Gilets jaunes : une aide à la construction d’un syndicalisme révolutionnaire ?
Une expérience collective
« Macron démission, allez démissionne ! » répète le début de la chanson « Gilet Jaune » de Kopp Johnson, devenue un hymne, parmi d’autres, qui sert dans les moments festifs pour garder espoir : lors des montées à « Paris », aux ronds-points et mêmes lors des soirées amicales ou familiales, démontrant que le mouvement des Gilets jaunes a réussi à poser les jalons d’un début d’hégémonie culturelle, tant vantée par Gramsci comme préalable à la construction de la révolution. Nous avons écrit ce texte à plusieurs mains (cf. la liste des signataires), dont les secrétaires départementaux ou régionaux de chaque territoire signataire du texte, ainsi que deux co-secrétaires de l’Union syndicale SUD industrie. Beaucoup de Gilets jaunes de SUD Industrie se sont aussi retrouvé.es dans ce texte, qui se veut avant tout un texte d’orientations et de débats, à partir de notre vécu et de nos discussions, plus que d’analyse sociologique. D’autres camarades des Gilets jaunes de SUD Industrie investi.es depuis le début du mouvement (nous pensons aux camarades du 71 du 33, du 54/57, du 45, etc., de tous ces départements où nous avons participé, voire animé, des collectifs) partagent également cette contribution, qui a été débattue au-delà des seuls signataires.
La fraternité et la dignité retrouvées
Qu’il est bon de se retrouver entre camarades du syndicat ce soir-là, toutes et tous Gilets jaunes. En plus des surnoms donnés aux un.es et aux autres, les noms des collectifs plus ou moins officieux circulent aussi, ceux « gagnés » lors des occupations des ronds-points et des manifestations parisiennes dans les quartiers bourgeois. Nous pouvons reprendre en cœur ce slogan, vu ici et là lors du mouvement : « Si nous avons perdu la liberté et l’égalité, il nous reste la fraternité pour gagner ». Nous pourrions même dire que ce mouvement à fait renaître cette fraternité en beaucoup d’entre nous. Une fraternité oubliée, qui a redonné un espoir à beaucoup de nos camarades qui avaient un sentiment d’abandon. Et pour cause, depuis des dizaines d’années, les gouvernements successifs se sont attaqués à nos libertés, s’évertuant à casser tous les outils tendant vers la construction d’une réelle égalité et protection collective, comme le Code du travail par exemple. Les Gilets Jaunes ont montré que cette fraternité ne serait pas mise à mal, ; au contraire, c’est cette fraternité qui a permis l’entraide nécessaire au mouvement pour tenir, et c’est cette fraternité qui a redonné à toute le monde un sentiment d’égalité, d’espoir et la liberté de reprendre la parole. Même la répression policière et l’interdiction des manifestations n’ont pas réussi à briser l’unité et le collectif, mais au contraire, soudé l’ensemble des Gilets jaunes face au pouvoir et sa volonté de bâillonner nos droits les plus fondamentaux, à manifester et s’exprimer. Mais c’est également la reconquête de la dignité qui est un élément fondateur dans ce mouvement. Dignité dans le travail, dignité au quotidien, dignité dans la reconnaissance d’individus et en tant que classe sociale. L’arrogance du gouvernement en a rajouté dans cette « perte de dignité », qui a servi d’explosif dans la période où les inégalités sociales n’ont jamais été aussi importantes.
Des revendications concrètes et réelles
Sans refaire la genèse du mouvement, celui-ci a d’abord fonctionné car les revendications (« partir du réel pour aller à l’idéal ») étaient concrètes, quotidiennes, clairement énoncées et reflétaient les discussions de millions de personnes vivant en France. La pétition, lancée sur les « réseaux sociaux », concernant l’augmentation du prix de l’essence – et ses répercussions pour des millions de travailleurs, de travailleuses et familles pour se déplacer, dans des zones où les transports en commun sont absents, insuffisants ou sous-sous-entendus (ainsi que la question des horaires décalés) – a été ignorée et sous-estimée par le pouvoir et nombre d’acteurs du mouvement social. À l’heure où certain.es n’avaient que le mot « taxe carbone » et « écologie » à la bouche, en les déconnectant de toute analyse sociale – qui est le prisme principal pour un syndicaliste, surtout révolutionnaire –, nous avons décidé de mener la double besogne, en portant des revendications immédiates et en préparant le changement radical de la société. Il est vrai aussi que les revendications portées à travers la pétition initiale du mouvement n’utilisaient certes pas toujours les « meilleurs mots », mais elles faisaient écho à ce que nous portons chaque jour : la question des salaires, du pouvoir d’achat/de vivre, des remboursements des frais de transports, des services publics, de la France à deux vitesses… De là, il nous était facile de participer spontanément à la signature de la pétition, de s’engager individuellement et de se rendre compte que nous étions nombreux et nombreuses à nous retrouver dans le mouvement des Gilets jaunes.
