La ménopause, c’est pas la mort … C’est encore l’amour

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Elles sont 7 femmes, habitantes de Caen et ses alentours, âgées d’une cinquantaine d’années à plus de soixante-dix… Elles ont décidé de mettre en commun leurs vécus de femmes dans une conférence gesticulée, La ménopause c’est pas la mort… c’est encore l’amour ! » Leurs vies ont été différentes et à les entendre raconter premières règles et premiers désirs, rapports à la famille et aux ruptures, luttes de femmes et résistance au travail, actes militants ou non, ménopause et amour, selon son âge on peut revivre des expériences ou les découvrir, se souvenir des combats partagés ou en prendre connaissance. Les auditoires sont fournis, féminins évidemment et de tous âges. Une manière de faire passer du féminisme entre humour et gravité et de faire de ces vies un moment de spectacle et de réflexion réjouissant. Trois d’entre elles ont bien voulu répondre à mes questions.


Sacrées Vieilles ! Elles se prénomment Axelle, Corinne, Hélène, Liliane, Marie-Christine, Odile, Pascale. Trois d’entre elles répondent ici aux questions de Verveine Angeli.


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Verveine Angeli – Une conférence gesticulée sur les règles, la ménopause, des vies et des amours de femmes, qu’est-ce qui vous a donné cette idée ?

Marie-Christine – Il est d’abord question de transmission et cette fois-ci, c’est Hélène, la mère, qui attrape au vol le relais lancé par sa fille. Une conférence gesticulée collective intitulée Le clito, un petit nom qui en dit long, présentée un peu partout en France par 7 jeunes femmes en 2011 et 2012, et 10 ans plus tard, Hélène émet l’idée de donner la réplique à ces jeunes trentenaires.

Hélène – La deuxième fois que j’ai vu la conférence de ma fille, je me suis dit « mais quid de la sexualité des femmes ménopausées ? » Une vraie prise de conscience pour moi, un vrai début de réflexion (enfin pas vraiment, je suis quand même de la génération du MLAC [1], le féminisme a toujours été mon dada…) sur la (petite) place occupée dans les ouvrages par la sexualité féminine et, globalement, sur la médecine générale dédiée aux problématiques féminines. Le cheminement s’est fait tout doucement : du temps gagné par l’arrêt de mon activité salariée (la retraite donc !), un petit voyage en Inde juste avant le premier confinement et hop ! Le moment est arrivé ! Mais c’est à la suite du confinement, où la façon infantilisante dont on a traité les personnes âgées m’a mis en rage, que je me suis dit qu’il fallait qu’on en parle et qu’on ne se laisse plus traiter comme des gamines. Puis j’ai rencontré Noémie Moutel, qui avait monté une conférence autour de la naissance et cela m’a paru évident de lui demander de nous accompagner sur ce projet.

Odile – Hélène a ensuite réuni 12 femmes, en mars 2021, pour expliquer cette envie de créer une conférence sur la sexualité à la ménopause. Elle nous écrit : « Mon souhait le plus cher maintenant c’est de vous trouver, vous les femmes qui auriez envie de vivre cette aventure, de la construire, d’embarquer dans notre vrai monde ! C’est quoi, vraiment, notre sexualité dans nos différences, nos particularités, nos projections, nos histoires ? Quelle place a-t-elle dans nos vies de femmes mûres ! Nos corps ? Quelle représentation en avons-nous, les hommes en ont-ils ? Pourrons-nous ensemble bouleverser les préjugés ? » Noémie était là aussi. J’avais vu sa conférence, Les aventures d’ocytocine et colostrum, le 8 mars 2018, à l’invitation du Collectif des droits des femmes du Calvados, et depuis elle s’était formée à l’accompagnement de conférences gesticulées avec la SCOP d’éducation populaire Le Pavé, maintenant dissoute. Ce projet et les deux femmes qui le portaient m’ont enthousiasmée et l’aventure a commencé.

Marie-Christine – Le questionnement sur la vieillesse et la sexualité des femmes est devenu la grande affaire de cette entreprise. Pendant 4 résidences de 3 jours, en 2021 et 2022, à 8 femmes, puis 7, nous nous sommes concentrées sur notre travail dans un gîte, coupées du monde et de nos quotidiens. Ce fut un long processus de partage de soi, puis de repli pour digérer, explorer et réfléchir, et à nouveau de retrouvailles pour partager nos avancées, et ce qui se dessine d’essentiel à dire et à porter. Pour que ce projet devienne réalité, nous avons travaillé également avec une actrice et metteuse en scène, Pauline Madeline, et une sociologue du travail, Manue Cournarie, qui est maintenant formatrice en conférences gesticulées à L’ardeur [2]. Et Leila nous a préparé de délicieux repas tout au long de ces week-end de travail.


