A propos de l’UNEF : de l’AGE à l’AG
Les animateurs et animatrices du Groupe d’études et de recherche sur les mouvements étudiants (GERME) ont bien voulu nous confier ces extraits1 d’une intervention faite lors d’une journée d’études organisée conjointement par la Cité des mémoires étudiantes, le GERME, et le Centre d’histoire sociale du 20ème siècle, le 14 décembre 2013. Le thème en était« L’AG ou la démocratie étudiante dans le second vingtième siècle,de l’AGE (Association générale des étudiants) à l’AG (Assemblée générale) ».Lors de la séance consacrée à mai-juin 1968, Jacques Sauvageot avait témoigné de ses réflexions2.
« On peut se dire qu’il y a une autre approche, qui est celle de la démocratie, on va dire de la démocratie syndicale, plus généralement la question du rapport entre le mouvement de masse et l’organisation. Très vieille question, et question encore complètement actuelle. Elle a été posée à ce moment là, mais elle avait déjà été posée avant, la différence c’est peut-être qu’à ce moment là on a cherché plus à essayer de théoriser et de trouver une réponse. Mais c’est une question qui se pose toujours, en permanence.
[…]
En 68, je ne suis pas dans une AGE3, je ne suis pas dans une structure de base, je suis au bureau de l’UNEF à Paris. En plus ; c’est un moment très particulier, il faut donc se méfier – cela va être notre difficulté – de vouloir théoriser quelque chose qui ne pouvait exister et qui ne se fondait que sur un moment qui était un moment particulier. En dehors de cette période de mouvement, qu’est-ce qui se passe ? Quel est le type de structure qui peut exister ? Cela posait la question du syndicalisme, à un moment où la réalité était en train de devenir pluraliste, avant d’être multi-pluraliste, parce que la FNEF4 existe depuis 1961. J’arrive à l’UNEF en 1961 mais on ne peut pas dire que la FNEF on l’ait ressentie comme très présente, très active dans ces années là. Par contre, les divisions qu’il y avait entre les différents courants politiques étaient, elles, réelles, existaient et se sont développées par la suite : dans un premier temps, les années qui ont précédé 68, un peu en stérilisant l’UNEF, faisant que l’UNEF avait de plus en plus de mal à fonctionner pour des raisons internes ; et après 68, parce que, de fait, l’UNEF a éclaté, dans un premier temps entre les deux UNEF, puis d’autres avec une multiplicité d’organisations. Nous, quand on cherche à gamberger autour de cette question, c’est le moment où il y a tout de même l’idée qu’il pourrait y avoir quelque chose, sinon d’unique, du moins qui puisse rassembler l’essentiel de ce qui bouge. Cela a été préparé par des choses particulières : les Groupes de travail universitaires (GTU) regroupaient tous ceux qui le voulaient, sur la base d’un travail dans l’université, avec une petite politique malgré tout qui était de dire que les étudiants prennent quelque part en charge leur enseignement. Cela n’a pas duré très longtemps, c’était compliqué à mettre en œuvre ; le mouvement est arrivé là-dessus.
