La fin de vie
La fin de vie est probablement l’une des questions que chaque personne a le plus de difficultés à aborder sereinement, tant pour elle-même que pour ses proches, ceux et celles qu’elle aime. Nous savons toutes et tous que nous allons mourir, un jour, mais nous avons du mal à inscrire cette réalité dans la continuité de nos vies. Quand nous abordons ce sujet, soit seul avec soi-même, soit en en partageant les questionnements avec d’autres, nous sommes vite envahis par l’amplitude des facettes du sujet.
Solidaires Finances publiques), a été porte-parole de l’Union syndicale Solidaires jusqu’à son départ en retraite, en 2001. Il est co-secrétaire de l’Union nationale interprofessionnelle des retraité∙es Solidaires (UNIRS)
La fin de vie, un débat à avoir aussi dans le mouvement syndical
La fin de vie induit des réflexions de nature spirituelle, religieuse, faisant référence à des croyances, des habitudes culturelles, à des questions éthiques, philosophiques, médicales, et aussi sociales et économiques. Une organisation syndicale ne peut que laisser chaque personne avec ses doutes, ses interrogations, ses peurs et ses angoisses, armée seulement de ses croyances, de ses expériences tirées de sa propre vie, de ses sensibilités et de ses valeurs. Cependant, les aspects économiques et sociaux de cette phase de nos vies nous montrent que les organisations syndicales doivent certainement investir aussi ces domaines de la vie sociale de leurs membres. C’est d’autant plus nécessaire que les fins de vie sont souvent conditionnées par la vie antérieure de chacune et de chacun, particulièrement sa vie professionnelle.
En outre, une société où de plus en plus de domaines sont financiarisés et ouverts au marché est une société où toutes les phases de la vie intéressent la finance et peuvent être un domaine d’où il serait possible d’extraire des profits. Les organisations syndicales doivent donc intervenir pour garantir que chaque personne soit également libre de choisir sa fin de vie, quelle que soit sa situation, sans contraintes financières éventuelles. Enfin, proposer de débattre de telles questions au sein des organisations syndicales, c’est proposer à chaque membre de l’organisation un espace où il soit possible d’aborder des questions difficiles, même si elles touchent à l’intimité de chacune et de chacun. C’est un peu essayer de se libérer collectivement de certaines de nos peurs et de certains de nos blocages. Et si ce sont plutôt les secteurs « retraités et retraitées » des organisations syndicales qui abordent le moins difficilement ces sujets, c’est tout simplement que leurs adhérentes et adhérents ont, par leurs années vécues, acquis une relative familiarité avec la maladie et avec la mort. La mort n’est toutefois pas une spécificité liée à l’âge, elle peut survenir à tout moment d’une vie humaine. C’est ainsi un domaine où l’expérience des plus anciennes et des plus anciens peut aider à la réflexion collective.
Tout ce qui touche à la fin de vie est un domaine où le législateur est déjà intervenu, parfois depuis de nombreuses années. C’est donc un lieu où se confrontent des droits établis et où certaines nouvelles demandes s’expriment pour étendre le champ de ces droits, non pas pour en faire une obligation pour toutes et tous, mais pour être une possibilité offerte à chacune et chacun de « choisir » sa fin de vie, dans la mesure où la possibilité de choix peut être effective.
L’évolution des droits de la personne malade à travers les évolutions de la législation
Cette évolution résultant d’une succession de textes, de rapports et de débats Le décret du 23 février 1983 portant création du Comité consultatif national d’éthique (CCNE) : le CCNE a été créé à la suite de la naissance d’Amandine, le premier bébé français conçu par fécondation in vitro en 1982. Parmi les thèmes les plus fréquemment abordés dans ses travaux figurent le don des éléments du corps humain (sang, gamètes, organes, etc.), la fin de vie, la génomique, l’assistance médicale à la procréation, etc. Par ses travaux et ses avis (en 1991, en 1998, 2000, 2013 et 2019), le CCNE va notamment contribuer à faire vivre le débat public sur la fin de vie.
En 1987, mise en place à l’hôpital des premiers services de soins palliatifs :ces services étaient ouverts aux patients et patientes en fin de vie ou souffrant de graves douleurs.
La première loi Kouchner du 9 juin 1999 : cette loi vise à garantir le droit à l’accès aux soins palliatifs et instaurer le droit à la sédation. Elle stipule que toute personne malade, dont l’état le requiert, a le droit d’accéder à des soins palliatifs et à un accompagnement. La personne malade peut également s’opposer à toute investigation ou thérapeutique. Il faut savoir que les soins palliatifs sont définis comme des soins actifs et continus, pratiqués par une équipe médicale interdisciplinaire, en institution ou à domicile. Ils visent à soulager la douleur, à apaiser la souffrance psychique, à sauvegarder la dignité de la personne malade et à soutenir son entourage. Et la sédation consiste à endormir profondément une personne atteinte d’une maladie grave et incurable pour soulager ou prévenir une souffrance réfractaire. Elle est associée à une analgésie et à l’arrêt des traitements de maintien en vie.
La deuxième loi Kouchner du 4 mars 2002 : cette loi porte plus particulièrement sur les droits des malades et sur la qualité du système de santé. Elle établit la notion juridique de droit des malades, introduit la notion de démocratie sanitaire et lance un plan de développement des soins palliatifs.
