La manifestation du 24 mars 2012
Parmi les moments qui ont marqué les 25 années de Solidaires, il y a le 24 mars 2012 : une manifestation nationale interprofessionnelle, décidée et organisée par Solidaires. Un pari dont on verra à travers les notes préparatoires et le bilan collectif qu’il a été réussi, mais en recontextualisant bien l’ensemble de la démarche : « on peut le faire », mais « faire seul∙es n’est pas du tout un objectif ». C’est toute la problématique d’un syndicalisme qui se veut de classe mais aussi de masse, qui est posée à travers les enseignements de cette initiative nationale.
Cheminot retraité, coopérateur des éditons Syllepse, Christian Mahieux est membre de SUD-Rail et de l’Union interprofessionnelle Solidaires Val-de-Marne, il coanime le Réseau syndical international de solidarité et de luttes et participe à Cerises la coopérative et à La révolution prolétarienne. Il était membre du Secrétariat national Solidaires de 2008 à 2014.
L’intersyndicale : oui et non
Depuis la rentrée de septembre 2011, « la dette » est au cœur de la propagande capitaliste. C’est au nom de la dette que les mesures d’austérité se succèdent. Austérité pour les travailleurs et travailleuses, pas pour les patrons et les actionnaires. Une intersyndicale se réunit de temps en temps et appelle à des journées d’action. C’est le cas pour le 13 décembre 2011. Mais non sans divergence quant à la dynamique à tenter de créer. Ainsi, le 29 novembre, un tract national Solidaires, après avoir rappelé les revendications et la nécessité d’une action nationale unitaire, explique : « Lors de la réunion intersyndicale nationale du 18 novembre dernier, Solidaires a insisté sur la responsabilité des organisations syndicales pour organiser la riposte, sur la nécessité de construire une stratégie d’action unitaire qui aille au-delà du mois de décembre. Nous avons signé le communiqué unitaire qui appelait à faire du 13 décembre une première journée de mobilisation se traduisant par des rassemblements dans tout le pays, indiquait une volonté commune de s’engager dans la durée et de construire un rapport de force pour imposer d’autres choix économiques et sociaux. En ce sens, le communiqué commun actait une nouvelle réunion de l’intersyndicale en décembre pour “envisager de nouvelles initiatives en janvier”.Cette perspective a disparu du tract national intersyndical d’appel aux actions du 13 décembre malgré la demande de Solidaires. Les autres organisations syndicales CGT, FSU, CFDT et UNSA, ont refusé de reprendre la phrase du communiqué commun. Solidaires n’a donc pas signé ce tract, considérant qu’il était en retrait par rapport au communiqué commun. Pour Solidaires, la journée du 13 décembre n’est qu’une étape qui doit, au vu des attaques gouvernementales et patronales, avoir des suites plus importantes. Cette question doit être débattue avec les salarié∙es, dans les intersyndicales locales et professionnelles. Solidaires insistera sur cette proposition lors de la réunion intersyndicale qui suivra le 13 décembre. » Lors de l’intersyndicale du 19 décembre, aucune décision n’est prise pour janvier. La date du 18 janvier est évoquée, car le gouvernement a annoncé un « sommet social », mais la CGT qui l’a avancée n’est pas favorable à un appel national à la grève et à des manifestations. Face au « sommet social », Solidaires appelle à organiser la réponse de « la base sociale » ! L’étape suivante se situera le 29 février, avec un appel intersyndical à une « journée de rassemblements et de manifestations », prolongeant un appel de la Confédération européenne des syndicats. Solidaires y prend part, en faisant aussi connaître une voix différente, à travers un tract international cosigné avec plusieurs organisations syndicales européennes qu’on retrouvera, un an plus tard, à la création du Réseau syndical international de solidarité et de luttes.
Une manifestation nationale Solidaires : d’où vient cette idée ?
