent utiliser notre’ journal pour exprimer leur révolte, leurs souffrances ou… leur haine!
Le C.A.P. dénonce directement par tous les moyens appropriés (manifestations, tracts, affiches, lettes ouvertes, interpellation des autorités …) les situations dont il a connaissance et qui lui paraissent intolérables (répressions dans les prisons, morts suspectes de détenus…)
Le C.A.P. cherche à informer une opinion publique qui ignore trop souvent ce qui se passe derrière le haut mur des prisons et dans le monde de la justice.
Il se solidarise avec toutes les luttes des exploités contre le système. »
Le Comité d’action des prisonniers créé en 1972 décide de s’autodissoudre en 1980. Le dernier numéro du journal, en avril 80, est le 67ème. Toutefois, le titre est maintenu par quelques-uns : une revue sera publiée sous ce nom, de juillet 1980 à mai 1982.
CFDT-CGT-FO pour une non-intervention policière durant les hold-up
Dans le numéro 33 du journal, le CAP reprend un texte intitulé « Les syndiqués CFDT-CGT-FO Banques déclarent. Notre vie n’a pas de prix .» Il fait suite, notamment, à une délégation auprès du ministère de l’Intérieur, après une manifestation :
« Le hold-up de l’agence ZS a donc connu un dénouement heureux pour les employés et les clients qui avaient été pris en otage. Pendant la manifestation de 2 000 personnes qui a été organisée le 4 décembre 1975 pour protester contre les manœuvres policières durant le hold-up, une délégation CGT-CFDT-FO a été reçue au ministère de l’Intérieur. Un collaborateur de Poniatowski, plus particulièrement chargé des problèmes de sécurité, a tenu à rappeler les instructions formelles et écrites du ministère lui-même:
1 – Priorité absolue à la sauvegarde de la vie des otages.
2 – Essai de « récupération » des gangsters.
Mais alors, comment expliquer l’attente interminable, les coups de feu, les cris? Comment expliquer que la rançon ne fut remise qu’à 1h 30 alors qu’elle était sur les lieux à 18 heures ? L’attitude des forces de police durant le hold-up de l’agence ZS n’est en aucune façon due au hasard ou à un concours de circonstances. Et cela nous fait craindre le pire quant à l’avenir ! Car malgré l’assurance de ce haut fonctionnaire de police qui répétait inlassablement qu’il n’y avait jamais eu de « bavures » (comprenons des morts), nous ne pouvons qu’être inquiets pour l’avenir ! D’ailleurs, des « bavures » il y en a déjà eues à la BIC avenue Barbès, à la SCB République.
Nous ne pouvons pas tolérer que pour chercher à mettre hors d’état de nuire des gangsters, Ponia fasse courir aux employés et aux clients des dangers de mort. Mais au juste que cherche à démontrer le ministre de l’Intérieur?
– Est-ce en agissant de cette façon que le banditisme régressera en France ?
– Est-ce en « abattant » certains gangsters pendant les hold-up ou après, en les punissant de la peine de mort, que les autres seront dissuadés ? Non, car il s’agit d’un problème de société. Ce n’est pas le fait du hasard si les pays capitalistes détiennent les tristes records des taux de criminalité. Peut-on s’étonner si dans une société qui sécrète le chômage et la misère, la délinquance et le gangstérisme sont journaliers ? Dans la société capitaliste la seule valeur qui compte est celle de l’argent. La seule morale est celle du profit. Alors on choisit la répression et on ne fait rien pour que les anciens détenus puissent se réinsérer dans la société.
Ce ne sont pas les opérations « coup de poing « qui changeront quoi que ce soit à la situation. Monsieur Poniatowski cherche bien plutôt à accoutumer la population à la répression. Cela pourrait servir un jour si elle devait s’abattre sur les travailleurs et leurs organisations. La sécurité, c’est bien un problème de société. Des hold-up, il y en aura encore. Mais il nous semble possible d’en limiter le nombre et surtout d’assurer une meilleure sécurité pour les personnes. C’est une question de moyens, moyens que refusent d’adopter les patrons (au nom de la rentabilité !) et les pouvoirs publics.
Nous exigeons l’application intégrale et l’extension des mesures sur la sécurité arrêtées en juin 74.
Nous exigeons:
– 4 personnes en permanence dans toutes les antennes.
– Interdire les ouvertures anarchiques d’antennes en région parisienne.
