Espagne 1936, milices ouvrières et livraison d’armes à travers La Révolution prolétarienne
Dès le début de la révolution espagnole qui fit suite à l’insurrection fasciste des militaires, dont Franco, les questions du soutien à la résistance populaire, armée et non armée, de la livraison d’armes, du combat antifasciste aux côtés de forces républicaines ne représentant ni ne défendant les intérêts de la classe ouvrière, ont interpellé le mouvement ouvrier. Syndicalistes, nous reproduisons quelques extraits de la revue La Révolution prolétarienne, alors sous-titrée « revue bimensuelle syndicaliste révolutionnaire ».
Créée autour de Pierre Monatte, l’un des fondateurs de La Vie Ouvrière, cette revue historique du syndicalisme a, depuis son origine, conservé son attachement à l’unité syndicale, à l’autonomie vis-à-vis des partis politiques, à l’anticolonialisme et à une conception combative du syndicalisme. Elle existe toujours, sous la forme d’un trimestriel d’une trentaine de pages et est animée par une équipe qui s’efforce depuis quelques années de lui redonner un format éditorial en prise avec les luttes sociales.
Dès les derniers jours de juillet 1936, dans tous les pays, des syndicalistes organisent le soutien à la révolution espagnole, à celles et ceux qui combattent les troupes de Franco appuyées par l’Italie de Mussolini et l’Allemagne d’Hitler. En France, les syndicalistes révolutionnaires de La Révolution prolétarienne, dès leur numéro du 10 août, titrent « Au secours du prolétariat espagnol ». Nous reprenons ici l’intégralité de l’article d’Ida Mett. Elle appelle le prolétariat international, français pour ce qui est des lecteurs et lectrices de La Révolution prolétarienne, à soutenir activement les travailleurs et travailleuses d’Espagne ; pour cela, la question de l’armement est au premier rang des préoccupations. Pour autant, il ne s’agit pas de se ranger derrière le gouvernement républicain, qui défend d’autres intérêts que ceux du prolétariat. Dans le même numéro, Robert Louzon publie ce qui sera le premier d’une série de « notes » particulièrement riches. Il consacre la fin de son article à la question du peuple en armes, mentionnant les premières tentatives de remise en cause de la situation révolutionnaire au profit d’une militarisation en défense de l’état bourgeois. La prise de position de La Révolution prolétarienne pour le soutien, y compris armé, au prolétariat espagnol provoque des réactions. Dans le numéro 229 du 25 août 1936 : « L’appel publié en tête du dernier numéro et l’article d’Ida Mett ont provoqué une réponse d’ Hagnauer et une lettre de Marcel Martinet à Chambelland. Nous publions naturellement cette réponse et cette lettre. Existe-t-il entre nos camarades un désaccord profond ou bien attachent-ils au mot neutralité deux significations différentes ? ». Nous citons ici un extrait de l’écrit de Roger Hagnauer [1].
⬛ Christian Mahieux
Au secours du prolétariat espagnol [2]
Tout le monde est unanime à reconnaître le courage et l’abnégation dont le prolétariat espagnol fait preuve dans sa défense contre le fascisme. Cet esprit de sacrifice est d’autant plus admirable que ces travailleurs savent exactement contre qui ils luttent, mais ignorent pour qui, pour quel régime social ils versent leur sang. En effet, la situation politique et sociale de l’Espagne est extrêmement équivoque. Le prolétariat espagnol se bat d’une part contre les hordes fascistes incarnant le féodalisme et le gros capital. D’autre part, il a comme allié momentané le gouvernement du Front populaire, qui n’a donné aucune solution aux problèmes vitaux posés devant les classes laborieuses à la veille de l’insurrection fasciste. Rappelons que ce gouvernement est arrivé au pouvoir après les élections de février. En six mois de temps, qu’a-t-il réalisé ? Où est la réforme agraire qui devait devenir la clef de voûte de l’Espagne nouvelle ? Où sont les lois sociales protégeant les prolétaires des villes et des campagnes ? Nous avons vu qu’on avait introduit la semaine de quarante heures en Catalogne, mais cela seulement lorsque tonnèrent les canons fascistes. A la veille même de la tentative de