Les hésitations de l’intersyndicale font débat dans Solidaires ; tout comme le fait que nous ne pouvons lancer un mouvement d’ampleur, seul∙es. Un vieux débat, qui a sans doute de beaux jours devant lui… S’appuyant sur ce qui se passe dans plusieurs entreprises, SUD Industrie propose au début de l’année 2012 de mener une campagne pour l’emploi, de faire converger les luttes locales et sectorielles, avec la perspective d’une manifestation nationale interprofessionnelle à Paris d’ici fin mars, dans la perspective d’un mouvement fort ensuite. L’idée est de s’appuyer sur des boites en lutte (Continental à Clairoix, Fralib à Gémenos, PSA à Aulnay,…) où soit Solidaires est présent, soit Solidaires est en contact avec les équipes syndicales CGT en lutte. « Le Bureau national [du 12 janvier] est d’accord pour construire une campagne emploi en partant des idées de Solidaires industrie, en visant mars (samedi 24 ?). La forme de l’initiative reste ouverte. Le principe d’un texte d’appel de Solidaires (analyse, nos positions, appel à la mobilisation) est acquis, mais le contenu doit être précisé vite pour que l’appel soit utilisé et permette de commencer la mobilisation. Il ne semble pas aujourd’hui que l’on puisse s’appuyer sur des équipes CGT pour lui donner une plus grande ampleur : nous commençons la préparation de l’appel de suite, sans prendre le temps, obligatoirement long, de contacter les autres organisations syndicales. Ce texte doit être élaboré rapidement avec Solidaires Industrie. La décision sur le caractère national de l’initiative de la mobilisation (manifestation, meeting) doit être prise rapidement, car cela demande de la préparation. [Suivent les précisions sur les membres du SN qui vont travailler concrètement sur la mise en œuvre] [1] »
Les 1ers et 2 février, le Comité national valide l’appel à construire une manifestation nationale interprofessionnelle pour l’emploi, le samedi 24 mars à Paris. Un tract national est aussitôt diffusé : « Nous prenons l’initiative et engageons les moyens militants Solidaires pour sa réussite, mais nous ne sommes pas propriétaires de cette manifestation : nous la réussirons avec des équipes militantes d’autres syndicats, avec les associations de chômeurs/ses, avec les salarié∙es en lutte dans diverses entreprises, etc. Élections présidentielles ou pas,… pour l’emploi et contre les licenciements et suppressions de postes, il y a urgence et c’est par les luttes sociales que nous gagnerons ! » « Élections présidentielles ou pas », car celles d’avril 2012 sont alors dans le paysage et nous sommes confronté∙es aux problèmes habituels : des partis politiques qui sont soucieux de « ne pas effrayer » dans la période et aussi une moindre disponibilité pour les tâches syndicales quotidiennes de la part de certain∙es camarades en retrait durant plusieurs semaines.
