Du SNUI à Solidaires

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Le Syndicat national unifié des impôts (SNUI) est, comme le Syndicat national des journalistes (SNJ), une des organisations fondatrices du Groupe des Dix en 1981. Du choix de la non confédéralisation en 1948 à l’Union syndicale Solidaires aujourd’hui, en passant par le G10, c’est un pan de l’histoire syndicale dans notre pays qui est ici retracé. On y verra un fil rouge : celui de l’indépendance syndicale.


Adhérent au Syndicat national unifié des Contributions directes et du Cadastre en 1965, Gérard Gourguechon, fut secrétaire général du Syndicat national unifié des impôts (SNUI, aujourd’hui Solidaires Finances publiques) de 1980 à 1986, avant d’être porte-parole du G10 puis de l’Union syndicale Solidaires jusqu’à son départ en retraite, en 2001. Il est co secrétaire de l’Union nationale interprofessionnelle des retraité∙es Solidaires (UNIRS).


Livre de Pierre Monatte, publié en 1958, reprenant divers articles parus notamment dans La Révolution prolétarienne. [Coll. CM]
Livre de Pierre Monatte, publié en 1958, reprenant divers articles parus notamment dans La Révolution prolétarienne. [Coll. CM]

Solidaires, une union syndicale regroupant d’anciens syndicats confédérés, une union syndicale regroupant des syndicats autonomes

À l’origine de la constitution en 1998 de l’Union syndicale Groupe des Dix (G10), il y a le regroupement d’organisations syndicales depuis longtemps « autonomes », mais qui avaient été, auparavant (en 1947/1948), membres d’une confédération (la CGT) et d’organisations syndicales devenues récemment autonomes, contre leur gré ou par choix, venant elles aussi (de 1988 à 1996) d’une confédération (la CFDT).

Des syndicats autonomes venant de la CGT

La plupart des organisations autonomes venant de la CGT sont celles à l’origine du premier regroupement, dit du « Groupe des Dix » initié le 10 décembre 1981. Ces organisations avaient choisi l’autonomie en 1948, lors de la scission entre la CGT et la CGT-FO, refusant de choisir entre l’une et l’autre (entre Moscou et New-York, comme il était parfois dit en 1948) et privilégiant leur unité interne. Dans les premières années de leur départ de la CGT, celui-ci était parfois vécu comme provisoire, dans l’attente d’un retour de « la grande CGT », une CGT de nouveau fusionnée entre les deux tendances. Mais cette réunification n’a jamais eu lieu, et leur statut de syndicat « autonome » a perduré. Avec le temps, leur ancienne appartenance à une confédération s’est plus ou moins rapidement estompée au fur et à mesure des générations de militantes et de militants et aussi à travers les nouvelles adhésions. C’est dire que les éventuelles pratiques interprofessionnelles de ces organisations syndicales se sont effacées des mémoires individuelles et peut-être de la mémoire collective. Elles se sont tournées plus fortement vers leur champ de syndicalisation, vers les entreprises ou les secteurs de syndicalisation où elles étaient implantées, vers les professions et les métiers qu’elles regroupaient. Compte tenu de la réalité des libertés syndicales, très réduites et limitées dans le secteur privé, c’est plutôt dans le secteur public (administrations et services publics) que se sont trouvés des syndicats autonomes venant de la CGT qui ont pu perdurer pendant plusieurs décennies en restant réellement une organisation syndicale défendant les revendications de ses membres. Les éventuels syndicats « autonomes » rencontrés dans le secteur privé s’appelaient généralement « indépendants » et étaient, de fait, assez souvent des appendices des directions des entreprises.


13 mars 1984, première information de ce qui était encore la CFDT Air-Inter, suite aux exclusions décidées par le syndicat national. Après avoir été confirmé aux élections professionnelles comme syndicat majoritaire, les militantes et militants créaient le SNIPT en août 1984. [Coll. CM]
13 mars 1984, première information de ce qui était encore la CFDT Air-Inter, suite aux exclusions décidées par le syndicat national. Après avoir été confirmé aux élections professionnelles comme syndicat majoritaire, les militantes et militants créaient le SNIPT en août 1984. [Coll. CM]

Le 10 décembre 1981, lors de la première réunion de ce qui allait devenir le Groupe des Dix, toutes les organisations présentes étaient passées par la CGT et plus de la moitié étaient devenues la première ou la seconde organisation syndicale aux élections professionnelles dans leur administration, dans leur entreprise publique, dans le corps de métier (aiguilleurs du ciel, par exemple) qu’elles syndiquaient. Cette place prédominante dans leur champ de syndicalisation leur donnait un rôle fédérateur avec les organisations syndicales confédérées de leur secteur, alors que, dans le même temps, les confédérations pouvaient être particulièrement divisées. Ces organisations portaient donc une image moins « sectaire » que les organisations équivalentes membres d’une confédération car, justement, elles parvenaient à réaliser des intersyndicales de leur secteur avec les syndicats confédérés, malgré les dissensions entre les confédérations. Du fait de leur spécialisation sur leur secteur professionnel, ces organisations avaient aussi l’image de syndicats « pointus » sur leur métier, leur administration, mais totalement absents pour les autres sujets, notamment les questions, et les revendications, interprofessionnelles. Avec l’accumulation des années, cette situation a eu souvent comme conséquence d’attirer des adhésions de personnes voulant fuir les confédérations supposées « faire de la politique ». C’est ce qui peut expliquer le qualificatif qui leur était parfois attribué de la part des « confédérés » de « syndicats corporatifs » : les « corpos », avec un présupposé péjoratif. Mais leur choix, le 10 décembre 1981, d’essayer de créer des liens avec d’autres organisations syndicales, autonomes comme elles, implantées dans d’autres professions, dans d’autres entreprises publiques et d’autres administrations, témoignait de leur volonté de s’ouvrir à des relations interprofessionnelles nouvelles, basées sur des rapports différents de ceux retenus par les confédérations.

Des syndicats autonomes venant de la CFDT

Les organisations sorties récemment d’une confédération venaient toutes de la CFDT. La première, ce sera SUD PTT, fédération créée par des équipes militantes de la CFDT PTT exclues en 1988 de leur fédération pour cause de grève (de grève dans ce qui était encore alors un service public, sous un gouvernement Mitterrand-Rocard), et qui participe au G10 dès novembre 1989. En avril 1990, c’est la fédération CRC Santé Sociaux (Coordonner Rassembler Construire), née en avril 1989 à l’issue du mouvement des personnels de la santé de l’automne-hiver 1988 et créée par des équipes non syndiquées ou venant principalement de la CFDT. En septembre 1992, c’est le SNPIT-Air Inter qui commence à participer aux réunions du G10 et qui adhérera en septembre 1997, tout comme CRC Santé Sociaux. Le SNPIT résulte d’une exclusion par la CFDT des principaux responsables de la section syndicale CFDT de la Compagnie aérienne nationale Air Inter ; à la suite de ces exclusions, en juin 1984, 90 % de la section syndicale ex-CFDT décide de créer un syndicat autonome. Toutes ces exclusions s’inscrivent dans la période dite de « recentrage » de la CFDT qui cherche à se débarrasser des militantes et des militants qui l’ont intégrée à la suite de mai 68 et qu’on retrouve souvent dans les mouvements sociaux et sociétaux du début des années 1970. Edmond Maire, le secrétaire général de la CFDT d’alors, veut faire de la CFDT un syndicalisme d’accompagnement de la politique menée par le PS, lui aussi « recentré », et du « tournant de la rigueur » entamé principalement par Mitterrand, Mauroy et Delors en 1982-1983.