– Abandon des horaires décalés.
– Respect et application de l’accord « sécurité » signé en juin 1974.
– Transports de fonds effectués uniquement par du personnel spécialisé.
– Extension de l’implantation des distributeurs automatiques de billets, pour réduire progressivement les manipulations d’espèces.
– 4 moyens de sécurité minimum dans chaque agence, visant à protéger effectivement le personnel prioritairement à l’argent.
– Suppression de l’alarme sonore.
– Non-intervention policière durant les hold-up !Nous appelons le personnel à rester mobilisé sur ce problème essentiel et à lutter pour contraindre les banquiers à prendre les mesures qui, plus que jamais, s’imposent pour garntir notre sécurité.
CAP nouvelle série : les Comités d’action prison-justice
Le numéro 1 (juillet 1981) explique le projet : il s’agit de « d’être le journal de la stratégie judiciaire, quels que soient les Peyrefitte [3] qui nous gouvernent ». Dix numéros paraitront, le dernier en mai 1982. Un court prolongement existera à travers des Assises pour la défense libre, en juin 1983.
Prisons : journal du Comité d’action des prisonnier(e)s, puis d’expression des enfermés
Des membres du CAP contestent le choix de la dissolution. Ils prennent tout d’abord le nom de Collectif Prisonnier(e)s en lutte (COPEL). La réappropriation du nom historique est annoncée dans le premier numéro de Prisons, en juillet 1981. L’éditorial donne le ton : « Nous n’acceptons aucune appropriation, aucune infantilisation dans nos enfermements. Enfermements rendus encore plus pénibles par l’intolérance, l’inattention de l’autre, le refus de comprendre, d’écouter. Nous souffrons trop souvent de tout cela. Nous refusons d’être “jugés”. Nous voulons essentiellement comprendre pour être compris. Nous existons par nos luttes. Luttes que nous reconnaissons le droit à tous de partager, de soutenir, d’amplifier, mais dont nous ne voulons pas être frustrés, car nous sommes responsables part entière. Mais nous savons bien que les luttes à mener ne le seront que par une minorité : comme dans tous les groupes sociaux, le plus grand nombre des gens restent spectateurs. Ce qui ne veut pas dire inintéressés et non solidaires, bien au contraire. Ceux qui seront en lutte sur le terrain auront toujours besoin de supporters, qui ne demanderont qu’à s’enthousiasmer de leurs victoires qui seront aussi les leurs. […] Camarades, compagnons, compagnes, taulards et taulardes, si vous vous reconnaissez dans les combats à venir du CAP qui continue par les prisonniers en lutte, écrivez-nous et nous reprendrons la responsabilité du Comité d’Action des Prisonniers qu’on essaie de nier aujourd’hui. Il faut manifester, apporter le fait de votre présence, de vos projets, de vos choix. Ce n’est qu’ainsi que nous recréerons un CAP dans lequel nous nous reconnaitrons. Il faut redevenir l’organe de lutte de chaque prisonnier. Il faut être présent dans tous les combats et prouver que nous existons […]
L’année suivante, le CAP lance le « projet de constitution d’un syndicat des prisonniers et prisonnières ». Six détenus de la maison d’arrêt Saint-Paul à Lyon publie un mémoire explicatif de 6 pages. Il se conclut ainsi : « Les ouvriers n’acquirent des droits que parce qu’ils se réunirent en syndicats, qui traitèrent alors avec les groupes patronaux. Ce fut d’ailleurs sous le Front populaire, le 7 juin 1936, que Léon Blum réussit à faire signer entre délégués syndicaux et délégués patronaux les Accords Matignon. Les patrons promettaient de respecter le droit syndical et d’instituer des délégués d’usine, les ouvriers s’engageaient à respecter la légalité ».