Stratégie et revendications syndicales
Le tract explicite clairement la position vis-à-vis de l’intersyndicale nationale : elle est « utile quand le front unitaire propose et organise des actions à la hauteur des enjeux et du rapport de force nécessaires, des attaques patronales ; ce n’est pas le cas ces derniers mois, mais l’unité demeure nécessaire : la manifestation du 24 mars n’est la propriété de personne, nous la construisons avec tous les collectifs syndicaux et les salarié∙es qui se reconnaissent dans l’exigence du droit à l’emploi, la lutte contre les licenciements et suppressions d’emplois. ». Stratégie et revendications syndicales concluent le texte : « Soyons offensifs, nous avons toute légitimité à défendre nos revendications, à refuser les suppressions d’emplois. Nous ne sommes responsables ni de la crise qu’ils ont provoquée ni de la dette qu’ils ont créée ! Depuis des années, les gouvernements sont chargés de privatiser les profits et de socialiser les pertes. Et si on changeait la donne en faisant de la satisfaction des besoins collectifs la priorité commune ? Des dizaines de milliers d’emplois publics ont été supprimés ces dernières années ; c’est la cohésion sociale, le droit de tous et toutes à la santé, à l’éducation, à la sécurité, au transport, etc., qui sont ainsi attaqués. Les emplois publics sont utiles, (re)créons-les ! Nous devons imposer des droits nouveaux : droit de véto dans les CE, extension de l’obligation de création de CE aux entreprises de moins de 50 salarié∙es, un statut du salarié — applicable à tous et toutes et financé par un fonds patronal mutualisé — pour garantir le maintien du salaire entre deux emplois et les formations de reconversion. Surtout, il faut une répartition différente des richesses que nous produisons : assez de la confiscation par une minorité de ce que produit l’immense majorité… qu’on rejette vers la précarité, le chômage, l’exclusion, au gré des besoins patronaux ! Ensemble, nous réaffirmons le droit à l’emploi pour tous et toutes. C’est une nécessité économique, sociale, et aussi pour améliorer les conditions de travail, la vie au travail, de chacun∙e. Nous refusons le chantage patronal et gouvernemental qui incite à baisser les salaires en échange d’emplois… qui seront ensuite supprimés comme de nombreux exemples l’ont déjà montré ! À travers les licenciements, le chômage complet ou partiel, les “plans sociaux”, le temps partiel imposé,… les patrons imposent une réduction du temps de travail à des millions de salarié∙es, mais en leur faisant payer ! La solution est la réduction du temps de travail à 32 heures hebdomadaire, sans perte de salaire. De l’argent, il y en a ! Faisons en sorte qu’il serve à celles et ceux qui produisent, et non aux patrons, banquiers et actionnaires ! »
Animer le réseau militant
Ce n’est bien sûr pas en publiant un tract ou un communiqué qu’on peut organiser une mobilisation nationale. Le Secrétariat national Solidaires met à disposition des équipes locales, professionnelles et interprofessionnelles, toute une panoplie permettant d’assurer la propagande sur le terrain : tracts, mais aussi affiches, autocollants, bandeaux, etc. Comme pour les autres campagnes dans cette période, tract en imprimerie et affiche sont directement livrés « à chaque Solidaires départemental, à chaque fédération et syndicat national, à chaque syndicat ou section syndicale pour les organisations qui le demandent. »
Des notes hebdomadaires rythment la campagne à partir du 10 février : « Nous y reprendrons notamment les nouvelles quant à la préparation pratique de la manifestation elle-même, l’état de mobilisation dans les syndicats, fédérations et Solidaires locaux, les échanges avec d’autres organisations, la liste du matériel disponible, etc. » Le matériel est adapté afin que les syndicats, les fédérations, les Unions locales ou départementales puissent y ajouter des éléments spécifiques, comme l’y incite le Secrétariat national, car « les tracts des structures de base sont essentiels pour la réussite de notre campagne. » Les notes hebdomadaires permettent aussi de faire circuler ce type de publication. On relève ainsi des tracts des fédérations SUD PTT, SUD-Rail, SUD Éducation, Solidaires Douane, des Unions syndicales Solidaires Industrie, Solidaires Transport, des Unions départementales Solidaires Loiret, Calvados, Saône-et-Loire, Eure, Seine-Maritime, Haute-Garonne, Gard, Hérault, Côte d’Or… D’autres encore ; mais pas de toutes les structures, loin de là. Et c’est un des soucis qui apparait rapidement : la difficulté pour certains collectifs syndicaux à mener vraiment campagne, au-delà de la diffusion du matériel national. Le Secrétariat national y prête une attention particulière : « Nous ferons un point avec chaque fédération et syndicat national durant la semaine prochaine, pour savoir où en est chacune de ces structures dans la préparation du 24 mars : information aux collectifs militants, mesures pratiques mises en œuvre pour sa réussite, moyens financiers disponibles, etc. » « Outre la mobilisation militante, les diffusions aux salarié∙es, les contacts avec d’autres collectifs militants, les Solidaires locaux ont aussi pour tâche d’organiser pratiquement la venue à la manifestation (et le retour !). Cela suppose d’organiser le mode de transport collectif. N’hésitons pas à solliciter la participation de collectivités locales gérées par des forces politiques dont la lutte pour l’emploi est une priorité de tous les meetings électoraux… Ce ne sera qu’une très petite redistribution vers une tâche utile des moyens financiers que nous mettons à leur disposition à travers les finances publiques ! [2] »
Les questions financières sont aussi traitées. Ainsi dans la note n° 4 du 2 mars, on lit « […] de nouveaux Solidaires départementaux ont pris en charge l’importante question du transport collectif. Pour le financement des Solidaires locaux qui rencontreraient des difficultés, nous rappelons que plusieurs organisations nationales (SUD PTT, SUD Éducation, SUD-Rail, SUD Santé Sociaux, etc.) ont acté une participation financière pour la réussite de notre initiative interprofessionnelle commune. Il faut les contacter si nécessaire. »
Vers la presse
Des communiqués sont adressés à la presse les 9, 15 et 21 mars. Une tribune est rédigée ; il ne s’agit pas de la faire publier dans la presse la plus proche de nous, mais de contribuer à s’adresser aux forces militantes d’organisations qui n’ont pas répondu à nos propositions de construire la manifestation unitairement. D’où le choix de L’Humanité. La référence au Fouquet’s renvoie à une action menée avec les associations de chômeurs et chômeuses dans ce restaurant que Sarkozy avait contribué à élever au rang de symbole du mépris des riches pour la population qu’ils exploitent.
LE FOUQUET’S, C’EST TRÈS SURFAIT…
On ne peut pas y manger, on est très mal reçu, le service est très long,… D’ailleurs, même Sarkozy, dit qu’il regrette ; certes, il le dit 5 ans après. Pour le chômage qui augmente, la casse de nos retraites, la baisse du pouvoir d’achat, les remises en cause du droit de grève, la destruction des services publics, c’est à nous de prendre les moyens de lui faire regretter !
Mercredi 7 mars, nous sommes allés au Fouquet’s. Quoi de mieux qu’une « brasserie populaire » (dixit Estrosi) quand on a faim ? « Faim de droits », clamaient les chômeuses, les chômeurs et leurs associations (AC !, APEIS, MNCP) ! Mais des droits, le Fouquet’s n’a pas ça à sa carte. En tous cas, pas pour celles et ceux qui ne (sur)vivent que par leur travail ou des allocations de misère. C’est normal : les droits, les habitués du Fouquet’s les ont tous pris, depuis bien longtemps. Sans partager. Alors, on n’a pas mangé au Fouquet’s.
L’accueil est déplorable au Fouquet’s. À peine étions-nous entrés dans cet établissement ouvert au public, que quelques nervis nerveux ont manqué de la plus élémentaire courtoisie ; en d’autres termes, ils se sont montrés violents et haineux… Pouah, des pauvres à 10 mètres de ma table, mais enfin c’est intolérable : il y a des banlieues, des cités, pour les parquer (pour celles et ceux qui ont encore un toit), pas de ça ici ! On n’est pas resté au Fouquet’s.
Une fois dehors, il y avait beaucoup de monde pour s’occuper de nous. Las ! La prestation ne correspondait pas du tout aux besoins. Pourquoi cet acharnement à vouloir nous ramener dans des autobus de la Préfecture de Police, alors que nous étions venus en métro ? Une heure plus tard, nous étions déchargés dans un espace clos entouré de barbelés. Les effectifs des services publics étant ce qu’ils sont devenus (oui, même ceux-là…), il aura ensuite fallu poireauter quatre heures dans le froid avant que la Police nationale ne vienne à bout de la délicate tâche qui lui fut confiée : vérifier que chacun et chacune d’entre nous connaissait son identité… Après, on n’est pas retourné au Fouquet’s.
