Dialectik Football

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Média exclusivement bénévole, Dialectik Football apporte un point de vue critique et documenté sur le football et son actualité, en assumant une ligne éditoriale clairement anticapitaliste. Il fait la part belle aux expériences de résistance, aux luttes émancipatrices et alternatives. Son parti pris, c’est qu’on ne changera pas le ballon rond sans révolutionner la société, sans en finir avec le capitalisme.


Yann Dey-Hell est un prolétaire qui va au stade et qui écrit. Montpelliérain, il anime depuis 2018 le site Dialectik Football.


Match du MFC 1871, en hommage à Adama Traoré. [terres de Feu]
Match du MFC 1871, en hommage à Adama Traoré. [terres de Feu]

Les utopiques. Deux mots sur l’origine et l’histoire du site ?

Média totalement bénévole et indépendant, Dialectik Football a été créé à la fin de l’année 2018, dans la continuité du blog Les Cahiers d’Oncle Fredo [1]. Une première expérience assez artisanale dont le sous-titre « Ce n’est pas parce que le prolétariat s’amuse dans les stades qu’il n’abolira pas le spectacle » reste valable. De façon plus structurée, l’ambition de Dialectik Football est d’apporter gratuitement – et sans publicité – un point de vue documenté sur le football et son actualité avec une ligne éditoriale clairement anticapitaliste. Le tout, sans renier notre passion pour ce sport qui, même si les lignes ont eu tendance à bouger ces dernières années, a encore mauvaise presse dans les milieux d’extrême-gauche au sens large. Devant cette réalité, Dialectik Football se veut un espace de décryptage et de critique de ce qu’on appelle le « football moderne ». L’expression recouvre la séquence ouverte au début des années 1990, celle d’un football métamorphosé en impitoyable machine spéculative. Cette bascule libérale, arrivée sur la fin du thatcherisme, est incarnée par la création de la Premier League anglaise [2], l’arrêt Bosman[3] ou encore l’arrivée en grande pompe de la télévision payante qui a permis l’explosion dans les années 2000 des droits de retransmission, véritable carburant de toute cette industrie [4]. Dans un article, nous citions 6 points pour caractériser ce « football moderne » : le racket sur le prix des billets ; la généralisation des places assises ; un zèle sécuritaire et répressif ; des horaires et calendriers adaptés aux diffuseurs ; la marchandisation des joueurs ; le rachat des clubs par des milliardaires.

Le site est sous-titré « Contre le football moderne et son monde » : d’accord, mais comment ?

D’abord ce slogan, avec toutes les limites et questions qu’il pose, illustre le parti pris du site : on ne pourra pas en finir avec le « football moderne » sans révolutionner la société et abolir le système capitaliste qui le nourrit. Il y a une nécessité à s’opposer aux idées reçues sur un sport qui serait extérieur aux enjeux politiques et sociaux. Le discours des dirigeants politiques et sportifs sur le prétendu « apolitisme » du football doit être attaqué pour ce qu’il est, à savoir une stratégie protégeant les intérêts de la bourgeoisie détenant les clubs et contrôlant le pouvoir des instances. Le « football moderne » se combat principalement sur le terrain ; que ce soit par certains groupes de supporters qui dénoncent régulièrement les dérives du foot business et sa répression, ou encore par des clubs alternatifs – apparus dans le reflux de la crise de 2008 – qui reposent sur un actionnariat populaire, donnant à chaque membre le même pouvoir décisionnel. Nous sommes de ce côté-là de la barricade. Comme d’autres médias le font, le rôle de Dialectik Football est aussi de donner de la visibilité et de l’écho à toutes ces résistances, même si on sait bien que le rapport de forces est asymétrique. Notre voix s’additionne à toutes celles de passionné∙es, footballeurs, footballeuses ou supporters, supportrices, qui veulent un football sans patron dans une société sans classes.

Pourquoi ce nom qui associe deux termes qu’on ne trouve pas souvent ainsi accolés ?

Nous ne sommes ni dupes, ni naïfs sur les tares du football et sur l’ancrage solide de l’idéologie capitaliste en son sein : marchandisation totale, mentalité individualiste, culte de la performance, nationalisme, etc. Et pourtant, considérer le football comme un territoire perdu des luttes de classe est complètement déconnecté. Le football est un miroir, parfois exagéré, du capitalisme. A ce titre, il est traversé par les mêmes contradictions. Sous l’ère « football moderne », celles-ci se sont brutalement accentuées, notamment à travers un processus, encore en cours, de gentrification des stades. Les supporters, supportrices et passionné∙es les plus précaires ont subi de plein fouet la hausse du prix des places. La relation club-supporters traditionnelle en a pâti, et a progressivement laissé place à un rapport entreprise-clients, où la passion populaire n’a d’intérêt pour les propriétaires que s’ils peuvent en tirer bénéfice. Au-delà des questions esthétiques, le nom fait écho à tout cela, même si le contenu du site ne se veut pas ultra-pointu sur le plan théorique. Que ce soit sur les articles historiques, culturels ou d’actualité, l’objectif reste de proposer des clés de compréhension critique, en étant le plus accessible possible.


