Déserts médicaux : la solution, c’est la démocratie
La situation actuelle de l’organisation du système de santé n’est absolument pas satisfaisante sous bien des aspects : difficultés d’accès géographique aux soins avec de véritables déserts de soin, difficultés d’accès financier aux soins en lien avec l’importance des dépassements d’honoraires, absence de prise en considération des facteurs environnementaux dans les déterminants de santé… Le statu quo n’est pas possible. Durant une année, le groupe d’animation du Syndicat de la médecine générale (SMG) a mené un travail de réflexion sur une organisation territoriale du système de santé au service de la population. Ce travail a abouti à un document d’analyse, « Quelle organisation territoriale de santé voulons-nous ? », publié en mai 2021 et que nous reprenons ici.
Le Syndicat de la médecine générale est né en avril 1975. Il se bat depuis toujours contre le secteur privé à l’hôpital, le secteur II à honoraires libres, l’inégalité d’accès aux soins, le lobby de l’industrie pharmaceutique, le paiement à l’acte qui incite à une médecine à la chaîne et à l’inflation des consultations et qui ne doit plus être le seul mode de rémunération en médecine ambulatoire. Le SMG analyse les perversions du système actuel et ses dérives. Il met en avant des solutions pour sortir la médecine de la logique marchande, en remettant la santé dans le champ public et politique.
Pour une organisation territoriale de santé au service de la population
[…] Il nous semble important d’alerter sur l’ensemble des problématiques autour des questions d’organisation territoriale de santé et de permettre aux citoyen·nes et aux professionnel·les de santé de se poser des questions sur la construction et l’animation des structures à venir. Le Syndicat de la médecine générale veut faire des propositions pour des organisations territoriales de santé répondant aux principes qu’il défend. Ce texte n’a pas vocation à être exhaustif mais à ouvrir le champ des possibles.
En définissant des territoires en santé, les géographes ont identifié des espaces qui partageaient des équipements sanitaires correspondant aux besoins de la population comme d’autres services de proximité. Cela pose deux questions : qu’entend-on par « territoire » et par « besoin de population » ? Les lois sur la santé ont fait progressivement évoluer la notion de territoire, pour intégrer les notions de régionalisation ou de planification, pour aboutir à la création de filières de soins (par exemple, les chirurgies spécialisées, telles celles de la main, ne sont plus réalisées que dans un seul établissement, souvent privé, pour un seul département) afin de rationaliser/rationner l’offre et faciliter la marchandisation des soins. L’hôpital public subit cette filiarisation depuis des années, les Communautés professionnelles territoriales de santé (CPTS) en sont une nouvelle étape. Les politiques successives ne permettent pas de répondre aux défis démographiques, environnementaux ou sociaux actuels et la crise sanitaire de la Covid-19 en est la triste conséquence. La définition des territoires de santé ne doit pas se limiter à l’offre de soins, qu’elle soit celle de proximité ou celle des structures hospitalières régionales ou inter-régionales hyperspécialisées (oncologie, neurochirurgie, etc.). Elle doit également prendre en compte les déterminants en santé publique et notamment questionner les territoires dans leurs dimensions environnementale, professionnelle, culturelle ou éducative. Dans cette acception, nous ne pouvons pas définir un territoire de soins mais des territoires de santé, dont la dimension varie selon les enjeux, voire se superposent avec d’autres territoires. Par exemple, la protection des populations des rives du Rhône vis-à-vis de la pollution en métaux lourds des eaux du fleuve ne peut se limiter à un seul territoire, mais va englober tous ces secteurs, des Alpes jusqu’à la Méditerranée.
