De l’histoire de la construction des Unions Interprofessionnelles Locales (UIL) dans le Pas-de-Calais
Depuis quelques années, l’Union syndicale Solidaires se développe et réfléchit à son organisation. De plus en plus d’unions départementales évoquent leur structuration en unions locales. Ces débats ne sont pas sans faire ressurgir des interrogations sur le modèle démocratique que propose Solidaires et sur la place que devront occuper ces unions locales dans le fonctionnement de notre Union syndicale. Sur ce sujet, il peut être intéressant d’observer l’Union Départementale Solidaires dans le Pas-de-Calais. Aujourd’hui, en 2016, cette UD est structurée en six Unions Interprofessionnelles Locales (UIL). De plus, lors de son Assemblée Générale du 14 octobre 2016, une modification statutaire a été adoptée accordant le droit de vote dans Solidaires Pas-de-Calais aux UIL : cet aspect est évidemment précurseur dans Solidaires.
D’emblée, il faut mentionner une première particularité de Solidaires Pas-de-Calais : certaines Unions Interprofessionnelles Locales (UIL) sont plus anciennes que l’Union Départementale (UD) ! Les statuts de l’UD Pas-de-Calais ont été adoptés le 30 septembre 2005 alors que ceux de l’UIL Boulogne-sur-Mer le furent le 19 mai 2004 et ceux de l’UIL Arras, le 22 juin 2005 !
Pour comprendre cette particularité, il faut revenir sur l’apparition de Solidaires dans la région Nord-Pas-de-Calais. Région petite mais très peuplée, environ 4 millions d’habitants et habitantes, elle est très urbanisée et structurée en de nombreux pôles urbains assez importants. Évidemment, l’un d’eux se détache : la métropole lilloise regroupe 25 % de la population. Fort logiquement, les syndicats Solidaires se sont d’abord développés dans cette métropole et le premier G10-Solidaires local fut une Union régionale Nord-Pas-de-Calais, dénommée comité, avec un siège à Lille. Cette structuration permettait aux syndicats du G10 et SUD apparaissant dans le Pas-de-Calais de ne pas être isolés. Dans la région, le mouvement social de 2003 a sans doute été le premier terrain d’une importante lutte sociale où l’Union syndicale Solidaires est apparue en tant que telle, à la fois en appui de ses organisations les plus impliquées dans le mouvement mais aussi au niveau de la construction, toujours très difficile, de la convergence des luttes. Les nombreuses manifestations et actions diverses qui ont eu lieu dans toute la région ont par ailleurs montré la nécessité pour Solidaires de s’appuyer sur des relais locaux en matière d’organisation comme en matière de représentation (intersyndicales, Assemblées Générales, délégations,…). Si les rencontres, les échanges, au niveau de la base, entre les membres des différents syndicats SUD ont pu se mettre en place tout naturellement pendant les temps de mobilisations, le besoin de prolonger, après les mobilisations, cet espace de vie interprofessionnelle de terrain est vite apparu comme incontournable. Le comité Solidaires Nord-Pas-de-Calais a alors pris la mesure de l’importance de constituer un réseau d’UIL sur le territoire en favorisant leur création (Dunkerque, Valenciennes, Douai dans le Nord ; Boulogne et Arras dans le Pas-de-Calais pour commencer) afin de contribuer au renforcement et au développement de l’aspect interprofessionnel, souvent mis en avant dans les orientations des syndicats de l’Union mais difficilement mis en pratique sur le terrain. C’est le développement des syndicats Solidaires qui a poussé à créer une UD dans le Pas-de-Calais ; au fil du temps, celle-ci s’est autonomisée et l’ex-région Nord-Pas-de-Calais compte aujourd’hui deux UD, démocratiquement autonomes.