SACRÉES VIELLES
Hélène : Je vais bientôt avoir 66 ans. Ma doctrine pourrait être « Ni Dieu ni Maître » ! En fait je déteste le sentiment d’être endoctrinée, j’aime être libre de mes pensées et nourrir mes convictions. C’est pourquoi je ne suis jamais rentrée dans un groupe syndical, politique… Je crois m’être toujours sentie féministe, écologiste, respectueuse et sobre (récupérer, ne pas jeter tant que ce n’est pas usé, acheter peu mais de qualité, etc.). J’ai élevé mes enfants avec ces valeurs, les deux, une fille et un garçon, les ont naturellement intégrées. Pendant 25 ans, j’ai porté une association d’éducation populaire permettant à toute personne d’intégrer un des groupes vocaux que j’animais. Tout en étant retraitée du régime général, je suis encore en activité comme sophrologue. Je chante, je fais de la musique, je pagaie, je me sens bien vivante !
Marie Christine préfère qu’on la présente : Elle arpente les rues de Caen avec son éternel chapeau (elle en a plusieurs). On peut la croiser à la bibliothèque, à la fac où elle donne des rendez-vous à ses ami∙es. L’écriture est sa passion, et ses petits cahiers ne la quitte jamais. Elle anime des ateliers d’écriture dans des lieux très différent (les associations de quartier, l’Hôpital psychiatrique, etc.), car pour elle tout le monde peut s’exprimer par l’écrit. Elle a lu énormément et peut parler avec fougue et pendant des heures de ses auteurs et autrices préféré∙es. Elle dit : « Dans l’écriture que je pratique, je mets les autres, de la philosophie, de la littérature et en particulier l’écriture des femmes et de l’engagement féministe bien sûr. »
Odile : J’ai 65 et profite de ma retraite depuis 8 ans déjà ! Ce qui m’anime depuis toujours c’est la construction d’un monde plus égalitaire, moins égoïste et plus joyeux. Que ce soit dans mon ancien travail d’infirmière en psychiatrie ou dans ma vie personnelle, j’ai lutté contre les discriminations en étant syndiquée, ou en fréquentant des organisations politiques et/ou féministes. Le théâtre et maintenant la conférence gesticulée sont, pour moi, une façon d’exprimer mes ressentis et de clamer bien fort mes révoltes.


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A l’issue d’une représentation. [DR]

Verveine Angeli – Une conférence gesticulée collective ce n’est pas si fréquent ? Est-ce que c’est une manière de transmettre des idées, des informations, des parcours ?

Hélène – Je suis une femme de cœur, j’aime l’action et la création collective. Ce qui m’intéresse c’est la diversité, réunir plusieurs personnes autour d’un même thème : la sexualité des femmes ménopausées. Pour moi, la conférence ne pouvait être que collective.

Marie-Christine – On a construit une véritable sororité pendant notre travail et cela se ressent, le public nous en parle. Mais une conférence gesticulée comme la définit L’ardeur, c’est une « prise de parole publique sous la forme d’un spectacle politique militant, construite par une personne ou un groupe à partir de leurs expériences, c’est un acte d’éducation populaire fondé sur l’envie de partager ce qu’on a compris. » Une conférence gesticulée est un outil visant à semer le doute plutôt qu’à offrir des solutions toutes faites. C’est un moyen de donner voix et visibilité à des points de vue complexes, contradictoires, subtils. C’est une façon d’affirmer que la pensée est précieuse, et qu’elle est nécessairement incarnée.

Odile – Mais c’est aussi un acte subversif, qui transgresse la légitimité (toujours contestée) à parler en public. Cela permet de dévoiler, dénoncer, questionner et analyser les mécanismes d’une domination : pour nous l’invisibilité des femmes de plus de 50 ans. En solo, en duo ou en groupe complet, nous évoquons l’évolution du féminisme, les étapes et les événements qui ont émaillé nos vies personnelles dans la société actuelle avec ses injonctions. A travers les analyses et questionnements sur les tabous et le patriarcat, nous interrogeons notre place de femmes vieillissantes, dans une société qui érige le jeunisme et le paraître en valeurs sociales…

Hélène – … Et nous revendiquons le droit à une sexualité assumée jusqu’à pas d’âge. Ce qui nous a aussi animées, c’est de tenter tant bien que mal, d’éclairer les ombres, d’énoncer nos vérités respectives et de dire le quotidien d’une femme de plus de 50 ans, frappée de ménopause. Frappée par ce « grand mal », pas toujours bien connu ni expliqué et considéré si peu glamour. Nous avions une envie commune de parler du corps des femmes et de la non prise en compte de la spécificité féminine ; de pourquoi et comment le corps des femmes est maltraité par la médecine classique occidentale. On l’aborde un peu, mais cela a été frustrant de faire un choix parmi les thèmes à porter devant le public. Toutes ces idées sur lesquelles nous avons réfléchi pourraient être le sujet de multitudes de conférences à inventer.