Le recentrage de la CFDT ira encore plus loin, dans un soutien formel à un gouvernement officiellement de droite, celui de Chirac-Juppé en automne 1995. Le 15 novembre 1995, le Premier ministre Juppé est ovationné à l’Assemblée nationale par toute la droite et une partie du PS quand il présente son plan sur les retraites et la Sécurité sociale. La direction de la confédération CFDT et Nicole Notat vont s’afficher en soutien à ce plan alors qu’au sein de la CFDT, des secteurs entiers, des fédérations, des syndicats, des unions régionales et des unions départementales sont totalement engagés dans le conflit contre le gouvernement. À l’issue de cette longue lutte syndicale, des tensions se développent à l’intérieur de la CFDT, bien entendu à l’égard de la direction confédérale, mais aussi à l’intérieur des oppositionnel∙les qui étaient engagé∙es dans les grèves et les mobilisations. Certaines équipes militantes estiment qu’il faut malgré tout rester à la CFDT, continuer de mener la bataille interne et que, lors du prochain congrès confédéral (celui de Lille, en 1998), la majorité pourra être reprise pour refaire vivre la CFDT. D’autres équipes militantes actent que c’est foutu à l’intérieur de la CFDT et qu’il n’y a plus aucune possibilité de redresser la confédération pour lui faire retrouver sa démarche indépendante et revendicative. Ces camarades préconisent de quitter la CFDT, le plus souvent pour créer une nouvelle organisation syndicale sur le modèle de SUD PTT (souvent tous ces camarades se connaissaient au sein de la CFDT, avant que celles et ceux qui ont été à l’origine de SUD PTT n’en soient exclu∙es). Ces nouvelles créations vont parfois être rapides : dès le 11 février 1996, les nouveaux syndicats SUD-Rail manifestent à Paris aux côtés des syndicats du G10. À compter de 1996, les créations de « syndicats SUD » vont se multiplier, la plupart rejoignant progressivement le G10.

Deux « cultures » qui vont savoir agir ensemble

La greffe entre SUD PTT, puis d’autres organisations venant également de la CFDT, et les syndicats autonomes depuis 1948 va se faire, non sans quelques à-coups et quelques discussions pour franchir des étapes découvertes à chaque nouveau pas en avant. Ce qui a dominé à chaque fois pour surmonter les difficultés, c’est la volonté de porter les revendications des adhérentes et des adhérents, de faire du syndicalisme revendicatif et voulant aboutir à des résultats. Nous voulions, en effet, faire du syndicalisme, tout simplement, en marchant sur nos deux jambes, à savoir porter les revendications quotidiennes et aussi des projets de transformation sociale, mais surtout sans perdre l’indépendance acquise par plusieurs décennies « d’autonomie » pour les syndicats les plus anciens, sans retomber dans les affres des courants majoritaires et minoritaires pour les plus jeunes. Pour les plus anciens syndicats, leur appartenance à la confédération CGT était devenue parfois seulement une ligne dans l’historique de leur organisation. Mais l’arrivée de syndicats récemment « déconfédéralisés », de syndicats par ailleurs actifs et revendicatifs puisque quittant la CFDT pour son attentisme (en 1985, Edmond Maire, secrétaire général de la CFDT, qualifiait la grève de « vieille mythologie syndicale »), va aider à « interprofessionnaliser » progressivement les syndicats issus de la CGT. Ce qui est notable aussi, c’est que des structures ayant plutôt une « culture CGT » et des syndicats plutôt une « culture CFTC-CFDT » vont savoir s’écouter, à partir d’une volonté commune de privilégier les revendications, l’indépendance syndicale par rapport aux pouvoirs et la maîtrise de leurs analyses et actions par les salarié∙es et leur syndicat.  Un retour sur le parcours du Syndicat national unifié des impôts (SNUI) pendant toute cette période qui a précédé 1998 peut aider à comprendre comment tout ceci a été possible.

Le SNUI, un champ de syndicalisation professionnel qui ouvre rapidement sur une vision interprofessionnelle

Le champ de syndicalisation du SNUI a été, dès le départ, le secteur des Impôts. Le Syndicat national unifié des impôts (SNUI) a été créé en 1962 sous le nom « Syndicat national unifié des contributions directes et des services fusionnés ». En avril 1948, les anciennes régies des contributions directes, des contributions indirectes et de l’enregistrement avaient été fusionnées en une Direction générale des impôts (DGI), unique, rattachée directement au ministère de l’Economie, des Finances et du Budget. Dans la foulée, une École nationale des impôts (ENI) avait été installée. Mais la fusion de tous les services dits « extérieurs », présents sur l’ensemble du territoire, et qui étaient rattachés à ces anciennes administrations, a été une longue opération qui s’est achevée seulement dans les années 1970. Pendant ses premières années d’existence, le syndicat avait comme champ de syndicalisation l’administration chargée de la fiscalité directe, Car sa création en 1962 résultait de la fusion entre deux syndicats implantés uniquement aux contributions directes : un syndicat autonome depuis 1948 et qui syndiquait les cadres B, C et D des contributions directes, et un syndicat FO qui syndiquait les cadres A des contributions directes. À l’époque, cette administration était principalement chargée de l’impôt sur le revenu, de l’impôt sur les sociétés et des impôts locaux (la contribution mobilière, la contribution foncière bâtie, la contribution foncière non bâtie, la patente).


Guide pratique du contribuable : un numéro sur l’impôt sur les revenus, un autre sur les impôts locaux. [Coll. CM]
Guide pratique du contribuable : un numéro sur l’impôt sur les revenus, un autre sur les impôts locaux. [Coll. CM]

Syndicat non confédéré, le SNUI était plus tourné vers son milieu professionnel que sur l’extérieur et se souciait notamment des conditions de travail de ses membres. Et ceci l’amenait à débattre de la multiplication des décrets d’application et des notes, parfois contradictoires, pris à l’issue des lois fiscales, elles aussi très mouvantes. Tout ceci rendait la compréhension de la loi fiscale particulièrement difficile pour les citoyen∙nes et compliquait le travail des agents. Le syndicat se souciait aussi des relations avec les contribuables, s’interrogeait sur le sens qu’avait l’activité des agents des contributions directes, sur leur place dans le pays et la société. Ainsi, en 1972, à l’occasion de son congrès de Lorient, le SNUI a mis en discussion une interrogation sur « la place de l’agent des Impôts dans l’État et la société ».