L’apparition des premières UIL dans le Pas-de-Calais : Boulogne sur Mer et Arras
La première UIL apparaît donc à Boulogne-sur-Mer dans le cadre de l’Union régionale. Comme pour toute la région, c’est un mouvement social qui donne un coup de fouet au développement de Solidaires. Il s’agit ici du mouvement contre la réforme des retraites de 2003, qui pousse les syndicats SUD et G10-Solidaires1 présents à Boulogne-sur-Mer à se rencontrer une première fois en mai 2003. Cette rencontre est élargie à toute la Côte d’Opale et l’UIL devait se constituer autour de Calais et Boulogne. Malheureusement, l’idée tombe rapidement à l’eau et c’est en avril 2004 qu’elle refait surface à l’initiative de SUD-Rail dans le Boulonnais. Finalement, l’union locale sera exclusivement boulonnaise et son AG constitutive avec adoption des statuts a lieu le 19 mai 2004. Cette UIL est née de la volonté des militants et militantes sur le terrain et des syndicats membres du G10-Solidaires dans le Boulonnais de travailler ensemble. On y trouve SUD-Rail, SUD PTT, SUD Collectivités Territoriales, SUD éducation et SUD Travail affaires sociales. A ses débuts, l’UIL de Boulogne acquiert vite une certaine autonomie et fait figure de « village gaulois » dans Solidaires, s’impliquant peu dans le fonctionnement de l’union régionale puis départementale. Cela s’explique d’abord par la situation géographique de la ville. Éloignée des capitales régionale et départementale, relativement enclavée au regard des autres villes de la région, Boulogne a toujours développé ses luttes en dehors des prescriptions régionales. Ensuite, cette ville portuaire a de très anciennes traditions de lutte et de militantisme. Boulogne est souvent la ville où la mobilisation est la plus importante dans le Pas-de-Calais et la deuxième régionalement après Lille. Cette particularité a perduré dans Solidaires.
Cependant, l’élan du départ va vite ralentir par manque de moyens, de locaux et de luttes. La petite taille des universités boulonnaises ne permet pas de redynamiser l’UIL à l’occasion du mouvement contre le Contrat Première Embauche de 2006. Faute de mouvement social d’importance, l’absence d’apparition de nouveaux syndicats provoque un endormissement de l’activité de l’UIL. Certains syndicats, militants et militantes de SUD-Rail et SUD éducation souhaitent relancer l’UIL dès 2009 mais c’est le mouvement social de 2010 contre la réforme des retraites qui va redonner une forte dynamique à l’UIL de Boulogne. La ville de Boulogne connaît alors un important mouvement avec des blocages de zones industrielles liées à l’activité de la transformation du poisson, des manifestations pouvant regrouper jusque 15 000 personnes dans une ville de 43 000 habitants et habitantes ! L’UIL de Boulogne est d’ailleurs à l’origine des premiers blocages avec une Assemblée Générale regroupant aussi des sections d’entreprises CGT, CFDT, des militants et militantes non syndiqués, et cela en dehors des directions des Unions Locales confédérées. Ce mouvement va lui permettre de se faire connaître des salarié-es et de se développer dans le secteur privé. Ainsi, la plus grande entreprise privée du Boulonnais, un centre d’appel, voit l’apparition d’une section SUD Télécom.
Depuis 2010, Solidaires Boulogne a donc œuvré à sa reconnaissance par les salarié-es, par les autres syndicats et est devenu aujourd’hui un élément indiscutable du paysage syndical et social du Boulonnais. Le développement des syndicats se poursuit et, après plus de 5 ans de combat, la mairie s’est vue contrainte d’accorder un local à cette UIL, ce qui lui donne une visibilité importante. Surtout, le nouveau développement de l’UIL de Boulogne s’est fait cette fois en étant parfaitement intégré au fonctionnement de l’Union Départementale : pour preuve, la tenue de la dernière AG départementale dans les locaux Boulonnais.
Ce développement ne peut cependant pas cacher les faiblesses propres à beaucoup d’unions Solidaires. A Boulogne, l’UIL Solidaires reste encore bien plus petite que la CGT et cela pose la question de notre poids dans le rapport de force dans les intersyndicales ; le mouvement contre la loi Travail nous l’a rappelé. Il a mis en évidence des faiblesses car l’implication des syndicats de l’UIL a été très inégale et nous n’avons pas su mobiliser autant qu’en 2010.