Franco, les attaques du gouvernement contre la C.N.T., une des deux centrales syndicales d’Espagne, ne cessaient pas. La Batalla (organe du Parti ouvrier d’unification marxiste) devait publier le 5 juin un éditorial : « L’offensive contre le mouvement ouvrier », où elle dénonçait la fermeture de nombreux syndicats de la·C.N.T. à Madrid et l’arrestation de ses dirigeants. Il suffit d’ailleurs de jeter un coup d’œil sur les journaux de la gauche ouvrière de cette époque pour constater que comme en Pologne, en Bulgarie et dans d’autres pays semi-fascistes les journaux de gauche espagnols étaient criblés de colonnes blanches et de textes caviardés. C’est la censure qui sévissait en Espagne du Front populaire contre les organisations de gauche, tandis que les fascistes pouvaient se développer sans être beaucoup inquiétés par les autorités. Ainsi, La Batalla du 29 mai annonçait par exemple qu’à Bilbao le gouverneur civil autorisait la réouverture des locaux de l’Accion Popular. A Madrid, en même temps, on libérait les fascistes, fauteurs des troubles du 2 mai et on acquittait également don José Antonio Primo de Rivera, le chef de la Phalange espagnole. Le 23 mai, La Gaceta de Madrid publiait un décret selon lequel José Sanjurjo, fils du général fasciste Sanjurjo, était nommé général d’une brigade de la Garde civile. Rappelons surtout que les généraux Franco et Goded avaient été maintenus dans leurs fonctions militaires responsables malgré leur participation à la tentative monarchiste de Sanjurjo en 1932. Par contre, les militaires qui se sont affirmés en révolutionnaires lors de l’insurrection aux Asturies et en Catalogne en 1934, comme Perez Farras, Léon Luengo, le lieutenant Condé, Escofet, Ricart et autres n’ont pas été réadmis à l’armée pendant le règne du Front populaire.
Ces quelques exemples illustrent suffisamment que la démocratie espagnole n’exerçait aucun contrôle sur l’armée et la Garde civile, ni sur la magistrature; et durant les six mois, au lieu de surveiller les fascistes et les cliques militaristes, elle avait l’œil fixé sur les ouvriers et les paysans, toujours prête pour arrêter leur marche en avant. Un soulèvement dans le genre de celui de 1930 ne pouvait pas se faire sans préparation préalable, et il fallait être aveuglé par le fameux « péril marxiste » pour ne pas voir surgir le mouvement de droite. On peut encore supposer que le gouvernement savait qu’un complot se préparait, mais hésita longtemps avant de faire appel aux organisations ouvrières. Cette hypothèse trouve sa confirmation dans les écrits du correspondant du Peuple, Pierre Robert, qui dans sa lettre de Barcelone annonce ceci : « Les troupes d’assaut de la République auraient été insuffisantes devant la force de l’armée rebelle. Le soir qui précéda l’émeute, le gouvernement de Catalogne ne voulait pas donner des armes aux militants ouvriers qui étaient au courant de la tentative des officiers et de leurs troupes. C’est alors que quelques ouvriers descendirent au port, prirent un navire contenant 500 fusils et des munitions. Cela se passa deux heures avant le soulèvement fasciste ». (Peuple, du 28 juillet).
Il fallait que les dirigeants du Front populaire ressentissent un danger imminent pour leur propre existence pour se décider à distribuer des armes au peuple. Mais, dès à présent, le gouvernement se préoccupe beaucoup de l’idée de « canaliser le mouvement » ; les deux chefs d’Etat, Azafia et Companys font des déclarations de ce genre aux correspondants étrangers. Et tandis que le sang ouvrier coule dans toutes les contrées de la péninsule, nous voyons Martinez Barrio, président des Cortès, déclarer que « la rébellion militaire ne voit pas se dresser devant elle un gouvernement marxiste, ni une armée marxiste, ni un Etat marxiste. Il est vrai que l’Etat et ses représentants ont accepté le concours désintéressé des classes ouvrières représentées par les syndicats, les socialistes, les communistes et les libertaires. Mais derrière l’Etat se trouvent aussi en ligne de combat les partis républicains qui contribuèrent à la révolution de 1931. » En même temps, le parti communiste espagnol (faisant partie du Front populaire) fait connaître par l’intermédiaire du parti communiste français que « le peuple espagnol, dans sa lutte contre les factieux, ne vise nullement à l’instauration de la dictature du prolétariat et n’a qu’un seul but : la défense de l’ordre républicain, dans le respect de la propriété » (Le Populaire du 3-8-30). On comprend aisément que pareilles déclarations inquiètent des combattants ouvriers espagnols. Faut-il encore ajouter la déclaration de Largo Caballero, chef du secteur socialiste du Front populaire,. Qui dit ceci : « L’Espagne restera membre de la S.D.N. même sous un régime socialiste. Mais je ne crois pas que l’Espagne se refuse à prendre ses responsabilités en cas de conflit européen. La lutte se fera entre le front des Etats démocratiques et le front des peuples sous les dictatures. » (Paris-Soir du 25-7-30). Donc encore une perspective réjouissante pour le prolétariat espagnol, celle de servir, en cas de victoire,de chair à canon pour la défense des démocraties bourgeoises.
