La journée de la chemise… et 30 ans de luttes radicales à Air France
La direction d’Air France devait présenter le 5 octobre dernier (il y a près d’un an donc – nde) un nouveau plan de suppressions d’emplois lors d’un CCE. Ce « plan B » est présenté comme la conséquence de l’échec des « négociations » avec les syndicats de pilotes, en l’occurrence le syndicat majoritaire SNPL (Syndicat National des Pilotes de Lignes), et prévoit 2900 suppressions d’emplois : 1700 personnels au sol, 900 PNC (personnels Navigants commerciaux, les stewards et hôtesses) et 300 pilotes. Pour la première fois dans l’histoire de l’entreprise, la direction évoquait des licenciements secs.
À l’appel d’une intersyndicale (mais sans la CFDT la CGC), devant le siège à Roissy, 3000 manifestants représentatifs de toutes les catégories de personnels (navigants et sol) expriment leur ras le bol des plans successifs – le troisième en quatre ans – à l’origine de 8000 suppressions d’emplois, avec des accords d’entreprise revus et systématiquement dégradés, les rémunérations bloquées, le tout avec la complicité de certaines organisations syndicales, sol et navigants. Manifestation très dynamique, accentuée par la dimension unitaire, perçue par la pluparts des manifestant-e-s comme un événement exceptionnel. En effet, les directions successives d’Air France ont toujours joué tactiquement la division, sociale autant que symbolique, entre pilotes et salariés du sol, aidées en cela par un hyper corporatisme historique du SNPL.
La direction actuelle a même mis le paquet ces dernières semaines auprès des médias, sur le thème des « pilotes privilégiés qui refusent de travailler quelques heures de plus, mettant ainsi Air France en péril et portant de fait la responsabilité des suppressions d’emplois » ! Les médias dans leur quasi-totalité reprendront en chœur la fable d’une compagnie aérienne au bord de la faillite et des pilotes égoïstes. En fait, au-delà des arguments objectifs de la concurrence des compagnies low cost, des compagnies du Golfe subventionnées par leurs Etats et des taxes aéroportuaires, le véritable objectif de la direction est bel et bien d’optimiser la rentabilité des capitaux investis par les actionnaires – le fameux ROCE, Return On capital Employed – dans une industrie considérée comme obsolète à ce niveau. La direction du groupe Air France-KLM a donc mis en œuvre cette stratégie de rentabilisation à marche forcée (5000 suppressions d‘emplois chez KLM ces dernières années) à la suite des compagnies américaines et anglo-saxonnes, avec pour objectif ce qui est devenu l’alpha et l’oméga du capitalisme ultra libéral contemporain : comprimer la masse salariale pour accroitre la marge bénéficiaire au profit des actionnaires.
La fin de la résignation ?
Depuis 2011, il est vrai que les réactions des salariés ont été faibles face aux attaques de la direction, sauf quelques actions ponctuelles, les causes en sont plurielles.
Tout d’abord l’intox de la direction sur la « mauvaise santé économique » de l’entreprise (qui a pourtant annoncé récemment des bénéfices records de près de 900 millions d’euros…), thème là encore repris en chœur par la plupart des organisations syndicales, les pilotes désignés comme cible à l’origine de tous les maux, l’espoir pour des centaines de salariés en fin de carrière de partir dans le cadre d’un PDV (Plan de Départ Volontaire). Enfin, le contexte national (chômage, échec des luttes de 2010 sur les retraites…) et la difficulté pour les organisations syndicales de luttes de générer de vastes actions collectives dans les entreprises. Le faible nombre de syndicats voulant mobiliser et affronter la direction, essentiellement SUD Aérien et Alter pour les pilotes ainsi que quelques sections CGT, a finalement eu pour conséquence la progression des syndicats signataires des accords de reculs sociaux (CGC, FO, UNSA) lors des élections professionnelles de mars 2015, un fort recul de la CGT non signataire et une stagnation de SUD Aérien, malgré une progression dans les secteurs de l’Industriel et à Roissy escale. La Direction a dû malgré tout faire une mauvaise analyse de ces résultats, estimant que désormais la route était grande ouverte pour passer à la vitesse supérieure dans sa stratégie. En effet, les syndicats signataires du précédent plan Transform traînent les pieds pour venir signer le nouveau plan Perform : il n’y a plus le moindre « grain à moudre » pour vendre leur signature auprès des adhérent-e-s et des salarié-e-s et la fable de la « crise » et de la « dette » commence à sentir le réchauffé.
Qui sème la précarité et le mépris, récolte la – légitime – colère !
