Sport en banlieue parisienne

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Le Musée de l’histoire vivante (MHV) présente l’exposition « Sport en banlieue parisienne » depuis le 18 mai et jusqu’au 29 décembre 2024. Situé au cœur du parc Montreau à Montreuil (93100), le musée d’histoire sociale et ouvrière, pose un nouveau regard sur les pratiques sportives en banlieue parisienne.


Le Musée de l’histoire vivante est un musée associatif créé dans l’effervescence du Front Populaire. Riche d’un passé militant, l’association et le musée ont acquis des collections qui s’étendent du XVIIIe siècle jusqu’au XXe siècle et sont centrées sur l’histoire sociale et ouvrière, l’histoire du socialisme, du communisme et des courants libertaires. Le musée entend mettre en valeur l’histoire collective, populaire, vivante ; il propose des expositions temporaires ayant toujours en ligne de mire une histoire « vue d’en bas », avec toute la rigueur scientifique nécessaire ; le musée a pour ambition de la rendre accessible à toutes et tous, loin des grandes institutions parisiennes parfois intimidantes.


L’affiche de l’exposition, réalisée par Eliot Grynberg. [MHV]
L’affiche de l’exposition, réalisée par Eliot Grynberg. [MHV]

L’exposition « Sport en banlieue parisienne », en partenariat avec la FSGT (Fédération sportive et gymnique du travail), invite les visiteurs et visiteuses à s’interroger sur le sport populaire et ses pratiques sociales en banlieue parisienne. À travers de nombreuses archives, objets et œuvres d’art, le musée donne à voir des parcours individuels ou collectifs, des histoires vivantes où le sport tient une place de premier ordre. En cette année olympique et paralympique, le Musée de l’histoire vivante expose des éclairages pluriels et divers plutôt qu’une chronologie exhaustive. Nous sommes invité∙es à déambuler de pièce en pièce, de sports en sports, à la rencontre de ceux et de celles qui ont fait vivre le sport populaire, qu’il soit amateur ou professionnel, loin des clichés portés sur la banlieue. Cette exposition se veut également à vocation artistique. Grâce à un partenariat avec le Fonds régional d’art contemporain Île-de-France (FRAC) et des commandes passées à des artistes du territoire, le parcours muséal entremêle objets anciens et œuvres d’art radicalement contemporaines. Toujours, bien sûr, pour donner à voir le sport différemment. « Sport en banlieue parisienne » tire sa richesse de sa conception collective. De nombreux chercheurs et chercheuses, artistes, sportifs et sportives, associations et clubs ont contribué à créer une exposition plurielle, singulière et étonnante.

Au fil des salles, le musée invite à (re-) découvrir les histoires d’hommes et de femmes, bien souvent inconnu∙es, qui ont fait vivre le sport, qu’il soit collectif, individuel, amateur ou professionnel. Cette exposition veut offrir une diversité d’éclairages et présente de nouvelles représentations pour mieux saisir la dimension sportive de la banlieue, dans sa spécificité et sa normalité. Athlétisme, football, sport de combat, cyclisme, natation… autant de sport qui ont marqué et continue de marquer les trajectoires de chacun et chacune. Même si nous sommes éloigné∙es du sport, il en reste un « fait social total ». L’exposition s’attache ainsi à montrer la pratique physique comme phénomène social et culturel.

De la coupe au film, du sport professionnel au PMU

Le musée s’est associé à des fédérations, associations, clubs sportifs locaux pour mettre en avant de « vrais objets » : coupes, maillots, médailles… Peut-être moins prestigieux que certains vestiges du passé ou chefs-d’œuvre, les placers dans un musée témoignent de l’envie centrale de placer l’histoire vivante des sportifs d’hier et d’aujourd’hui au cœur de la démarche muséographique. De nombreux documents iconographiques viennent renforcer ce choix. De la carte postale du XIXe siècle aux photographies tirée en 2 mètres par 3 en passant par des extraits de films, l’idée ici est de montrer les différentes représentations de la pratique sportive. Cette exposition sort aussi du stade et du gymnase pour questionner les pratiques autour du sport. Le jeu sous l’angle du pari sportif, la figure du supporteur de foot ou les parties de babyfoot endiablées, autant de pratiques sociales et populaires qui traversent le sport et que le musée tend à mettre en lumière.


Extrait de l’exposition : finale de la coupe de football des travailleurs immigrés, 1978, Établissement public du Palais de la Porte Dorée / Collection du Musée national de l'histoire de l'immigration. [DR]
Extrait de l’exposition : finale de la coupe de football des travailleurs immigrés, 1978, Établissement public du Palais de la Porte Dorée / Collection du Musée national de l’histoire de l’immigration. [DR]

« Sport en banlieue parisienne », interroge également ce lieu difficilement délimitable : la banlieue. Si on sait où elle commence, dès le « périph’ » franchi, où s’arrête-t-elle ? De quoi parle-t-on ? Des grands ensembles du 9-3 ? De zones pavillonnaires ? De la petite couronne ? Et la grande ? Autant d’espaces géographiques, politiques, socio-économiques, culturels et symboliques que cette exposition tend à appréhender dans toutes ces dimensions.

