La construction de la Section fédérale des retraité∙es de la FSU

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Comme toute construction sociale, la décision de doter les retraité∙es de la FSU d’une organisation spécifique est issue d’un processus long. En voici retracées les grandes étapes.


Professeure de lettres retraitée, Marylène Cahouet est secrétaire nationale du SNES au titre des retraité·es, coanimatrice de la Section fédérale des retraité·es nationale (SFRN), représentante de la FSU au Haut Conseil de la famille, de l’enfance et de l’âge. Enseignant du premier degré à la retraite, Joël Chenet a été membre du bureau national du SNI-PEGC jusqu’en 1992 (date de l’éclatement de la FEN), puis du secrétariat du SNUIPP (à la FSU). Au nom des retraité·es FSU, il a participé aux premières réunions et actions intersyndicales « retraité·es » entre CGT, FO, FSU et Solidaires, qui ont précédé le Groupe des neuf, où il a été représentant de la FSU jusqu’en 2021.


Manifestation intersyndicale des retraité∙es, à Paris, le 11 avril 2019. [DR]

Avant 1900, il n’y a pas de reconnaissance des retraité∙es en tant que corps social. Mis à part quelques secteurs professionnels (mineurs, cheminots, presse…) ou d’État, globalement depuis 1853, ailleurs il n’y a pas de pensions de retraite liées au métier. Quelques mesures concernant les veuves et orphelins sont mises en place dans la suite de mesures semblables dans les corporations professionnelles. Elles restent marginales. Dans la santé, des mutuelles s’organisent et se multiplient depuis le milieu du XIXème siècle. La première avancée s’organise avec la loi de 1910 sur les retraites ouvrières. Rappelons que cette loi, combattue par le patronat, ne sera mise en œuvre qu’après la guerre de 14/18 et ne concernera que 8% des ouvriers. L’après première guerre mondiale est une période marquée par la crise économique de 1929 et une forte inflation. Les retraites existantes, qui étaient essentiellement fondées sur la capitalisation (y compris celles d’État), ne permettent plus de vivre. Dans la fonction publique, la syndicalisation est interdite. C’est dans ce contexte que Marthe Pichorel fonde la FGR-FP en 1936. Cette création, appuyée sur les instituteurs syndicalistes, marquera profondément l’organisation des retraité∙es dans l’enseignement. L’espérance de vie a progressé à la fin du XIXème et au début du XXème siècle, mais le nombre de salarié∙es retraité∙es reste faible.

Après 1945, malgré la généralisation du droit à la retraite pour les ouvriers, les syndicats se préoccupent peu de l’organisation des retraité∙es. Sur le modèle de la FGR-FP, c’est le choix d’organisation en associations qui est privilégié. Ainsi la CGT crée l’Union des vieux travailleurs de France qui, à l’échelle nationale, mêle loisirs et revendications (par exemple retraite à 60 ans pour les hommes, 55 pour les femmes, transformation des allocations de retraite en pension, etc.).  En 1980, cette association change de nom et devient l’UNRPA, aujourd’hui Ensemble et Solidaire. Des groupements se créent chez les cheminots, les agriculteurs, la poste, dans les grandes entreprises. Le Syndicat national des instituteurs (SNI), qui syndique fortement les enseignants dans le premier degré, laisse les questions qui concernent les retraité∙es à la FGR-FP. Son secrétaire général siège au bureau national. Les actifs des syndicats adhérents sont présents et interviennent dans les congrès. Des avancées sont obtenues : indexation des pensions, prise en compte des reclassements, pension de réversion (qui ne concerne que les hommes décédés pour leurs épouses).

À partir des années 1960, sous le double effet de l’accès plus régulier aux soins après la création de la sécurité sociale et d’une amélioration (limitée) des conditions de travail, on constate une progression des gains d’espérance de vie. Les retraité∙es qui subissent une grande pauvreté (constitution des pensions, souvent une seule par ménage car peu de travail -au moins déclaré- des femmes, pas de réversion dans le secteur privé…), commencent à intervenir dans le paysage politique et syndical. En 1968, on compte 5 millions de retraité∙es (18 millions en 2022). Des mesures sont obtenues pour faire face à la grande pauvreté et augmenter les pensions.