Très rapidement, le 5 octobre, les manifestants envahiront la salle du CCE, fidèles en cela à une tradition ouvrière bien ancrée au sein de différents secteurs sol de la compagnie. La direction ayant été informée par des élus CGT de l’intrusion des salariés à l’intérieur du Siège s’est alors déplacée dans un angle de la salle du CCE, juste devant une porte de service, qui sera ouverte promptement dès lors que les manifestants envahiront la salle pour permettre au directeur général, Fréderic Gagey de s’enfuir. Le PDG Alexandre de Juniac n’ayant pas jugé nécessaire de se présenter à la session du CCE. Les deux dirigeants restants, le DRH et le directeur de l’Exploitation Long Courrier, ont alors tenté une sortie en force, accompagnés par des vigiles, refusant de répondre aux salariés présents qui les interpellaient.
De mémoire de syndicalistes, nous n’avions jamais vu un tel comportement, mélange de couardise et de mépris de la part des patrons d’Air France. Les événements de ce genre où les sessions de CCE ou de CE sont envahies par des salariés en colère ne manquent pas dans l’histoire de cette entreprise. Xavier Broseta en avait d’ailleurs subi un exemple en février 2012, peu après son arrivée comme DRH. Les images on fait le tour du monde où l’ont voit un DRH, la liquette déchirée, mais à aucun moment brutalisé ou frappé, escalader une grille pour s’enfuir !
Un délire médiatico-politique…
Dans un premier temps, la condamnation des « auteurs de cette inacceptable violence » par les principaux médias, le gouvernement et le parti socialiste, les partis de droite et d’extrême droite, a été unanime, avec des propos parfois hallucinants (« lynchage », etc…). Une mention spéciale au premier ministre M. Valls, qui, mouvement de menton à la Duce, dénoncera les « voyous » et à son ministre de l’économie ex banquier M. Macron, qui qualifiera ces salariés de « stupides » ! Bien évidemment, médias et politiques consacreront beaucoup plus de temps et de mots pour dénoncer ces « violences » que pour commenter la politique sociale d’Air France et les suppressions d’emplois.
Malheureusement, y compris des organisations syndicales et non des moindres, en l’occurrence les bureaux centraux de la CGT et FO Air France, publieront immédiatement des communiqués condamnant les « violences », à un tel point que le secrétaire général de la CGT, Philippe Martinez, fera une déclaration publique de soutien aux manifestants et donc aux cinq adhérents CGT mis ensuite en garde à vue, après que son homologue de FO Mailly ait également relativisé les « violences » sur les ondes.
Des luttes radicales et emblématiques au sein d’Air France …
En fait, la dimension phénoménale de ce qui ne reste néanmoins qu’un fait divers est bien significative d’un air du temps. La criminalisation des luttes ouvrières par le patronat et les gouvernements ne constitue pas une nouveauté dans l’histoire, néanmoins les anciens syndicalistes fidèles à une certaine tradition de luttes collectives ne peuvent que constater une évolution régressive.
En effet, Air France a connu des conflits à la fois de grande ampleur et à forte composante radicale, notamment lors des grèves de fin 1988-début 1989 où à l’image d’autres grands secteurs ( SNCF, infirmières, …) une coordination réunissant au minimum une soixantaine de salariés dont des syndicalistes, gérait une grève tournante sur les secteurs de maintenance industriels d’Orly et de Roissy, soit environ 12 000 salariés en comprenant Toulouse et Le Bourget, au grand dam des bureaux centraux des syndicats, exclus de la direction de la grève. Cette grève étalée sur 98 jours pour l’obtention de 1500 F d’augmentation pour les ouvriers et techniciens, à raison d’une heure d’arrêt de travail par jour et de productivité diminuée le reste de la vacation, a vu spontanément éclore des pratiques ludiques, que l’on aurait pu qualifier de surréalistes voire de dadaïstes : les fameuses « minutes africaines » au cours desquelles les mécanos tapaient sur tout ce qui leur tombait sous les mains pendant plusieurs minutes, créant ainsi un tintamarre infernal dans les ateliers.
Parfois, des équipes entières remplissaient des fûts en aluminium de boulons et couraient en phase le long des ateliers, les boulons s’entrechoquant dans les fûts produisant une sorte de crissement battant la mesure de chaque foulée… Sifflets, Cornes de brume, pantins pendus en haut des palans, bataille de sarbacanes… plus prosaïquement les coordinations, dans et au-delà d’Air France, marqueront la fin d’une époque, celle de l’ouvrier-masse docilement suiviste des consignes des dirigeants syndicaux, notamment sur le site d’Orly où le PCF 94 et la CGT imposaient une chape de plomb sur toute initiative hors de leurs structures.
