La formation syndicale

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A mon camarade et ami, Jean Michel Bénichou, pilier de la construction et du développement du CEFI-Solidaires


Pour le mouvement syndical, la formation de ses membres a été très tôt un enjeu pour développer sa capacité d’action autonome. Connaître et comprendre l’organisation et le fonctionnement de l’entreprise, sa place dans la cité et dans la société, comment s’y organisent les relations et les rapports de forces sociaux, sont des leviers incontournables de l’action dans l’entreprise. Néanmoins ils trouvent rapidement leurs limites, s’ils  n’intègrent pas des problématiques transverses.


Postier retraité, Gérard Coste est adhérent de SUD PTT et de Solidaires 93. Après avoir été en charge de la formation au sein de la fédération SUD PTT, il a été membre de la première équipe d’animation du CEFI-Solidaires, aux côtés de Jean-Michel Bénichou et Hélène Cabioc’h et a contribué à la rédaction de plusieurs publications du CEFI-Solidaires.


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Questions de l’emploi, du développement de la sous-traitance, de la multiplicité des statuts, du salariat immigré, de l’éclatement du salariat et du développement de multiples formes de précarité ; questions des salaires, de l’égalité et des discriminations salariales ; place des femmes dans l’entreprise et dans le syndicat ; questions de la santé et des conditions de travail ; questions économiques, des mutations du capitalisme, des logiques multinationales et de la construction à l’international ; protection sociale ; questions environnementales … Le champ est vaste, mais si le mouvement syndical ne s’en empare pas pour faire émerger des revendications communes à un secteur d’activité ou à l’ensemble du monde du travail, personne ne le fera à sa place. Pour le syndicalisme, c’est un enjeu de sa pertinence, de sa pérennité et de son développement.

Cette préoccupation existe dès avant la création de Solidaires (1998), comme en témoignent deux cas remarquables par leur longévité : les journées intersyndicales femmes et les rencontres de l’été. Les premières sont portées par un collectif composé de militantes du G10 (futur Solidaires), FSU et CGT. Sur deux jours chaque année depuis 1997, elles traitent de problématiques spécifiques pour les mettre en évidence, en faire émerger des revendications syndicales et en éditent les cahiers. Les secondes, initiées par SUD-Rail, réunissent durant une semaine des militants « fondateurs », des nouveaux et nouvelles adhérent∙es venant d’autres organisations (CGT, FO, CFDT…) et des primo adhérent∙es, dans une période de fort développement. Elles s’organisent autour de conférences sur des thèmes que l’urgence de l’action quotidienne relègue souvent à l’arrière-plan, de groupes de discussions et d’ateliers de pratique syndicale. Dès 1999, elles s’ouvrent à l’interprofessionnel Solidaires, se féminisent également peu à peu et se perpétuent. Au fil des ans, ce sont quelques milliers de syndiqué∙es qui par leur participation (à l’une, à l’autre ou aux deux) ont démontré la pertinence et assuré la pérennité de ces deux initiatives.


Gérard Coste et Jean-Michel Bénichou [Coll. CM]
Gérard Coste et Jean-Michel Bénichou [Coll. CM]

Historiquement, le G10, qui deviendra l’Union syndicale Solidaires, avait déposé tôt les statuts d’un organisme de formation, demeuré en sommeil. Dès 1998, dans une phase de développement important, l’Union syndicale Solidaires réactive cet institut, qui devient le Centre d’études et de formation interprofessionnelle Solidaires (CEFI-Solidaires). Deux enjeux se posent dès le départ : construire un ensemble de formations utilisables pour toutes les organisations membres et obtenir les agréments nécessaires pour les organiser en son nom propre.

L’enjeu des agréments, les agréments spécifiques, et les agréments « partiels ».

L’accès aux congés de formation économique, sociale, environnementale et syndicale (CFESES [1]) est un droit individuel de chaque salarié∙e, mais il ne peut être utilisé qu’auprès d’un organisme agréé par le ministère du travail.

Celui-ci reconnaît un certain nombre d’instituts de formations rattachés à des organisations nationales interprofessionnelles. Jusqu’à la loi de 2008 réformant les règles de la représentativité syndicale, seuls sont agréés les instituts rattachés aux 5 confédérations dites historiques (CGT, CFDT, FO, CFTC, CGC). La liste des instituts agréés est révisée régulièrement, mais de ce côté, la voie des agréments, quels qu’ils soient, est provisoirement barrée pour le CEFI-Solidaires.