Une démocratie sanitaire de proximité
La dimension dynamique est également le fait d’un enjeu politique. Il faut aussi que les groupes de population puissent reprendre en mains leurs problématiques de santé, face à une organisation globale qui actuellement est centralisée et imposée. Une réelle démocratie sanitaire de proximité permettrait ainsi de faire émerger de réels besoins et d’organiser localement un système de santé dans une logique citoyenne et d’échapper aux logiques capitalistes, toxiques aussi dans le milieu de la santé. Dans un premier temps, nous allons exposer les principes fondamentaux que doit adopter une organisation « idéale » dans un objectif de progrès en santé, c’est-à-dire social, politique et environnemental. Pour que les habitant·es mais aussi les élu·es et les professionnel·les de santé puissent s’en emparer, nous déclinerons dans un deuxième temps les changements nécessaires ; certains étant possibles dès aujourd’hui et déjà mis en œuvre dans différents lieux ce qui montre que l’utopie existe aussi en santé.
Les principes fondamentaux d’une organisation territoriale de santé désirable
Une véritable démocratie sanitaire, tant au niveau local que national. Comme dit en introduction, il ne peut être question d’un seul et unique territoire de soins, mais de territoires de santé multiples aux dimensions et contours variables en fonction des enjeux de santé. Partager des réalités quotidiennes conduit à constituer de fait des communautés qui sont les mieux placées pour identifier les besoins réels et en fonction, mettre en place les actions nécessaires pour y répondre. Cela implique d’intégrer les habitant·e· à toutes les étapes de la définition et de la réalisation du projet d’organisation de santé sur un territoire donné, dans une réelle démarche de santé communautaire. Cela requiert également de créer et animer des espaces collectifs, qu’on pourrait appeler des conseils locaux de santé, où se réunissent, échangent et élaborent ensemble des habitant·es, des professionnel·les et des élu·es et pas seulement des associations ou structures instituées. L’existence même de ces espaces, en redonnant du pouvoir d’agir aux premiers·ères concerné·es, est un facteur d’amélioration de la qualité de vie des personnes. Pour être viables et pérennes, ces espaces doivent exercer concrètement leurs pouvoirs de décision et de contrôle sur les réalités quotidiennes du système de santé. Les règles de fonctionnement doivent être établies collectivement et explicitement de manière que tous.tes puissent s’en emparer. Ce fonctionnement doit pouvoir rester évolutif dans une volonté de processus démocratique le plus abouti possible, en tenant compte des places sociales de chacune, et en particulier des plus vulnérables. La démocratie locale sanitaire participative émergeant ainsi deviendrait la pierre angulaire d’une organisation territoriale de santé aux décisions ascendantes et non plus descendantes. Les instances nationales, telles que ministère de la santé, Caisse nationale d’assurance maladie, etc. serviraient alors avant tout à mettre en place des mécanismes d’équité entre territoires, avec le transfert de certaines ressources d’un territoire à l’autre, le principe égalitaire « chacun·e donne selon ses moyens et reçoit selon ses besoins » devant là aussi s’appliquer. Cela implique également d’interroger et de travailler collectivement la question des « besoins » : partir des besoins exprimés spontanément par la population risque de renforcer les inégalités en santé, les catégories socioprofessionnelles les plus favorisées ayant plus de facilité et d’opportunité pour exprimer leurs « besoins ».
Une santé pour tou·tes près de chez soi.
Lutter contre les inégalités sociales de santé et favoriser l’accès aux soins et aux droits doit être la priorité, tant des professionnel·les de terrain que des organisations, institutions sanitaires. Le lieu de vie ne doit pas être source de limitation de l’accès aux soins ni de l’accès aux droits. Un maillage territorial garantissant à tou·tes un accès aux soins dans un délai et une distance cohérente avec le bassin de vie doit être mis en place de façon pérenne. Ce maillage doit prendre en compte les disparités existantes entre les différents territoires et des mécanismes d’équité doivent être mis en place des territoires les plus favorisés (économiquement, humainement, etc.) vers les territoires moins favorisés. Ce n’est pas aux professionnel·les seul∙es de décider de ce maillage ; cela doit se faire dans le cadre d’une véritable démocratie sanitaire. Les ressources financières ne doivent pas être un facteur de renoncement aux soins. Il faut mettre fin aux dispositifs qui limitent financièrement l’accès aux soins tels que les franchises, le ticket modérateur, etc. Nous préconisons la mise en place d’une véritable Assurance maladie obligatoire prenant en charge tous les soins à 100 % pour toute personne vivant sur le territoire, associée à une interdiction des dépassements d’honoraires. Cela acterait ainsi la fin des assurances complémentaires. Les moyens financiers qui aujourd’hui alimentent les intérêts privés reviendraient de facto dans le giron du service public. Des soins qui ne sont aujourd’hui pas remboursés pourraient donc être pris en charge, à la condition d’être considérés comme utiles de manière collective par les usager·ères et professionnel·les.