Dans le sud du département, les statuts de l’Union Interprofessionnelle Locale Solidaires Arras et environs ont été adoptés le 22 juin 2005. Un bureau de trois personnes (issues des syndicats SUD Collectivités Territoriales, SUD santé sociaux et SUD éducation) a été désigné par l’Assemblée Générale constitutive réunie ce même jour. S’il est clairement énoncé dans les statuts que l’UIL d’Arras agit en conformité avec les statuts et règlement intérieur de l’Union syndicale nationale Solidaires, de ceux du Comité régional Solidaires Nord-Pas-de-Calais et de ceux de l’Union interprofessionnelle départementale Solidaires Pas-de-Calais, à commencer par le fait que l’UIL est bien une Union de syndicats2 ou de sections de syndicats présents sur le territoire, un groupe d’adhérent-es (plus qu’un groupe de représentant-es ou de délégué-es) issus de différents syndicats de Solidaires fête à cette occasion la création d’une structure autonome qui va leur permettre de prendre en main leur engagement syndical interprofessionnel local.
La présence sur le terrain des luttes, au-delà des simples mobilisations liées au monde du travail (contre la répression syndicale au côté de la Confédération paysanne, en soutien aux réseaux antinucléaires, aux sans-papiers, aux mouvements de chômeurs et chômeuses, contre l’extrême droite,…), la disposition d’un local et de matériel de reprographie, la reconnaissance d’une implantation locale par la CGT et la FSU ont permis à l’UIL d’Arras de figurer au premier plan dans la mobilisation contre le CPE. 2006 a donc été un moment important pour le développement de Solidaires dans l’Arrageois. Un syndicat SUD étudiant-es s’est ainsi constitué dans la foulée de cette lutte, il a dynamisé l’UIL et ouvert de nouvelles perspectives de mobilisation qui s’exprimeront notamment en 2010 où, cette fois, l’UIL a pu peser dans la construction locale de la lutte contre la réforme des retraites (AG interprofessionnelle, appel à la grève, blocages, etc.).
A l’image d’un des temps forts de la vie de l’UIL d’Arras qui réunit une bonne partie des adhérent-es/militant-es dans l’organisation de la buvette du salon du livre d’expression populaire et de critique sociale organisé depuis une quinzaine d’années, le 1er mai, par l’association Colères du présent, l’UIL se veut plus qu’un simple lieu de rencontre d’appareils syndicaux. C’est un lieu de rencontre, d’échange, de partage pour les adhérents et adhérentes, qui favorise la construction d’un engagement interprofessionnel de terrain.
Le fonctionnement d’une UIL est largement dépendant de l’investissement de quelques militants et militantes de l’interprofessionnel. Il est vrai qu’il n’est pas toujours simple de trouver du temps et des bonnes volontés au-delà de l’engagement dans son propre syndicat. Encore plus à un niveau local où, si des syndiqué-es bénéficient de moyens en temps, c’est essentiellement pour leur syndicat. Une UIL est donc bien souvent tributaire de l’investissement « bénévole » de quelques uns et quelques unes et même, parfois, d’un-e ou deux militants et militantes. L’UIL d’Arras n’échappe pas à cette réalité et connaît d’ailleurs actuellement une période un peu plus délicate : le renouvellement de son équipe d’animation, faute de disponibilité, ne s’est pas opéré comme cela était souhaité. Ainsi, le bilan qui a pu être tiré du fonctionnement de l’UIL d’Arras et de son engagement dans les mobilisations contre la loi Travail – certes dans un contexte de lutte différent de ce que nous avions vécu en 2003, 2006 ou encore 2010 – montre à la fois une présence moins visible dans les manifestations locales, une participation limitée aux réunions intersyndicales et une absence de réflexion collective en interne autour du mouvement en cours sur un plan syndical mais aussi au niveau de Nuit debout.