Notre mouvement
Mais alors, comment expliquer que ce message ait eu autant d’ampleur ? Le côté soi-disant « apolitique » (qui ne veut pas dire grand-chose si l’on considère que tout est politique, mais qui prend ce sens quand il n’est pas récupéré par une chapelle politicienne) ? Peut-être que le contexte anti-Macron, l’affaire Benalla et les fins de mois de plus en plus difficiles ont précipité l’engouement ? Le rôle des « réseaux sociaux » et des chaînes d’information en continue – que nous abordons très peu dans cette contribution – n’est pas à négliger. Mais, à notre avis, c’est surtout le côté local du mouvement et qui sort des sentiers battus, qui a fait sa réussite : finis la manifestation déclarée, le folklore organisé, les communiqués où on passe plus de temps à débattre des virgules que des revendications concrètes. Ainsi, selon notre stratégie et notre ligne, comment mener une campagne efficace ? Dans nos entreprises, nous essayons, dans la mesure du possible, de porter trois revendications : l’une atteignable rapidement pour mobiliser et donner la confiance collective, une autre qui peut être gagnée en cas de rapport de force conséquent et doit être notre fil rouge, et la dernière d’agitation et qui sert d’horizon pour donner un cadre syndical révolutionnaire. Dans ce mouvement des Gilets jaunes, les trois étaient là : baisse du prix de l’essence, hausse des salaires et fin des taxes injustes (la TVA étant le meilleur exemple à l’heure de la suppression de l’ISF) et démission de Macron pour un changement de société. Tout ceci peut paraître mal encadré, pas assez politisé, qu’importe : les revendications concrètes permettent de se mobiliser réellement, sur des bases qui parlaient à un grand monde de personnes pour élargir sur une dynamique de masse et combative.
Ni dieu, ni maître(s), tous unis et égaux ?
Ce qui frappe dans ce mouvement, c’est une réelle horizontalité spontanée et non organisée de manière artificielle par quelques penseurs auto-proclamés qui, au choix, se réclameront d’une carrière politique ou se définiront comme intellectuel/les ou encore observateurs.trices avisé.es. Il y a eu certes quelques « tribuns », « figures » du mouvement, mais qui n’ont jamais été coupé.es des anonymes : pas de pouvoir, pas de chef, pas d’ordres ou de contre-ordres, pas de rencontres en catimini ou en public avec le gouvernement. Cette posture radicale tranche avec le fonctionnement de nos organisations syndicales et politiques ; et nous pensons que SUD gagnerait en visibilité à refuser de jouer dans une parodie de dialogue social comme le font systématiquement toutes les autres organisations syndicales. Cette situation a permis à des centaines de milliers voir des millions de citoyens et citoyennes de prendre leur place, de manifester où il leur semblait important de le faire, c’est-à-dire pas de Bastille à République mais proche des lieux de pouvoir et dans les quartiers bourgeois à Paris, aux ronds-points nombreux qui permettaient d’être visibles partout en menant des opérations de barrage filtrant ou bloquant. Le génie de ce mouvement, c’est également celui de récupérer le gilet jaune dans sa voiture ou avec son vélo et de simplement l’enfiler : cet objet du quotidien est devenu un signe de reconnaissance, accessible au plus grand monde. Les gilets ont certes été personnalisés au fil des « actes » – donnant là aussi le sentiment d’un réel mouvement inscrit dans la durée – mais à se retrouver au rond-point ou à la manifestation régionale/nationale, nous étions « tous uni.es ». Nous étions une foule de Gilets jaunes, sans leader, sans meneur, libres de nos actes et mouvements et avons vécu une réelle fraternité avec des inconnu.es, sans se soucier de leurs chapelles syndicales ou de la place de telle organisation dans le cortège ; c’est aussi un gain d’efficacité : pas de camionnette qui empêche de manœuvrer en manifestation, pas de préparation inutile trois heures avant d’être présent.es, et la possibilité de se sentir tous égaux. Attention, évidement, à ne pas sombrer dans un aveuglement : le syndicalisme ne pourra jamais être relégué à un second plan – c’est bien l’outil syndical que nous construisons pour bloquer l’économie et peser dans le quotidien des travailleurs et travailleuses, avec ou sans emploi – et parmi les manifestant.es se trouvaient de manière isolée ou en groupe quelques ennemis de classes : religieux intégristes, réactionnaires, nostalgiques de périodes troubles, fachos…Il fallait que SUD-Solidaires soit présent, justement pour contrebalancer leur influence. C’est la force et la faiblesse du mouvement, qui doit nous enseigner la volonté de construire un mouvement ouvrier fort et unitaire, en respectant chaque organisation syndicale de lutte, mais en donnant un sentiment commun d’appartenance. N’est-ce pas aussi l’objectif, normalement, de l’interprofessionnel de faire en sorte que l’on se considère avant tout comme un travailleur ou travailleuse d’une classe sociale ?