1993, Orly et Roissy, maintenance industrielle, les pistes en feu…
Il s’agit d’une image bien sûr… mais qui correspond à une certaine réalité puisque au cours de cette phénoménale mobilisation des palettes seront régulièrement brulées sur les pistes. À l’origine du conflit, l’information parvenue aux oreilles des salarié-e-s au sujet d’un projet de filialisation de secteurs importants de la compagnie dont la maintenance industrielle. Durant des jours, le gros des troupes étant constitué de centaines d’ouvriers professionnels et de techniciens, ces derniers, souvent équipés de masque filtrants, s’affronteront équipes de frondes et de boulons aux CRS sur les pistes d’Orly et de Roissy. Par ailleurs, dans les hangars et les ateliers, minutes africaines au menu et production bloquée… De même, le parcours par la nationale 7 pour rejoindre Orly ou l’autoroute A1 pour rejoindre l’aérogare à Roissy par les manifestants constituait le minimum syndical à proposer aux salarié-e-s.
Sur Orly, des syndicalistes iront régulièrement récupérer des manifestants auprès du commissaire de police de l’aéroport qui, ouvrant son tiroir, nous mettait sous le nez les boulons ou billes d’acier projetés sur les forces de l’ordre, à quoi nous rétorquions les passages multiples à l’infirmerie de salariés asphyxiés par les gaz lacrymogènes ou le visage ensanglanté par les coups de matraque. Finalement, ce rituel avait valeur de trêve quotidienne chaque soir, chaque partie pouvant exprimer la légitimité de son action et les collègues étant relâchés sans poursuites judiciaires. Toutefois, il serait totalement illusoire de considérer qu’il s’agissait d’une sorte de gentlemen agreement… c’est bien un rapport de forces qui était à l’œuvre. À l’issue de ce mouvement exceptionnel, le projet de filialisation restera dans les cartons, jusqu’à aujourd’hui !
En janvier 1999, une autre lutte âpre dans les hangars de Roissy et d’Orly, contre la mise en place des 35 heures, version accords Aubry où la direction voulait imposer une baisse de 11,4% de rémunération sur les heures majorées. Là encore des pistes occupées avec par exemple un vol Concorde bloqué plus d’une heure. Lors d’une des manifestations sur l’aérogare, certains cadres de l’Industriel ont désigné des « meneurs » aux RG présents pour qu’ils soient interpellés…Dans les minutes qui suivirent, la manif se dirigea vers les hangars de l’Industriel, les bureaux de la direction furent mis à sac et tous les membres de l’encadrement détalèrent vers leurs voitures pour échapper à la vindicte des salariés… En décembre 1999, les mécaniciens de l’atelier Moteurs à Orly entament un conflit quotidien durant près de cinq mois, au sujet d’une prime versée de façon discriminatoire, avec quasiment tous les jours des feux de palettes devant l’entrée du site : le directeur de l’atelier sera débarqué à l’issue du conflit.
Aéroports : une conflictualité permanente au sein des centaines de sociétés de sous-traitance ou d’assistance aéroportuaire !
Dans les sociétés des plate-forme aéroportuaires, les syndicalistes sont confrontés à des difficultés croissantes : contrats précaires (CDD, intérim) constituant parfois la moitié des effectifs, turn over important des salarié-e-s, transfert des salarié-e-s de sociétés à d’autres au gré des restructurations permanentes au sein de ces filiales et sous-filiales des grands groupes en amont, des appels d’offre en perpétuel renouvellement avec les compagnies aériennes générant une précarité permanente. Ces dernières imposant systématiquement le dumping social par la mise en concurrence des coûts de prestations. Des grèves au sein de ces centaines d’entreprises employant des dizaines de milliers de salarié-e-s sont quotidiennes. La première difficulté pour les syndicalistes de lutte désirant s’y implanter étant de dépasser le premier cap, après avoir tranché l’alternative qui consiste à accepter la corruption ou la refuser, s’impose la nécessité de combattre la répression qui s’ensuit, ce qui n’est pas systématique mais qui est une pratique managériale extrêmement répandue au sein de ces boites, dès la nomination d’un délégué syndical… voire même avant sa nomination dès que le patron est au courant de l’imminence de celle-ci.