Mais nous avons toujours faim. Faim de droits, oui ! Que nous soyons salariés, au chômage, en retraite, en formation, nos droits sont rognés les uns après les autres, pour renforcer les profits des banquiers et des actionnaires. Cette petite minorité, dont le métier consiste à profiter du travail des autres, a mis son système en crise : et ce serait encore à nous de payer, pour qu’ils et elles puissent s’en sortir ?
Plus de 5 millions de chômeurs et de chômeuses, plus de 8 millions de personnes vivant sous le seuil de pauvreté. Les « plans sociaux » s’accumulent, les suppressions d’emplois publics se multiplient, chômage partiel, temps partiel imposé et emplois précaires sont présentés comme les seules solutions… tandis que les discours politiques se succèdent, laissant patronat et banquiers poursuivre la destruction des emplois et de nos vies. De quoi être très justement en colère. Une colère, qu’il nous faut exprimer collectivement, dirigée contre les responsables de cette situation insupportable. Une colère, qui ne doit pas se retourner contre d’autres victimes de ce système. Une colère, dont le débouché sera la construction de la société que nous voulons demain, par nos luttes d’aujourd’hui. Bref, on reviendra au Fouquet’s… et ailleurs !
[…] Début février, l’Union syndicale Solidaires a proposé une manifestation nationale pour l’emploi, le samedi 24 mars à Paris. Nous prenons cette initiative, mais nous ne sommes pas propriétaires de cette manifestation ! Nous la réussirons avec d’autres syndicats, avec les associations de chômeurs/ses, avec les « boîtes en lutte ». Le meilleur débouché aux luttes, c’est qu’elles soient gagnantes ; donner une dimension nationale aux résistances locales est un pas dans ce sens. Soyons offensifs, nous avons toute légitimité à défendre nos revendications, à refuser les suppressions d’emplois. Nous ne sommes responsables ni de la crise qu’ils ont provoquée ni de la dette qu’ils ont créée ! Depuis des années, les gouvernements privatisent les profits et de socialisent les pertes. Si on changeait la donne, en faisant de la satisfaction des besoins collectifs la priorité commune ?
Des dizaines de milliers d’emplois publics ont été supprimés ces dernières années ; c’est la cohésion sociale, le droit de tous et toutes à la santé, à l’éducation, à la sécurité, au transport, etc., qui sont ainsi attaqués. Les emplois publics sont utiles, (re)créons-les ! Nous devons imposer des droits nouveaux : droit de véto dans les CE, extension de l’obligation de création de CE aux entreprises de moins de 50 salariés, un statut du salarié — applicable à tous et toutes et financé par un fonds patronal mutualisé — pour garantir le maintien du salaire entre deux emplois et les formations de reconversion. Surtout, il faut une répartition différente des richesses que nous produisons : assez de la confiscation par une minorité de ce que produit l’immense majorité… qu’on rejette vers la précarité, le chômage, l’exclusion, au gré des besoins patronaux !
À travers les licenciements, le chômage, les « plans sociaux », le temps partiel imposé,… les patrons imposent une réduction du temps de travail à des millions de salariés, mais en leur faisant payer ! La solution est la réduction du temps de travail à 32 heures hebdomadaire, sans perte de salaire. De l’argent, il y en a : faisons en sorte qu’il serve à celles et ceux qui produisent, et non aux patrons, banquiers et actionnaires ! Le 24 mars à 13 heures, on a rendez-vous Place de la bourse à Paris… avant d’aller au Fouquet’s ?
⬛ Annick Coupé et Christian Mahieux, porte-parole de l’Union syndicale Solidaires [3].
Qu’est-ce qu’on mange ?
