Forces et contradictions d’une Union locale à Aubervilliers

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L’Union locale Solidaires d’Aubervilliers a été mise en place à la suite du mouvement contre la loi travail. Elle est la jonction de plusieurs forces : l’augmentation du nombre de syndiqué∙es de SUD éducation dans la ville, la présence d’une section de SUD Travail affaires sociales, liée à un déménagement de ministère, des sections SUD Santé Sociaux dans l’associatif et des militant·es habitant·es de la ville, qui souhaitaient s’investir à proximité de chez eux et elles.


Accompagnant d’élèves en situation de handicap (AESH, Education nationale), Manuel Guyader est membre de SUD éducation 75. Conceptrice-animatrice d’ateliers de philosophie, Anouk Colombani est membre de SUD Culture Solidaires. Il et elle participe à l’animation de l’Union locale Solidaires d’Aubervilliers.


Dans les rues d’Aubervilliers en 2020, affichage informant de la permanence téléphonique Solidaires alors mise en place. [Solidaires]
Dans les rues d’Aubervilliers en 2020, affichage informant de la permanence téléphonique Solidaires alors mise en place. [Solidaires]

Après un temps lié à l’Union locale Saint-Denis, la création d’une UL dans cette ville de Seine-Saint-Denis était un enjeu important. En effet, Aubervilliers est une ville de 100 000 habitant·es qui accueille aujourd’hui de nombreux sièges d’entreprise telles que Uber, Veolia, une part importante de l’activité textile parisienne, mais aussi des annexes de ministère. Le reste de la ville est séparée entre lieux culturels, associations et un large tissu de PME. S’y ajoutent les agent·es des trois fonctions publiques. Le périmètre de l’UL comprend par ailleurs les villes de Pantin et La Courneuve, deux à trois fois plus petites qu’Aubervilliers, qui sont elles-mêmes des lieux avec un grand nombre d’entreprises, dont un technicentre SNCF dans le cas de Pantin.

Le travail de l’UL a permis une reconnaissance de la part de la CGT, qui a ouvert les portes du conseil d’administration de la Bourse du travail d’Aubervilliers, mais les camarades utilisent aussi parfois des salles sur les bourses des deux autres villes. Lors du mouvement contre les 64 ans, pour la première fois, les UL CGT et SUD (et parfois les syndicats de la FSU) ont travaillé ensemble sur les trois villes ! Il y a là une vraie réussite qui est le résultat d’années de construction, même si beaucoup reste à faire. Nous nous concentrerons ici sur les actions qui concernent Aubervilliers.

Amener du droit syndical dans des déserts juridiques

En 2016, les premières actions sont simples et efficaces : des collages réguliers pour marquer le territoire et la mise en place d’un cours de droit du travail. C’est ce dernier qui fait vraiment l’originalité de l’UL. Le cours ne s’est jamais arrêté depuis 2016. Il a d’abord été assuré par Luz, défenseuse syndicale, membre de la section SUD TAS. Le cours était adossé à des permanences que celle-ci tenait, épaulée de camarades de l’UL, qui se formaient au fil des accueils. Les permanences comme le cours ont permis d’accueillir tout un public éloigné du syndicalisme : salarié·es de petites assos, micro-entrepreneur·es sous-traitant·e de Uber, assos municipales trustées par les politiques, travailleurs·euses sans-papiers… Le travail de Luz, et ses réflexions stratégiques, discutées parfois en UL, ont été un énorme apport. L’UL a permis de faire sortir le juridique d’un simple rapport juridique au droit. Une des bases était : le droit, ça se discute et c’est politique (enfin syndical). A chaque situation, sa stratégie. Le cours est ainsi devenu un lieu de discussion mélangeant des salarié·es multipliant les contrats, des élu·es du personnel, des personnes justes intéressées, des syndicalistes souhaitant faire des accompagnements… Les métiers représentés par les présent·es étaient aussi très divers.

Des procès et des actions

Le collectif créé par L. a permis que l’UL soutiennent plusieurs procès importants :

→ Des procès prud’hommes contre un établissement privé, qui faisait travailler plusieurs personnes sans papiers comme « homme à tout faire » dans des conditions misérables. Ces hommes Nous avaient contacté suite une grève qu’ils avaient déclenchée car leurs salaires n’étaient plus payés. En plus des procès, il y eu des interpellations à la mairie, au département, etc. L’UL a demandé un soutien financier à l’Union départemental. Celle-ci a soutenu en partie, tout en faisant un appel large aux syndicats de Solidaires. Cette solidarité a permis que ces travailleurs gagnent du temps pour être régularisé, gagnent aux prud’hommes, trouvent un nouveau travail… Les quatre salariés ayant attaqué ont gagné sur tous les points.