Des missions de santé publique de proximité.
Améliorer la santé et la qualité de vie sur un territoire donné nécessite une identification précise des problèmes et surtout de leurs causes. Cela signifie enquêter sur les risques présents, qu’ils soient environnementaux, sociaux, psychologiques, liés au travail, etc. L’ensemble de la communauté concernée, habitant·es et professionnel·les, en lien avec le système de recherche scientifique public, doit être impliquée dans cette recherche de facteurs et dans la mise en œuvre des actions de prévention et de réduction des risques. Aller vers les personnes concernées, leur laisser/donner la parole et un réel pouvoir d’agir sont indispensables. Lors de ces évaluations, la pollution et les toxicités engendrées par le système de soins lui-même ne doivent pas être oubliées. Les trois dimensions, « éducation », « social » et « sanitaire » doivent être reconnues comme partie intégrante de la santé, au sein d’un véritable service public de santé. Le travail d’équipe nécessaire à la réalisation de ces missions de santé publique de proximité doit donc intégrer nécessairement des travailleurs·ses sociaux·ales et médiateur·trices. Les différents niveaux d’accompagnements et de soins (schématiquement : soins primaires/spécialistes ambulatoires/hôpitaux) doivent être coordonnés entre eux de façon verticale et de façon horizontale, géographique. Le travail collectif entre ces différents niveaux doit être facilité par l’existence d’espaces de rencontres, dans le respect du secret professionnel, et de formations conjointes (entre les différent·es professionnel·es et avec les usager·ères).
La santé est un bien commun qui ne peut être marchandisé.
Faire du profit sur la santé au sens large et sur le soin en particulier est inacceptable et devrait être illégal. Tout profit sur la santé (et donc sur les soins, quel qu’en soit le type) doit être exclu. D’où l’interdiction des dépassements d’honoraires, mais aussi de la spéculation sur les activités de soins (comme la possession de cliniques, EHPAD et hôpitaux privés par des fonds de pension ou autres actionnaires privés) ou d’assurance du risque sanitaire (tels que les assurances complémentaires dont les fonds peuvent circuler sur les marchés financiers). La question du niveau des revenus des professionnel·les de santé devra être abordée par la communauté. Les professionnel·les doivent être formé·es et pratiquer de façon indépendante de tout conflit d’intérêts, en particulier vis-à-vis des industriels des produits de santé tels que l’industrie pharmaceutique, mais aussi vis-à-vis des assurances, des entreprises du numérique, etc. Ces sociétés privées affichent des objectifs de « facilitation » et « d’optimisation », tout en conduisant à une marchandisation de nos vies toujours plus importante et un contrôle social toujours plus fort. Le secteur public via l’Assurance maladie n’est pas exempt de ces agissements. Comme pour toute pratique, tout produit ou outil utilisé en santé, le numérique en santé doit être éthique, au service du bien commun, en garantissant le secret médical et les droits des personnes. Il ne doit pas être une source d’exploitation et de recherche de profits au moyen de la collecte des données et ne doit pas viser le contrôle des comportements ni faciliter la surveillance voire la répression.
Les mesures concrètes : des changements nécessaires et urgents pour les usager·es et les professionnel·les de santé
Démocratie sanitaire.
