Je travaille en EHPAD

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Aperçu des réalités dans un secteur où « 98% des personnels sont des femmes qui travaillent en horaires décalées ». Avec notamment le descriptif d’une journée de labeur.


Anissa Amini travaille dans un EHPAD, en Seine-Saint-Denis. Elle est « référente grand âge » de la fédération SUD Santé sociaux.


Manifestation, le 30 janvier 2018. [Serge D’ignazio]

Gérard Gourguechon – Comment choisit-on de travailler dans l’aide à l’autonomie pour les personnes âgées dépendantes à domicile ou en établissement ?

Anissa Amini – On choisit de travailler auprès des personnes âgées par vocation, avant toute chose ; c’est un secteur très sensible, qui nous amène à travailler avec une population fragile et, malheureusement, aujourd’hui la plupart des personnes qui viennent travailler dans ce secteur le font par dépit, au détriment des personnes hébergées.

G.G. – Quelles sont les formations spécifiques reçues par les personnes qui travaillent dans l’aide à domicile et pour celles qui travaillent dans un EHPAD ? Est-ce qu’il y a des formations initiales ? et des formations en cours de carrière ?

A.A. – Pour les personnes qui travaillent dans les soins à domicile, la plupart n’ont aucune formation, pas de diplôme, en particulier pour les auxiliaires de soins ; pour les formations ça dépend des associations ou du département où elles et ils travaillent. Pour les EHPAD, n’importe qui peut postuler aujourd’hui, ce qui n’était pas le cas il y a quelques années encore ; un minimum d’expérience était exigé sur des postes d’Agent des services hospitaliers (ASH), un tutorat était aussi mis en place, en binôme avec une aide-soignante. Des formations sont incluses dans le plan de formation de l’établissement : bientraitance, maladie Alzheimer, manutention, travail en équipe, etc. En cours de carrière, à la demande de l’agent, la formation initiale au diplôme d’aide-soignante peut être demandée, comme la formation initiale d’infirmière pour les aides-soignantes ou celle de cadre de santé pour les infirmières. Pour exemple, dans notre EHPAD, nous avons demandé à la direction d’ajouter d’autres formations spécifiques, car nous avons la possibilité de nous spécialiser dans le domaine de la gériatrie et de passer un diplôme universitaire, sur la sexualité des personnes âgées en EHPAD, sur l’accompagnement de la fin de vie, l’accompagnement des familles qui placent leur parent en EHPAD, etc.

G.G. – Quelle est la journée d’une personne qui travaille dans un EHPAD en Seine-Saint-Denis ?

A.A. – Nous avons une équipe du matin qui commence à 6h30 et finit à 14h20, une ASH qui fait 8h30/16h30, une équipe de l’après-midi qui travaille de 13h40 à 21h et une équipe de nuit de 21h jusqu’à 6h45-7h. Le matin, les collègues sont deux jusqu’à 8h30, une aide-soignante et un agent des services hospitaliers. En arrivant, elles font les transmissions avec l’équipe de nuit. Ensuite, elles prennent leurs postes, l’aide-soignante fait le tour du service pour voir si tous et toutes vont bien, pendant que la collègue prépare le petit-déjeuner ; ensuite, elles partent ensemble faire la distribution, installer les résidents et résidentes, aider au repas pour celles et ceux qui en ont besoin ; en général, la collègue ASH qui arrive à 8h30 débarrasse et lave la vaisselle. Avant de commencer les soins, elles ont le droit de prendre une pause de 10 minutes, ensuite il y a la préparation des chariots de nursing, l’aide-soignante doit se détacher pour aider l’infirmière à distribuer les médicaments. Soit l’infirmière arrive au moment du petit déjeuner et les médicaments sont distribués en même temps, soit, selon l’effectif, c’est fait avant les toilettes, ou pendant, ou parfois c’est l’aide-soignante qui distribue, car l’infirmière est toute seule. Je précise que les médicaments sont préparés et vérifiés, sauf les liquides, et que l’aide-soignante a quand même la charge de vérifier, avec le classeur de prescription, tous les traitements. Pendant ce temps l’agent des services hospitaliers a commencé les soins d’hygiènes, toilettes, douches, et l’aide-soignante l’a rejoint. Après avoir fini le nursing, les collègues s’occupent de ranger les chariots, vider les sacs de linges sales et une partie des résident∙es sont installé∙es en salle à manger, d’autres, selon leurs souhaits, restent dans leur chambre jusqu’à l’heure du repas ou vaquent à leurs occupations. Selon les services, les collègues tournent à 2 pour 20 à 25 personnes résidentes par unité. Les soins se finissent vers 11h, voire 11h45 ; une petite pause de 10 minutes est prévue, pendant que la collègue ASH a mis la table, et commencé son ménage dans les chambres. À 12h, c’est le déjeuner, l’aide-soignante donne les traitements avec l’infirmière puis va aider les collègues pour le repas ; elles font le service, aident à la prise du repas, débarrassent, font la vaisselle et avancent la collègue au maximum … avant d’aller en pause à 12h45, jusqu’à 13h15. L’autre collègue part en pause jusque 13h40. Les résident∙es sont raccompagné∙es dans leur chambre, aux WC pour les personnes continentes, à la sieste pour celles qui le souhaitent, et certaines restent en salle à manger, soit pour aller en animation l’après-midi ou pour rester en compagnie des voisines et voisins. Les transmissions sur l’ordinateur et sur les cahiers sont faites quand on trouve un moment, en général c’est quand l’équipe de l’après-midi prend le relais et que l’on fait les transmissions orales. Elles sont deux jusqu’à 21h, un AS et une ASH, trois jusqu’à 16h30 avec la collègue qui a commencé à 8h30.