→ Des procès prud’hommes contre une association de réinsertion. Ce travail a été soutenu par le syndicat Asso Solidaires. Du côté de l’UL, il a permis de pénétrer au sein de ces associations qui peuplent le 93 et exploitent de nombreux jeunes habitants et habitantes. L’association en question couvrait des agresseurs sexuels tout en détournant de l’argent. C’est à l’occasion d’un mauvais recrutement que le système a explosé. Une nouvelle équipe de direction a eu l’intention de mettre au clair l’association et s’est retrouvé harcelée par la précédente direction, attentive à sauvegarder ses intérêts…

→ C’est aussi l’UL d’Aubervilliers qui a pris en charge le suivi d’une comédienne, renvoyée parce qu’enceinte d’un théâtre du département. Cette affaire est en cours, mais elle les premières victoires montrent que c’est par la discussion et la mise en place d’une stratégie syndicale que des preuves se sont fait jour… Sans compter que cela a permis la formalisation de communiqués (souvent en commun avec SUD Culture) et d’un soutien lors des procès pénaux et prud’hommes.

→ L’accompagnement de salariées d’une « chaîne » de crèche privée victimes de graves faits de harcèlements et de licenciements abusifs.

L’UL a tenté à chaque fois que c’était possible de communiquer sur ces situations, permettant ainsi des mises en lien avec des salarié·es victimes de situation similaire mais des articles de presse. Des rassemblements ont pu être appelés.

Transformer tout cela en collectif de luttes

L’accent mis sur l’accompagnement de salarié∙es en difficulté a permis d’aller à la rencontre de personnes peu habitué·es au syndicalisme et à donner aux membres de l’Union locale une compréhension plus importante des milieux de travail du secteur. De ce point de vue-là, il y a une vraie réussite. C’est ce qui a conduit à poursuivre les cours quand Luz est devenue indisponible (après avoir donné 8 samedi matin par an, sans décharge, pendant 4 ans, sans compter la préparation et l’accompagnement juridique). Depuis trois ans, les cours sont assurés par des personnes différentes selon les thématiques, ce qui permet d’entrer en profondeur sur certaines questions, de faire appel à plus de syndicats et de créer des liens sur certaines questions. Les cours se sont ouverts sur le droit de la fonction publique, notamment sur les catégories précaires. Cette ouverture est aussi liée à la prise en compte des limites de l’action juridique, fut-elle politique.


Sans légende [Solidaires]
Sans légende [Solidaires]

Malgré une hausse un temps de l’activité et du nombre de présent·es, l’UL a eu du mal à passer le cap du COVID. Alors qu’elle avait été très utile durant le premier mouvement des retraites, elle a eu beaucoup de mal à capitaliser les relations créées par les cours et les permanences lors du mouvement de 2023. Par ailleurs, elle pâtit d’un repli des syndicats, qui ne perçoivent pas ce que peut l’action interprofessionnelle. Ainsi les listes de l’UL sont plus les réceptacles de luttes déjà passées que de luttes à soutenir et à construire ensemble, alors même que ce ne sont pas les sujets croisés qui manquent sur l’éducation, la santé, le social, la culture… Dans les projets à venir, il est question d’une carte ouvrière de la ville, qui permettrait d’aller chercher certains secteurs en particulier. Un autre enjeu est d’amener plus de syndicats, et des sections syndicales entières à se saisir de l’activité entre milieux professionnels différents. Pour ce faire, nous avons besoin d’une meilleure lisibilité des secteurs.

Un autre investissement de l’UL, qui a mieux réussi ces derniers mois est de participer aux luttes sur la ville : luttes pour le logement, pour la régularisation d’habitant·es sans-papiers de la ville, lutte contre les Jeux olympiques 2024 et la destruction de Jardins ouvriers, mobilisations contre la dégradation et la fermeture de services publics, lutte contre les violences policières et le racisme… C’est bien l’alliance de ces deux pans : faire de l’interprofessionnel et faire du « syndicalisme de ville » qui font le sens d’une UL à côté des syndicats professionnels. Car il s’agit bien d’augmenter la force des syndicats, et non de faire à la place « de ». Un débat agite ainsi l’UL sur le fait de suivre des luttes là où les syndicats professionnels n’effectuent pas le travail, que ce soit au niveau juridique ou au niveau revendicatif. Le risque étant double : parler à la place « de » mais aussi charger la barque jusqu’à couler. Quoiqu’il en soit, forte d’un local au sein de la Bourse du travail, d’un nouveau programme de cours, de nouvelles sections syndicales (SUD Culture, SUD Collectivités territoriales notamment) et d’un travail intersyndical (et même inter-orga), l’UL entend poursuivre son travail. Par ailleurs, le mouvement a permis de faire se rencontrer plus de militant·es côté Pantin et La Courneuve. Des idées émergent aussi sur ces deux villes.

Tisser du lien, tisser du lien… sans jamais s’arrêter.


Anouk Colombani, Manuel Guyader

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