Journaliste et Gilet jaune à Toulouse

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Loin d’un entre-soi militant

Les votes se font par déplacement des corps sur l’asphalte : les pour à droite de l’estrade et les contre à gauche. Comme un mouvement en mouvement, physiquement, même en AG ! Je reconnais ici et là quelques militants aguerris, fréquentés en d’autres circonstances (Solidaires, CGT, Attac, Act up, FI, AL…) mais loin de ces habituels et étouffants entre-soi militants. D’ailleurs, l’immense majorité des visages m’est encore inconnu et un affichage politique ou syndical par trop ostensible semble proscrit, sans même que cela n’ait besoin d’être dit. L’assemblée avance cahin-caha, comme un objet vivant non identifié, cherchant ses marques à tâtons, mais habitée d’une puissante envie d’aller de l’avant. Une feuille A4 circule, dans laquelle on peut lire une longue liste de revendications proposées à la consultation. On coche les cases A, B, C ou D disposées en colonnes, en fonction de son degré d’acceptation ou de rejet, avant de glisser la feuille dans un carton qui sert d’urne. Y figurent les propositions dites constitutionnelles : démission immédiate de Macron, dissolution de l’Assemblée nationale, instauration d’une 6eme République par une Assemblée constituante, RIC, destruction des monopoles de presse, abrogation du traité de Maastricht, renationalisation des réseaux, états généraux pour la transition écologique… Et des propositions législatives, telles qu’augmentation du SMIC, revalorisation des salaires et minimas sociaux, rétablissement de l’ISF, diminution du prix du carburant, fin du CICE, suppression de la TVA, taxe sur les transactions boursières, retrait immédiat du glyphosate, chasse accrue à la fraude fiscale, augmentation des budgets et modernisation des services publics, gratuité des transports en commun, égalité femme/homme salariale et parentale… Tiens donc, mon crayon ne dévie pas de la colonne des A…

La question des médias

Pourtant, je ne me sens pas encore vraiment le bienvenu. Il faut dire que je cumule, à priori, deux handicaps majeurs puisque je suis à la fois syndicaliste et journaliste. Or, en décembre le rapprochement avec Solidaires ou la CGT n’a pas encore eu lieu, du moins visiblement, même si déjà, en coulisse, des militants et militantes se sont investi.es dans l’action, sur les ronds-points comme dans les manifs du samedi. Et les relations avec la presse sont on ne peut plus compliquées, à la suite d’une longue série d’agressions verbales, voire physiques, sur des journalistes de terrain ; en particulier quand ils couvrent les manifestations. Je ressens l’impérieuse nécessité d’en parler, moins pour crever un abcès que pour clarifier quelques points qui me semblent essentiels. Ce que je décide de faire, dans les deux minutes qui me sont imparties, lors de la troisième AG, le 30 décembre. Quand je me présente, en tant que journaliste et syndicaliste, je reçois un accueil poli mais plutôt glacial. Je m’élance, en disant qu’il ne faut se tromper ni d’ennemi ni de colère. Que ce ne sont pas les journalistes de terrain qui dirigent les médias, mais qu’ils et elles subissent, au contraire, la bride que tient d’une main brutale la plupart de leurs directions. Que ce soit dans le secteur privé, avec cette dizaine de milliardaires qui tirent les ficelles, ou que ce soit dans le secteur public, quand les directions des chaînes sont nommées par un CSA dont les membres sont désigné.es par le pouvoir politique… Et j’insiste sur le fait que mon syndicat, le SNJ, se bat en faveur d’un statut juridique de toutes les équipes rédactionnelles, à même de leur donner enfin une plus grande indépendance éditoriale. Tout comme le SNJ revendique l’ajout de notre charte déontologique à notre convention collective, afin de rendre ce texte fondateur enfin opposable, ce que nos patrons ont toujours refusé catégoriquement. Je termine en lisant la première phrase du préambule de cette fameuse charte : « Le droit du public à une information de qualité, complète, libre, indépendante et pluraliste, rappelé dans la Déclaration des droits de l’Homme et la Constitution française, guide le journaliste dans l’exercice de sa mission. Cette responsabilité vis-à-vis du citoyen prime sur toute autre. » Je rends le micro sous les applaudissements. Je me sens Gilet jaune.

Gilets jaunes au rond-point de Auterive

Les capitalistes nous coûtent cher. Paroles de Gilets jaune

Ce qui suit n’est pas une résolution de congrès Solidaires. C’est le texte de conclusion d’une réunion publique à l’initiative des Gilets jaunes du rond-point d’Auterive (31), le 15 février 2019.

Sur la politique du gouvernement, il faut aussi avoir présent à l’esprit, les réformes passées ou en cours : loi Travail El Khomri-Macron, retraites, assurance chômage, enseignement, enseignement professionnel et apprentissage, généralisation de la contractualisation dans la Fonction publique, et ailleurs comme ce fut le cas avec la SNCF. Toutes ces « réformes » concourent, d’une manière ou d’une autre, à ne précarisation de l’emploi et de ses conditions. Fermeture d’écoles, d’hôpitaux, de services publics en général par la suppression de 120 000 emplois dans la Fonction publique, conduisant à la désertification programmée des communes. Quel commerçant ou quelle famille voudra s’installer dans une commune sans service public ?