Le ministère accorde également son agrément à quelques organismes. On y trouve des organismes rattachés à des instituts universitaires, notamment pour dispenser la formation des élu∙es prud’hommes (voie que va utiliser Solidaires), et des associations dont Culture et Liberté (C&L), fédération issue du mouvement d’éducation populaire. C’est en partenariat avec C&L que Solidaires, ainsi que plusieurs de ses organisations, va, dans un premier temps, organiser ses formations. L’adhésion à C&L, permet d’entreprendre un travail de co-élaboration des formations et de les organiser sous son égide. Par ailleurs, le ministère dispense des agréments spécifiques aux formations des élu∙es CE et CHSCT, qui ouvrent droit à des financements réglementés.

Le CFESS peut également être utilisé via un accord conventionnel ou d’entreprise. Ainsi, dans la fonction publique, la Direction générale des Impôts reconnaît au SNUI (futur Solidaires Finances publiques) le droit d’assurer la formation de ses membres. A l’aube des années 2000, d’autres organisations de Solidaires ont constitué leur propre organisme de formation et le font reconnaître au niveau de l’entreprise. C’est le cas pour SUD CAM au Crédit agricole mutuel, pour SUD-Rail (SUD Institut) à la SNCF, pour SUD PTT (IFESUD) reconnu uniquement à France télécom lors de sa transformation en Société anonyme Orange. Plus tard ce sera le cas pour SUD Santé Sociaux (IFETSUD) ou pour SUD Industrie.

On voit l’intérêt de ces agréments partiels pour contourner le mur de la représentativité nationale interprofessionnelle. Lorsque ce mur est tombé, on peut s’interroger sur l’intérêt autre que corporatiste et financier (parce que la formation ouvre droit à des financements) de maintenir ces organismes. On voit avant tout leurs limites et leur difficulté à favoriser la mise en commun et les échanges interprofessionnels (expériences et pratiques syndicales), permettant d’irriguer chaque organisation de l’Union syndicale et l’union elle-même.

A partir de 2008 et la réforme de la représentativité, la voie s’ouvre pour faire agréer le CEFI-Solidaires. Pour autant, il faut pouvoir attester de programmes et de volumes de formations déjà réalisées pour décrocher ces agréments auprès du ministère du travail. C’est ce à quoi le CEFI-Solidaires va s’attacher dès le début des années 2000, ce qui lui permettra d’obtenir peu à peu l’ensemble des agréments, 8 ans plus tard.

Construction et fonctionnement du CEFI-Solidaires

Le CEFI-Solidaires ayant le statut d’association, il importe avant tout d’éviter qu’il s’autonomise politiquement et financièrement : il faut donc l’arrimer solidement à l’Union. Chaque organisation de Solidaires en est membre de droit. Une assemblée générale contrôle chaque année sa gestion, y compris financière, son fonctionnement et désigne son bureau. Une équipe est chargée de l’animer au quotidien, en lien avec le bureau du CEFI et le Secrétariat national de Solidaires.

Jusqu’en 2008, il s’agit d’assurer des relations suivies avec Culture et Liberté et d’effectuer un travail administratif de récolement des feuilles d’émargement des formations réalisées. Travail un peu fastidieux, mais nécessaire en vue de pouvoir attester du volume et de la variété des formations réalisées.

Parallèlement, le bureau, la commission formation et l’équipe d’animation élaborent des contenus de formation correspondants aux besoins de Solidaires. Ces collectifs sollicitent les commissions de Solidaires et constituent des groupes de travail composés de militant∙es volontaires des différentes organisations membres.


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Le pari, c’est de s’appuyer sur des expériences et des pratiques différentes pour constituer un corps commun de formations authentiquement syndicales. Il ne s’agit pas de s’interdire tout concours extérieur sur tel ou tel aspect particulier, mais de refuser de déléguer nos formations à des spécialistes extérieur∙es. La conviction, c’est que cette méthode favorise une conception réellement interprofessionnelle, où chaque organisation, quelle que soit son expérience, sa taille et ses moyens, peut en faire bénéficier les autres et en tirer un enseignement. C’est donc un tronc commun, utilisable par toutes les équipes syndicales, qui se constitue, chaque organisation ayant toute latitude d’organiser des formations complémentaires répondant à ses besoins propres et ses spécificités.