Faire bouger les lignes, y compris dans le syndicat
Nous n’avons eu que très peu de débats avant de prendre position « pour » le mouvement, en y appelant de manière « officielle ». Notons cependant qu’un syndicat départemental s’y est opposé (SUD Industrie 35), en émettant de fortes réserves sur la présence de l’extrême-droite ; chose que nous ne nions pas d’ailleurs, mais qui, finalement, vu les thématiques sociales, est bien loin d’avoir pris le pas idéologiquement, dans l’organisation/animation et dans la rue (malgré quelques tentatives de l’extrême-droite et de la droite radicale, vite renvoyées dans les cordes). Au sein de Solidaires – qui a finalement pris position favorablement, avec un peu de retard à notre goût, mais est la seule organisation nationale à avoir assumé et porté cette position –, les débats ont été présents. Certaines organisations membres de Solidaires ont appelé dès le début (comme la nôtre), d’autres ont regardé avec attention et bienveillance en soutenant un peu de loin, tandis que d’autres ont été effrayées par les mots d’ordre et la révolte sur la fiscalité. Là aussi, nous savons les pièges et contradictions que peut donner un discours « anti-impôts », car c’est bien l’impôt qui est censé redistribuer en partie les richesses et financer des biens communs. Soit, mais dans la réalité, l’impôt est aujourd’hui inégal, finance une partie du système à combattre et ne joue plus son rôle de redistribution. Il faut donc être prudent pour ne pas attaquer l’impôt dans son essence – qu’en aurait-il été en 1789 par exemple ! – sans oublier de rappeler que nous ne pouvons pas défendre une société uniquement individualiste. Ces débats, ces combats, ils sont bien connus pour tout.e syndicaliste confronté.e au réel de ses collègues : il ne nous faut pas simplement discuter et informer, mais convaincre, tracer des alternatives et, sans changer d’analyse économique, s’adapter aux réalités d’aujourd’hui. Il en est de même dans le syndicat, où il faut allier tradition et modernité : il serait stupide de faire table rase du passé en remettant tout en cause, mais il convient aussi de s’interroger en partie sur nos modes d’apparition ou leurs signifiants pour beaucoup de gens. Quand nous avons entendu un syndicaliste parisien dire, après trois mois de conflits, « il ne se passe rien à Paris, donc nous ne pouvons rien faire », nous nous étions interrogé.es sur le décalage avec la réalité (même si celle de Paris est effectivement très différente du reste de la France) et les réflexes dépassés d’un logiciel syndical qui n’est pas le bon dans la période.
Au niveau des départements, là aussi, plusieurs Solidaires locaux ont pris position rapidement, dès le début, et ont permis par leur présence, d’affirmer un ancrage territorial en régions. Si dans SUD Industrie et dans Solidaires – de manière plus complexe mais néanmoins dans un compromis dont on peut se féliciter – le soutien aux Gilets jaunes s’est réalisé, il en est radicalement différent ailleurs : la CGT s’est totalement plantée sur ce mouvement en étant très ambiguë et méprisante, affichant tantôt un soutien, tantôt une critique, dans une synthèse ratée des différents courants de l’organisation. FO a passé plus de temps à régler son fonctionnement interne. La CFDT, quant à elle, a passé son temps à s’en prendre aux Gilets jaunes et aux manifestations, en jouant encore une fois le relai syndical du système ; nous avions d’ailleurs demandé, SUD Industrie, de cesser tout contact avec cette confédération, si elle ne présentait pas d’excuses. Sans oublier les syndicats policiers, qui pour la plupart, exceptés quelques sections ici et là encore attachées à une tradition « républicaniste sociale », ont passé leur temps à réclamer des moyens de tirer sur la foule – nous y reviendrons plus tard. Ce mouvement des Gilets jaunes peut être une chance pour notre organisation, pour se questionner et continuer de se construire : gageons que le prochain congrès en 2020 s’appuiera en partie sur ce que nous avons vécu et continuons de vivre.