Marie-Christine – Nous parlons aussi d’amour, de poésie, d’art, de handicap, de la vie tout simplement ! Et nous chantons ! Une partition chorale où, entre canapé et bord de scène, chacune selon son vécu, sa sensibilité, évoque la ménopause et les petits arrangements dans sa vie et sa sexualité.

Verveine Angeli – Il y avait très majoritairement des femmes à la conférence à laquelle j’ai assisté et de tous âges ? Donc elles se sentent concernées les jeunes comme les plus âgées ?

Marie-Christine – Les retours des jeunes femmes qui sont venues nous écouter, sont plutôt positifs et encourageants. Si elles n’ont pas le même rapport aux règles et la contraception, nos histoires leur parlent et elles comprennent que nous, on vient de là, on s’est construites dans une société où parler ou avoir une sexualité n’était pas si évident, même après 68. Elles veulent souvent inviter leurs mères à venir voir notre conférence. Encore une histoire de transmission. On montre l’exemple de femmes de notre âge qui se questionnent, racontent un parcours identitaire qui peut évoluer au cours de la vie.


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Verveine Angeli – Et quelle est la place de l’engagement et du féminisme dans votre propos ?

Marie-Christine – Plusieurs d’entre nous ont participé au mouvement féministe des années 70/80, et au Mouvement pour la liberté de l’avortement et de la contraception. Une est au Planning familial, et certaines fréquentent des groupes de paroles de femmes ou de travail sur le genre.

Odile – Notre propos est éminemment féministe, puisque nous évoquons les tabous des sexualités féminines. Il n’y a pas que notre âge qui nous rend invisibles, il y a aussi tout le poids du patriarcat qui concède aux femmes une petite place dans la société à condition qu’elles restent discrètes et polies, et qu’elles ne prennent pas la place des hommes. En prenant la parole, nous participons à l’élaboration d’un rapport de force contre le capitalisme et invitons les personnes qui viennent nous voir à réfléchir surla nécessité de transformer le monde. Nous livrons une intimité pour expliquer les raisons de notre colère politique. L’intime est politique.

Hélène – Nous avons lu beaucoup d’ouvrages notamment sur l’inceste et sa banalisation, surtout dans les années 70. Mais aussi sur la réappropriation de notre corps, sur la liberté sexuelle, de voyager, comme en parle Lou Andréas-Salomé. La conférence gesticulée permet de transformer son expérience personnelle de la domination en un objet politique partageable. Notre souhait serait que notre conférence donne envie à d’autres de se lancer dans l’aventure. Que des hommes parlent du patriarcat et de la place des femmes, de leur place à eux dans la société et peut-être des idées pour construire une société égalitaire.

Verveine Angeli – Quelque chose à ajouter ?

Odile – Un regret, nous convions généralement celles et ceux qui viennent nous écouter à un temps de partage et d’échange post conférence gesticulée, pour approfondir le sujet. Pour l’instant nous n’avons pas pu en organiser car personne ne s’est inscrit à ces ateliers. L’atelier, c’est un espace où analyser nos pratiques, transmettre des savoir-faire et élaborer collectivement des moyens de résistance. Nous pouvons proposer trois ateliers différents :

  • Ce qui n’a pas été dit par tabou, pudeur, non-expérience, non-connaissance par rapport à la sexualité des femmes ménopausées. Ce qui demanderait à être abordé, enrichi, approfondi.
  • Les conséquences du patriarcat sur le corps des femmes, son image, sa sexualité.
  • L’invisibilité des femmes ménopausées et le non droit à la jouissance.

Verveine Angeli – Et si on veut la voir ? on s’adresse à qui ?

Odile – Nous avons présenté cinq fois notre conférence gesticulée, dans l’Orne et le Calvados. La dernière était organisée dans le cadre de la journée internationale pour les droits des femmes par le Planning Familial du Calvados. La salle de la MJC de la Guérinière – un quartier populaire de Caen – était plus que pleine. Nous avons une prochaine date en avril sur la côte proche de Caen. Mais nous pouvons et souhaitons nous déplacer en dehors de la Normandie. Pour nous contacter : conferencesacreesvieilles@gmail.com


⬛ Hélène, Marie-Christine et Odile – Propos recueillis par Verveine Angeli




[1] MLAC : Mouvement pour la liberté de l’avortement et la contraception. Créé en 1973, il organise la publicité de la contraception et pratique des avortements clandestins, interdits par la loi jusqu’en 1975.

[2] www.ardeur.net

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