Dès le départ, le syndicat a eu le souci d’aider les contribuables à s’y retrouver dans la réglementation fiscale. Des deux syndicats fusionnés en 1962, l’un et l’autre avaient mis en place un document en vente dans le grand public pour aider et conseiller les contribuables (le Guide pratique du contribuable et l’Aide-mémoire fiscal). Rapidement aussi, le syndicat a été amené à analyser dans sa presse, chaque année, les projets de loi de finances et les diverses « réformes » fiscales. Parallèlement, il a vite fait le constat des grands écarts entre les déclarations gouvernementales officielles sur le budget et la fiscalité, et la réalité des politiques menées. En matière de contrôle fiscal et de lutte contre la fraude fiscale, là aussi les décalages étaient énormes ; déjà à l’époque, les moyens étaient mis de façon privilégiée pour contrôler et sanctionner les petites fraudes, pendant que les grandes fraudes étaient négligées. Ses analyses sur la fiscalité étaient parfois reprises par « la grande presse », ce qui participait à faire vivre un débat public sur les questions fiscales. L’administration et les ministres voyaient d’un très mauvais œil cette activité du syndicat et ont parfois usé de pressions pour la faire cesser, ce qui a habitué le syndicat à s’opposer parfois frontalement à des ministres. Assez « naturellement », le syndicat a été amené à « travailler » avec le journal Le Canard enchaîné, ce qui donnait encore plus d’impact à ses analyses budgétaires et fiscales. L’autonomie du syndicat a aussi aidé à améliorer l’impact de ses propos sur la fiscalité : des journalistes estimaient qu’ils avaient affaire à un syndicat de professionnels et de techniciens, et qu’avec le SNUI ils n’auraient pas droit à un discours syndical caricatural.

Le cœur de métier du syndicat étant la fiscalité et les choix budgétaires, la limite entre le professionnel et les choix politiques a été rapidement estompée. C’est ainsi que l’organisation a naturellement développé une analyse et une pratique indépendantes de l’exécutif, indépendantes du gouvernement et, plus largement, indépendantes des partis politiques. Rapidement, le slogan rassembleur principal du syndicat est devenu « justice fiscale – justice sociale ». La justice sociale était la demande principale, ce qui sous-tendait une vision globale de la société, voire un « projet de société », tout au moins l’idée d’une société « juste ». C’était la marque d’un syndicat allant au-delà de sa seule défense corporatiste. Et pour parvenir à cette justice sociale, la fiscalité devait être un outil. C’était aller à l’encontre de celles et ceux qui prétendaient que la fiscalité devait être neutre, alors qu’ils savaient très bien qu’elle était inscrite dans un système économique et social et qu’elle avait pour fonction de participer à son maintien, voire à son renforcement. C’était aussi le sentiment que les inégalités, l’existence de gens très pauvres et de gens très riches, ce n’était pas une chose naturelle ; c’était le résultat de choix politiques. Et aussi qu’il était possible de changer cette situation, par d’autres choix politiques. Cette analyse a habitué les militantes et les militants, comme les adhérentes et les adhérents, à des prises de position du syndicat sur la société, les inégalités, et sur des choix politiques et idéologiques.


L’Union SNUI-SUD Trésor Solidaires est née officiellement le 9 décembre 2009, lors du congrès extraordinaire de Créteil. [Coll. CM]
L’Union SNUI-SUD Trésor Solidaires est née officiellement le 9 décembre 2009, lors du congrès extraordinaire de Créteil. [Coll. CM]

Le syndicat a pris l’habitude aussi de rédiger des communiqués de presse, particulièrement sur des questions fiscales et budgétaires, voire de faire des conférences de presse. En octobre 1974, lors de la grande grève des PTT, lorsque, tardivement, toutes les organisations syndicales de fonctionnaires ont appelé à une journée de soutien, et que l’intersyndicale aux Impôts y a appelé, le SNUI a proposé aux autres syndicats de la DGI de rédiger ensemble un tract sur la fiscalité (en octobre 1974, c’était aussi le débat parlementaire sur le projet de budget pour 1975). CGT, FO et CFDT ont répondu, de façon méprisante que, chez eux, c’était « la conf » qui s’exprimait sur la fiscalité. Le SNUI a donc rédigé et distribué seul, sur le parcours des manifestations, son tract sur la fiscalité. L’habitude avait déjà été prise d’en distribuer dans les centres des Impôts, en février de chaque année, au moment de la campagne d’impôt sur le revenu, quand tous les contribuables devaient rédiger leur déclaration de revenus et se présentaient très nombreux devant les bureaux des Impôts. Selon le rapport de force du SNUI dans l’immeuble (présence ou pas des autres organisations syndicales et syndicalisation de pratiquement tous les agents de l’immeuble), il est arrivé que, sur les guichets d’accueil, une pile du tract du SNUI soit distribuée en même temps que la pile des imprimés de déclaration de revenus.

Lors de son congrès de 1974, le SNUI a acté dans ses statuts cet engagement pour une société plus juste en précisant « Le SNUI s’inscrit dans le mouvement général des travailleurs ». C’était reconnaître l’existence d’un mouvement ouvrier, différent du reste de la société, agissant pour ses propres revendications et son autonomie. C’était s’inscrire naturellement dans la lutte des classes. Ces différentes prises de position et ces différents affichages n’ont pas toujours été un long fleuve tranquille. Cohabitaient dans le syndicat différentes générations. Les camarades les plus anciens avaient connu le Front populaire et « la Grande CGT » de 1936. Ils avaient aussi connu l’Occupation, le Régime de Vichy, la Résistance et l’armée de Leclerc pour certains. D’autres camarades avaient seulement connu la Libération, les débuts de la IVe République, tous les soubresauts de la République, de 1948 à 1958. Les plus jeunes ne connaissaient que la Ve République, voire arrivaient dans les services après Mai 68. L’image de syndicat non-confédéré attirait des personnes qui pensaient qu’une adhésion à une confédération allait les « encarter » dans une grande structure où elles perdraient de leur indépendance et qui serait plus ou moins liée à un parti politique. Ceci donnait des camarades qui souhaitaient que le syndicat se limite aux revendications professionnelles. Pendant le même temps, d’autres ont rejoint le SNUI en y voyant des possibilités d’une plus grande liberté dans les débats et les initiatives, du fait de l’absence de toute pyramide syndicale générant une bureaucratie et rendant plus difficile la démocratie. L’inscription dans les statuts d’une référence au « mouvement général des travailleurs », c’était une évidence pour les anciens qui étaient passés par la CGT, et c’était un rappel utile à faire pour les jeunes générations qui voulaient engager plus le syndicat dans les luttes sociales à partir du slogan « justice fiscale – justice sociale ».

Le SNUI, une pratique qui conduit, de fait, à un débordement du domaine syndical initial