Des ronds-points aux manifestations dans la capitale
Après plus d’une vingtaine d’actes – et rien ne pousse à arrêter le mouvement et la contestation –, nous sommes les premiers étonné.es de la longévité de ce mouvement qui devrait connaître son apogée le 1er mai, après les vraies-fausses annonces de Macron qui ne répondent en rien aux revendications du mouvement. Mais revenons à la genèse de ce qui a été la force du mouvement sur le terrain. Dès les premières manifestations, nous nous sommes retrouvé.es au plus près de chez nous, sur des milliers de ronds-points (c’est plus difficile pour les parisien.nes, mais davantage vrai pour les francilien.nes et surtout dans toutes les autres régions). Répétant l’opération les jours suivants, ou le samedi d’après, ou les deux, le mouvement, sous-estimé par le gouvernement, n’a pas arrêté de gonfler : il est facile de passer sur le rond-point d’à côté, qui peut être bloqué facilement, et d’obtenir une grande visibilité de tous les automobiles passant par là. En quelques jours, le mouvement s’est envolé, pour se transformer en « actes » nationaux le samedi. Cette journée a fait débat : et la grève ? Et la mobilisation en semaine ? Les quelques journées d’actions nationales appelées par les syndicats comme la CGT ou Solidaires, notamment en décembre, l’ont été trop tard et pas assez bien préparées, sans réelles convictions, échouant à lancer une grève générale. Rythmée en deux temps, la mobilisation était partagée entre les occupations de ronds-points (avec des constructions et affichages à proximité) qui permettent aussi de peser sur la vie économique de grands centres commerciaux ou centres d’approvisionnement, et les « actes » du samedi, qui ont très vite pris une ampleur rare : des milliers de Gilets jaunes, des dizaines de milliers plutôt, sont venu.es à Paris, par leurs propres moyens, entre camarades, entre nouveaux frères et sœurs d’humanités qui ne se connaissaient pas quelques semaines auparavant ou encore entre voisin.nes, pour défiler et montrer la France d’en bas et des régions. Pour de multiples raisons, ce cocktail a vite été détonnant, en donnant comme lieu de rendez-vous l’Arc de triomphe, les Champs-Élysées, et a déjoué tous les stratagèmes de la préfecture de police qui était restée au maintien de l’ordre d’un autre temps. Nous voilà donc sur les Champs-Élysées, la plus belle avenue du monde, sur toutes les télévisions, reprenant la rue bourgeoise : plusieurs manifestations avaient des goûts de pré-révolution, à quelques pas des lieux emblématiques de pouvoir. L’absence de service d’ordre, de parcours, d’information de manifestation et la volonté réunie de dizaines de milliers de Gilets jaunes de monter « chercher Macron », ont donné des scènes, répétées, de présence massive et importante à Paris. C’est d’ailleurs ce qui nous semble être un bon exemple de la pensée macroniste « en même temps » : dans les localités au quotidien, et dans la capitale le samedi, pour se réunir et peser, en défiant le pouvoir pour qu’il cède enfin aux revendications… avec l’appui de plusieurs syndicats SUD (dont plusieurs sections d’entreprises dans l’industrie qui ont pris position expressément en faveur du mouvement, à travers des communications syndicales dans les entreprises ou des débats, comme Safran, Renault, MCA…). Pas que cependant : parmi la foule d’anonymes, des auto-entrepreneurs, des chômeurs et chômeuses, des retraité.es, des salarié.es de TPE… qui ont été bien plus touché.es par le mouvement, en s’y retrouvant dedans : nous pensons qu’il faudra rappeler lors des élections TPE la présence de SUD-Solidaires sur le mouvement des Gilets jaunes, car c’est bien notre syndicat dans son ensemble, au niveau national et interprofessionne, qui a fait honneur aux principes des Gilets jaunes en y appelant.