Ces dernières années, nous avons pu constater une certaine adéquation entre les patrons de ces sociétés, la Préfecture, la Police de l’Air et des Frontières (PAF) et la Gendarmerie du transport aérien (GTA) pour exercer une répression croissante sur les actions de grève. La première mesure efficace en ce domaine a été l’obligation d’obtenir un badge d’accès en zone réservée sur les aéroports, c’est à dire pouvant permettre l’accès à l’avion, dès 2001, suite à l’attentat contre les Twin towers à New York et aux lois sécuritaires qui s’en sont suivies. Au départ procédure policière pour repérer d’éventuels terroristes, grâce à la consultation de cinq fichiers différents dont le fameux STIC (regroupant toutes infractions constatées par la police ou gendarmerie), après avoir durant des années refusé l’accès ou le renouvellement du badge aux fumeurs de haschich « constatés », plus récemment nous avons connu des interventions de gendarmes auprès de grévistes, pour les « prévenir » d’un possible retrait de badge si ils continuaient à occuper leur lieu de travail… alors qu’ils étaient en salle de repos , même si la Préfecture a pris un arrêté interdisant toute occupation en zone réservée.
Sans badge il est impossible pour un salarié d’exercer son activité professionnelle sur les pistes et il arrive que des employeurs, dont c’est la responsabilité, adresse la demande de renouvellement de badges à la Préfecture pour un salarié syndicaliste au dernier moment, obligeant ce dernier à solder ses congés pour continuer à être rémunéré. Cette pratique s’apparente à un véritable interdit professionnel.
En 2005, les bagagistes de la société Connecting Bag Services à Roissy se mettent tous en grève avec SUD Aérien à leurs côtés. Les bagages s’accumulent mais en zone publique. Le Sous-Préfet chargé de l’aéroport de Roissy prend alors la décision de réquisitionner les grévistes, sous peine de six mois de prison et 10 000 € d’amende en cas de refus, sur la base d’une ordonnance ministérielle datant de la guerre d’Algérie faisant explicitement référence à la « sûreté de l’Etat » ! Il faudra cinq années au Tribunal administratif de Pontoise pour déclarer cette réquisition illégale… pourtant décidée par la Préfecture, donc par l’État ! Le Sous-Préfet continuera sa carrière après sa retraite au sein de la direction d’un grand groupe d’assistance aéroportuaire !
En 2011, au moment des fêtes de fin d’année les salariés de la société de sûreté aéroportuaire ICTS, soutenus par la CGT et SUD Aérien, se mettent massivement en grève en apprenant que leurs collègues de province ont bénéficié des augmentations que la direction leur refuse. La machinerie médiatique se met en branle pour conspuer les grévistes « preneurs d’otages » et le gouvernement Sarkozy fait voter la loi proposée par le député Diard, obligeant les salarié-e-s à prévenir leur direction 48 heures préalablement à leur arrêt de travail.
Ce dispositif est clairement conçu comme une arme anti-grève, heureusement limitée grâce à une jurisprudence faisant suite à de nombreuses actions en justice menées par SUD Aérien et permettant une annonce collective d’intention de grève, rassurant ainsi les salarié-e-s craignant d’avoir à la signer individuellement.
Un discours consensuel sur la stigmatisation de la radicalité ouvrière et la délégitimation des actions collectives !
Ces deux derniers exemples démontrent s’il en était besoin le niveau de réactivité et de complicité dans la criminalisation des mouvements sociaux, associant patronat et gouvernement. Par ailleurs le « risque terroriste » pèse lourdement pour justifier systématiquement toute nouvelle législation remettant en cause des libertés individuelles ou collectives.
Ces dernières années ont vu une nette progression du discours anti-grève et de stigmatisation de toute lutte radicale, sorte de doxa dominante partagée par le MEDEF, les gouvernements, les commentateurs médiatiques et les principaux partis politiques toutes tendances confondues. Pour ce qui nous concerne et dans ce contexte, un des enjeux déterminant pour l’implantation du syndicalisme de lutte est donc de pouvoir s’appuyer sur des collectifs de salarié-e-s qui trouveront les moyens et le temps d’instaurer un rapport de forces suffisant dans leurs entreprises. C’est une des conditions pour, à leur tour, expérimenter et transmettre des pratiques militantes dans la filiation d’une certaine culture ouvrière : celle du syndicalisme révolutionnaire. Avec un principe : des assemblées générales décisionnelles lors des actions de grève et la consultation systématique des salarié-e-s avant toute signature d’accords.
Par ailleurs, nous constatons une nette évolution vers un comportement exprimant une certaine morgue aristocratique et un mépris des soi-disant élites vis-à-vis des salarié-e-s à basses ou moyennes qualification, considérés comme epsilon, c’est-à-dire une partie non négligeable pour le moins du « peuple », celles et ceux que nombre de politiciens professionnels nomment, sans se rendre compte de leur incroyable imbécilité, les « vrais gens » au moment des campagnes électorales… parce que néanmoins les « vrais gens » se doivent d’avoir un travail et être satisfaits de leur sort, bien sûr.