La fiscalité est un domaine qui conduit logiquement à réfléchir sur le système économique sur lequel elle repose et au service duquel elle est mise par les pouvoirs politiques qui se succèdent. En réfléchissant sur le métier d’agent des Impôts, le SNUI était amené à s’interroger sur les inégalités économiques et sociales et sur les moyens de les combattre et de les réduire. Très naturellement, le syndicat s’est tourné vers ses partenaires privilégiés, les autres syndicats des Impôts, voire les fédérations des Finances, pour leur proposer d’agir ensemble dans ces domaines. La pratique unitaire était en effet la règle générale, ce que nous verrons par la suite. Mais il y a eu de multiples moments où le mépris des autres à notre égard ne pouvait que conduire à vouloir les ignorer et les dépasser. Ainsi, quand nous voulions aborder ensemble certaines questions sortant du champ strict de l’administration fiscale, il était fréquent qu’ils nous renvoient dans nos cordes : « vous n’êtes pas représentatifs, vous n’êtes pas interprofessionnels, vous n’avez aucune compétence pour vous exprimer sur tel sujet qui sort de la fiscalité et de l’administration fiscale ». Alors, nous allions chercher ailleurs. Et c’est ainsi que nous avons progressivement pris l’habitude de travailler avec des associations, de leur donner la parole dans notre presse syndicale, de les inviter lors de nos congrès. Nous avons commencé avec la Ligue des droits de l’homme, avec Amnesty international, puis le Collectif presse police justice, qui regroupait le Syndical national des journalistes (SNJ), la Fédération autonome des syndicats de police (FASP) et le Syndicat de la magistrature (SM). Nous avions aussi des contacts avec le Syndicat des avocats de France (SAF), avec des syndicats catégoriels de la FEN puis, directement, avec la Fédération de l’Éducation nationale, invitée à notre congrès pour la première fois à Perpignan en mai 1980. À compter de décembre 1981, notre inscription dans le regroupement informel du Groupe des Dix a été un élément essentiel dans notre détachement du modèle confédéral. En 1986, avec notamment la FASP et la Fédération générale autonome des fonctionnaires (FGAF), nous avons mené une campagne sur le service public (« Service Plus ») qui s’est notamment traduite par des soirées avec diner-débat dans une quinzaine de métropoles régionales et à Paris, regroupant souvent plus de 100 personnes, dont des responsables locaux de services publics et des représentant∙es d’associations d’usagers. Dès la création de la Coordination des associations pour le droit à l’avortement et la contraception (CADAC) en 1990, le SNUI a participé aux manifestations.


Le G10 et le SNUI en manifestation à Paris contre le Plan Juppé, en novembre 1995. [DR]
Le G10 et le SNUI en manifestation à Paris contre le Plan Juppé, en novembre 1995. [DR]

Parallèlement, nous avons commencé à avoir des contacts internationaux : dès 1979/1980, avec des représentant∙es de syndicats des Impôts de Bavière, puis les responsables de syndicats des Impôts en République fédérale d’Allemagne, puis des contacts et une adhésion à l’Union des personnels des Finances en Europe (UFE). Notre venue dans l’UFE a même été un élément dynamisant qui nous a conduit à présider, à plusieurs reprises, cette union regroupant de nombreux syndicats des Finances (Douanes et Impôts) d’un grand nombre de pays de l’Union européenne, voire au-delà.

Les manœuvres des fédérations des Finances pendant le très long conflit de 1989 ont encore été un élément qui a accéléré notre volonté de sortir de notre domaine, important, mais limité, des Impôts. Alors que nous représentions souvent plus de 25 % des manifestantes et des manifestants, à Paris comme dans tous les départements (et les cortèges SNUI étaient bien visibles avec la couleur orange), à plusieurs occasions, les intersyndicales qui allaient décider de la date de la prochaine grande journée de manifestation dans les régions se sont tenues en dehors du SNUI, lequel était invité à la sortie de l’inter « fédérations des Finances FO, CGT, CFDT, CFTC, CFE-CGC » pour s’entendre dire quelles étaient les décisions prises ! Dès 1990, nous prenions l’initiative de constituer l’amorce d’une fédération des Finances avec un syndicat à la CCRF (Concurrence, consommation, répression des fraudes, le SNACCRF) et un syndicat à la Comptabilité publique (Perceptions, le SPASET).

L’arrivée de SUD PTT au Groupe des Dix, en 1990, est un élément qui a aidé à notre interprofessionnalisation. Les contacts et les réseaux dans lesquels nous étions déjà et les contacts et les réseaux des camarades de SUD PTT ont fait que les locaux du SNUI, rue de Montreuil à Paris, ont souvent abrité des réunions regroupant à la fois des oppositionnel∙les de la CFDT, des minoritaires de la CGT et des représentant∙es de la nouvelle FSU. À partir de la revue syndicale Collectif, a été créée l’association AC ! (Agir ensemble contre le chômage), ce qui a conduit aux marches contre le chômage de 1994 en France puis aux marches européennes contre le chômage. Le SNUI s’est aussi engagé en 1994 dans le réseau syndical RESSY, autre lieu de rencontres entre syndicalistes français et européens. Au cours des années 1990, à la lecture comparée de la presse syndicale du SNADGI-CGT et du SNUI, il était manifeste que le SNUI avait beaucoup plus de contacts extérieurs que le syndicat CGT des Impôts. C’est alors que nous avons aussi mieux compris pourquoi nos partenaires confédérés aux Impôts refusaient de débattre de certains sujets plus généraux : l’organisation interne de leur confédération faisait que tous ces sujets leur échappaient et étaient débattus à un niveau « supérieur » ; il ne leur restait qu’à les intégrer dans leur plateforme revendicative, comme tout ce qui venait « de la conf ». Ce fut pour nous une raison supplémentaire de repousser le modèle confédéral.      

Le SNUI, une pratique syndicale unitaire

Il est fréquent, dans le mouvement syndical comme dans les partis politiques, qu’après une scission, l’une des deux parties retienne le mot « unité » dans son appellation, sachant que l’unité est une aspiration pour un grand nombre de salarié∙es comme de citoyen∙nes. Pour le SNUI, le mot correspondait à la chose. En 1962, le Syndicat national « unifié » des contributions directes et des services fusionnés était bien le résultat d’un regroupement de deux syndicats. Et c’est très naturellement que le titre retenu pour le journal interne du syndicat a été l’Unité. En 2024, c’est toujours ainsi qu’est désigné le journal de Solidaires Finances publiques. L’aspiration unitaire, on peut même la faire remonter à avant 1962. Le choix de l’autonomie pour l’un des deux syndicats, dès 1948, c’était en espérant le retour, un jour, à la grande CGT réunifiée. L’autonomie était perçue par certains camarades comme un état provisoire. Mais cette réunification entre la CGT et la CGT-FO n’a pas eu lieu. C’est peut-être ce qui a conduit d’autres camarades, en 1962, à quitter un syndicat confédéré à la CGT-FO, à s’extraire de leur confédération, pour rejoindre l’autonomie, toujours peut-être comme une étape intermédiaire, et unitaire, en attendant toujours le retour à une unification plus large.

Cette réunification entre ces deux syndicats était aussi l’occasion de créer un syndicat vertical, ouvert à tous les agents des contributions directes, de la catégorie D à la catégorie A, y compris les emplois supérieurs. Le choix du verticalisme, c’était refuser le choix d’un syndicat par corps ou par grade (comme la Fédération de l’Éducation nationale – FEN). Le choix du verticalisme est celui qui a été retenu par tous les syndicats des Impôts à compter de 1962 et ceci témoignait d’une volonté de regrouper dans la même organisation syndicale tous les agents de l’administration des Impôts, quelle que soit leur « catégorie » (A, B, C, D) et quel que soit leur service d’affectation. Pour le SNUI, construire un syndicat vertical, dans lequel, par ailleurs, chaque agent comptait pour une voix quel que soit son grade, c’était laisser le syndicat dans les mains des agents majoritaires dans l’administration fiscale, les cadres A, B, C et D, tout en y intégrant les membres de la hiérarchie locale et départementale qui souhaitaient rester au syndicat et y témoigner d’une solidarité professionnelle. Ce choix du verticalisme retenu par tous les syndicats des Impôts a entraîné des conséquences sur leurs revendications : ils se battaient notamment pour un renforcement des promotions internes (par concours internes, en plus des concours externes, et par listes d’aptitude), car, outre le fait de favoriser la promotion sociale, en agissant ainsi, ils étaient aussi assurés de retrouver ensuite ces agents promus toujours dans leur champ de syndicalisation.