Le rapport Marie de Hennezel d’octobre 2003 : il propose de s’orienter vers une politique volontariste et cohérente de la formation des professionnelles et professionnels de santé, une meilleure compréhension des situations limites, un droit à l’information de la personne malade et mourante et une nécessité du dialogue avec elle, tout comme le développement d’une culture de l’accompagnement.
La loi Léonetti du 22 avril 2005 : cette loi relative aux droits des malades en fin de vie fait suite à la loi du 4 mars 2002 sur les droits des malades. Le texte a pour objet d’éviter les pratiques d’euthanasie et d’empêcher également l’acharnement thérapeutique, qui est qualifié d’« obstination déraisonnable » dans le traitement des malades en fin de vie. Il permet au patient ou à la patiente de demander, dans un cadre défini, l’arrêt d’un traitement médical trop lourd. Cette volonté peut être exprimée par le biais de directives anticipées ou par le recours à une personne de confiance. La loi propose de développer des soins palliatifs donnés aux patient∙es en fin de vie, afin de prendre en compte leurs souffrances.
La mission Léonetti de décembre 2008 : elle a notamment pour but de voir comment est appliquée la loi de 2005. Elle constate que la loi sur le droit des malades en fin de vie est méconnue et mal appliquée, que cette loi ne constitue pas un « droit à la mort » et que les droits des personnes en fin de vie doivent être reconnus. Elle propose la création d’un Observatoire des pratiques médicales de la fin de vie, le recours à des médecins référents en soins palliatifs dans les cas litigieux ou les plus complexes, la précision des modalités d’application des arrêts de traitement de survie.
L’inauguration de l’Observatoire de la fin de vie le 19 février 2010 : cet Observatoire, voulu en 2008, est alors effectivement mis en place. Il va mener des études sur les conditions de la fin de vie en France.
Le rapport Sicard du 18 décembre 2012 : le rapport « Penser solidairement la fin de vie » est remis par le professeur Didier Sicard, ancien président du Comité national consultatif d’éthique, au président de la République, François Hollande. Il constate l’insuffisante application des trois lois déjà votées, celle visant à garantir l’accès aux soins palliatifs, celle relative aux droits des malades et celle relative à l’obstination « déraisonnable » du corps médical et à la prolongation artificielle de la vie du patient ou de la patiente. Il fixe quelques pistes : le respect impératif de la parole du ou de la malade et de son autonomie, le développement absolument nécessaire d’une culture palliative, l’abolition de la frontière entre soin curatif et soin palliatif, la nécessité de décisions collégiales, l’exigence de déjà appliquer les lois actuelles plutôt que d’essayer d’en imaginer de nouvelles, l’utopie de vouloir résoudre par une loi la grande complexité des situations de fin de vie et le danger de franchir la barrière d’un interdit. Le rapport souligne que si le législateur prenait la responsabilité d’une dépénalisation de l’assistance au suicide, il faudrait affirmer fortement le strict choix de la personne, garanti par son autonomie. Il déclare que l’euthanasie engage profondément l’idée que se fait une société du rôle et des valeurs de la médecine. En conclusion, il affirme qu’un véritable accompagnement de fin de vie ne prend son sens que dans le cadre d’une société solidaire qui ne se substitue pas à la personne, mais lui témoigne écoute et respect au terme de son existence.
L’avis du 1er juillet 2013 du Comité consultatif national d’éthique pour les sciences de la vie et de la santé (CCNE) : l’avis sur « La fin de vie, l’autonomie de la personne, la volonté de mourir » met en avant plusieurs recommandations : la nécessité de faire cesser toutes les situations d’indignité qui entourent encore trop souvent la fin de vie, la nécessité de rendre accessible à toutes et tous le droit aux soins palliatifs, la nécessité de développer l’accès aux soins palliatifs à domicile, le respect des directives anticipées émises par la personne (trop souvent elles ne sont considérées que comme des souhaits, les décisions étant prises par les médecins). Le CCNE demande que, lorsqu’elles ont été rédigées en présence d’un médecin traitant, et dans des circonstances où une maladie grave a été annoncée, les directives anticipées soient contraignantes pour le corps médical, sauf exception dûment justifiée par écrit. Ceci comprend notamment le respect du droit de la personne en fin de vie à une sédation profonde jusqu’au décès, si elle en fait la demande, lorsque les traitements, voire l’alimentation et l’hydratation, ont été interrompus à sa demande, ce qui implique de développer la formation des professionnel∙les et leurs capacités d’écoute et de dialogue. En ce qui concerne le droit d’une personne en fin de vie à avoir accès, à sa demande, à un acte médical visant à accélérer son décès et/ou le droit à une assistance au suicide, le CCNE n’a pas abouti à l’expression d’une réflexion et de propositions unanimement partagées. Des membres du CCNE recommandent de ne pas modifier la loi, estimant qu’elle opère une distinction utile et essentielle entre « laisser mourir » et « faire mourir », même si ceci peut être parfois assez flou. D’autres membres du CCNE estiment que la frontière entre « laisser mourir » et « faire mourir » a déjà, de fait, été abolie par la loi de 2002 sur les droits des malades et celle de 2005 sur la fin de vie : ces lois reconnaissent le droit d’une personne a demander au médecin d’interrompre des traitements vitaux, ou son alimentation et son hydratation, ce qui, de fait, reconnaît aux médecins le droit de « faire mourir » ou d’aider une personne, à sa demande, à « mettre un terme à sa vie » ; et ils se demandent pour quelles raisons certaines formes de « demande d’aide à mette un terme à sa vie » seraient autorisées alors que d’autres seraient interdites.