Les propos méprisants et méprisables de Valls et Macron sont le révélateur de ce qui nous semble relever – non pas comme cause univoque bien sûr – d’une certaine représentation sociale du monde du travail par des membres d’une « élite » d’une même génération, socialement et symboliquement considérée comme telle, et exprimant sans complexe ce que nous désignons, à la suite de Pierre Bourdieu, comme étant un racisme de classe. Politiciens professionnels, dirigeants et encadrement d’entreprises, ils partagent pour beaucoup peu ou prou cette représentation. Pour eux, la lutte de classe appartient au passé et le mouvement ouvrier est une vieille lune !
De même, cette direction d’Air France incapable de répondre aux salariés qui les interpellent et qui se sauvent en courant, ce PDG qui ne daigne même pas venir au CCE annoncer son plan de suppressions d‘emplois aux élus du personnel, cette stratégie chaussée de gros sabots pour tenter d’opposer les pilotes – même si ces derniers l’ont largement favorisé par le passé – aux personnels aux sol marque un certain tournant dans les pratiques managériales dans l’entreprise, creusant encore un peu plus un fossé déjà béant !
Nous en avons subi un autre exemple avec la bataille acharnée menée par nos camarades de Blue Link ( filiale de réservation commerciale d’Air France) confrontée à une Direction ne pouvant supporter la place prise par notre section : sanctions à répétition, cinq procédures de licenciements contre des délégués en quelques mois…À chaque fois, la décision de refus de ces licenciements par l’Inspecteur du Travail a été balayée par la direction générale du Travail (notamment de M. Combrexelle, ex-conseiller du premier ministre Lionel Jospin, largement connu désormais pour son rapport de démantèlement du Code du Travail). M.Gateau, futur DRH d’Air France, alors qu’il était au cabinet de M. Sapin avait même suggéré la médiation de… Combrexelle dans le conflit opposant SUD Aérien à la Direction de Blue Link !
Un contexte difficile … mais des potentialités !
Malgré ce contexte peu favorable et l’arsenal mis en place, les concentrations d’entreprises et de salariés des plates-formes de Roissy et d’Orly (120 000 et 25 000 salariés), constituent un bouillon permanent d’actions sociales. La loi Diard et les conditions d’attribution des badges d’accès en zones réservées ont bien sûr entamé et limité les possibilités de résistance, mais les salarié-e-s trouvent toujours et encore des moyens de s’organiser pour défendre leurs emplois et leurs salaires. De même, ces vingt dernières années ont vu des restructurations dans près de 1000 entreprises sur les deux plateformes (dans tous les secteurs : industrie, assistance, fret, sûreté, nettoyage, commerce…). Ce mouvement aléatoire de reconfiguration permanente de sociétés en filiales et sous-filiales pèse sur les capacités d’action commune mais n’empêche pas la perception de former un même ensemble travaillant pour les mêmes donneurs d’ordre. Ces zones d’activités sont des centres économiques de plus en plus névralgiques donnant un impact décuplé à toute action gréviste. Cela donne une idée de la potentialité de combativité et d’efficacité dans la lutte.
Potentialité ne veut pas dire réalité et cela impose d’autant plus au mouvement syndical de ne pas accompagner l’éclatement des statuts et des entreprises subi par le salarié-e-s dans le secteur. Peu de syndicats prennent cela en compte, si l’on excepte SUD Aérien qui cherche à structurer en son sein l’ensemble des salariés des plates-formes quel que soit leur statut et quelques Unions locale comme l’UL CGT de Roissy…
On peut donc dire que le 5 octobre a été emblématique de la conflictualité existante dans ce secteur, reflet de la précarisation du salariat et des attaques frontales menées contre les emplois stables, où la recherche permanente des gains de productivité est devenue l’unique credo d’un management d’entreprise de plus en plus intellectuellement et idéologiquement formaté sur un même moule.
Même si certains évoquent « l’éclipse » du mouvement ouvrier, et même si objectivement le contexte social et historique est difficile pour mener des luttes radicales, nous ne savons que trop que l’histoire n’est pas gravée par avance dans le marbre…
À l’issue du conflit de 1988, une brochure avait été réalisé par des militants au sein de la coordination des grévistes, avec en première page ce texte de René Char : « Nous sommes forts. Toutes les forces sont liguées contre nous. Nous sommes vulnérables. Beaucoup moins que nos agresseurs qui, eux, s’ils ont le crime, n’ont pas le second souffle ».
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