Sur le conflit de 1989. [DR]
Sur le conflit de 1989. [DR]

Quelques années plus tard, quand les services fusionnés, dans les départements, commenceront à être mis en place, le syndicat votera en congrès, à Dax, en octobre 1968, son changement de nom, pour s’appeler Syndicat national unifié des impôts (SNUI), avec l’intention d’être « le syndicat de tous les agents de la DGI ». La fusion des régies et la volonté du SNUI d’essayer de s’implanter dans les autres anciennes administrations regroupées dans la nouvelle DGI vont le mettre en confrontation avec tous les autres syndicats qui y étaient déjà implantés, tous rattachés à une confédération. Quand chaque syndicat était plus ou moins dominant dans une administration (la CGT aux indirectes et au cadastre, le SNUI aux directes, FO à l’enregistrement et aux hypothèques, la CFDT minoritaire partout), il avait même été possible à la CGT et au SNUI de présenter une liste commune aux élections professionnelles (les élections pour les CAP, les Commissions administratives paritaires). Ceci est devenu impossible ensuite, du fait des concurrences sur le terrain au moment des élections professionnelles et aussi des ancrages confédéraux plus forts des uns et des autres. Malgré cette pratique très concurrentielle, le SNUI continuait de porter un discours unitaire vers les autres organisations syndicales de la DGI, préconisant des réponses et des actions intersyndicales à toute attaque de la direction générale ou du ministère. La force de ce discours obligeait plus ou moins les autres syndicats de la DGI à une attitude elle aussi plus ou moins unitaire, en tout état de cause plus unitaire que celle des appareils confédéraux. C’est ainsi que s’est consolidée une démarche intersyndicale relativement habituelle aux Impôts. Cette pratique a un peu renforcé la démarche spécifique des syndicats des Impôts confédérés par rapport à leur confédération, par l’adoption d’une relative indépendance. En 2024, le secteur des Finances reste un secteur syndical plus unitaire que la moyenne. Il est possible aussi de trouver une explication supplémentaire à cette habitude unitaire aux Impôts : le métier d’agent des Impôts n’est pas particulièrement populaire (« il en faut bien » est souvent la première remarque entendue quand un agent des Impôts fait état de son métier dans une réunion entre nouveaux amis). Cette image plutôt négative peut conduire à une certaine « identité impôt », renforcée par la vie professionnelle elle-même : à l’époque, une administration de 80 000 agents qui passaient en grand nombre par une même école professionnelle à Clermont-Ferrand et qui, ensuite, mutaient très souvent, de département en département, si bien que tout le monde connaissait quelqu’un que nous connaissions.

Pour le SNUI, sortir des Directes pour chercher à s’implanter partout, dans tous les services de la nouvelle Direction générale des impôts, c’était un pari, car le syndicat partait sans le moindre début de quelque contact. Tout un travail d’apprentissage a été nécessaire, connaître les « missions » de ces différentes administrations, connaître le travail réel des différents postes de travail. C’est un travail de terrain qui a été fait, comme ceci avait déjà été fait aux Directes et continuait de l’être : visites de services, parfois visites systématiques de tous les services d’un département, pendant une semaine, ville par ville, immeuble par immeuble, service par service. Quand l’administration recrutait de nouveaux agents, par concours, ces agents pouvaient déjà connaître, par le nom tout au moins, la CGT, la CGT-FO, la CFDT, voire la CFTC et la CFE-CGC. Mais, le plus souvent, ces jeunes recrues ignoraient tout de l’existence d’un syndicat autonome aux Impôts. Il fallait donc que les militantes et les militants du SNUI dans les services soient particulièrement actifs et visibles pour être repérés par les arrivant∙es. Le SNUI s’efforçait de désigner un correspondant ou une correspondante d’immeuble pour tous les services des Impôts sur l’ensemble du territoire, ces camarades étant chargé∙es de diffuser la presse syndicale auprès de leurs collègues, de les assister si besoin auprès de la hiérarchie locale et de faire remonter les problèmes au niveau de la section départementale. Ces correspondant∙es d’immeubles étaient le maillon de proximité du syndicat. Il fallait aussi se faire connaître dans les écoles par lesquelles passaient les jeunes contrôleurs, contrôleuses et les jeunes inspecteurs, inspectrices, à Clermont-Ferrand pour les Impôts, à Toulouse pour le Cadastre. La vie syndicale était autorisée dans les écoles et il s’y développait une âpre concurrence entre les principaux syndicats. Il est alors apparu que le fait d’être déjà connu était d’ailleurs parfois lourd à porter, compte tenu de l’image véhiculée par les appareils confédéraux. Le SNUI disposait, lui, d’une large liberté d’intervention. Partout, le syndicat portait un discours unitaire, qu’il soit déjà en position majoritaire dans un service, un immeuble, un département, ou qu’il soit encore minoritaire, comme ce sera longtemps le cas au Cadastre.


Couv. de Politis en janvier 1996. [DR]
Couv. de Politis en janvier 1996. [DR]

Il est parfois dit que l’unité est un sport de combat. Ce fut indéniablement le cas pendant des années aux Impôts et aux Finances, même si le résultat a souvent été, au final, positif. Nous prônions l’unité quand nous étions seconds aux élections professionnelles derrière la CGT. Nous avons continué, à compter de mai 1982, quand nous sommes devenus premier aux CAP. Et cette fois, c’est nous qui pouvions plus facilement convoquer l’intersyndicale ; et les agents voyaient ceux qui venaient et ceux qui ne venaient pas. Nous avons commencé dès l’appel à une ½ journée de grève pour le 2 juillet 1982 dont nous parlons plus loin. À l’extérieur de l’administration et du ministère, dès décembre 1981, nous avions commencé les rencontres avec 9 autres syndicats autonomes, qui devaient conduire, mais nous ne le savions pas à l’époque, à la constitution du G10 puis à la création de l’Union syndicale Solidaires. Dans le même esprit, en octobre 1982, nous avons appelé avec le SNI-PEGC (Guy Georges), la FASP (Bernard Deleplace), le SNJ (Daniel Gentot) et la FGSOA (Maurice Ragot) à un « Appel des cinq » pour l’unité syndicale. Il s’agissait plus ou moins de renouveler l’appel de 1957 « Pour un mouvement syndical unitaire et démocratique (PUMSUD), en essayant de dépasser des confédérations divisées et pratiquant chacune une attitude boutiquière de chapelle. Nous n’avons pas eu plus de succès en 1982 que nos prédécesseurs en 1957.