Elle doit se mettre en place tant au niveau local (démocratie sanitaire de proximité) qu’au niveau national. Dès aujourd’hui, nous pouvons favoriser l’appropriation des questions de santé par tous et toutes : Il faut développer les débats qui existent autour des questions de soin et santé à l’initiative de certaines associations citoyennes ou groupements de soignant·es ou au sein des centres de santé communautaire. Il existe des expériences de théâtre participatif pour une éducation à la santé de tou·tes [1], dont nous pouvons nous inspirer. Il faut mettre en place des conseils locaux de santé, où seront discutés les besoins et les attentes au niveau d’un territoire de santé : choisir, créer des lieux et des modes de fonctionnement qui permettent de faire circuler du débat, de la parole, entre professionnel·les, usagèr·es et collectivités avec des organisations qui permettent une transparence des décisions prises collectivement et de la façon dont elles l’ont été. Pour cette mise en place, il est intéressant de s’inspirer de réalisations faites dans d’autres pays tel que le Brésil avec les centres de santé communautaire et la démocratie participative [2] ou en Guyane par l’institut Renaudot avec le « diagnostic en marchant ».
Demain, la démocratie sanitaire sera réelle et concrète.
Pour être viables et pérennes, ces conseils locaux de santé doivent exercer concrètement leurs pouvoirs de décision et de contrôle sur les réalités quotidiennes du système de santé. Par exemple, c’est à leur niveau que l’installation de nouveaux·elles professionnel·les devrait être débattue. La formation des soignant·es doit elle aussi être mise en débat pour renforcer celle des soignant·es de premier recours. Les différentes organisations locales, initialement structurées à l’échelle de bassin de vie, doivent se fédérer pour mutualiser les expériences et agir de façon concertée. Les conseils locaux de santé enverraient alors des délégué·es dans des conseils départementaux, régionaux et nationaux et les décisions prises au ministère de la santé, à la Caisse nationale d’assurance maladie, etc. et déclinées par les institutions étatiques telles les Agences régionales de santé deviendraient exceptionnelles. Cette fédération des conseils locaux de santé établirait des priorités et des préconisations. Le ministère de la santé et la Caisse nationale d’assurance maladie seraient tenus de les respecter et auraient pour mission de mettre en œuvre ces politiques de santé. Il faut cesser de restreindre le financement des soins et débattre d’une autre régulation des budgets. Des règles de redistribution doivent être appliquées à tous les niveaux suivant les principes énoncés dans la première partie. Ainsi chaque territoire donnerait selon ses moyens et recevrait selon ses besoins. Les ordres professionnels, instances non démocratiques, dont l’inutilité et la toxicité ne sont plus à démontrer, doivent être supprimés.
L’accès aux droits et aux soins pour toutes et tous.
Personne ne doit plus renoncer à des soins pour des motifs financiers. Dès aujourd’hui, nous pouvons favoriser l’accès aux soins. Tou·tes les professionnel·les de santé travaillant dans une organisation territoriale de santé doivent s’engager à être en secteur 1 (sans dépassement d’honoraire) et, chaque fois que cela est possible, à pratiquer le tiers payant, à prescrire des soins remboursés et à adresser les personnes soigné·es à des professionnel·les de santé et des structures appliquant les tarifs de secteur 1. Demain, l’accès aux soins sera libre et équitable :
– tant d’un point de vue économique… L’Assurance maladie doit couvrir la totalité des frais liés aux soins sans qu’il soit besoin de recourir à une complémentaire. Elle doit être réellement universelle, c’est à dire concerner tou·tes les habitant·es quels que soient leur âge, leur secteur de profession, leur revenu et leur statut de résidence. Il ne doit plus y avoir de cas particulier tel que l’Aide médicale d’Etat (AME), qui deviendrait alors obsolète. L’accès aux droits des personnes serait facilité par un régime unique d’Assurance maladie. La possibilité d’accès physique à des antennes locales de l’Assurance maladie est une nécessité, les guichets doivent être réouverts. Le/la « médecin traitant », au sein d’une équipe de travail, doit être celui ou celle qui accueille les personnes, s’engage à leur suivi, les accompagne et les oriente. Avoir un·e médecin qui accompagne, qui est le/la référent·e, doit être une aide dans le parcours de soins et non plus conditionner comme aujourd’hui le niveau des remboursements ce qui est un frein pour l’accès aux soins. La prise en charge par l’Assurance maladie doit s’étendre à des soins actuellement non remboursés. Cela peut se faire à un niveau local (par exemple : certains transports pour accéder à des services de santé) ou concerner toute la population (tel que la prise en charge des consultations chez les psychologues ou psychomotricien·nes).