[…]
Ce qu’on propose à ce moment là intervient dans une situation très particulière où se pose la question des AG. Je tombe sur un extrait du rapport présenté par le Bureau national (BN) à l’AG de l’UNEF de janvier 1968, dans lequel le BN se plaint de l’incapacité qu’il a à avoir le contact avec la plupart des AG de province, et des corpos. A la limite, celles qui nous soutiennent nous donnent plus ou moins un minimum de renseignements, sur les autres on ne l’a pas. Cela datait déjà d’avant,
[…]
L’UNEF, en janvier 68, met en place une campagne revendicative (réforme Fouchet, etc.) Pour autant que je me souvienne – mais on se trompe souvent – dans les thèmes, il y avait l’action dans les cités universitaires et dans les Instituts universitaires de technologie (IUT). Il se trouve que l’action dans les cités universitaires avec la Fédération des résidences universitaires de France (FRUF), dans les IUT avec je ne sais pas trop qui, je ne me souviens pas s’il y avait une structure autonome, mais quelque part cela marche. D’où notre idée que, si on trouvait les moyens d’avoir un meilleur contact avec les choses qui marchent, car on a l’impression qu’il y a quelque chose qui peut marcher. C’est là qu’arrive Mai 68 et il est évident, compte tenu des positions qu’avait eu l’UNEF qui critiquait l’ensemble du système institutionnel, qu’elle était sensible à toutes ces critiques. Pour des raisons à la fois internes et politiques, l’UNEF était prête à admettre, supporter un discours qui remettait en question ses propres modes de fonctionnement. On y était aidés par des mouvements qui étaient extérieurs, et cela correspondait aussi à quelque chose qui trouvait complètement sa place dans le discours qui pouvait être tenu. C’est cela qui est à l’origine de la nouvelle charte de l’UNEF, présentée dans un premier temps comme proposée à la discussion de tous les militants ayant participé aux luttes de Mai, qu’ils soient organisés à l’intérieur de l’UNEF ou dans d’autres organisations : comités d’action, de grève, comité du 25 avril5, on travaillait beaucoup avec les Comités d’action lycéens (CAL), qui n’étaient pas d’un type habituel. Quel est le fondement de la charte de l’UNEF ? C’est non seulement une prise en compte de toute cette situation, mais d’essayer de répondre à la question de la transformation de ce que pouvait être le mouvement étudiant d’après la guerre d’Algérie ; et d’une façon générale, de ce qu’était le mouvement étudiant, parce que dit la charte de l’UNEF, point 2 : « l’UNEF n’a pas agi en mai 68 comme un syndicat étudiant » ; point 3 « elle n’est pas non plus un cartel d’organisations » ; point 5 (ou 6) elle ne veut pas être un « pseudo syndicat étudiant » mais un « mouvement politique de masse », c’est-à-dire quelque chose qui joue un rôle à la fois revendicatif et contestataire. L’idée qu’il y a à ce moment-là, c’est d’essayer de se dire qu’on va mettre en place un nouveau type de structure, qui n’est pas d’un type traditionnel, et au-delà de ça, qui n’est pas un type de structure qui peut se caractériser comme purement et simplement un syndicat.
[…]
Sur la coordination des comités d’action, je trouve que ce serait très intéressant de voir ce qui s’est passé par rapport aux coordinations uniques des mouvements récents ces dernières années, où là on a été véritablement en présence de coordinations de tous les comités. La question qui se pose toujours c’est qu’il faut qu’il y ait, d’une part un certain type de discours, et il y a d’autre part, par rapport à ces discours là, de savoir comment concrètement les choses peuvent se régler. Je trouve très intéressant quand on défend le principe de l’assemblée générale minoritaire ayant vocation, parce que minoritaire, à quelque part plus refléter ce que pourrait être un intérêt général. On vit forcément dans des contradictions, la question c’est de savoir comment on les résout et comment on les gère. Franchement, êtes-vous tous aujourd’hui persuadés que les comités d’action sans bureau, etc., sont la forme la plus démocratique qui existe ? Sont-ils même la forme la moins bureaucratique ? C’est-à-dire qu’à partir du moment où la bureaucratie n’apparaît même pas, c’est sûr qu’elle ne peut pas être remise en cause. D’un autre côté, on ne va pas non plus dire « les CA, c’est la bureaucratie cachée ». C’est à la fois les deux. Comment on gère d’un côté les différents principes qu’il peut y avoir, comment on fait les choix. »
1 L’intervention intégrale sera publiée dans Les Cahiers du Germe n° 32 à paraître en mai 2018. Jacques Sauvageot n’a malheureusement pas eu le temps de revoir le texte de son intervention orale enregistrée. Le extraits repris ici son donc issus de son intervention orale ; le style « parlé » a été conservé.
2 Les questions posées des rapports entre bureau et structures de base, et entre syndicat et structures du mouvement sont au cœur de l’exposition « 140 ans d’AGE » de la Cité des mémoires étudiantes, ainsi que du colloque « Empreintes étudiantes des années 1968 dans le monde. Paris, 2-3 et 4 mai 2018 ». Voir www.germe-inform.fr/
3 L’Assemblée générale étudiante est la structure locale de l’UNEF. La première AGE a été fondée en 1877 à Nancy ; l’UNEF en 1907.
4 La Fédération nationale des étudiants de France est une scission, droitière, de l’UNEF.
5 Mouvement étudiant créé à Toulouse le 25 avril 1968.
- A propos de l’UNEF : de l’AGE à l’AG - 23 octobre 2018