Nous répétons qu’il fallait que la classe ouvrière espagnole ait un sentiment de haine précis contre, le féodalisme et une profonde perspicacité historique pour pouvoir continuer malgré tout sa lutte inégale contre les militaires professionnels, bien armés et bien ravitaillés en armes et en avions par les gouvernements fascistes. Nous pensons que dans cette mêlée elle est soutenue par l’espoir de dépasser les cadres actuels de la lutte et d’aller jusqu’à la révolution sociale. Mais dès à présent,sur le plan de la défense antifasciste, n’est-elle pas en droit d’attendre l’aide efficace et immédiate de la part des autres pays démocratiques,et en premier lieu de la France du Front populaire ?A cette occasion, nous nous permettons d’établir une sorte de comparaison entre les deux fronts populaires et d’analyser la situation française telle qu’elle apparaît à la lueur des événements espagnols. On pourrait nous objecter que pareille analogie n’est pas possible vu que le Front populaire français aurait déjà abouti à une série de concessions de la part de la bourgeoisie. Cela est exact, seulement faut-il encore se souvenir que c’est grâce à l’occupation des usines que la victoire a été acquise. Or, quand un représentant autorisé du Front populaire déclare que l’occupation du lieu de travail est mise hors la loi, on est en droit de se demander où va un pareil gouvernement. Il y a d’ailleurs, en dehors de la déclaration de Salengro, une concordance de plusieurs phénomènes inquiétants. Ainsi, comme en Espagne, la magistrature n’est pas contrôlée, et n’a-t-on pas vu les derniers jours un acquittement pur et simple des mandataires des Halles, sous prétexte que la loi ne détermine pas de chiffres concrets sur les bénéfices exagérés. En même temps, le tribunal de Montpellier condamne à six mois de prison sans sursis l’ouvrier inculpé d’avoir arraché des cocardes aux fascistes. Dans les milieux officiels, on dit presque ouvertement que le ministre a moins de pouvoir que la Préfecture de Police, où les hauts fonctionnaires sont restés les mêmes qu’au temps de Chiappe. De ce chef, le problème du droit d’asile pour la nombreuse émigration antifasciste reste posé. Par contre, le banquier Juan March, qui avait financé l’insurrection fasciste en Espagne, trouve asile à Paris, où il habite ouvertement dans un hôtel luxueux et donne même des interviews à la presse qui parle d’un grand quartier fasciste dans la capitale française. Aussi, dans la question d’amnistie, le gouvernement manifeste le même esprit d’hésitation ; au lieu d’amnistie, il n’accorde qu’une grâce amnistiante. Enfin, son attitude devient vraiment révoltante dans la question du soutien aux combattants antifascistes espagnols. Tandis que les insurgés sont ouvertement aidés par Hitler et Mussolini, le gouvernement français commence tout d’abord par consulter les juristes sur la question de savoir peut-on ou ne peut-on pas, au point de vue droit international, aider le gouvernement espagnol. Et bien que les juristes soient unanimes pour reconnaître qu’on peut livrer des armes à un gouvernement régulier, les ministres du Front populaire décident de rester neutres. Il a fallu que les avions italiens se rendant au Maroc espagnol s’écrasent sur territoire français pour que le gouvernement revienne en partie sur sa décision et prenne une attitude de neutralité conditionnée.
Cependant, les antifascistes espagnols manquent d’armes, d’avions et d’essence, Chaque jour de retard peut causer des désastres. Et bien que, même au point de vue défense nationale, point de vue qui n’est pas le nôtre, le gouvernement français ait toute raison de souhaiter la victoire du Front populaire espagnol, on le voit toujours indécis. Au lieu de consulter l’opinion de la classe ouvrière au sujet de la livraison d’armes, le gouvernement tourne ses regards à droite, inquiet surtout de ce que pensent ses alliés bourgeois ; naturellement, ceux-ci en profitent pour interdire formellement toute aide à l’Espagne antifasciste. Sans doute pour ne pas paraître inactif, le gouvernement imagine une nouvelle solution, notamment la convocation d’une conférence des puissances méditerranéennes, comme si on n’avait pas assez de conférences diplomatiques stériles.