Manifestation intersyndicale des retraité∙es, à Paris, le 2 décembre 2021. [Serge D’ignazio]

L’après-midi, la collègue de 8h30 se charge de descendre les résident∙es en animations, et les filles font le ménage des chambres. A 15h30, le goûter est distribué par cette même collègue et les deux autres commencent les changes des résidents et résidentes, et les couchers pour certain∙es. Elles finissent en général entre 17h et 17h30, ont une petite pause de 10 minutes, puis enchaînent avec le repas du soir qui est distribué à 18h. Une des deux se détache pour partir en chambre pendant que l’autre s’occupe de la salle à manger. Ensuite, elles se rejoignent pour débarrasser, faire la vaisselle et coucher les résidents résidentes. Pour finir, pendant que la collègue lave les sols, l’AS distribue le tilleul et les traitements de nuit, chambre par chambre. Elles se rejoignent dans le poste de soin, pour faire leurs transmissions écrites, puis le relais est fait à l’oral avec les collègues de nuit. La nuit, pour un EHPAD de 240 lits, les collègues ne sont que 7 dispatché∙es entre deux bâtiments, avec plus d’ASH que d’AS et une infirmière en astreinte sur plusieurs établissements ! Il y a un bâtiment de 80 personnes âgées avec deux agents et les quatre autres sur un bâtiment de 160 résidentes résidents.

G.G. – Comment les remarques, les demandes, les revendications des personnels peuvent s’exprimer ? Quelles sont les relations hiérarchiques de proximité ? Par quelles voies les recommandations, les directives des directions sont-elles portées à la connaissance des personnels ?

A.A. – Souvent ça passe par les organisations syndicales. Chez nous, SUD Santé Sociaux est majoritaire et on fait le taf, donc ça dérange beaucoup la direction ! Le dialogue avec la direction est très difficile ; nous faisons remonter toutes les demandes des agents en CSE, mais cette impression d’être des empêcheurs de tourner en rond ne nous quitte pas. Nous sommes souvent entravé∙es dans nos missions, subissons de la discrimination, du harcèlement, nous sommes dénigré∙es ! Nous avons essayé de joindre l’Agence Régionale de Santé (ARS) à propos de certains sujets, mais nous ne sommes pas écouté∙es. Les recommandations de l’ARS ou de la Direction générale de l’offre de soins (DGOS) du ministère de la santé, de la Fédération hospitalière de France (FHF) sont portées à la connaissance des personnels par l’affichage des notes de services en ce qui concerne le fonctionnement et la mise en place de protocole ; mais tout ce qui concerne les droits des agents, soit ça passe par les organisations syndicales, soit les agents vont à la pêche aux informations.

G.G. – Quel est le mal-être des personnels, quelles sont leurs principales critiques portées à leur travail et à leurs conditions de travail ?

A.A. – Ces dernières années, c’est très difficile pour les personnels, car la maltraitance institutionnelle est de plus en plus présente. Le manque de personnel, les personnels non formés, les directions qui tendent la carotte d’une main et le fouet dans l’autre main, le travail à la chaîne avec du temps de plus en plus réduit pour s’occuper des résidentes et résidents, le rationnement alimentaire, hygiénique (pour les protections lors des changes) … tout est limité, chronométré ! Le poids de la culpabilité est énorme quand l’on en vient à se demander si on n’a pas oublié un résident sur les toilettes par exemple, ou si la dame a été accompagnée au lit. La répression bat son plein, les collègues sont épuisé∙es, la perte de sens de nos métiers est très présente et la comparaison des EHPAD aux mouroirs commence sérieusement à devenir réalité, que ce soit dans le public ou dans le privé associatif ou lucratif.

98% des personnels sont des femmes qui doivent travailler avec des horaires décalés et c’est très compliqué pour les modes de garde. Pour ma part, en 23 ans de métier dans ce secteur, je n’avais jamais vu autant de maltraitance institutionnelle. La division entre familles et personnel soignant est orchestrée par certaines directions qui jettent la pierre aux personnels et qui les matraquent d’avertissements ou de blâmes, voire qui les traduisent en conseil de discipline pour les virer. Le lien entre famille et personnel soignant est la base de tout pour le bien être des résidents et résidentes. L’accompagnement doit se faire ensemble et pas les un∙es contre les autres. Les principales critiques, c’est la maltraitance, le manque de communication avec les familles, l’hygiène, le turn-over.