Les États généraux de la fin de vie du 16 décembre 2013 : les conclusions des réflexions de ces citoyens et citoyennes « représentatifs et représentatives des Français et des Françaises » sont favorables à la légalisation du suicide médicalement assisté à l’exception de l’euthanasie.
La proposition de loi Alain Clayes et Jean Léonetti du 12 décembre 2014 : ce texte fait le constat que les différentes lois successives restent méconnues des malades et aussi des médecins, ce qui limite leur bonne application. Il est prévu que les malades en phase terminale, dont le pronostic vital est engagé à court terme, auront le droit de demander une sédation profonde et continue jusqu’à leur décès. Cette sédation s’accompagnera obligatoirement de l’arrêt de tous les traitements de maintien en vie. Le texte propose également la rédaction de directives anticipées sur un modèle standardisé, sans durée de validité, révisables à tout moment et figurant sur la carte Vitale de l’assuré social.
Le plan national pour le développement des soins palliatifs et l’accompagnement en fin de vie du 3 décembre 2015 : ce plan programmé pour les années 2015 – 2018 veut répondre à deux priorités, placer le patient au cœur des décisions qui le concernent et développer les prises en charge palliatives partout, y compris au domicile.
La création du Centre national des soins palliatifs et de la fin de vie (CNSPFV) le 5 janvier 2016 : en 2016, la création de ce Centre résulte de la fusion de deux organismes préexistants, dont l’Observatoire national de la fin de vie (ONFV) installé en 2010. Il est placé auprès du ministre des Solidarités et de la Santé. Il est chargé de contribuer à une meilleure connaissance des conditions de la fin de vie en France et d’informer le grand public ainsi que les professionnels de santé de la législation en vigueur sur la fin de vie et les soins palliatifs.
La loi Clayes-Léonetti du 2 février 2016 : cette loi renforce le droit d’accès aux soins palliatifs mis en place par la loi du 9 juin 1999. Elle met à disposition les directives anticipées et la désignation de la personne de confiance, pour permettre aux malades d’exprimer leurs volontés. Elle clarifie les conditions de l’arrêt des traitements au titre du refus de l’obstination déraisonnable, en réaffirmant le droit du malade à l’arrêt de tout traitement, à bénéficier de la sédation profonde et continue jusqu’au décès lorsque le pronostic vital est engagé à court terme, en plaçant le patient au cœur du processus décisionnel en rendant ses directives anticipées contraignantes pour le médecin. La loi érige les droits en termes d’accès aux soins palliatifs et d’accompagnement de la fin de vie et pose le cadre de la procédure collégiale et de la décision médicale. Les directives anticipées deviennent l’expression de la volonté du patient devenu hors d’état de le faire et s’imposent désormais au médecin. À défaut de l’existence de directives anticipées, la loi permet de prendre en compte l’expression des volontés exprimées par le patient et portées par le témoignage de la personne de confiance ou, à défaut, tout autre témoignage de la famille ou des proches.
Le 3 août 2016, sont signés les décrets d’application relatifs aux directives anticipées et à la sédation profonde et continue. Le rapport de l’Inspection générale des affaires sociales (IGAS), d’avril 2018, sur l’évaluation de l’application de la loi du 2 février 2016 sur la fin de vie : deux ans après le vote de la loi, l’IGAS constate que la loi offre une réponse adaptée à la prise en charge de l’immense majorité des parcours de fin de vie et que son appropriation progresse sur le terrain. Le nombre de personnes affirmant connaître la législation a progressé, il y a plus de personnes qui rédigent des directives anticipées et le dialogue sur la fin de vie entre professionnels de santé et patients s’est ouvert et amélioré. Le droit au recours à la sédation profonde et continue jusqu’au décès s’instaure peu à peu. Cependant, l’IGAS souligne aussi que l’information du grand public comme des professionnels est insuffisante, que la discipline universitaire des soins palliatifs n’est pas structurée comme il serait nécessaire et que la diversité des situations est grande sur le terrain, selon les équipes, les types de structures, les lieux de prise en charge et les caractéristiques des malades. L’IGAS estime nécessaire le renforcement de l’offre de soins palliatifs sur l’ensemble du territoire afin de pouvoir prendre en charge partout la fin de vie à domicile et dans les EHPAD, dans les services d’hospitalisation à domicile, etc. Il note que la stabilité du cadre juridique est une condition de sa bonne appropriation par les professionnels et par les personnes en fin de vie, leur famille et leurs proches.
L’affaire Vincent Lambert du 28 juin 2019 : à la suite d’un accident de la route survenu en 2008, Vincent Lambert, né en 1976, plonge dans un état végétatif chronique. Les membres de sa famille sont en conflit concernant les suites à donner. Plusieurs décisions de justice ont, coup sur coup, durant plus de six ans, suspendu puis validé l’arrêt des traitements sans que l’état du patient s’améliore. Le 28 juin 2019, la Cour de cassation casse et annule l’arrêt du 20 mai 2019 de la Cour d’appel de Paris qui ordonnait la reprise des traitements. Vincent Lambert meurt le 11 juillet 2019 au CHU de Reims, huit jours après l’arrêt des traitements et de l’alimentation qui le maintenaient en vie. Cette affaire, largement médiatisée, va poser publiquement la question de l’autorisation de l’euthanasie et celle de sa mise en œuvre.