Le 23 février 1982, le CAP s’adresse aux confédérations syndicales, pour les informer du « projet de constitution d’un syndicat des enfermés » et demander leur position à ce sujet. Il explique : « Ce projet syndical s’oriente bien plus vers une réappropriation responsable de la préparation et de l’organisation de l’avenir social des prisonnier(e)s, que de la gestion de la prison, chose impossible ; la prison restant fondamentalement une malfaisance sociale dont la communauté doit savoir prendre conscience, au-delà des déclarations et constats de principe. Donc, ce projet syndical doit plus se concevoir comme le syndicalisme étudiant, qui veut préparer et défendre l’avenir professionnel de ceux qui s’y préparent par l’étude, la formation, etc., que d’un syndicalisme à l’intérieur des geôles, se réduisant à la recherche d’une “amélioration” des conditions d’enfermement, ce qui ne resterait qu’un projet mince et sans espoir d’en finir avec la malfaisance fonctionnelle de la prison ». La porte est ouverte : « Nous aimerions connaitre votre position qui pourrait déboucher dans les faits sur l’organisation des prisonnier(e)s en syndicat ». Dans les numéros ultérieurs de Prisons, on ne trouve mention que d’une réponse, celle de la CFDT, datée du 29 mars 1982 : « Votre projet a retenu notre attention. Nous considérons, en effet, parfaitement légitime l’expression responsable des prisonniers et prisonnières, notamment en ce qui concerne la préparation et l’organisation de leur avenir social et personnel au sein de la Société. Il vous appartient de réfléchir et d’étudier les formes de structures et d’organisation que vous souhaitez, en tenant compte des questions d’ordre juridique qui peuvent se poser à ce sujet. En ce qui nous concerne, nous sommes prêts, si vous le souhaitez, à une rencontre avec vous pour étudier les problèmes et les solutions que vous envisagez dans votre lettre. » Plusieurs structures CFDT du secteur de la Justice ont également répondu à la Proposition du CAP. Une réunion se tient avec toutes ces composantes CFDT, le 22 avril. Prisons en fait un compte rendu amer : « […] aucune sincère et déterminante contribution ne fut apportée par nos interlocuteurs, qui ne surent que suggérer aux prisonnier(e)s de se battre seul et dans la clandestinité, conseil que les prisonniers n’ont pas attendu. ». Echec des relations avec la CFDT et aucun écho des autres organisations…
A partir du numéro 6 (mai-juin 1982), Prisons ne fait plus référence au Comité d’action des prisonnier(e)s : il devient « mensuel d’expression des enfermés ». Le dernier numéro (15) parait en avril 1983. Un numéro spécial « Psychiatrie et judiciaire au service de l’injustice ! » est toutefois publié en 1984.
Otages. Pour l’expression des détenu(e)s
Cette nouvelle publication apparait en 1984. Dans le numéro 1, est mentionné que le CAPJ « a décidé de rassembler tous ses efforts, son énergie et de mobiliser son réseau pour le lancement pour le lancement, la diffusion et la promotion du nouveau journal des prisonniers […] Le CAPJ va reprendre les ventes devant les prisons de la région parisienne et le Palais de justice ». Le bulletin connaitra 10 numéros, jusqu’en mars 1988. S’y ajoute un numéro spécial de Paroles et pratiques sociales, « la revue des travailleurs sociaux », réalisé en collaboration avec l’équipe d’Otages.
Son numéro 5 (mars 1985) annonce la création du Syndicat des prisonniers de France (SPF) : « Prisonniers, prisonnières , un syndicat est créé. Il sera l’outil de la reconquête de nos droits bafoués par l’Administration pénitentiaire (AP), l’élément fondamental pour la constance de notre dignité, dont le judiciaire et l’A.P. n’ont aucun droit de nous priver. Sa dynamique c’est ; nous tous et toutes, par notre volonté d’être respectés sur tous les points, judiciaires et pénitentiaires. Son combat, se fera dans la légalité et par la légalité, en poursuivant toutes les exactions devant les juridictions compétentes ; ceci, avec l’aide de nos avocats qui ne sauraient plus, en l’état de nos droits bafoués, laisser faire davantage. Nous appelons toutes les associations de soutien aux prisonniers à se rallier à notre syndicat et de l’officialiser au-delà des murs dont se sert l’A.P. comme remparts aux lois. La réalité carcérale étant ce qu’elle est dans son obscurantisme répressif, continue d’avilir les êtres humains que nous sommes. L’état d’esprit du personnel de l’A.P., venu en droite ligne du 19ème siècle, n’a pas changé à l’arrivée du pouvoir de gauche. Nous affirmons même, que les conditions de vie en prison se sont dégradées et se dégradent