Yann Dey-Helle, Atlas du football populaire. Europe - Amérique latine, éditions terres de Feu, 2024. Dessin original (couverture) : Olivier Garraud. Conception graphique (ouvrages), photos : Charlotte Vinouze. [terres de Feu]
Yann Dey-Helle, Atlas du football populaire. Europe – Amérique latine, éditions terres de Feu, 2024. Dessin original (couverture) : Olivier Garraud. Conception graphique (ouvrages), photos : Charlotte Vinouze. [terres de Feu]

Un aperçu de ce qu’on trouve comme articles sur le site ?

La palette d’articles historiques est assez large et diversifiée. On y trouve des papiers sur l’engagement antifasciste de certains footballeurs, sur les batailles menées par les femmes pour le droit à jouer, ou encore sur les premières expériences syndicales des footballeurs qui essayaient de tenir tête à un patronat en roue libre. On parle également du rôle du football dans plusieurs combats anticoloniaux, ou en soutien aux peuples palestinien ou kurde. D’autres articles mettent en lumière l’actualité des clubs gérés directement par leurs membres, à l’exemple du Clapton CFC en Angleterre ou du PAC Omonia 29M à Chypre. D’autres encore s’attaquent plus clairement à certaines manifestations concrètes du foot business, comme l’hystérie sécuritaire, la multi propriété, les évolutions en matière d’arbitrage vidéo, les réformes des compétitions par la FIFA ou l’UEFA. On relaye aussi certains communiqués de groupes de supporters opposés aux délires répressifs des instances et des gouvernements, ou au prix des places. Les différentes rubriques tentent de former un ensemble cohérent, une boîte-à-outil radicale au service de la cause de celles et ceux qui pensent qu’un autre football est possible.

L’Atlas du football populaire est sorti fin mai ; un résumé ?

Dans la continuité du travail réalisé sur le site, le livre donne un aperçu assez large de la réalité de ce football démocratique et égalitaire qui se construit autant comme une antithèse que comme une alternative au football moderne dominant, qui reste assez méconnu dans l’Hexagone. Le propos est appuyé par un beau boulot de cartographie. Si ces clubs restent très marginaux en France – citons tout de même le MFC 1871 [5] – la situation est différente en Italie, en Angleterre ou en Espagne où ils ont une existence réelle. Leur approche non marchande, parfois assembléiste ou autogestionnaire, s’accompagne en règle générale d’un fort engagement antisexiste et antiraciste. L’idée principale est de faire une première présentation de ce phénomène qu’on appelle « football populaire » – même si on est conscient que cette dénomination peut faire débat – et de montrer sa diversité. Les clubs abordés se trouvent principalement en Europe. Un chapitre fait un pas de côté pour aborder certaines expériences en Amérique latine. La construction d’un football du peuple, pour le peuple, n’est pas une exclusivité occidentale. Même si l’actionnariat populaire s’est principalement structuré sur le continent européen, la conflictualité contre le football capitaliste et ses dirigeants est aussi intense dans des pays sud-américains, à l’image du Chili. Sans nier les limites auxquelles se heurtent les propositions alternatives qui sont présentées, à travers ce livre on avait aussi envie de mettre à l’honneur les acteurs et actrices de terrain qui luttent au quotidien pour se réapproprier le football et, pourquoi pas, donner des idées à d’autres.


Yann Dey-Hell – Propos recueillis par Christian Mahieux


[1] www.onclefredo.wordpress.com

[2] À la fin de la saison 1990-1991, un projet de création d’un nouveau championnat est envisagé par les clubs de l’élite pour augmenter leurs revenus, dopés par ailleurs par l’augmentation des affluences, officiellement pour lutter au niveau européen. Le 17 juillet 1991, un accord est signé entre les meilleurs clubs du championnat pour jeter les bases de la FA Premier League, indépendante des Football Association et Football League, ayant la capacité de négocier ses propres droits télévisés et contrats de sponsoring. En 1992, les clubs de First Division démissionnent collectivement et, le 27 mai 1992, la FA Premier League est créée en tant que société en commandite par actions. La Football League, vieille de 104 ans, est réduite de quatre à trois niveaux, et chapeautée de fait par la Premier League, qui ne compte qu’une seule et unique division.

[3] L’arrêt Bosman est une décision de la Cour de justice des Communautés européennes, rendue le 15 décembre 1995, relative au sport professionnel, mettant fin au quota de joueurs étrangers dans les clubs européen. S’en est suivi une explosion des transferts et surtout de leurs montants.

[4]Lire à ce sujet : Jérôme Latta, Ce que le football est devenu, éditions Divergences, 2023.

[5] Ménilmontant Football Club 1871 : www.facebook.com/MenilFC/?locale=fr_FR

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