L’exposition propose également quatre grandes figures de sportifs et sportives militant∙es (prêtées par le Campus Condorcet qui a réalisé une expo sur ce sujet en début d’année). Elle met à l’honneur Boughéra El Ouafi : né en Algérie, ouvrier chez Renault à Boulogne-Billancourt, athlète, médaillé d’or aux JO de 1928 au marathon. Ayant été disqualifié pour professionnalisme aux JO, il n’a jamais pu profiter de cette distinction tant est si bien qu’il est mort dans la pauvreté et dans des circonstances non élucidée à Saint-Denis pendant la guerre d’Algérie. Il a longtemps été une figure sportive oubliée. Une partie de la salle d’exposition, centrée sur le foot, est consacrée aux supporteurs du Red Star et de leur lutte antifasciste via la figure de Rino Della Negra (le kop des supporteurs porte son nom).

Sport, banlieue… et art !

L’exposition se veut aussi artistique. Le musée propose un parcours artistique contemporain où le sport se dévoile d’une autre manière. Plusieurs œuvres d’art viennent jalonner le parcours muséographique. Des artistes locaux, photographes, street-artistes et plasticien·nes ont également été missionnés pour porter un nouvel éclairage sur le sport de banlieue. Assurément moderne et singulier. Pour aller plus loin, le musée a édité un ouvrage Sport en banlieue parisienne. Grâce aux apports de sociologues, d’historien.nes et de journalistes, il permet d’approfondir certains aspects abordés dans l’exposition. Riche en iconographie inédite, cet ouvrage [1] est également l’occasion de la compléter en traitant certains thèmes peu ou pas visibles dans celle-ci.

Du sport ouvrier à la FSGT [2]

La naissance du sport ouvrier remonte à la fondation de l’Union sportive du Parti socialiste en 1907. L’inscription des clubs sportifs ouvriers dans les réseaux du mouvement ouvrier (coopératives telle la Bellevilloise à Paris, sections de jeunesse, bourses du travail, etc.) les singularise alors au sein du sport français. Les municipalités socialistes et communistes, surtout en banlieue parisienne, furent sans conteste un soutien essentiel aux diverses structures qui vont se succéder. Ce qui n’empêchait d’ailleurs nullement, bien au contraire, la mise en scène des rivalités et des clivages. Le mythique Grand Prix cycliste de L’Humanité cherchera de la sorte toujours l’appui sur des villes « amies », changeant d’itinéraire au gré des bascules politiques ou des ruptures idéologiques, quittant ainsi Clichy-sous-Bois – dont le maire rompit avec le PCF –  pour Saint-Denis en 1933, avant de trouver son site définitif à La Courneuve sous le Front populaire.


Extrait de l’exposition : photographie de « La pédale de Montreuil », circa 1894, coll. Musée de l'histoire vivant. [MHV]
Extrait de l’exposition : photographie de « La pédale de Montreuil », circa 1894, coll. Musée de l’histoire vivant. [MHV]

L’entre-deux-guerres sera marqué par la cassure du mouvement ouvrier en deux blocs hostiles. La FST (Fédération sportive du travail, nouvelle désignation depuis 1919) se scinde le 22 juillet 1923, lors de son congrès national à Montreuil. Les minoritaires fondent l’USSGT (l’Union des sociétés sportives et gymniques du travail) dirigée par les fidèles de la « vieille maison » socialiste. Les majoritaires communistes rejoignent l’Internationale rouge des sports (IRS), fondée à Moscou en juillet 1921. Les deux organisations vont se livrer une « guerre fraternelle » afin d’obtenir l’adhésion de la jeunesse ouvrière, notamment en banlieue parisienne où la confrontation se cristallise autour de la gestion municipale. En 1926, Georges Marrane, maire d’Ivry-sur-Seine et dirigeant communiste, affirmait devant ses pairs du Bureau politique qu’« il faudrait intervenir auprès des municipalités communistes pour obtenir des terrains de sport dans la banlieue parisienne. Si les jeunes ouvriers vont de préférence aux clubs bourgeois, c’est parce que ceux-ci disposent de beaux terrains ». Il existe en effet un enjeu particulier dans les quelques villes communistes qui ont la particularité de compter souvent sur leur territoire de puissantes associations sportives rivales, bourgeoises ou catholiques, pressenties comme de possibles contre-pouvoirs. C’est le cas à Bagnolet où l’Alsace, club phare du « patro », touche largement la population et rayonne également, poussant la ville conquise par Paul Coudert en 1928 à essayer de la contenir, y compris, dans sa politique d’accès aux équipements. Le 24 décembre 1934, dans l’élan du rassemblement populaire et de l’unité antifasciste, les frères et sœurs ennemies du sport travailliste se réunissent et donnent naissance à la FSGT. La Fédération fête donc ses 90 ans cette année, et dont l’histoire restera liée, ne serait-ce que par l’ancrage de ses principaux dirigeants, à la banlieue…


Musée de l’histoire vivante


[1] Il est en vente au prix de 10 euros sur le site du musée et à l’accueil.

[2] Texte de Nicolas Kssis, journaliste, pour l’exposition du MHV.

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