de jour en jour, avec la complice démagogie du ministre de la Justice, Robert Badinter, qu’on voudrait nous faire croire humaniste, auréolé de son image d’abolitionniste de la peine de mort, alors qu’il est le chef suprême de la mort blanche : le mitard. Disons que 1985 sera l’année du combat de tous les détenu(e)s contre l’arbitraire du prétoire et de son unique fatalité : le mitard. Combat pour que cette A.P. qui a fait ses preuves dans son esprit de tortionnaire, soit contrôlée et rende compte de ses crimes et suicides. Combat pour ce qui est le droit fondamental de tous : le respect. La lettre-type ci-jointe, constitue le premier acte de la procédure à engager contre le prétoire-mitard, elle sera adressée à tout directeur d’établissement, chaque fois qu’il prétendra s’ériger en magistrat dans son gadget-tribunal : le prétoire. Cette lettre adressée, le détenu(e) refusera de se faire le complice d’une parodie de justice qui ne lui accorde même pas le droit sacré,: la défense par un avocat. Ensuite, il avertira de l’engagement de cette procédure, son avocat en l’engageant à saisir la Cour européenne des droits de l’homme […] Ainsi sera dénoncée, à la face de l’Europe judiciaire, la France qui se prétend pays des Droits de l’homme, alors que dans ses prisons elle applique ce qu’elle condamne ailleurs : l’abus de pouvoir. »
Otages publie « pour info, pour le débat » le courrier du SPF, mais s’interroge : « trop de mouvements spontanés, ou de naissance d’organisation souvent de type syndicale mettent en avant des détenu(e)s qui de ce fait sont balluchonné(e)s, transféré(e)s, mis(e)s à l’isolement, en fait mis(e)s hors d’état de nuire pour l’AP. Le besoin de représentation si légitime soit-il, vu l’individualisation, les sanctions menaçantes, est une entrave à la lutte collective, organisée, car en même temps il brise tous les petits réseaux organisatifs existants au sein de la taule. Doit-on pour cela renoncer à la lutte, à l’organisation, aux liens nécessaires avec l’extérieur (qui souvent font repérer des gars) ou devons-nous trouver des façons détournées pour s’organiser, pour se tenir informés, pour conserver une continuité dans les escarmouches au sein de la taule, pour conserver une mémoire (la prison est un lieu de passage), pour que chacun puisse prendre ses affaires en mains ? »
Sherwood, contre l’appareil répressif de l’espace judiciaire européen
Sherwood n’est pas un journal de prisonnier∙es. Il est centré sur la dénonciation de « l’appareil répressif mis en place à travers l’espace judiciaire européen ». Une courte déclaration d’intention dans le premier numéro l’illustre : « L’extradition de réfugiés basques exécutée dans l’indifférence quasi générale nous a révolté(es). Solidaires de tous les “parias” des démocraties, qu’elles soient populaires ou bourgeoises, nous voulons soutenir de manière active ceux d’entre eux qui ont cherché refuge en France et se retrouvent otages du gouvernement de ce pays. De par sa composition, Sherwood ne représente aucune expression politique spécifique. Les sensibilités différentes qui s’y expriment n’ont comme point commun que la volonté d’agir ensemble à partir d’inquiétudes communes. Forts de cette indépendance, nous refusons tout lien privilégié à quelque groupe que ce soit, fût-ce de réfugiés. Notre contribution aux luttes menées pour le droit de refuge et contre toutes extraditions ou expulsions s’inscrit dans un cadre de luttes plus général de contre-informations sur “l’Euro-répression” et la libre expression de toutes les luttes antagoniques à l’ordre européen. »
L’Association syndicale des prisonniers de France fait état de son existence dans le deuxième (et dernier) numéro de Sherwood, paru durant l’été 1985 : « À la veille du XXIème siècle, la société ne peut que constater l’échec de ses cent quatre-vingts années, s’étendant du bagne au mitard, de politique carcérale. Hier encore dénoncée par Michel Foucault à qui les responsables d’aujourd’hui serraient la main en saluant son œuvre. Œuvre qu’ils ont enterrée avec lui, n’en gardant que le nom : Surveiller et punir ! Face à cet état de fait, nous, les 45 000 prisonniers et prisonnières disons : Ça suffit !Que voulons-nous : t.o.u.t., tout !
Nous voulons avoir tout, hors de la privation de liberté à laquelle nous sommes condamnés. La privation de liberté ne doit pas, ne doit plus, faire que c’est sur nous que les carences d’un système désuet retombent. Nous voulons le droit de réunion pour notre association, étant déclarée légalement c’est son droit ! Nous voulons pouvoir correspondre avec notre bureau extérieur librement !