Le grand conflit aux Impôts et aux Finances a été une période d’intense activité syndicale pendant des mois (de mai 1989 à novembre 1989). Ce fut un test grandeur nature pour la pratique intersyndicale, aux Impôts et aux Finances, nationalement et dans les départements. C’est au cours de ce conflit que le SNUI, premier aux élections professionnelles à la DGI, est aussi devenu le premier syndicat dans la rue. Là aussi, l’unité fut un combat. Il fallut affronter parfois les camarades de la CGT, pour se faire respecter, pour le respect des engagements pris collectivement, et il fut utile d’avoir les débuts d’un service d’ordre avec quelques camarades dont la taille ou la pratique des arts martiaux pouvaient dissuader de toute tentative d’entourloupe. Certes, nous étions unitaires, mais nous essayions d’inonder les manifestations avec notre couleur orange, avec une profusion de ballons, avec des camionnettes, avec des sonos, avec, sur Paris, une montgolfière qui dominait toute la manifestation, à plus de 12 mètres du sol.  Au sortir du conflit de 1989, en 1990, le SNUI a pris l’initiative d’envoyer un courrier à toutes les organisations syndicales du ministère de l’Économie et des Finances (syndicats isolément et fédérations des Finances) pour proposer, à chaque fois, une rencontre bilatérale destinée à réfléchir ensemble aux conditions dans lesquelles nous pourrions essayer de faire perdurer l’esprit unitaire et combatif vécu pendant des mois entre toutes nos organisations syndicales. En ce qui concerne les fédérations des Finances, la CGT-Finances a été la seule, avec Jean-Christophe Le Duigou son Secrétaire général, à répondre positivement, et nous avons effectivement eu une rencontre entre nos deux organisations ; elle a été sans suite. Par contre, deux syndicats membres par ailleurs de la FGAF (laquelle avait été membre du Groupe des Dix pendant les premières années puis en était partie après que la FSAP l’ait rejointe), l’un au Trésor (SPASET – Syndicat professionnel autonome des services extérieurs du Trésor) et l’autre à la Concurrence (SNACCRF – Syndicat national autonome de la Concurrence, de la Consommation et de la Répression des fraudes) ont accepté de travailler avec le SNUI, ce qui a donné naissance à une Fédération des syndicats unitaires aux Finances (FDSU). Quand un nouveau charcutage est intervenu au ministère, avec le transfert des services des contributions indirectes (notamment le suivi et le contrôle des alcools) vers l’administration des Douanes, le SNUI a pris l’initiative de créer un syndicat des Douanes à partir de ses adhérentes et adhérents qui se retrouvaient dans cette administration ; ce syndicat a aussitôt rejoint la FDSU. Aux élections professionnelles de 2022, la fédération était première au ministère avec près de 29 % des voix et le syndicat était premier à la DGFIP avec près de 33 % des voix.

Cette démarche unitaire, le SNUI pouvait la mener seul, aux Impôts et aux Finances ; par contre, c’était structurellement impossible au niveau des Fédérations de fonctionnaires et encore moins au niveau confédéral. L’outil interprofessionnel qu’était déjà un peu devenu le G10 a été utile. En mai 1990, le G10 a adressé un courrier à chaque confédération, à la FEN et à la FGAF, pour leur proposer une rencontre afin de débattre de l’état du syndicalisme français et des conditions de son redressement. Grâce au G10, nous avons pu rencontrer en réunion bilatérale cinq des sept organisations, certes sans résultats immédiats concrets, mais nous marquions notre volonté de débattre avec les autres sur le syndicalisme en France et nous portions l’image d’organisations syndicales ne se satisfaisant pas des divisions et des stérilités qu’elles entraînent bien souvent.    

Le SNUI, une pratique syndicale indépendante

Dès ses premières années, à l’occasion des assemblées générales dans les départements, dans les propos échangés lors des congrès et vers les nouvelles équipes militantes rencontrées lors des stages syndicaux progressivement organisés, le SNUI a développé son discours dans lequel la nécessité de l’indépendance syndicale apparaissait bien comme un élément charnière. Le but premier du syndicat, c’était de faire aboutir les revendications des adhérentes et des adhérents. Pour faire avancer les revendications, il fallait de l’action syndicale. Pour améliorer l’efficacité de l’action syndicale, il fallait « s’y mettre tous », il fallait donc de l’unité syndicale. Et pour permettre et faciliter l’unité syndicale, il fallait un syndicalisme indépendant et libre. Et pour engendrer un syndicalisme libre et indépendant, il fallait pratiquer la démocratie syndicale.

L’indépendance syndicale, pour un syndicat autonome, implanté dans un ministère, syndicat non rattaché à une confédération disposant de moyens plus ou moins importants, c’était déjà l’indépendance par rapport à l’État employeur. L’indépendance financière était un souci constant : il s’agissait que le syndicat dispose de moyens financiers lui permettant d’agir comme il l’entendait. Son financement dépendait des cotisations de ses membres, et le SNUI avait une démarche de syndicalisation constante. Le mot n’était pas employé, mais c’est bien le syndicalisme « de masse » qui était l’objectif dans la syndicalisation. Par ailleurs, la gestion des revues fiscales (L’Aide-mémoire fiscal et le Guide pratique du contribuable) dégageait des ressources financières complémentaires, qui ont permis au syndicat de disposer notamment de locaux pour son siège national. Le fonctionnement de ces revues syndicales nécessitait un engagement militant de la part de nombre de camarades (pour la rédaction, la diffusion, puis la vente dans les services fiscaux et auprès de collectivités et d’entreprises). Le syndicat a aussi cherché à rester indépendant dans le cadre de cette « dépendance financière ». Ainsi, à la veille de l’élection présidentielle de 1981, le SNUI a rendu publique sa proposition de nationaliser les notaires ; c’est-à-dire que l’authentification des actes par les notaires soit assurée par un service public gratuit. Aussitôt, la Chambre syndicale des notaires a rompu son achat annuel d’un grand nombre d’exemplaires du Guide pratique du contribuable, lequel était utilisé dans beaucoup d’études comme outil pour aider les notaires dans leurs actions de gestion des biens de leurs clients et clientes.

Dans l’administration fiscale, l’État employeur, c’était le ministère de l’Économie, des Finances et du Budget, un ministère régalien et éminemment politique. Cette indépendance du syndicat se manifestait déjà dans ses expressions critiques par rapport aux politiques budgétaires et fiscales des gouvernements. Jusqu’en 1981, tous les gouvernements ont été « de droite », et la critique libre, notamment des politiques budgétaires et fiscales de ces gouvernements, était relativement aisée. Pendant le même temps, le SNUI avait des contacts avec les oppositions parlementaires, particulièrement à l’Assemblée nationale, auprès desquelles il développait ses propositions de réformes budgétaires et fiscales. Très souvent, les représentantes et les représentants du PS et du PCF rencontré∙es approuvaient très largement nos propositions. Ceci a conduit à des débats au SNUI quand les personnes qui représentaient cette opposition sont devenues, après le 10 mai 1981 et l’arrivée du gouvernement Mitterrand-Mauroy, celles qui peuplaient le ministère des Finances, alors installé dans une partie du Louvre, rue de Rivoli. Des camarades ont pensé que c’était l’opportunité pour le SNUI d’être le « conseiller fiscal » du gouvernement. D’autres, plus nombreux et nombreuses, ont combattu cette idée en affirmant « eux, c’est eux, et nous, c’est nous ». Le débat a été tranché lors du congrès de Rodez de juin 1982 : le SNUI ne sera pas le conseil fiscal du gouvernement, celui qui rédige les textes en même temps que les ministres ; il restera une organisation syndicale indépendante qui fait état de ses propositions, de ses demandes, de ses exigences, également en matière budgétaire et fiscale.