En 23 ans, le CEFI-Solidaires a publié 25 cahiers et brochures de formation, régulièrement actualisés, traitant aussi bien du droit syndical dans l’entreprise et de la création de syndicats ou de sections, que des institutions représentatives du personnel, des élections professionnelles, des pratiques syndicales autour des conditions ou de la santé au travail, de l’histoire du mouvement ouvrier, du capitalisme, de l’écologie, des conseiller.es du salarié∙e, de l’égalité femmes/hommes, de la défense des travailleurs et travailleuses sans papiers… Ce travail conséquent vise à armer les équipes et permet de décrocher tous les agréments, y compris sur les trois versants de la Fonction publique (Etat, Hospitalière, Territoriale). C’est un signe également du dynamisme et de l’accroissement d’audience des organisations de Solidaires.


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A côté de ce travail d’élaboration, le CEFI-Solidaires permet d’organiser également des rencontres nationales : rencontre « Solidaires en CE », en décembre 2006, avec plus de 200 militantes et militants ; journée « Et voilà le travail » avec la commission conditions de travail, sans oublier les initiatives citées en préambule. Mais, très vite, un problème de taille se pose. Sauf à centraliser sur Paris et quelques métropoles toutes les formations et à « professionnaliser » les formateurs et formatrices, ce qui n’est pas le choix fait tant il comporte d’inconvénients, il faut développer et renouveler les équipes de formations pour pouvoir organiser celles-ci au plus près du terrain. Le CEFI-Solidaires va faire un important travail de formation de formateurs et formatrices, en lien avec les brochures publiées. Plusieurs centaines de militant∙es passent par ces stages, ce qui est bien mais nettement insuffisant pour faire face aux réalités. Le CEFI-Solidaires va inciter les Solidaires locaux, qui ne disposent pas tous des mêmes capacités militantes, à se coordonner géographiquement pour définir ensemble leurs besoins de formation et mutualiser leurs moyens militants matériels et financiers pour y répondre. Ils vont être la véritable cheville ouvrière de la formation interprofessionnelle, d’autant que ça devient un enjeu important de leur développement et de leur activité.

L’épineuse question financière

Si la formation syndicale est avant tout un acte militant basé sur le bénévolat, elle représente d’abord des coûts : prise en charge des transports, de la restauration et éventuellement de l’hébergement des formateurs∙trices et des participant∙es, achat de matériel pédagogique et d’équipement, défraiement d’éventuel∙les intervenant∙es extérieur∙es s’il y a lieu. Ce sont aussi des recettes financières : budget alloué par chaque organisation, financements institutionnels ou par des accords d’entreprise.

On a coutume de dire, à raison, que l’argent de la formation doit servir exclusivement à la formation, ce qui demande quelques précisions. S’il ne faut pas mélanger les budgets de formation et ceux du fonctionnement ordinaire du syndicat, rien n’interdit d’utiliser le matériel (locaux, équipements, outils) lorsqu’il n’est pas utilisé par la formation. De même, certaines sommes des budgets de formation peuvent être utilisées à des actions spécifiques de développement, tant la frontière entre les deux est parfois difficile à établir.

La disparité de situations et de moyens entre organisations, la nécessité de développer la formation pour les « petites structures » et dans les Solidaires locaux, pour leur permettre de répondre aux besoins de leurs adhérent∙es et des populations qu’ils touchent, ont conduit à mettre en place des règles de répartition des recettes de la formation. Elles tiennent compte de l’organisation qui utilise le CEFI-Solidaires pour organiser une action de formation interprofessionnelle et de la provenance syndicale des stagiaires. Ces règles sont un peu complexes en raison de trois impératifs : permettre au CEFI-Solidaires de fonctionner, aux Solidaires locaux de développer leur activité de formation, aux syndicats de pouvoir faire leurs formations spécifiques.

Il existe néanmoins un angle mort, lié à l’opacité des diverses sources de financement. La tentation est grande dans des organisations qui bénéficient de financements spécifiques ou de leur propre institut, de réaliser en interne les formations « qui rapportent » et de déléguer à l’interprofessionnel les formations « qui coûtent ». Certaines se livrent à ce petit jeu, tant il est vrai que tant qu’il y aura de l’argent, il n’y en aura jamais assez pour tout le monde (ce qui n’empêche pas les grandes déclarations de principe sur la solidarité et l’anticapitalisme, et la vérification des comptes des autres). Constat un peu amer, mais au final qui pèse peu au regard du travail réalisé, et qui continue, pour développer Solidaires et son outil de formation interprofessionnel.


Gérard Coste


[1] anciennement CFESS : congé de formation économique, sociale et syndicale.

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