Nous voulons gérer notre vie. Pouvoir dire que la soupe n’est pas bonne : et elle ne l’est pas ! Nous voulons que cesse l’esprit sécuritaire qui n’est rien d’autre qu’une paranoïa et un procès d’intention permanent. Pour quelques évasions par an, il est inadmissible que 45 000 êtres humains soient journellement harcelés. La sécurité étant les murs d’enceinte, la vie doit pouvoir exister dans la mesure où l’on peut exister privé de la liberté.
Nous voulons nous prendre en charge nous-mêmes en vue de notre réinsertion. On ne peut concevoir celle-ci hors de nous ou à notre place. Nous sommes prêts à faire la démonstration que nous pouvons, si on nous le permet, être autre chose que des récidivistes, ce qu’engendre le régime actuel.
[…] Notre discours nous place-t-il comme réformistes ou gérants de nos goulags? Nous répondons : non ! Nous sommes des abolitionnistes ! En attendant qu’enfin l’humanité se rende compte que les prisons sont la négation de tout, y compris d’elles-mêmes, nous, nous voulons être traités humainement et dans le respect de nos droits.
[…] nos avocats que nous engageons à entrer dans l’ ASPF ou à la Commission Etienne Bloch, nous ne concevrons pas qu’ils soient neutres ; ou avec nous ou contre nous, le choix de nos défenseurs se fera désormais en faveur de ceux qui nous défendent totalement. Nous appelons aussi nos familles dont la première démarche à faire pour nous aider est de se faire respecter elles-mêmes quand elles nous rendent visite. Nous leur disons que leur soumission accentue notre misère.
[…] Notre propos n’est pas d’être des pacificateurs ou des pactiseurs, avant tout, nous sommes des prisonniers et nous serons de notre bord, quoi qu’il arrive. Notre propos est celui d’hommes et de femmes qui veulent éviter la violence. Nous souhaitons vivement que pour une fois ce soient les êtres humains qui comptent et non pas les intérêts électoraux.
Appel à toutes les prisons de France. Prisonniers et prisonnières, ralliez-vous en un grand mouvement de solidarité. Que toutes et tous, vous vous organisiez dans vos prisons respectives et que vous preniez contact au siège de l’ASPF ; nous le répétons : notre association est légale ! Nous, vos semblables, avons créé un outil, avons pris le risque de déposer des statuts et nous avons eu raison, mais ce n’est pas pour vous chapeauter, mais vous permettre de vous exprimer. Cet outil existe pour tous, chacun d’entre vous doit en être sa dynamique. La démonstration que nous faisons veut dire aussi, et nous le disons, que chacun peut créer sa propre association. Mais allons-nous, nous aussi, jouer aux confrontations syndicales ? Non ! Notre force, c’est notre union dans une seule association. Aussi, libre à ceux et celles qui ne veulent pas adhérer, c’est leur droit, mais qu’ils ne se plaignent plus de l’oppression s’ils la reconnaissent par leur passivité. » [4]
En marge de cet appel, le Bureau de Fleury-Mérogis de l’ASPF s’insurge contre un appel à la grève de la faim lancé de l’extérieur des prisons : « Qu’il soit dit que nous n’appellerons pas à des actes qui porteraient atteinte à l’intégrité physique ; donc, pas de grève de la faim ni d’automutilation. Gardons nos forces et notre lucidité. […] Les conceptions de lutte en prison sont à revoir, les actions stériles à bannir. […] Que ceux qui nous ont condamné et nous gardent nous accordent les droits qui nous reviennent. »
Cavales, La Brèche. La Commission prisons-répression
Le journal Cavales a connu 4 numéros, entre 1986 et 1987. Il était réalisé par la Commission prisons-répression : « […] répression, dont nous avions tendance à faire un terrain de lutte privilégié, celui sur lequel toutes les autres luttes pouvaient et devaient converger. Cette vision, bien sûr, donnait aux prisonniers le meilleur rôle : “victimes de la répression” par excellence, ils se retrouvaient naturellement au cœur de la bataille décisive, ils en devenaient le fer de lance. Mais c’était oublier 1’essentiel : la répression vient toujours en second, elle n’est jamais qu’une réaction de 1’Etat à la mise en cause des intérêts de la classe dominante. Et si convergence des luttes il doit y avoir un jour, ça ne saurait être contre 1’effet, “contre la répression”, mais bien contre la cause: la domination de