– … que géographique. La carte des lieux de soin doit être revue pour mettre en place une offre de premier recours permettant aux usager·es d’éviter des passages aux urgences et des hospitalisations inutiles, mais aussi pour offrir des lieux d’hospitalisation publique de proximité en lien avec le premier recours. Comme dit précédemment, la liberté d’installation doit être interrogée. La règle actuelle de l’offre et la demande comme seule régulation pour l’installation des médecins génère d’importantes inégalités territoriales d’accès aux soins et de santé. D’autres régulations doivent donc être débattues démocratiquement par la population. L’installation de professionnel·les pourrait être facilitée par l’aide à la recherche de locaux ainsi que par l’attractivité que représentent un mode de fonctionnement collectif, un travail en coopération et la formation d’étudiant·es des différentes professions. L’ensemble de ces décisions doit être pris de façon démocratique dans un réel processus de codécision avec les usagèr·es au niveau concerné.
Les missions de santé publique de proximité : assurer un réel accès aux soins, identifier et lutter contre les causes environnementales des maladies.
Dès aujourd’hui, nous pouvons mener des actions de santé publique telles que l’accompagnement à la santé de la population avec les moyens de l’éducation populaire et à travers l’accès à la médiation, l’accompagnement des patient·es en situation de handicap, la mise en place et utilisation de l’interprétariat en santé, l’analyse des causes environnementales des maladies, dont les conditions de travail, de logement, etc., la participation au dispositif Asalée [3] de coordination médecin généraliste-infirmier·e pour l’accompagnement des personnes atteintes de maladies chroniques à travers l’éducation thérapeutique du patient ? le développement des Partenariats institutions citoyens pour la recherche et l’innovation (PICRI) afin de multiplier les processus de recherche-action, etc.
Demain, la santé publique sera un levier de transformation sociale. Pour éviter que ces actions ne dépendent du volontarisme des soignant.es pour les développer et garantir leur pérennité, il faut créer des équipes pluridisciplinaires (médiation, sociologie, épidémiologie, …) ne se limitant pas au champ strict du soin et dont les missions prioritaires seraient déterminées par la communauté. Il faut aussi former l’ensemble des professionnel·les à toutes ces missions de santé publique et encourager la recherche pluridisciplinaire dans tous ces domaines. Il faut octroyer un statut aux professionnel·les de santé qui ne les réduirait plus au rôle de dispensateur d’actes, mais prendrait en compte l’ensemble des missions de santé publique. Il faut que soient possibles de nouveaux modes de rémunération en adéquation avec ces missions, ce que ne permettent pas les modes de rémunération actuelle tels que le paiement à l’acte ou la Rémunération sur objectifs de santé publique (ROSP). Le développement de paiements forfaitaires ou la rémunération à la capitation, telle qu’elle existe dans les Maisons médicales belges, sont des modes de financements qui devraient pouvoir être mis en place.
Pour une santé non marchande.
Dès aujourd’hui, nous pouvons affirmer que la santé est un bien commun inaliénable en boycottant, dès que possible, les professionnel·les pratiquant des dépassements d’honoraires ; en refusant tout financement privé pour le fonctionnement des structures de soin dans lesquelles nous travaillons ; en se battant contre l’implantation de structures de soins privées à but lucratif (exclure la spéculation et la prise de bénéfice) ; en promouvant une formation initiale et continue indépendantes et en refusant de participer à toute formation initiale ou continue en lien avec les entreprises des produits de santé ; en utilisant et promouvant les sources d’information indépendante sur le soin et la santé ; en appliquant et en faisant appliquer par les professionnel·les de santé l’obligation de signaler, lorsqu’ils et elles interviennent dans une formation professionnelle ou un média, leurs éventuels liens d’intérêt avec les firmes qui produisent ou commercialisent des produits de santé concernés par leurs interventions [4] ; en utilisant un système d’information le plus écoresponsable possible, en refusant les logiciels de gestion des dossiers médicaux ou administratifs liés à des lobbys de produits de santé et le plus souvent possible en utilisant et promouvant des logiciels libres, non marchands et coopératifs ; en étant vigilant·e sur la sécurisation des données que nous récoltons et en refusant la mise en place de bases de données inutiles et centralisées qui exposent les données personnelles au piratage et à l’utilisation mercantile ; en étant vigilant·e sur l’impact environnemental de notre activité de soin afin de la diminuer. Il peut s’agir par exemple de matériel à usage unique ou actuellement des masques anti-covid.