On peut donc constater que les antifascistes espagnols attendront en vain l’aide de la part du Front populaire français. Mais le prolétariat de France laissera-t-il, lui, écraser l’Espagne révolutionnaire ? Ne lui viendra-t-il pas en aide en faisant pression sur le gouvernement pour briser son attitude de neutralité criminelle ? Quant à la C.G.T., si elle. ne veut pas devenir un simple appendice du gouvernement, elle doit avoir une politique propre à elle. Et, notamment dans la question espagnole, la C.G.T. doit et peut exercer son influence et sa pression énergique sur les milieux gouvernementaux pour les obliger à compter avec l’opinion prolétarienne, qui est certainement favorable à l’aide immédiate à l’Espagne révolutionnaire.
Espagne révolutionnaire. Notes sur Barcelone (5 août 1936) [3]
[…] La question sur laquelle la partie décisive se jouera sera celle des milices. Pourquoi la classe ouvrière a-t-elle aujourd’hui le pouvoir à Barcelone ? Parce qu’elle est armée; parce qu’elle est la seule force armée. Le 19 juillet au matin, toutes les forces armées de Barcelone étaient soulevées. Toutes : cavalerie, infanterie, artillerie; toutes sauf les équipages de trois avions (sur quatre), et sauf la police, police recrutée directement par la Généralité et composée de « Catalans » sûrs. Le 19 juillet au soir, toutes ces forces armées étaient vaincues. Le quartier général, le central téléphonique, l’hôtel Colon, qu’elles avaient occupés à l’aube par surprise, leur étaient repris, et elles n’avaient pu atteindre la Préfecture de police, but principal de leurs efforts; leur général en chef était prisonnier. Or, qui les avait vaincues ? La force conjuguée des ouvriers, des aviateurs et des gardes d’assaut. Il faut dire que les aviateurs n’avaient été fidèles au gouvernement que parce qu’un certain nombre d’entre eux – disons-le vite entre nous – étaient acquis, non au gouvernement, mais à la C. N.T.; les gardes d’assaut, fiers et emballés du courage de leurs compagnons d’armes d’une journée, ne juraient plus que par la classe ouvrière -et la C. N.T.; et puis, enfin, les ouvriers, c’était le grand nombre, c’étaient eux qui avaient fait masse, et qui étaient la masse dont on pourrait tirer autant de combattants qu’il en faudrait pour continuer la lutte contre le fascisme.
La classe ouvrière était donc la puissance armée. Nécessairement, elle devint immédiatement la puissance tout court. Mais, pour rester cette puissance, il lui fallait demeurer la puissance armée. Pour cela, elle s’organisa en milices. Milices « antifascistes », dit le titre officiel. En fait : milices ouvrières. Milices formées d’ouvriers, d’ouvriers sans uniformes et sans casernes, mais assurant leur service avec une régularité et une conscience admirables, instruits techniquement par quelques professionnels, caporaux et soldats, mais commandés par des ouvriers et des militants. Milices qui sont, dans la pleine acception du terme : le peuple en armes. Le pouvoir du peuple, le pouvoir du prolétariat, qui est aujourd’hui à Barcelone un fait, est lié strictement au maintien de ce peuple en armes, au maintien des milices. Dans cet admirable bréviaire de la révolution qu’est L’Etat et la Révolution de Lénine, celui-ci insiste très fortement sur ce fait que , la révolution est liée à l’institution du peuple en armes, tout comme l’Etat bourgeois est lié à celle de l’armée.