Au-delà de cette période actuelle de « moins bien » pour l’UIL d’Arras – une Assemblée Générale de l’UIL est d’ailleurs prévue prochainement pour réfléchir à ses modalités de fonctionnement et tenter de redynamiser son activité – les membres des différents syndicats qui s’y retrouvent partagent la conviction que ce niveau organisationnel de l’interprofessionnel constitue un niveau clé pour construire un outil syndical alternatif fort.
Apparition des autres UIL dans le département
L’arrivée des quatre autres Unions Interprofessionnelles Locales dans le Pas-de-Calais est beaucoup plus récente. Ces créations ont eu lieu, cette fois, dans le cadre de l’UD et avec un fort soutien de celle-ci. C’est à Saint-Omer qu’apparaît une troisième UIL, basée principalement sur des syndicats du privé entre autre SUD autoroutes, ce qui est encore une particularité. Dans un premier temps, son développement restera limité. Deux faits vont dynamiser cette UIL : l’attribution d’un local à la Bourse du Travail en 2012 et la création d’une section SUD Chimie dans la plus grande entreprise privée du Nord-Pas-de-Calais, Arc international. L’UIL de Saint-Omer a également une forte activité juridique de défense des personnels, dont l’efficacité attire de nouvelles sections syndicales dans les entreprises privées.
L’UIL de Béthune est apparue suite au mouvement social de 2010, après une tentative avortée en 2006. Une très dynamique section de SUD Chimie dans l’usine de pneus Bridgestone va booster Solidaires dans l’agglomération. Regroupant les énergies lors des manifestations et des AG, la section SUD Chimie Bridgestone a été le point de départ de la création de l’UIL. L’attribution d’un local, également à SUD Chimie, dans la maison des syndicats donne un élan décisif. L’UIL se créé définitivement en 2012, aidée par l’UD. Comme celle de Saint-Omer, l’UIL de Béthune reste aujourd’hui en plein développement, essentiellement basée sur des salarié-es du privé. (SUD Chimie, Solidaires industrie, …).
A la même époque est créée une UIL à Calais en 2012. Cette UIL, encore aujourd’hui en pleine construction, est animée par d’importantes sections SUD CT. Si cette dimension interprofessionnelle réduite a sans doute pesé dans le développement de l’UIL, d’autres syndicats de Solidaires sont aujourd’hui intégrés à son fonctionnement. Malgré des disponibilités limitées, il est à noter que cette UIL prend une part active au soutien aux migrants et migrantes.
Ces trois nouvelles UIL sont donc l’œuvre des militants, militantes et syndicats sur le terrain, mais la sixième UIL du département présente une spécificité. L’UIL de Lens a été créée suite à une initiative directe de l’UD à la suite d’une décision d’Assemblée Générale. Lens était la dernière ville importante du Pas-de-Calais à ne pas avoir d’UIL. L’UD a donc pris contact avec les syndicats et sections présents autour de Lens pour les réunir et ainsi créer cette UIL en 2015. Aujourd’hui, l’UIL de Lens est en phase de construction avec les sections syndicales présentes sur place.
Les 6 UIL du Pas-de-Calais permettent donc de couvrir l’ensemble du territoire départemental et à l’heure actuelle, quelle que soit leur histoire, toutes participent à la vie de l’UD et sont même à la base du développement de Solidaires dans le Pas-de-Calais.
UIL : L’interprofessionnel à la base ou la base de l’interprofessionnel ?