La proposition de loi (Assemblée nationale) du 19 janvier 2021 visant à affirmer le libre choix de la fin de vie et à assurer un accès universel aux soins palliatifs en France : cette proposition de loi « transpartisane », signée par 24 députés, part des constats faits pendant la crise de la covid-19 que la France manque d’outils juridiques qui pourraient permettre à tout un chacun de choisir sa fin de vie. Il est souligné que malgré la loi interdisant l’obstination déraisonnable, il existe encore des cas d’acharnement thérapeutique, puisqu’un praticien peut décider seul de continuer les soins, dont la nutrition et l’hydratation du patient, malgré un constat de vie posé, sans que la personne de confiance n’en soit informée. En effet, la loi actuelle ne permet pas la communication du dossier médical du patient en fin de vie à la personne de confiance. Par ailleurs, l’organisation des soins palliatifs est très déficiente : tous les territoires n’ont pas le même accès à ces services, certains n’en possédant aucun. Enfin, la sédation profonde ou longue et inconsciente permet le recours à des traitements sédatifs dans le cas d’un arrêt des traitements curatifs dans les seuls cas où la mort doit intervenir à brève échéance, empêchant ainsi de nombreux patients de choisir leur fin de vie en amont de la dégradation de celle-ci. La proposition de loi vise à affirmer le libre choix de la fin de vie et à assurer un accès universel aux soins palliatifs en France. Elle définit l’aide active à mourir, l’inscrit et l’encadre au sein du code de la Santé Publique. Elle définit aussi le protocole suivi par le ou les médecins afin de valider la demande du bénéfice de l’aide active à mourir et sa pratique. Elle précise le protocole juridique qui suit l’intervention d’une aide active à mourir, ainsi que la rédaction des conclusions médicales. Elle définit le maintien de la clause générale de conscience des médecins, ainsi qu’une clause spécifique pour cette aide à mourir. Elle précise les conditions de désignation d’une personne de confiance et les modalités de la rédaction des directives anticipées. L’accès universel aux soins palliatifs est normalement garanti.
La proposition de loi (Sénat) du 3 mars 2021 visant à établir le droit à mourir dans la dignité : cette proposition de loi émane de sénateurs et sénatrices socialistes. Le texte entend conforter le « droit de bénéficier de l’aide active à mourir ». Cette proposition de loi, selon sa rapporteuse, entend, d’une part, répondre à des situations exceptionnelles auxquelles la législation sur la fin de vie n’apporte pas de réponse satisfaisante et, d’autre part, rendre pleinement effectif le droit de toute personne à bénéficier de soins palliatifs et d’un accompagnement de qualité afin de mourir dans la dignité. La sénatrice Michelle Meunier souligne que la détresse de certains malades confrontés à des situations où l’obsession thérapeutique ou curative reste sourde à leur libre arbitre, de même que les difficultés de la prise en charge palliative mises en lumière par la crise sanitaire de la covid-19, rappellent l’urgence qu’il y a à réunir les conditions d’un accompagnement éthique et solidaire de la fin de vie. Elle estime qu’il faut développer une véritable culture palliative au sein du système de soins hospitalier et ambulatoire du fait des lacunes et ambiguïtés du droit et d’une prise en charge excessivement focalisée sur le curatif. Elle considère qu’au nom de la primauté de la volonté du patient, il faut réformer le cadre juridique de la fin de vie en reconnaissant le droit à l’aide active à mourir. La sénatrice Marie-Pierre de La Gontrie a souligné que « devoir quitter son pays pour mourir est une violence supplémentaire ». Et le sénateur Bernard Jomier a ajouté : « Il faut regarder les choses en face, il y a un certain nombre de personnes pour lesquelles la législation actuelle n’est pas adaptée. Elles ne sont peut-être pas très nombreuses mais elles sont assez nombreuses pour que le législateur remette le sujet à l’ordre du jour et fasse évoluer la loi ». La proposition de loi n’a été repoussée que par une courte majorité à cause d’un vote massif des sénateurs du groupe Les Républicains (LR) contre la légalisation de l’aide active à mourir.
Les débats du 8 avril 2021 à l’Assemblée nationale sur la proposition de loi du 19 janvier 2021 : la proposition de loi transpartisane était notamment portée par le groupe Libertés et Territoires et le député Modem Olivier Falorni. La période pouvait sembler « favorable », du fait que de récents sondages montraient que 96 % de l’ensemble des Français se déclaraient favorables à la légalisation de ce nouveau droit et aussi 71 % des médecins. Par ailleurs, quatre propositions de lois étaient en cours à l’Assemblée nationale sur ce thème : celle d’Olivier Falorni donc, celle de Marie Brenier, cosignée par 25 de ses collègues, visant à affirmer le libre choix de la fin de vie et à assurer un accès universel aux soins palliatifs en France, celle de Caroline Fiat, cosignée par 16 de ses collègues, relative à l’euthanasie et au suicide assisté, et celle de Jean-Louis Touraine, cosignée par 165 de ses collègues, visant à garantir et renforcer les droits des personnes en fin de vie. Sur le papier, les députés favorables à l’aide active à mourir représentaient plus de la moitié des parlementaires du Palais Bourbon. Mais le débat n’a pu aboutir le 8 avril à cause de plus de 3 000 amendements déposés par 5 députés. Malgré cette obstruction, 83 % des députés ont eu le temps de voter l’article 1 définissant ce droit et les conditions d’accès à une aide active à mourir. Il apparait que les partisans de la loi sont majoritaires, y compris dans le parti présidentiel, mais le ministre de la santé (Olivier Véran) et le gouvernement, ne veulent pas déplaire aux républicains qui sont fortement opposés à tout élargissement de la loi. Le ministre de la santé détourne le sujet en annonçant un vaste « plan national des soins palliatifs et d’accompagnement de la fin de vie », une réforme attendue notamment par les personnels soignants depuis 2019 et qui n’a jamais eu lieu.