Le gouvernement se satisfait des chiffres du chômage du dernier trimestre 2018, mais il oublie de dire que, cette année, les créations d’emplois (106 000) ont été trois fois moins nombreuses qu’en 2017 (328 000). Il oublie aussi de dire qu’en 10 ans, selon ôle Emploi, le nombre de chômeurs et chômeuses est passé de 3,7 millions à 6,2 millions, sans parler des emplois précaires, intérimaires ou autres. Quelques exemples : Général Electric prévoit 500 suppressions d’emplois en France. Fermeture de l’usine Ford à Blanquefort : 800 emplois sur la sellette. Peugeot PSA : après Aulnay-sous-Bois (3000 salarié.es) et La Garenne (2 000), fermeture de l’usine de Saint-Ouen (350 personnes) et de l’usine d’Hérimoncourt (200). Usine d’Arjowiggins : 200 emplois menacés (ils et elles produisent le papier sécurisé pour les cartes grises, les chèques, les passeports…). Sucreries Saint-Louis à Cagny : fermeture de l’usine (80 salariées). Dernièrement, Airbus et l’A380 : 3000 à 3500 emplois menacés et combien chez les sous- traitants ? La liste est longue et se traduit par des milliers d’emplois sacrifiés au nom du profit ; des familles entières sont jetées, directement ou indirectement, dans la précarité avec son lot de détresse sociale et morale. Elle est de quel côté la violence ?

Parallèlement à̀ tout cela, les profits des grandes entreprises et les dividendes versés à leurs actionnaires ont battus des records : 57 milliards d’euros en un an. On s’enfonce dans la crise et la récession se profile. Tout ce que les prétendus investisseurs savent faire, c’est empocher les profits, bénéficier des aides publiques, amasser des montagnes de capitaux ; tant et si bien, que 26 personnes possèdent désormais autant que la moitié la plus pauvre de l’humanité, soit 3,8 milliards d’êtres humains. Quand bien même ces grands groupes investissent très peu et ne créent pas d’emplois, les gouvernements n’ont pas d’autres politiques que celle de les servir.

On entend dire que les GJ ce n’est pas l’ensemble de la population, qu’une minorité ne peut pas imposer sa loi. Mais qu’en est-il de cette minorité que représentent les membres des Conseils d’administrations des entreprises du CAC 40 et de leur pouvoir d’influence sur la vie de dizaines de milliers de salarié.es ? Quelles que soient leurs étiquettes, toutes les politiciennes et tous les politiciens défendent cet ordre social où une minorité concentre dans ses mains une masse de capitaux et détient plus de pouvoir qu’ils n’en ont, eux, à la tête de l’Etat. Gouverner dans le cadre de la domination de ce grand capital, c’est faire la politique qui lui convient et se soumettre à̀ sa loi, la loi du profit. S’il y a des comptes à demander, ce n’est pas aux plus pauvres, aux chômeurs et chômeuses, qui ne sont responsables de rien ; c’est aux capitalistes, qui ont le pouvoir et qui décident, ou non, d’investir et de produire. Non seulement leur fortune est basée sur l’exploitation des travailleurs et travailleuses, mais ils dirigent l’économie de façon irresponsable parce qu’ils sont aveuglés par leurs profits et se moquent des besoins de la collectivité. Des problèmes aussi élémentaires que loger la population, la soigner ou s’occuper des personnes handicapées ou dépendantes, paraîtront insolubles tant que les travailleurs et travailleuses ne mettront pas leur nez dans les affaires des grands groupes capitalistes. Pour que la société reparte de l’avant, il faut contester le droit du grand capital de faire ce qu’il veut des profits que toutes les travailleuses et tous les travailleurs contribuent, d’une façon ou d’une autre, à produire. Il faut l’exproprier et prendre collectivement le contrôle de l’économie. Oui, exproprier, exproprier les Vinci et les autres ; pour l’intérêt général, comme on vous exproprie aujourd’hui quand il s’agit de construire une autoroute ! Ce n’est pas la charité qui est réclamée, il faut imposer la hausse des salaires, des retraites, des minimas sociaux indexés sur la hausse réelle des prix : en prenant sur les profits, les CICE et autres cadeaux faits au patronat.

Pour imposer cela, il faudra se battre, mener un combat d’une toute autre nature. Cela ne peut se faire que si les salarié.es du public comme du privé, au cœur de l’outil de production, se mobilisent, s’organisent collectivement, avec ou sans les syndicats, afin de mener le combat au sein même des entreprises pour défendre leurs intérêts. Cela ne peut se faire que si les travailleurs et travailleuses, pour peser sur l’économie, se lancent dans le combat avec l’arme de la grève. Cela ne se décrète pas et n’est pas chose facile. Mais pour notre avenir, et au-delà celui de la société, des générations futures, du climat, nous ne ferons pas l’économie d’un tel combat. Alors, continuons la mobilisation, maintenons la pression malgré les pièges tendus que sont « le grand débat » et la promesse d’un referendum. Que le gouvernement et le patronat soient cependant convaincus d’une chose : à travers le mouvement des Gilets Jaunes, les classes populaires et laborieuses, les sans-dents, les illettré.es, les gaulois réfractaires, celles et ceux qui n’ont pas le sens de l’effort, celles et ceux qui ne veulent pas traverser la rue, qui roulent au diesel et fument des clopes … Ces gens-là, avancent les yeux ouverts sur le monde, et malgré les lacrymos, ils et elles voient de plus en plus clair.

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didier labertrandie

Journaliste à La Dépêche du Midi, Didier Labertrandie est militant du Syndicat national des journalistes (SNJ) dont il a été un des co-secrétaires nationaux