« Le syndicalisme doit assurer le fonctionnement démocratique de ses structures afin que ses prises de décisions répondent le plus fidèlement possible aux aspirations, intérêts et revendications des salariés eux-mêmes. Il doit assurer la primauté du syndicat de base sur les structures fédérales ou confédérales. »3
L’Union syndicale Solidaires est forte des syndicats qui la constituent, et il est important que ceux-ci se développent. Ces syndicats sont aussi forts de leur Union interprofessionnelle, et il est nécessaire que les syndicats qui en ont la possibilité consacrent des moyens au fonctionnement de cette Union. Mais construire et développer l’interprofessionnel, demande aussi de permettre aux adhérents et adhérentes « de base » d’être directement impliqués en son sein. C’est bien dans cette perspective que s’est développée l’idée d’UIL et c’est bien dans cet état d’esprit que nous essayons de faire vivre les UIL du Pas-de-Calais. Il ne s’agit pas de créer un échelon décisionnel supplémentaire, mais d’un niveau d’organisation qui permet aux syndiqué-es de s’approprier leur Union interprofessionnelle. A côté du principe de la représentation par double délégation ou par double mandatement (on délègue/mandate dans son syndicat qui délègue/mandate dans Solidaires), il faut permettre aux adhérents et adhérentes de se faire entendre dans les débats interprofessionnels, et pas seulement dans un cadre sectoriel, tout comme il faut leur permettre de participer au fonctionnement de l’interprofessionnel et de se confronter à la réalité du terrain de l’action syndicale et intersyndicale interprofessionnelle.
Ainsi, par cette volonté et l’histoire ancienne de certaines de ses structures locales (même plus ancienne que la sienne, comme on l’a vu), l’UD Pas-de-Calais est essentiellement basée sur ses UIL. Par rapport à d’autres UD Solidaires, le fonctionnement en UIL n’est pas une évolution de la pratique, il est la pratique de base !
L’action des UIL
On le comprend donc, l’existence des UIL dans le Pas-de-Calais est une volonté clairement affichée et recherchée par les syndicats Solidaires concernés. Dans un département avec une telle densité d’entreprises et de services, il nous paraît indispensable d’être au plus près des salarié-es pour les aider et les défendre. La présence de six grands pôles urbains de taille équivalente rendait illusoire la crédibilité et la visibilité d’une UD qui serait restée basée sur la seule capitale départementale.
L’existence des UIL est donc, dans notre département, indispensable à la visibilité de Solidaires sur le terrain. Ainsi, l’existence des UIL permet à Solidaires de revendiquer des locaux dans les Bourses du travail de différents lieux. Ces démarches longues et chronophages ont, à ce jour, abouti dans trois villes. Solidaires est présent dans les Bourses du travail de Béthune et Saint-Omer mais aussi dans une annexe de la Bourse de Boulogne-sur-Mer. A Arras, Solidaires utilise des locaux loués dans le privé. A Calais, ce sont les locaux de SUD CT qui accueillent Solidaires. Seul, l’UIL de Lens est encore sans local fixe mais peut bénéficier de prêts de salles municipales. Si notre développement nous donne accès à des locaux, ceux-ci sont indispensables pour notre développement. Cela donne accès aux salles communes des Bourses, à des salles pour recevoir les salarié-es et surtout des salles pour les formations, outils indispensables aujourd’hui à la syndicalisation.
L’existence et le développement de Solidaires reposent entièrement sur les UIL. Celles-ci assurent les campagnes de syndicalisation, la diffusion du matériel de Solidaires sur le terrain. Dans le Pas-de-Calais, ce sont les UIL qui sont le relais des campagnes nationales, telles « les capitalistes nous coûtent cher » ou la récente campagne pour les élections TPE.
L’autre volet du travail syndical local est d’assurer un soutien aux salarié-es en difficulté dans leur quotidien professionnel, notamment pour faire respecter leurs droits face à leurs employeurs. La défense des salarié-es, les permanences juridiques sont assurées par les UIL dans leurs locaux. Le réseau des conseillers du salarié et des défenseurs syndicaux dans le département est clairement rattaché aux UIL. Il suffit de regarder la liste des défenseurs syndicaux du Pas-de-Calais pour remarquer que ceux-ci ont indiqué comme adresse postale celle de leur UIL et non de l’UD.
Les formations sont également souvent à l’initiative de sections locales de syndicats ou de discussions dans les Conseils de l’UIL en fonction des besoins locaux.