L’avis 139 du CCNE du 30 juin 2022 rendu public le 13 septembre 2022 : cet avis de juin 2022, rendu au nom de la majorité des membres du CCNE (et pas à l’unanimité) fait suite à une auto-saisine du Comité consultatif national d’éthique de juin 2021. Il s’agissait, pour le CCNE, d’approfondir certains enjeux éthiques du débat relatifs aux modalités d’amélioration de la mise en œuvre des dispositions législatives et réglementaires existantes, et aussi aux modalités de prise en charge des situations complexes de personnes dont le pronostic vital n’est pas engagé « à court terme », mais qui sont néanmoins confrontées au caractère inéluctable de leur mort prochaine, soit du fait d’une maladie grave, évolutive et incurable, soit du fait d’une décision d’arrêt de traitements de soutien vitaux. Le CCNE interroge sur les exigences éthiques qui doivent guider l’accompagnement des personnes en fin de vie : comment respecter la liberté individuelle de fixer pour soi-même les limites de la souffrance physique et psychique, sans rien abandonner de l’exigence médicale, sociale et éthique consistant à tout mettre en œuvre pour soulager et répondre à la douleur et la détresse par des soins, par un accompagnement et une sollicitude ajustée ? Il souligne que deux expressions de la fraternité sont ici mises en tension : une fraternité qui s’exprime dans l’aide active à mourir, une autre dans l’aide à vivre jusqu’à la mort dans des conditions permettant le soulagement des souffrances et le respect de l’autonomie des personnes. Le CCNE déplore la modestie des moyens engagés dans les divers « plans de développement des soins palliatifs » et la persistance des inégalités d’accès aux soins palliatifs (les situations territoriales demeurent inéquitables et hétérogènes). Le rôle et la place de la personne de confiance doivent être davantage reconnus et décisifs : les décisions de limitation ou d’arrêt de traitements reposant sur des déterminants peu médicaux et plus en rapport avec les valeurs de la personne malade se doivent d’être particulièrement attentives au témoignage de la personne de confiance. Par ailleurs, le CCNE note que le faible nombre de directives anticipées rédigées par les citoyens français est problématique et souligne une insuffisante appropriation de ce dispositif législatif par la population. Le CCNE rappelle que la procédure collégiale prévue par la loi est conduite notamment quand se pose la question de la limitation ou de l’arrêt de thérapeutiques actives des personnes en fin de vie qui ne sont pas/plus en mesure d’exprimer leurs volontés, ou la mise en place d’une sédation profonde et continue maintenue jusqu’au décès, demandée ou envisagée. Le CCNE estime que ce processus exige des compétences plurielles et nécessite du temps et de la disponibilité.
Dans cet avis, le CCNE a voulu travailler sur la situation des personnes qui souffrent de maladies graves et incurables, provoquant des souffrances réfractaires (c’est-à-dire dont la perception est insupportable et qui ne peuvent être soulagées en dépit des efforts obstinés pour trouver un protocole thérapeutique adapté) et dont le pronostic vital n’est pas engagé à court terme, mais à moyen terme. Ces personnes, en l’état du droit, ne rencontrent pas de solution à leur détresse. Le CCNE souligne que certaines législations étrangères ont ouvert la voie d’une aide active à mourir pour les personnes dont le pronostic vital est engagé à un horizon de quelques mois. Certains États fixent à 6 mois l’horizon du pronostic vital à l’intérieur duquel une assistance au suicide est légale. D’autres, s’agissant de l’euthanasie et de l’assistance au suicide, retiennent 12 mois en cas de pathologie neurodégénérative. Le CCNE rappelle que l’assistance au suicide consiste à « donner les moyens à une personne de se suicider elle-même », tandis que l’euthanasie est « un acte destiné à mettre délibérément fin à la vie d’une personne atteinte d’une maladie grave et incurable, à sa demande, afin de faire cesser une situation qu’elle juge insupportable ». Ces deux actes impliquent l’intervention d’un tiers, mais avec un degré d’implication très différent. Dans le cas de l’assistance au suicide, cette intervention peut se limiter à la prescription médicale d’un produit létal tandis qu’en cas d’euthanasie, un médecin administre lui-même le produit. Le CCNE souligne que ceci pose des questions fondamentales : l’interdit de donner la mort est un principe fondateur pour la société tout entière et cet interdit est par ailleurs inscrit dans le code de déontologie de la profession médicale (« le médecin n’a pas le droit de provoquer délibérément la mort ») et rappelé dans le Serment d’Hippocrate. En outre, le droit à la vie est consacré par l’article 2 de la Convention européenne des droits de l’homme (CEDH). Et cette même Convention consacre dans son article 8 le droit au respect de la vie privée et familiale, qui ne peut être limité par l’ingérence de l’autorité publique que pour des motifs limitativement énumérés. Les États signataires en déduisent un droit à l’autonomie et à la liberté de disposer de soi-même. La CEDH n’établit pas de hiérarchie entre ces différents droits fondamentaux et estime qu’il est parfois délicat de concilier ces droits. Le CCNE ajoute qu’il faut alors rechercher le meilleur compromis possible entre les droits concurrents, en acceptant qu’il soit porté une atteinte, la plus limitée possible, à un droit, pour éviter que son affirmation intransigeante ne porte une atteinte plus grave à un autre droit lui aussi fondamental. Ces appréciations doivent être effectuées de manière concrète, au cas par cas. Le CCNE souligne que le droit à la vie ne vaut pas devoir de vivre une vie jugée insupportable par celui ou celle qui la traverse : il n’y a pas d’obligation à vivre. Et il estime que le droit à la vie peut être mis en balance avec d’autres valeurs, notamment celle du respect de la liberté de disposer de soi-même : une personne peut souhaiter que son droit à disposer de soi-même l’emporte sur son droit à la vie.