Le congrès constitutif de l’Union syndicale Groupe des dix, en janvier 1998, dans le journal du SNUI. [Coll. CM]
Le congrès constitutif de l’Union syndicale Groupe des dix, en janvier 1998, dans le journal du SNUI. [Coll. CM]

Et le SNUI, à la différence de nombreuses autres organisations syndicales, a maintenu sa totale indépendance idéologique. Il faut se souvenir qu’à l’époque, après le 10 mai 1981, des ministères étaient remplis de conseillers et de membres de cabinets ministériels issus principalement de la CFDT, de la CGT et de la FEN. Très concrètement, il devenait ensuite plus difficile pour une organisation syndicale de critiquer une mesure quand elle était soutenue, voire signée, par un ancien camarade. Les ministres communistes Fiterman aux Transports et Anicet Le Pors à la Fonction publique étaient entourés de nombreux cadres de la CGT. André Savary, à l’Éducation nationale, avait de nombreux collaborateurs venus directement de la FEN. Le SNUI a échappé à cette situation. Cette indépendance syndicale par rapport aux appareils politiques est donc apparue plus clairement quand un gouvernement « de gauche » est arrivé au pouvoir, en 1981. Mais ceci avait été précédé par toute une période où des choix avaient déjà pu se faire. Au cours des années 1970, années d’une relative importante politisation dans la jeunesse (suites de Mai 68, le début des années 1970, la signature du Programme commun de gouvernement en juin 1972 entre le PCF et le PS, le développement du Parti socialiste, le poids du Parti communiste, etc.), les positionnements des jeunes qui arrivaient aux Impôts étaient assez simples. S’il s’agissait de militantes et de militants communistes, ils se retrouvaient quasi toutes et tous à la CGT, au SNADGI-CGT. Pour celles et ceux qui arrivaient aux Impôts déjà encarté∙es PS, la répartition était moins ciblée. Les plus nombreux et nombreuses allaient à la CFDT, surtout celles et ceux qui privilégiaient leur appartenance politique et pratiquaient ce qui s’appelait alors l’entrisme. D’autres allaient à la CGT, pour y contrebalancer le poids des communistes et pour peser dans la première confédération syndicale de l’époque, celle qui symbolisait la classe ouvrière. D’autres, en moins grand nombre, allaient à FO. Peu venaient au SNUI, qui n’était pas un enjeu politique national pour les appareils politiques. Et les éventuels encarté∙es PS qui y venaient étaient plutôt des militantes et des militants qui privilégiaient leur appartenance syndicale.

L’indépendance syndicale a été un élément décisif dans le développement du syndicat. Lors des élections professionnelles du printemps 1979 à la DGI, la CGT faisait 32 % et le SNUI 28 %. Trois ans plus tard, au printemps 1982, la situation était inversée, le SNUI était à 32 % et la CGT à 28 %. Entre temps, « la gauche » était arrivée au pouvoir et un grand nombre de syndicats étaient mouillés par ce pouvoir. Dans la foulée de ces élections professionnelles, le SNUI tenait son congrès à Rodez, fêtant sa toute nouvelle première place, et confirmant son indépendance par rapport aux appareils politiques. Au retour de ce congrès, le ministre des Finances, Jacques Delors, était convoqué à Bruxelles d’où il revenait pour annoncer ce qui allait devenir le « tournant de la rigueur » : blocage total des salaires et blocage partiel des prix. Le tout nouveau premier syndicat de la DGI a pris l’initiative de convoquer l’intersyndicale des Impôts, qui a obtenu une audience avec Delors pour l’entendre sur la fin de l’indexation automatique des salaires sur les prix, qui présidait en France depuis Antoine Pinay en 1952. Du fait de la perte de pouvoir d’achat qui allait résulter d’une telle décision, les quatre syndicats SNUI, CGT, FO et CFDT ont appelé à ½ journée de grève pour le 2 juillet 1982. Le résultat fut faible (15 % de grévistes) et provoqua des débats dans les quatre organisations. Des critiques se développèrent : il ne faut pas favoriser le retour de la droite, il faut leur laisser le temps, il faut leur faire confiance, ce sont des camarades qui gouvernent, etc. Un an plus tard, tout au moins au SNUI, la très grande majorité du réseau militant se félicitait de cette décision historique : la première grève nationale à l’appel de syndicats dans une administration d’État après le 10 mai 1981, c’est aux Impôts qu’elle a eu lieu.

Tout au long de son développement, le SNUI a bénéficié de son indépendance syndicale. Pendant que le SNUI faisait du syndicalisme, s’implantait dans de nouveaux services, faisait de nouvelles adhésions, chez le principal concurrent, au Syndicat national des agents de la DGI (SNADGI-CGT), les querelles internes se multipliaient. Sans remonter au coup de Prague de 1968 [1], à compter de 1977, avec la rupture du Programme commun de gouvernement, les tensions entre militants PS et PC au sein de la CGT ont été dures. Les réunions préparatoires au 40° Congrès de la CGT à Grenoble en octobre 1978 ont vu se multiplier les remplacements dans les équipes dirigeantes du SNADGI-CGT. Pendant le même temps, le positionnement de la CGT par rapport à la CFDT (qui, elle, suivait de plus en plus le PS) provoquait aussi des conflits dans la CGT. Après qu’une grande partie des encarté∙es PS ait été écartée de la direction du SNADGI-CGT, les tensions sont apparues entre différents courants qui traversaient le PCF et qui se répercutaient dans de nombreux syndicats et fédérations de la CGT, notamment quant au suivisme par rapport à l’URSS. Le temps qui était consacré par le syndicat concurrent à essayer de régler en interne des conflits nés de ses liens avec les partis politiques, le SNUI le consacrait à faire du syndicalisme, notamment à la défense des agents. C’est ce qui explique la progression régulière aux élections en CAP, tous les trois ans, à compter de 1982 : nous avons grignoté sur l’électorat CGT, puis sur l’électorat FO (notamment par notre présence accrue dans les services où FO était majoritaire), puis nous avons mordu sur l’électorat de la CFDT au fur et à mesure de la droitisation de la confédération CFDT.

C’est lors du conflit aux Impôts et aux Finances de 1989 qu’a totalement éclaté notre indépendance syndicale par rapport aux partis politiques. Dès le congrès de La Grande-Motte, en mai 1988, le SNUI adoptait un programme revendicatif global, « quelle DGI pour quelle fiscalité ? », où nous commencions par les agents des Impôts, leur recrutement, leur formation, leur déroulement de carrière, leur rémunération, leurs conditions de travail, les services fiscaux et leur organisation pour mettre en application un système fiscal amélioré. Dès septembre 1988, nous avons voulu présenter ce projet global et cohérent aux deux ministres Bérégovoy et Charasse. Il fut impossible d’obtenir une audience, avec aucun des deux, malgré, ensuite, des rassemblements militants tous les matins, Place du Palais royal, face à l’entrée du ministère des Finances qui était encore rue de Rivoli, dans une partie du bâtiment du Louvre. Un jour, une porte s’est ouverte, nous pensions être reçus par un directeur de cabinet, et c’était le responsable de la section PS du ministère, un militant de la CFDT bien connu, qui nous recevait ! La caricature du foutage de gueule ! Rapidement, le conflit s’est concrétisé par des premières journées de grève et des manifestations, dès début février 1989, de Bercy à Rivoli, à l’appel du SNUI et du SNADGI-CGT. Le 1er mai 1989, lors des manifestations, dans les cortèges du SNUI fleurissaient déjà des slogans visant directement Charasse, Bérégovoy et Rocard. En septembre, des cartes PS étaient déchirées publiquement devant le siège du PS, rue de Solférino, par des agents des Impôts et des Finances, du SNUI et d’ailleurs, pendant que des occupants de l’immeuble faisaient des doigts d’honneur aux manifestantes et aux manifestants. Début septembre, alors que les agents des Finances étaient en grève générale reconductible depuis parfois plusieurs semaines, le SNUI a tenté un coup de fil à la FEN pour lui proposer d’élargir le mouvement à l’ensemble de la Fonction publique, afin d’améliorer le rapport de force. Jean-Paul Roux, qui était à l’autre bout du fil, nous a répondu que « l’actualité n’était pas au renversement du gouvernement Rocard ». Tout était dit en ce qui concerne l’indépendance syndicale de la FEN à l’époque. Alors qu’il s’agissait de faire aboutir des revendications syndicales, un syndicat répondait qu’il ne fallait pas mettre en cause la stabilité politique d’un gouvernement de gauche. C’est durant ce mois de septembre, du 19 au 22, que se tient le premier congrès de SUD PTT auquel le SNUI est invité, et là, les critiques à l’égard du gouvernement Mitterrand – Rocard peuvent très librement être exprimées, elles sont même très fortement applaudies !