Bref, ce choix de l’importance des UIL n’est pas issu d’une copie du fonctionnement d’autres organisations mais est bien un modèle démocratique clairement assumé. Cela nous permet d’être au plus près de l’attente des salarié-es à un moment où les institutions s’en éloignent avec fusion des Régions, des DIRECCTE4… Cela permet aussi à l’UD de disposer d’un réseau de militants et militantes fin connaisseurs des réalités de terrain, et surtout en nombre plus important que si nous fonctionnions autour d’une Union centralisée à Arras. La limitation des déplacements permet une meilleure gestion de la vie de famille et du temps et, donc, une implication plus aisée dans la vie militante.
Mais que reste-t-il de l’UD ?
C’est la question que nous pourrions nous poser étant donné le rôle très important des UIL. Au-delà des différences dans les bassins d’emploi (Arras est plus basé sur l’administration que les autres), il y a une forte identité industrielle dans le Pas-de-Calais. Ainsi, dans Solidaires 62, les plus gros syndicats sont souvent liés au privé, tels SUD Chimie, Solidaires Industrie, SUD Télécom, … Cette identité industrielle conditionne également une forte solidarité territoriale et toutes les UIL connaissent un même niveau de difficultés économiques, d’exploitation patronale, de précarisation de l’emploi. Cette identité commune rend nécessaires solidarité et coordination entre les UIL.
Les campagnes de syndicalisation et la stratégie de lutte sont déterminés lors des réunions du Conseil de l’UD et donc par les syndicats de Solidaires. Bref, l’UD coordonne et impulse l’action des UIL. D’ailleurs, celles-ci ne pourraient véritablement exister sans l’UD car les moyens financiers proviennent, à quelques exceptions près, de l’UD. Contribuer à la défense des salarié-es, c’est aussi les accompagner dans la création de sections syndicales SUD ou Solidaires. Cette tâche est essentiellement assumée par l’UD aujourd’hui, mais pouvoir s’appuyer sur une UIL (local, matériel de communication, etc.) est bien souvent un élément incitatif, notamment dans le secteur privé.
Au niveau de la représentation, toutes les relations avec le « national » dépendent entièrement de l’UD. Le relais des politiques et stratégies syndicales de Solidaires national se fait par le département. Sur ce point, on peut dire que les UIL ne jouent pas un rôle moteur, même si elles disposent d’une certaine autonomie dans le mode d’application des décisions départementales.
Évidemment, c’est également l’UD qui est reconnue des instances gouvernementales et qui participe aux réunions auprès des préfectures, DIRECCTE et autres. De fait, c’est l’UD qui nomme les conseillers du salarié, qui propose les défenseurs syndicaux, qui peut donner mandat à des sections syndicales quand les syndicats de Solidaires ne peuvent le faire… Il en va de même auprès des autres organisations syndicales. L’intersyndicale départementale existe également, même si elle est peu active. Elle se réunit en général au début des mouvements, puis passe la main aux intersyndicales locales, ce qui rend indispensable l’existence des UIL. Mais les UIL y participent car l’UD est reconnue !
On l’aura compris, les UIL bénéficient d’une certaine autonomie dans leurs actions mais on constate une réelle interdépendance entre les UIL et l’UD en termes de stratégie syndicale.
Risque de détournement du modèle démocratique de Solidaires ?
Solidaires s’est fondé et perdure par un syndicalisme différent, avec le choix d’une union syndicale et non d’une confédération. Face au choix de l’UD 62 de donner une telle place aux UIL, on pourra comprendre les inquiétudes qui peuvent émerger dans des syndicats Solidaires. Certains craignent le risque de reproduction d’une dérive démocratique, avec les plus gros syndicats qui pourraient exercer une pression importante sur les UIL. Plusieurs dispositions peuvent être considérées comme des garde-fous.