Le rendu des travaux de la Convention citoyenne sur la fin de vie, le 2 avril 2023 : 184 citoyens et citoyennes (de 18 ans à 87 ans) ont ouvert la convention citoyenne sur la fin de vie le 9 décembre 2022 au siège du Conseil économique, social et environnemental (CESE). La mission que la première ministre, E. Borne, qui en est l’initiatrice, a confié à ces personnes qui ont été tirées au sort est de débattre et d’apporter une réponse à cette question : « Le cadre d’accompagnement de la fin de vie est-il adapté aux différentes situations rencontrées ou d’éventuels changements devraient-ils être introduits ? ». Après 27 journées de réunions (9 sessions de 3 jours au CESE) et plus de 4 mois de réflexion, les travaux de cette convention citoyenne se sont terminés le dimanche 2 avril 2023. La convention a dressé une liste de 146 propositions qui peuvent être regroupées sous 4 rubriques :
→ Le cadre actuel d’accompagnement de la fin de vie n’est pas adapté aux différentes situations rencontrées : il y a à cela deux raisons essentielles : d’une part, l’inégalité d’accès à l’accompagnement de la fin de vie et, d’autre part, l’absence de réponses satisfaisantes face à certaines situations de fin de vie, notamment dans le cas de souffrances physiques ou psychiques réfractaires. Il faut donc améliorer l’accompagnement de la fin de vie, et la convention préconise un certain nombre de propositions.
→ L’accès à l’aide active à mourir doit être ouvert : la Convention Citoyenne s’est positionnée majoritairement (75,6% des votants) en faveur de l’aide active à mourir, modalité la plus adaptée pour respecter la liberté de choix des citoyens, combler les insuffisances du cadre légal actuel, notamment les limites de la sédation profonde et continue et pour mettre fin aux situations d’hypocrisie constatées. Majoritairement, elle reconnaît la nécessité de mettre en place à la fois le suicide assisté et l’euthanasie, dans la mesure où le suicide assisté seul ou l’euthanasie seule ne répondent pas à l’ensemble des situations rencontrées.
→ Les situations donnant accès à l’aide à mourir : la volonté du patient doit être respectée dans tous les cas de figure ; c’est le préalable à tout accès à l’aide active à mourir. Le discernement doit être systématiquement pris en compte et analysé, de façon à s’assurer de la volonté libre et éclairée du patient. Ce discernement peut être exprimé via les directives anticipées ou par la personne de confiance. La question de l’âge a été abordée, notamment en ce qui concerne l’accès à l’aide active à mourir pour les mineurs ; certains conventionnels estiment que la volonté est plus complexe à déterminer lorsqu’il s’agit de mineurs, dont les souhaits doivent être conciliés avec ceux de leurs représentants légaux. Sur la question de la condition médicale des patients, les critères d’incurabilité, de souffrance réfractaire et de souffrance physique sont jugés prioritaires. La question du pronostic vital engagé est également évoquée.
→ Les modalités de mise en œuvre de ces parcours : dans tous les cas, l’accès à l’aide active à mourir fait l’objet d’un parcours et d’un accompagnement, sans que des conditions médicales ne soient prises en compte. L’écoute de la demande doit garantir que la volonté exprimée est libre et éclairée. Il doit y avoir un accompagnement médical et psychologique complet incluant une évaluation du discernement de la personne. La validation doit être soumise à une procédure collégiale et pluridisciplinaire. Ceci doit se faire de façon encadrée par le corps médical, dans le lieu choisi par la personne (domicile, hôpital, EHPAD, etc.) et dans le respect de la clause de conscience des professionnels de santé. En cas d’exercice de cette clause, le patient doit être orienté vers un autre professionnel.
→ À la suite des conclusions de la Convention citoyenne, le Président de la République a dit souhaiter un projet de loi d’ici à la fin de l’été 2023 et l’adoption d’un plan décennal sur les soins palliatifs.
L’état des droits actuels
En France, les textes votés depuis un certain nombre d’années, et qui font parfois suite aux travaux rappelés ci-dessus, ouvrent certains doits aux personnes en fin de vie. Mais manifestement pas assez car des personnes qui vivent en France choisissent toujours d’aller mourir en Belgique ou aux Pays-Bas, où leurs droits ultimes sont plus reconnus et respectés. Par ailleurs, le fait que des droits soient ainsi ouverts ne garantit nullement leur exercice, encore faut-il, déjà, que des moyens existent, particulièrement des moyens humains et matériels. Il faut savoir que le nombre de lits disponibles en unité de soins palliatifs est insuffisant par rapport à la demande et que 26 départements n’ont aucun service de soins palliatifs.