Demain, la santé sera considérée par toutes et tous comme un bien commun inaliénable. Pour cela, les modes de rémunération inflationnistes des actes de soin, tels le paiement à l’acte, seront remis en cause et les dépassements d’honoraires interdits. Les pratiques libérales ne seront plus majoritaires, laissant la place à d’autres modes d’exercice, tels le salariat. Plus largement, tout profit sur la santé et en particulier le soin, sera impossible. Le secteur privé à but lucratif aura donc disparu. Toute formation continue impliquant un médicament à visée diagnostique ou thérapeutique comportera l’évaluation de ce médicament par une revue indépendante telle que la revue Prescrire. L’indépendance sera la règle de fonctionnement de toutes les agences gouvernementales et tout particulièrement au niveau de la Haute-autorité de santé et de l’Agence nationale de sécurité du médicament. Cela impliquera la mise en place d’une formation d’experts indépendantes, telle qu’une École européenne de l’expertise sanitaire publique. Tous les produits de santé seront considérés comme des biens communs ; ce qui signifiera la suppression des brevets sur ces produits et obligera à repenser l’ensemble de la chaîne de recherche, de production et de distribution de ces produits. Un pôle public du médicament sera créé et les entreprises sanitaires pourront être nationalisées. La collecte de toutes les données de santé dans la gigantesque plate-forme de santé qu’est le Heath Data Hub aura cessé. Un service public de gestion des données de santé devra garantir la sécurité des données, leur confidentialité, l’absence d’utilisation à visée commerciale, etc.
Avec ce texte, nous cherchons à ouvrir le champ des possibles. Un certain nombre existe déjà et ne demande qu’à s’étendre. Nous invitons toutes celle et ceux qui cultivent des alternatives de fonctionnement et d’organisation sur leur territoire, au service de la santé comme bien commun, à les partager.
⬛ Syndicat de la médecine générale
[1] Le théâtre participatif ou théâtre-forum est initialement théorisé et expérimenté par Augusto Boal, dramaturge et homme politique brésilien. Il conçoit une nouvelle forme théâtrale dans le Théâtre de l’opprimé puis dans Jeux pour acteurs – non-acteurs. Il développe un spectacle interactif où acteurs et spectateurs élaborent ensemble des solutions aux problèmes sociétaux notamment en santé publique. « Nous sommes tous des acteurs : être citoyen, ce n’est pas vivre en société, c’est la changer. »
[2] Les unités sanitaires de base constituent au Brésil les maillons du système universel de santé. Elles sont au cœur des décisions en matière de politiques de santé publique en concertation avec les élus locaux. Ainsi, les conseils de quartiers sont composés à 50 % d’usagers·es, 25 % de professionnel·les de santé et 25 % d’élu·es et administratifs·ves. Ces conseils envoient des délégué·es dans les conseils municipaux, régionaux et fédéraux qui respectent les mêmes proportions en termes de représentation.
[3] Action de santé libérale en équipe.
[4] L’article 26 de la loi du 4 mars 2002 relative au droit des malades et à la qualité du système de santé stipule que « Les membres des professions médicales qui ont des liens avec des entreprises et établissements produisant ou exploitant des produits de santé ou des organismes de conseil intervenant sur ces produits sont tenu·es de les faire connaître au public lorsqu’ils s’expriment lors d’une manifestation publique ou dans la presse écrite ou audiovisuelle sur de tels produits. ». Le décret d’application date du 25 mars 2007.
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