Toutes les UIL sont fondées comme des unions de syndicats. Leurs statuts doivent être conformes à ceux de l’UD. Ainsi, statutairement, les décisions se font au consensus et, à défaut, sur le principe « un syndicat égale une voix ». Cependant, ne le cachons pas, l’existence des UIL est voulue pour rapprocher les adhérents et adhérentes de la structure. Les UIL permettent une présence plus grande des militants et militantes de terrain dans les conseils des UIL, au delà des seul-es mandaté-es par leur syndicat pour cette tâche. Les décisions prises au consensus le sont sur la base de l’ensemble des personnes présentes.
L’autre garde-fou est évidemment l’UD, où la représentation des syndicats est clairement assurée par des mandaté-es. L’instance démocratique de base reste le Conseil de l’UD et non les Conseils des UIL. Dans les statuts, celles-ci sont clairement dépendantes de l’UD et leurs décisions ne peuvent aller à l’encontre de celles de l’UD. Malgré tout, toujours dans la logique de rapprocher les structures syndicales du terrain et des syndiqué-es à la base, les Conseil de l’UD ne se déroulent pas dans une ville unique mais alternent dans les locaux des différentes UIL. Les adhérents et adhérentes peuvent ainsi assister aux réunions départementales et voir le fonctionnement de la démocratie dans Solidaires. Ils et elles sont libres de s’exprimer dans le Conseil mais lors des prises de décisions, la règle est cette fois très claire : une voix par syndicat dûment représenté !
Au final, le dernier garde fou est l’attachement des camarades et syndicats Solidaires au modèle d’organisation syndicale que nous développons, un modèle qui tente de donner toute sa place au niveau interprofessionnel contrairement à ce que l’on peut observer dans certaines confédérations où ce sont les fédérations professionnelles qui priment. Dans notre département, nombre de syndicats et sections sont issus d’autres organisations syndicales aux pratiques rejetées par des camarades qui ont notamment rejoint Solidaires pour le choix qui y est fait de fonctionner de manière plus horizontale. La place accordée aux UIL est un élément important pour des camarades soucieux de pratiques démocratiques interprofessionnelles.
Solidaires Pas-de-Calais a adopté un fonctionnement, qui, tout en respectant scrupuleusement le modèle innovant de Solidaires, apporte également des éléments précurseurs dans son développement en accordant une place particulière à ses UIL. D’ailleurs, la dernière AG de l’UD 62 du 14 octobre 2016 a décidé d’apporter une expérience de plus en accordant le droit de vote aux UIL. Solidaires 62 pratique désormais le principe 1 syndicat = 1 voix, 1 UIL = 1 voix. Cette décision, votée unanimement par les syndicats de Solidaires 62, est une forme de reconnaissance du travail important des syndicats, militants et militantes dans les UIL pour le développement de Solidaires dans le département. Mais c’est également une obligation pour les UIL de s’impliquer encore plus dans la construction de l’UD puisqu’elles participent désormais, même si elles restent très minoritaires par rapport aux syndicats, aux prises de décisions. Malgré tout, ce vote renforce encore le défi dans Solidaires 62 d’éviter tout détournement de la démocratie et oblige les syndicats à une formation aux valeurs de Solidaires bien plus importante pour éviter toute dérive.
1 Par syndicats SUD, on entend ceux créés, dans la région, à la suite du mouvement de 2003 ; d’autres, nommés SUD ou non, étant déjà présents et organisés au sein du G10-Solidaires.
2 Les syndicats qui participent, ou ont participé, à la vie de l’UIL d’Arras : SUD étudiant, SNUI (devenu Solidaires finances publiques), SUD autoroute, SUD Collectivités Territoriales, SUD culture, SUD éducation, SUD énergie, SUD FPA, SUD logement social, SUD PTT, SUD-Rail, SUD Rural territoires, SUD santé-sociaux, SUD prévention et sécurité, STCPOA (travailleurs de la Confédération Paysanne). Il s’agit très majoritairement de syndicats et, parfois, de sections de syndicats nationaux ; dans l’ensemble du texte, cette diversité est reprise sous le terme « les syndicats ».
3 Extrait du préambule aux statuts de l’Union syndicales Solidaires
4 Directions régionales des entreprises, de la concurrence, de la consommation, du travail et de l’emploi.