Droit au refus de tout traitement : la loi du 1er octobre 2020 prévoit que toute personne doit pouvoir prendre les décisions concernant sa santé, que toute personne peut refuser de recevoir un traitement et qu’aucun traitement ne peut être pratiqué sans le consentement libre et éclairé de la personne, sachant que ce consentement peut être retiré à tout moment. Elle fixe aussi que le médecin doit respecter la volonté de la personne malade après l’avoir informée des conséquences de ses choix et que la décision motivée de limitation ou d’arrêt de traitement est inscrite dans le dossier médical. Pour une personne en phase avancée ou terminale d’une affection incurable, incapable d’exprimer sa volonté, le médecin peut décider de limiter ou d’arrêter un traitement inutile, disproportionné, n’ayant pour but que la seule prolongation artificielle de la vie, en respectant la procédure collégiale de déontologie médicale, et après avoir consulté la famille, des proches ou, à défaut, une personne de confiance. Ainsi, le médecin n’est pas forcément tenu d’accepter de pratiquer un soin qui lui est demandé s’il pense que celui-ci est déraisonnable. Dans tous les cas, le médecin doit sauvegarder la dignité du ou de la mourante, et assurer la qualité de sa fin de vie, en dispensant des soins palliatifs.
Droit au soulagement de la douleur : ce droit figure actuellement à l’article 37 du Code de Santé publique. Ainsi, en toutes circonstances, le médecin doit s’efforcer de soulager les souffrances de la personne malade, par des moyens appropriés à son état, et l’assister moralement. Il doit s’abstenir de toute obstination déraisonnable et peut renoncer à entreprendre ou poursuivre des traitements qui apparaissent inutiles, disproportionnés ou qui n’ont d’autre effet que le seul maintien artificiel de la vie.
Droit au respect des directives anticipées : toute personne majeure peut rédiger des directives anticipées pour le cas où elle serait un jour hors d’état d’exprimer sa volonté. Le médecin est tenu de tenir compte de ces directives, qui sont par ailleurs révisables ou révocables à tout moment. Mais le Conseil constitutionnel, saisi du cas d’un patient ayant exprimé son souhait d’être maintenu en vie, même artificiellement, a estimé que, dans le respect de la procédure collégiale, l’hôpital pouvait juger inutile, et même disproportionné, le maintien des actes et traitements n’ayant d’autre effet que de maintenir artificiellement la vie, sans aucune perspective d’amélioration. Ainsi, le médecin peut déroger aux directives anticipées d’une personne si elles sont « inappropriées » à sa situation, conformément à la « sauvegarde de la dignité de la personne » comme à sa « liberté personnelle ». Cette décision du médecin peut toutefois faire l’objet d’un « recours en temps utile » de la famille ou de proches auprès de la justice.
Droit de se faire représenter par une personne de confiance : toute personne peut désigner une personne de confiance chargée de la représenter pour le cas où elle serait un jour hors d’état d’exprimer sa volonté. Quand la personne malade est hors d’état d’exprimer sa volonté, aucune intervention ou investigation ne peut être réalisée, sauf urgence ou impossibilité, sans que la personne de confiance, ou la famille, ou, à défaut, une personne proche, ait été consultée.
Droit à l’information et droit d’accès au dossier médical : depuis la loi Kouchner de 2002 sur les droits des malades, la « Charte du patient et de la patiente hospitalisé∙e » doit être affichée de façon visible dans tous les hôpitaux. La demande pour obtenir l’accès au dossier médical doit être faite auprès d’un∙e professionnel∙le de santé ou d’un établissement médical. Toute personne, ainsi que sa ou son ayant droit, a accès à l’ensemble des informations concernant sa santé, notamment les résultats d’examen, les comptes rendus de consultation, d’intervention, d’exploration ou d’hospitalisation, les protocoles et prescriptions thérapeutiques mis en œuvre, les feuilles de surveillance, les correspondances entre professionnel∙les de santé.
Les droits de la famille proche : pour accompagner un proche en fin de vie, les salarié∙es du privé, depuis une loi de 2010, et les fonctionnaires, depuis 2013, peuvent bénéficier d’un congé de solidarité familiale, soit sous forme de périodes fractionnées, soit par un emploi à temps partiel. Ce congé ne peut excéder six mois et ne bénéficie qu’aux salarié∙es qui accompagnent un∙e parent∙e (descendant∙e, ascendant∙e, frère, sœur), ou un∙e proche (partageant le même domicile ou personne ayant désignée comme « personne de confiance » celui ou celle qui demande un congé), en phase avancée ou terminale d’une affection grave et incurable.
Le débat sur la fin de vie volontaire
La fin de vie soulève de nombreuses problématiques et touche l’intime de chacun et de chacun, pour nous-mêmes, pour notre propre mort, demain, et face à l’extrême souffrance d’une personne que nous aimons et pour qui la vie est devenue une torture continue, une personne qui demande avec insistance d’en finir une fois pour toute. Nous ne savons comment répondre à la demande formulée par celui ou celle qui refuse son obligation à vivre une telle vie. Mais il nous semble nécessaire que la société, par sa législation, puisse entendre, aider, accompagner cette personne qui ne veut pas affronter un suicide violent, ou qui ne peut plus le faire, mais qui souhaite une « mort douce » (si le rapprochement des deux termes est possible).