Armée = Etat bourgeois ; milices = révolution prolétarienne. C’est ce qu’ici on comprend parfaitement de part et d’autre ; aussi est-ce sur cette question essentielle – armée ou milices ? – que se jouera, ou plutôt que commence déjà à se jouer, le sort de la révolution sociale actuellement commencée. II y a quelques jours, un ordre de la Généralité ordonnait le désarmement de tous ceux qui n’étaient pas régulièrement inscrits aux milices antifascistes. Hier, le gouvernement appelait trois classes de conscrits, qui devaient être encasernés et soumis au régime habituel des soldats. La C. N. T. a, bien entendu, aussitôt senti le danger : « Sous aucun prétexte, ne livrez pas vos armes ! », telle fut sa réponse au premier ordre de la Généralité. Et quant au second, elle a réuni hier en un immense meeting les jeunes appelés pour leur faire prendre la décision de s’enrôler dans les milices, mais de refuser d’être des soldats. « Milices populaires, oui ; soldats encasernés et avec uniformes, non ! », écrivait ce matin en gros caractères Solidaridad Obrera, en tête d’une longue déclaration du Comité régional de la C. N.T. Sur la question cruciale de l’armement du prolétariat, de laquelle dépend le sort du pouvoir du prolétariat, la lutte est donc déjà engagée, au moins sous forme de premières escarmouches. L’issue de cette lutte dépendra de facteurs relevant d’autres aspects de la révolution, que je tâcherai d’indiquer au cours de notes suivantes.
A propos de la neutralité [4]
Le devoir de solidarité à des révolutionnaires espagnols qui défendent leur révolution, personne d’entre nous ne le met en question. Pas plus que ne peut être mis en question le devoir de lutter pour la paix du monde ; nous ne sommes pas devenus des défenseurs du traité de Versailles. Deux devoirs s’imposent, et qui ne sont pas inconciliables. Alors de quoi s’agit-il ? Obtenir du gouvernement une intervention des troupes françaises en Espagne ? Evidemment non. Ce que nous voulons les uns et les autres c’est que les révolutionnaires espagnols ne soient pas laissés sans armes et sans munitions devant leurs ennemis mieux armés. Or cela est possible. Ce n’est pas contre la neutralité, mais contre une conception spéciale de la neutralité que s’élèvent tant de colères. De 1914 à 1918, les neutres n’ont pas suspendu leur commerce ; il s’en faut. Pourquoi empêcher le gouvernement espagnol de se procurer les armes dont il a besoin ? Là est le point du débat. Et sur ce point nos camarades ne sont pas en désaccord sans doute.
Devons-nous abandonner notre position ? [5]
Il faut s’expliquer franchement. Les événements d’Espagne ont quelque peu bouleversé les idées de la plupart des militants syndicalistes. On pourrait le taire : agir selon les nécessités d’aujourd’hui, tout en parlant selon les formules d’hier. Ce n’est pas notre habitude à la R.P. Nous disions hier : En aucun cas, sous aucun prétexte, nous ne participerons à une guerre entre impérialismes baptisée : croisade antifasciste. En aucun cas, sous aucun prétexte, nous ne confondrons la guerre nationale et la guerre révolutionnaire ; la cause de paix celle de la révolution sont, pour nous, interdépendantes. Aujourd’hui, non seulement nous soutenons nos amis espagnols, mais encore nous condamnons la neutralité du gouvernement Léon Blum.
[…] La raison d’agir est ici aussi importante que l’action elle-même. Rien ne peut ralentir notre effort de solidarité à l’égard de nos frères d’Espagne. Mais nous ne voulons pas que celui-ci se confonde avec une politique interventionniste tendant à assurer par des alliances militaires « la sécurité de la France » (!?). Nous ne le voulons pas : parce que la situation espagnole, si grave qu’elle soit, ne peut nous faire négliger l’évolution du mouvement ouvrier français. Nous ne le voulons pas, parce nous n’avons pas l’impression qu’en nous plaçant sur ce terrain de la défense nationale, nous apportons aux révolutionnaires espagnols le soutien le plus efficace
[…] Le gouvernement français a commis une lourde faute en arrêtant les exportations pour l’Espagne, en tentant une manœuvre diplomatique d’envergure dont il est déjà la dupe et la victime. Nous le condamnons au de la solidarité internationale de classe. […]
[1] A propos d’Ida Mett, Robert Louzon, Roger Hagnauer, Maurice Chambelland, Marcel Martinet, voir le Dictionnaire biographique du mouvement ouvrier, maitron.fr, et la collection de La Révolution prolétarienne (revolutionproletarienne.wordpress.com)
[2] Article d’Ida Mett, dans le numéro 228 de La Révolution prolétarienne, 10 août 1936.
[3] Article de Robert Louzon, dans le numéro 228 de La Révolution prolétarienne, 10 août 1936.
[4] Article introduisant les réponses de Roger Hagnauer et Marcel Martinet aux textes du numéro précédent. La Révolution prolétarienne n°229 du 25 août 1936.
[5] Article de Roger Hagnauer, La Révolution prolétarienne n°229 du 25 août 1936.