Jean-Michel Nathanson, responsable national du SNUI, a été membre du Secrétariat national de l’Union syndicale Solidaires de 2004 à 2012 ; il est ici à la tribune du congrès de 2011. Jean-Michel est décédé en septembre 2023.
Jean-Michel Nathanson, responsable national du SNUI, a été membre du Secrétariat national de l’Union syndicale Solidaires de 2004 à 2012 ; il est ici à la tribune du congrès de 2011. Jean-Michel est décédé en septembre 2023.

Ce très long conflit (certains agents ont fait grève durant près de 6 mois, dans des services qui avaient commencé dès mai 1989 et qui ont cessé la grève seulement début novembre) a fortement modifié les comportements des très nombreux agents qui s’y sont engagés. L’habitude des assemblées générales qui décident de la poursuite de la grève était adoptée dans tous les départements et dans tous les immeubles, en réunissant les syndiqué∙es (largement majoritaires dans une administration fortement syndiquée à l’époque) et les grévistes non-syndiqué∙es. Parfois, la grève était votée semaine par semaine. Souvent, les intersyndicales prenaient leurs propres initiatives dans chaque département, les liens avec le national étant parfois difficiles. Il n’y avait pas de « réseaux sociaux », ni de téléphone portable, ni d’internet. Seuls le SNUI et le SNADGI-CGT disposaient d’un début de réseau Minitel avec leurs secrétaires de sections. Chaque soir, les départements envoyaient au national ce qui avait été fait dans la journée (occupation d’un péage d’autoroute pour la caisse de grève, blocage du centre ville, blocage d’un pont, occupation de locaux, manifestations emblématiques, etc.). Et toutes ces informations étaient répercutées le lendemain matin dans toute la France par le réseau Minitel, étaient lues aux grévistes en soulevant à chaque fois l’enthousiasme. Les équipes militantes ont dû bien souvent improviser et innover en dehors de toute consigne venant de Paris.

Après ce très long conflit, il n’était plus nécessaire de faire de longs discours aux agents pour leur montrer la nécessité de l’indépendance de l’organisation syndicale par rapport aux appareils politiques. C’était devenu un acquis de la lutte elle-même et ça allait pouvoir tenir dans les têtes et peut-être se transmettre aux générations suivantes.

L’histoire syndicale se poursuit

Il est plus facile de trouver une cohérence et une logique aux évènements quand l’histoire est écrite qu’avant qu’elle ne se fasse. A posteriori, il est possible de dire que le SNUI était prêt à s’inscrire dans une union syndicale en 1998 compte-tenu de ses expériences, de ses pratiques, de ses relations avec les syndicats confédérés. Et, en 2024, il est possible de se dire qu’il était écrit qu’une nouvelle organisation syndicale s’installerait en France à la fin du XXe siècle, dans un contexte syndical déjà particulièrement divisé et brouillé, où subsistaient des divisions nées d’une guerre froide entre le monde capitaliste et le monde dit communiste, guerre froide disparue en 1989/1990 par le triomphe du capitalisme sur le « communisme réellement existant ». Il peut sembler également logique qu’un pays qui a fait émerger la Charte d’Amiens en 1906, étendard de l’indépendance syndicale pour tout le mouvement syndical de lutte et de transformation sociale, voie naître de nouveaux porte-drapeaux près de cent ans plus tard, après les revirements inexpliqués opérés par ceux qui, justement, s’affichaient comme étant la courroie de transmission du parti qui se qualifiait être celui « de la classe ouvrière », et après les hypocrisies vécues sous ce faux-nez pendant des décennies, et aussi après les turpitudes pratiquées par d’autres, ou les mêmes, qui n’hésitaient pas à « aller à la soupe » tout de suite pour profiter immédiatement de l’autre monde possible. La venue de « la gauche » au pouvoir en 1981, et la façon dont ça s’est joué dans les relations entre les appareils politiques et les appareils syndicaux, dans leur majorité des uns et des autres, a été un accélérateur des dérives et des pertes de repères qui pèsent toujours sur la France en 2024. Il ne suffit pas de faire porter toute la responsabilité sur « les appareils », il faut aussi constater que la spontanéité du monde ouvrier a été bien faible et que tous les révolutionnaires ont bien été incapables de peser réellement sur le cours des choses, en dehors de leur capacité indestructible à continuer de dispenser des leçons.

La naissance d’une nouvelle structure syndicale trouvant une place à côté des confédérations déjà existantes, mais fonctionnant selon des critères moins pyramidaux et centralisés, et arrivant à se faire une petite place, arrivant à être un peu reconnue, arrivant même à commencer à peser dans les débats d’idées et dans les pratiques employées, de tout ceci, rien n’était écrit. C’est le résultat de confrontations entre des individus, des collectifs, et des situations concrètes auxquelles ils et elles vont répondre. C’est une somme de convergences d’analyses et de projets non encore clairement exprimés, c’est encore le repoussoir de certaines pratiques qui va conduire à rechercher autre chose qui n’existait pas encore. Et rien n’est écrit non plus de ce que sera fait demain, avec le salariat qui continue de changer, avec son internationalisation qui se poursuit sous l’impulsion des multinationales dominantes et de la finance qui cherche à tout normaliser pour un maximum de profits immédiats, sous la pression des urgences environnementales et climatiques et face à l’incapacité, bien entendu des dictatures et des régimes autoritaires, mais aussi des démocraties représentatives classiques, à répondre aux demandes vitales que cette situation fait naître. L’intelligence coordonnée des refus et des résistances continuera de tracer le chemin. Le syndicalisme de lutte sera ce qu’en feront les syndicalistes de lutte, un outil unitaire, rassembleur au-delà des frontières, dépassant si nécessaire les limites fixées par le législateur, trouvant en lui les réponses à ses revendications.


Gérard Gourguechon


[1] Voir « Le 5 janvier, 1968 commence à Prague », Robi Morder, Les utopiques n°7, Editions Syllepse, printemps 1968. Pour mettre un terme à la libéralisation du régime dans ce pays du « camp socialiste », l’URSS fait intervenir les troupes du Pacte de Varsovie.

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