Ce questionnement est de plus en plus abordé publiquement dans la société. C’est un sujet sur lequel chacune et chacun peut évoluer au cours de sa vie, par sa propre expérience de la vie et par sa rencontre avec la mort des autres. C’est un sujet qui percute le personnel médical qui, très majoritairement, se déclare défavorable à l’idée de provoquer intentionnellement la mort. C’est un sujet qui interroge encore, y compris dans les pays déjà engagés dans la pratique du suicide assisté. Il est parfois craint qu’une loi sur le suicide assisté remplace, par commodité, une absence de réponse en matière de soins à la personne, une absence d’écoute et d’attention. Il faudrait donc, tout à la fois, aider à vivre et aider à mourir : la possibilité d’un suicide assisté ne doit pas remplacer la nécessaire solidarité entre toutes et tous. Les points de vue des « autorités religieuses » sont souvent rappelés sur ce genre de sujet, toutes les religions s’exprimant en général contre l’euthanasie active. Par ailleurs, dans ce débat, interviennent aussi de multiples associations et structures qui travaillent sur le sujet de la fin de vie. Plusieurs associations militent pour le droit à l’euthanasie, et d’autres militent tout autant pour s’opposer à l’euthanasie.
Enfin, ce qui se passe concrètement dans de plus en plus de pays interfère forcément sur le contenu des débats en France. Nous constatons que dans tous les pays développés, les avancées de la médecine permettent de maintenir artificiellement en vie, parfois pendant de longues années, des personnes plongées dans un coma profond et irréversible. Par ailleurs, l’évolution des mentalités et la priorité de plus en plus souvent donnée au respect de la volonté individuelle conduisent à revendiquer le droit de pouvoir décider soi-même du moment de sa propre mort. Des législations ont déjà évolué en ce sens et les initiatives en faveur de l’euthanasie se sont multipliées. L’examen des différentes législations amène à différencier différentes formes d’euthanasie :
→ l’euthanasie active, c’est-à-dire l’administration délibérée de substances létales dans l’intention de provoquer la mort, à la demande du malade qui désire mourir, ou sans consentement explicite, sur décision d’un proche ou du corps médical :
→ l’aide au suicide, où le patient accomplit lui-même l’acte mortel, guidé par un tiers qui lui a auparavant fourni les renseignements et/ou les moyens nécessaires pour se donner la mort ;
→ l’euthanasie indirecte, c’est-à-dire l’administration d’antalgiques dont la conséquence seconde et non recherchée est la mort ;
→ l’euthanasie passive, c’est-à-dire le refus ou l’arrêt d’un traitement nécessaire au maintien de la vie.
Les Pays-Bas sont le premier pays au monde à avoir légalisé l’euthanasie active, par une loi votée en 2001. La Belgique a suivi dès 2002 en encadrant la pratique de l’euthanasie. Au Luxembourg, l’euthanasie est autorisée depuis 2009. Depuis 2016, l’euthanasie active volontaire est légale au Canada. En 2021, l’Espagne est devenue le sixième pays au monde à légaliser l’euthanasie. En Suisse, l’euthanasie active est punissable en vertu du Code pénal, selon les cas. Mais l’assistance au suicide est pleinement autorisée, dans le respect de trois conditions pour pouvoir y recourir : la personne malade doit être dotée de la capacité de discernement, elle doit s’administrer elle-même la dose létale et le médecin ne doit pas être poussé par un mobile égoïste. En outre, nombre de pays autorisent l’euthanasie passive : l’Autriche, l’Allemagne, l’Italie, le Danemark, la Finlande, la Suède, l’Estonie, la Croatie, la Grèce, la Hongrie, la Slovaquie, la Slovénie, etc.
En mars 2014, dans son Dossier revendicatif général, l’UNIRS regroupait dans un document de 60 pages l’état de ses revendications. En ce qui concerne la fin de vie, il était demandé :
→ Que cessent les situations d’indignité qui entourent encore trop souvent la fin de vie et où le malade est parfois délaissé par les siens.
→ Que le droit aux soins palliatifs soit réellement accordé à tous, y compris à domicile.
→ Que les directives anticipées émises par la personne soient respectées même si elles risquent d’être contraignantes pour les soignants.
→ Que la formation des soignants soit davantage orientée vers leur capacité d’écoute et de dialogue en lien avec les recherches en sciences humaines et sociales sur les situations des personnes en fin de vie.
→ Que la société donne la liberté et la possibilité à chaque personne de décider ou non de la fin de vie qu’elle souhaite et que son choix lui soit garanti.
→ Que les personnels exerçant dans le secteur médical puissent, en raison par exemple de certains actes médicaux à prescrire, exercer leur clause de conscience.
En 2023, les demandes peuvent être réitérées. Là comme ailleurs, il s’agit de trouver un équilibre entre la liberté et l’autonomie de chaque personne et la nécessité des solidarités dans la vie collective. Le droit à choisir sa fin de vie ouvert ainsi aux personnes ne serait pas une obligation : bien entendu, chaque personne pourrait refuser d’exercer ce droit. Mais la société doit se mettre en mesure de répondre à ces demandes sociales.
⬛ Gérard Gourguechon
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