la bourgeoisie. Pratiquement, cette révision nous a amenés à suspendre nos interventions tous azimuts “contre 1a répression” et à recentrer notre travail sur la prison elle-même. Car si les prisonniers ne sont pas le fer de lance d’un improbable “front anti-répression”, en revanche, ils sont en grande majorité des prolétaires qui, d’une façon ou d’une autre, sont entrés en contradiction avec les intérêts de la bourgeoisie. Et qui paient précisément pour cela. Ce “recentrage” sur la prison, c’est un recentrage sur les luttes qui s’y mènent. Sur la manifestation persistante du conflit de classe “à l’intérieur” (même si les formes et les enjeux immédiats changent), en dépit (ou à cause) de la répression. Sur 1’expression de plus en plus massive, de plus en plus nette (voir notre dossier sur les mutineries de 1’été), de 1 ‘identité de classe des prisonniers. Mais “recentrage” ne signifie pas repli. Notre travail pour la construction de la solidarité à 1 ‘extérieur se poursuit. Plus intensivement que jamais, même. Mais la solidarité à laquelle nous appelons désormais, ça n’est pas une vague solidarité “anti- répressive” (qui d’ailleurs ne s’est quasiment jamais manifestée). C’est une solidarité de classe : celle qui peut unir tous ceux qui font les frais de la politique de “redressement” du gouvernement, tous ceux qui subissent la domination de la bourgeoisie. » Il s’agit là de l’éditorial du numéro 4 ; une Lettre de Cavales prendra la suite, avec une quinzaine de numéros entre 1989 et 1992. Avant Cavales, la Commission prisons-répression a publié 41 numéros d’un bulletin intitulé La Brèche, donnant des informations sur les luttes en prison.
Rebelles. De la COPEL à l’APEL
L’équipe de Rebelles publie 41 numéros, entre 1989 et 1993 : du 1 au 22/23, le journal est publié par la COPEL : « La Commission pour l’organisation des prisonniers en lutte (COPEL) rend publics les informations et documents […] qui, tous, lui ont été communiqués par des prisonnier(e)s qui, de l’intérieur, sont partie prenante des situations et des luttes ici retransmises. Dans le même temps qu’elle garantit l’authenticité des documents qui suivent et la crédibilité de leurs sources, toujours vérifiées, la COPEL indique qu’elle publiera désormais chaque fois que nécessaire un bulletin d’information, à destination des structures militantes intéressées et des journalistes qui travaillent sur les questions carcérales. » En septembre 1991, avec le numéro 24, il devient « mensuel de contre-information des prisonnier(e)s en lutte » : « […] nous avons proposé à nos camarades de la Coordination nationale des prisonniers (CNP), avec qui nous travaillons pleinement de concert depuis bientôt un an, d’engager un processus d’unification de nos deux structures, de telle sorte que le mouvement de lutte carcéral se trouve renforcé d’une organisation unique.
Ce processus devrait rapidement connaître une issue favorable. De même, nos deux organisations ont décidé de participer, dans le cadre de la lutte pour la fermeture des quartiers d’isolement, à la Coordination nationale des Comités d’action contre l’isolement carcéral (CACI). Prochainement, nous prendrons d’autres initiatives qui, semblablement, militeront dans le sens d’une réduction de l’éparpillement des forces du mouvement de solidarité active avec les prisonnier(e)s rebelles. » S’il garde le même sous-titre, le numéro 31 informe que « Rebelles est le mensuel publié par l’Alliance des prisonniers en lutte (APEL), née de l’unification entre la Commission pour l’organisation des prisonniers en lutte (COPEL) et la Coordination nationale des prisonniers (CNP). » L’aventure, plus précisément l’important rôle d’information sur la situation et les luttes dans les prisons, s’interrompt après le numéro 39/41 de l’été 1991.
Christian Mahieux
[1] « Années 70 : contestation de la prison ; l’information est une arme », Christophe Soulié, Raison présente n°130, 1999.
[2] De la Prison à la révolte, Serge Livrozet, Editions Mercure, 1976.
[3] Alain Peyrefitte était alors ministre de la Justice.
[4] L’appel est signé de six détenus : Jacques Gambier, Hugues Barbelivien, Philippe Barbelivien, Waroudj Garbidjan, Jean-Michel Mauriset, Mohamed Behousse.
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