Quelques dates
1947 : création de l’AGIRC pour les cadres.
1956 : allocation minimum vieillesse (une mesure existait déjà depuis 1905).
1961 : création de l’ARRCO.
1971 : création de l’IRCANTEC pour les fonctionnaires non titulaires.
1972 : généralisation des retraites complémentaires pour les salariés du privé.
1982 : retraite à 60 ans.
1993 : Fonds solidarité vieillesse.
2000 : Création du Conseil d’orientation des retraites (COR).


Et dans l’Education nationale ?

L’évolution est en fait bloquée par la présence de la FGR-FP, association puissante qui regroupe (avec d’autres forces syndicales) quasiment l’ensemble des syndicats de la FEN. Une sorte de FEN retraités ! L’organisation des retraité∙es en tant que tels, n’existe qu’au SNES (enseignement secondaire), où ils sont considérés comme une catégorie : élection des responsables, présence au secrétariat national, budget spécifique, etc. Dans le Syndicat national des instituteurs (SNI), il n’existe même pas de commission. Il faut cependant noter que les délégations des « actifs et actives » dans la FGR-FP respectent les rapports de force entre les courants de pensée de la Fédération de l’éducation nationale (FEN) : UID (Unité, indépendance, démocratie), UA (Unité et action) et EE (École émancipée). A la Commission exécutive nationale, deux camarades issus de la tendance U et A siègent.

Le choc de 1992

La création de la FSU, du SNUIPP… va bousculer cet ordre des choses. Si le SNUIPP crée une commission de 6 membres retraités pour éclairer les réflexions du secrétariat, la principale décision est d’adhérer à la FGR-FP, décision validée en janvier 1993. La réaction de la FGR-FP, qui a rechigné à accepter le SNUIP, organise l’isolement de ses membres. Le congrès de Lamoura exclut le camarade du premier degré de la Commission exécutive par un vote organisé par la direction. Les congrès d’Ajaccio et Paris refusent toute participation dans le cadre des candidat∙es élu∙es. Sa seule présence se résume à un camarade représentant le syndicat, puisque ce dernier compte plus de 2000 adhérent∙es (cf. statuts de la FGR-FP). De façon paradoxale, cette volonté d’exclure va contraindre les militants et militantes retraité∙es des syndicats nationaux de la FSU de construire un travail en commun, qui conduira à la création de la section fédérale des retraité∙es nationale, et à lever en partie les réticences de la direction du SNUIPP. Sa commission « retraités » comprendra 25 membres ; des expressions en direction des retraité∙es se mettent en place. Chaque congrès débattra de la place des retraité∙s et de leur expression dans l’organisation. Chaque étape marquera des progrès.


Le SNES retraité∙es poursuit son travail de syndicalisation en direction des actifs et actives (les futur∙es retraité∙es) en intervenant dans les instances et en organisant des stages. Un groupe actif « retraité∙es » se met en place dans la FSU pour élaborer des revendications communes à l’ensemble des retraité∙es de la FSU et faire le point des différences réelles entre les différents secteurs. Dans la FSU aussi, une expression commune en direction des retraité∙es va se construire. Mais les retraité∙es ne peuvent intervenir, par exemple dans les congrès et dans les réunions du Conseil délibératif fédéral national (CDFN), que s’ils ou elles sont désigné∙es par leur syndicat d’origine. Pendant plusieurs années il n’y aura pas de retraité∙e dans les délégations de plusieurs syndicats ; au SNUIPP par exemple. Cette situation n’était plus acceptable et le congrès de Lille de la FSU appellera tous les syndicats de la FSU à faire une place aux retraité∙es dans leurs délégations. Cette évolution tient aussi aux décisions politiques, notamment la loi Fillon qui organise la césure actifs/retraités en matière de salaires et pensions dans la fonction publique.

Les retraité∙es de la FSU vont commencer à créer des contacts avec les autres syndicats de retraité∙es (notamment des rencontres avec l’UCR-CGT), demander leur adhésion à l’inter UCR, demander à entrer dans les organismes comme les CODERPA. Les évolutions ont été lentes, avec des anecdotes amusantes. Ainsi dans un congrès national FGR-FP, la représentante de la CGT demandera au secrétaire général de la FGR-RP la possibilité de répondre à notre demande de rencontre ! Le principal obstacle avancé, tant par les UCR qu’au plan de la représentation de la FSU dans les organes officiels, est la non-existence dans la FSU d’une structure organisée « retraités ». Ce n’était qu’un prétexte, les retraité∙es de Solidaires commençant à s’organiser et la CFDT refusait notre présence qui aurait changé les équilibres au sein de l’inter UCR. Outre la montée des effectifs syndiqués retraités dans tous les syndicats, la mise en place -différente- de lieux de concertation, de rencontre dans les syndicats, la volonté de créer un lien unitaire avec les autres forces retraité∙es amènera à la décision du congrès de Marseille en 2007.