De la violence policière à l’auto-défense populaire
Peut-être aurions-nous du théoriser davantage ce passage ou nous inspirer de plusieurs articles déjà écrits sur le sujet et forts intéressants. Nous avons été confronté.es, depuis quasiment le début du mouvement, à une répression policière rarement connue. Blessé.es légers par milliers et graves par centaines, arrestations par milliers, contrôles préventifs par dizaines et dizaines de milliers, fouilles musclées, armes utilisées et blindés, voltigeurs remis en place… Plusieurs villes ont été le théâtre d’affrontements violents entre la police et les Gilets jaunes, démontrant la rage et la colère d’une partie des manifestants et manifestantes, qui s’est d’ailleurs « radicalisée » au fil des actes, en voyant la réponse policière plutôt que sociale. Dans un mouvement où nous demandions, naïvement parfois, à être reconnu.es, entendu.es, écouté.es, le mépris du gouvernement n’a fait qu’augmenter la rupture et les pratiques de « contacts », y compris pour des syndicalistes qui n’étaient pas habitué.es à ce mode de manifestations. Mêmes celles et ceux qui ne sont pas allé.es au contact ne condamnaient pas, mais reconnaissaient comme une défaite la seule solution : la violence, l’affrontement, la révolution. Évidemment, la violence seule, dans une société où le pouvoir possède des corps armés comme jamais, et qui ne semblent pas se révolter contre leurs généraux, ne suffit pas pour bloquer l’économie et peser sur le patronat (trop souvent oublié dans le mouvement), mais cela montre aussi que des revendications « démocratiques » comme le RIC demandaient à être entendues. Pour autant, sans jamais donner de consignes ou faire l’apologie de la violence, nous avons aussi constaté que les gentilles manifestations ne servaient plus à grand-chose. C’est un trait caractéristique et important dans le soulèvement : il y a eu, chaque fois ou presque à Paris grâce aux montées nationales, mais aussi dans plusieurs villes (de Rouen à Sedan en passant par Toulouse, Bordeaux, ou Lyon, etc.) des violences et mêmes des attaques de bâtiments administratifs comme des centres d’impôts ou préfecture, qui représentent, qu’on le veuille ou non, des lieux du pouvoir en place et de la politique économique. Nous n’en sommes pas à mettre en place un centre de commandement des opérations, à prendre comme cibles tel lieu de pouvoir ou autre, mais il conviendra de se rappeler que, dans les périodes prérévolutionnaires, il faut connaître, mieux que l’ennemi, le terrain et les objectifs. Enfin, les camarades sont toujours plus motivé.es pour aller chercher le responsable, que pour défiler d’un point A à un point B et rentrer chez soi : il faudra aborder sereinement et franchement la question. Toutes les avancées sociales et humanistes l’ont toujours été de haute lutte, sans faire l’impasse sur la violence et la question du rapport de force multiple, de l’entreprise à la rue. Sans aller sur le terrain de la grève et de la construction du syndicat, la violence de rue, les révoltes, ne suffiront pas, seules, à faire plier le gouvernement et le patronat qui représentent une même et seule classe unie.
Finalement, ça s’appelle la lutte des classes…
Nous avons commencé par écrire la conclusion de notre article en premier : certain.es pourraient considérer que c’est une faute de goût ou que nous n’avons pas fait évolué nos positions et analyses pendant l’écriture collective, mais nous avons instauré un outil, à nos yeux bien plus important que les tours de paroles : l’obligation de formuler forcément au bout de deux interventions et échanges une proposition, et ce afin de sortir du simple témoignage, du commentaire et de la « situation politique générale » dont certain.es sont les spécialistes pour mieux nous endormir et ne pas agir. Alors, au fil des « actes », des assemblées générales syndicales, des coups de téléphone, des garde-à-vue, de la répression policière (et plus globalement étatique, médiatique, etc.), nous avons noté nos idées et tenté de construire un apport syndical de nos implantations industrielles dans le cadre du mouvement ; mouvement, qui n’est toujours pas terminé et qui ne se terminera pas, puisque la révolte contre les inégalités sociales ne s’arrêtera qu’à l’issue de l’abolition des privilèges encore en place. Qu’importe si les Gilets jaunes deviennent un autre mouvement ou portent un autre nom : cette révolte, cette rage, cette colère, c’est une contestation de rue et populaire, ouverte à toutes et tous, au plus près de chez soi et sans se faire confisquer la parole. Des travailleurs et travailleuses, des retraité.es, des citoyens et citoyennes au sens large, qui se révoltent en partant de préoccupations quotidiennes pour aller vers une remise en cause plus globale de la société capitaliste, en exprimant leur rage et leur révolte loin des cadres institutionnels (et ceux affiliés), n’est-ce pas ce pourquoi nous militons au quotidien dans les entreprises et administrations ? Il convient ensuite de faire en sorte que ces révolté.es rejoignent le rang du syndicalisme, et pas n’importe lequel mais le nôtre, qui est tout sauf celui du syndicalisme « rassemblé » mais doit porter haut et fort son identité : un syndicalisme révolutionnaire, fier de porter la lutte des classes dans sa conception et ses pratiques, débarrassé des querelles de chapelle, pour construire une société fraternellement organisée avec notamment la socialisation des moyens de production. En attendant, la prime « Gilets jaunes » a été une première conquête, qui doit en appeler d’autres, avec la conscientisation importante et progressive des travailleurs et travailleuses, dans laquelle le mouvement ouvrier et syndical a un rôle majeur à jouer.