G.G. – Comment ont été reçues, par tes collègues, et par toi, les critiques rendues publiques en début d’année 2022 (notamment à partir de la publication du livre Les fossoyeurs) sur le fonctionnement des EHPAD et certains scandales dont sont victimes tant les salarié∙es que les malades ?

A.A. – Personnellement, ça ne m’a pas choqué et mes collègues non plus puisque ce sont des pratiques que l’on dénonce depuis des années ; mais personne ne nous écoutait ! J’ai été lanceuse d’alerte, donc je sais de quoi je parle : ça m’a valu d’être traînée dans la boue par ma direction qui a manipulé mes collègues et les a retourné∙es contre moi. Je suis toujours en procédure à ce jour. Victor a dénoncé des faits qui se passent autant dans le lucratif que dans le public. Les personnels subissent ces rythmes de travail imposés, avec si peu de ratios et j’insiste aussi sur le temps que l’on devrait passer auprès des résidents, imaginez-vous comment ils travaillent !


Manifestation, le 30 janvier 2018. [Serge D’ignazio]

G.G. – À la suite de ces divulgations et des remous provoqués, et aussi des discours des gouvernants, avez-vous constaté des améliorations dans le « management », dans l’écoute de vos demandes, dans les réponses à vos revendications en matière de conditions de travail et d’emploi, de formation, de rémunération, etc. ?

A.A. – Rien du tout ! On sait que des contrôles ont eu lieu, mais c’est du foutage de gueule : aller contrôler des EHPAD qui sont déjà dévastés, whaouuuuu quelle intelligence ! La fédération SUD Santé sociaux à participé aux auditions à l’Assemblée nationale et au Sénat à la suite de l’affaire ORPEA. Nous sommes venue∙es avec des propositions pour améliorer la prise en charge de nos aîné∙es mais, encore une fois, nous nous sommes retrouvé∙es face à des bureaucrates qui ne connaissent pas le terrain et qui ne nous ont pas écouté∙es. Concernant la rémunération, déjà le Ségur a divisé les personnels et ça reste une prime ; pour la revalorisation du point d’indice, dans la réalité, c’est une augmentation entre 30 et 50 euros nets ; nous sommes bien loin des 400 euros nets que nous demandons depuis des années. Pour les conditions de travail, on nous parle de 3000 postes : si on calcule sur tous les établissements, ça fait à peine un demi-poste par établissement, encore une fois c’est de l’enfumage. Plus personne ne veut travailler dans notre secteur ; du coup, on se retrouve avec des personnes au chômage envoyées par Pôle emploi, qui leur met la pression : et d’autres, qui n’ont rien à voir avec le médico-social et qui arrivent en structure sans aucune formation, pensant que laver une personne âgée, c’est comme se laver soi-même. Vu que les personnels sur le terrain n’ont pas le temps de les prendre en charge, ça va de dérive en dérive.

G.G. – Les neuf organisations de retraité∙es revendiquent la création d’un grand service public de l’aide à l’autonomie, qui regrouperait tant les services de l’aide à domicile que les établissements spécialisés. Comment vois-tu ceci possible ? Quelles seraient les conditions à satisfaire pour que ceci devienne réalisable ?

A.A. – Je soutiens complètement la démarche. Mais pour ça, il faudrait revoir tout le modèle de nos structures actuelles, tant au domicile qu’en EHPAD. Ce secteur doit être attractif pour recruter des personnels motivés, avec cette vocation qui fait qu’on donne un sens à notre métier. L’attractivité passe par le salaire mais aussi beaucoup par les conditions de travail, l’écoute, des horaires possibles pour toutes et tous et sans les coupures imposées dans les soins à domicile, un rôle pour les familles, des possibilités de remboursements des frais de gardes, des ratios supplémentaires mais aussi l’évaluation en temps de soins auprès des résidentes et résidents, et surtout des fonds du gouvernement : au moins 15 milliards, pour réellement s’occuper de notre secteur.

G.G. – Quelles seraient tes propositions pour que l’action des personnels de l’aide à l’autonomie et de leurs organisations syndicales soit parfois mieux coordonnée avec l’action éventuelle des familles, et avec celle des associations et des organisations syndicales qui représentent les bénéficiaires des prestations, les personnes résidentes et les malades ?

A.A. – Pour ma part, je soutiens des collectifs de famille, sur des mobilisations et sur les réseaux sociaux, pour moi l’union fait la force et pour l’avenir de nos anciens, on doit travailler ensemble.


⬛ Anissa Amini – Propos recueillis par Gérard Gourguechon

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