Le congrès de Marseille, en 2007

Il faut rappeler que la FSU, par ses statuts, est construite sur trois piliers : les syndicats nationaux, les sections départementales et les courants de pensée. Le congrès de Marseille en 2007 met en place officiellement les Sections fédérales de retraité∙es (SFR) avec, au niveau national, la création de la Section fédérale retraité∙es nationale (SFRN). Extraits du congrès : « Face à un constat : la croissance rapide du nombre de retraités, la dégradation de leur situation suite à la loi Fillon, imposent de mieux intégrer les retraités et leurs problèmes dans la réflexion et l’activité syndicale fédérales. Cela implique de poursuivre les évolutions engagées pour construire le syndicalisme dont les retraités ont besoin et qu’ils développent en premier lieu dans leurs syndicats respectifs. Il s’agit de leur faire toute leur place dans la FSU, d’y assurer le développement d’un syndicalisme des retraités et sa représentation dans les organismes où s’élabore la politique qui concerne les retraités et personnes âgées. Pour répondre à ces objectifs […] le congrès décide […] « Les retraités, adhérents des syndicats nationaux de la FSU, sont regroupés au niveau national, départemental [et régional] en une section des retraités, rattachée à la structure fédérale du même niveau qui la mandate. Celle-ci prend le nom de Section fédérale des retraités. Chaque section est animée par un collectif, composé et désigné selon les mêmes règles que les collectifs d’animation des secteurs nationaux permanents d’activité (cf. RI). Chaque collectif inclut les retraités membres du conseil délibératif fédéral du niveau correspondant ; ses propositions sont soumises à l’instance délibérative fédérale du niveau correspondant. » Mais l’équilibre statutaire doit être respecté : les retraité∙es ne siègent pas dans les instances au titre de la SFR mais au titre de leur Syndicat national ou courant de pensée. Ainsi, ils et elles ne siègent ni au bureau ni au secrétariat national.

Entre 2007 et 2023

Les retraité∙es ont eu à cœur de développer les SFR et la SFRN. Ils et elles organisent des stages, ont une publication spécifique (3 ou 4 numéros par an). Ils tiennent « les Journées d’automne » sur deux jours, moments de réflexion et de discussion fort appréciés des adhérent∙es qui viennent de toute la France. Mais la place des SFR dans la fédération, leur participation aux débats fédéraux etc., ne vont pas de soi. Et les revendications des retraité∙es s’expriment régulièrement lors des congrès, en rappelant la nécessité des liens avec les actifs et actives, le continuum de la prise en charge des intérêts des personnels tout au long leur vie (formation, exercice professionnel, retraite), avec des revendications communes avec les actifs/actives et d’autres plus spécifiques. Les retraité∙es soulignent l’importance du Groupe des 9 qui, à l’initiative de mobilisations, fait des retraité∙es un élément majeur du mouvement social, et de notre syndicalisme un acteur incontournable.


[DR]

Des avancées sont évidentes : la direction de la FSU a décidé d’inviter les retraité∙es dans les instances à tous les niveaux quand une question porte sur les dossiers retraité∙es. La participation de représentant∙es de la SFRN aux débats du Bureau délibératif fédéral national (BDFN) a aussi traduit ces progrès. Au congrès de Metz, en 2022, la FSU décide d’inscrire la question de la protection sociale dans un grand secteur « Situation des personnels et protection sociale », agrégeant toutes les expertises des actif-ves et des retraité∙es.  Est décidé également un groupe de travail actifs/actives – retraité∙es pour ce faire. Toutefois, beaucoup reste à faire pour intégrer les retraité∙es au fonctionnement de la FSU. Les syndicats nationaux sont loin d’être tous représentés à la Section fédérale des retraité∙es nationale (SFRN). La revue Pour », revue nationale de la FSU, ne reflète toujours pas suffisamment convenablement les problématiques, réflexions et initiatives des retraité∙es.


⬛ Marylène Cahouet et Joël Chenet

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