À l’approche de l’échéance, la note hebdomadaire traite de sujets jusque-là non prioritaires. « La fédération SUD-Rail et l’Union syndicale SNUI SUD Trésor assurent restauration et boissons sur place. Les banderoles d’entreprises en lutte marqueront l’ancrage revendicatif de notre initiative. Des panneaux seront distribués aux manifestant∙es pour l’aspect visuel, dynamique, coloré, de la manifestation. […] Des groupes musicaux participeront à l’animation : Jolie Môme, la Fanfare invisible, une batucada. […] Diverses organisations politiques auront des points fixes sur le parcours, nous avons indiqué que nous préférions cette solution à une présence en queue de manifestation. Une prise de parole sera effectuée par un∙e membre du Secrétariat national, à l’arrivée, place Stalingrad. »
Difficile élargissement unitaire
La proposition de construction commune de cette manifestation, faite aux autres organisations syndicales nationales, est un échec. Aucune n’y donne suite. Au fil des notes hebdomadaires préparant la manifestation, on comprend que peu de structures Solidaires ont contacté leurs homologues. L’écho est meilleur du côté des organisations de chômeurs et chômeuses, AC !, APEIS et MNCP, mais leurs forces sont bien plus faibles que quelques années auparavant.
Quel bilan ?
Aussitôt après la manifestation, le Secrétariat national propose une note de bilan, pour le Bureau national du 5 avril. Celle-ci est enrichie de l’apport des débats en BN et le sujet est à l’ordre du jour du Comité national du 6 juin. Il en sortira un document de travail pour toutes les équipes Solidaires : les fédérations ou syndicats nationaux, les Unions départementales, mais aussi les syndicats locaux, voire les sections syndicales. Nous en publions quelques extraits.
La manifestation nationale organisée par Solidaires a été une réussite
C’est une réussite, au regard de ce qui a motivé la décision des organisations Solidaires d’appeler à cette manifestation :
- Mettre en avant la question de l’emploi, des licenciements, du travail, etc.
- Montrer qu’en période électorale, l’action syndicale est toujours présente, y compris nationalement.
- Organiser une action nationale Solidaires, lorsque l’intersyndicale dans son ensemble, chaque autre organisation syndicale séparément, ne veut pas le faire.
Ajoutons-y un point non négligeable : la satisfaction des quelques 6 000 personnes présentes ce 24 mars a l’appel de Solidaires, grâce au dynamisme et à la coloration des délégations, grâce à la préparation matérielle (panneaux, etc.), grâce au travail des camarades assurant l’accueil, la restauration, le S.O. Pour autant, et parce que nous pensons que cette initiative était importante, il nous faut en tirer le bilan, les enseignements, prendre des décisions pour nous améliorer à l’avenir. Ceci concerne, tant les aspects politiques qu’organisationnels.
La prise en charge par les organisations nationales de Solidaires
Elle a été très inégale. Certaines ont diffusé à leurs équipes locales l’ensemble du matériel proposé par le Secrétariat national (les notes hebdomadaires, les tracts, etc.), y compris en y ajoutant du matériel adapté au secteur professionnel. D’autres ont priorisé une information spécifique sans relayer le matériel Solidaires en tant que tel. D’autres encore n’ont quasiment rien fait circuler durant tout le temps de préparation (deux mois), ne publiant qu’un tract d’appel à quelques jours du 24 mars. Ces différences posent un problème pour construire une action nationale interprofessionnelle, décidée ensemble et donc à préparer et réussir ensemble. […] Nous avons 100 000 adhérent∙es au sein des syndicats de l’Union syndicale Solidaires. Section par section, syndicat par syndicat, faisons le point : combien d’adhérent∙es ont reçu les informations de cette campagne menée par Solidaires durant deux mois ? Que faut-il faire pour améliorer la situation ?
[…] L’autre problème, soulevé par ces différences de prise en charge, est le rôle des Bureaux nationaux et Comités nationaux ; dans le cadre du fonctionnement qui est le nôtre, il n’est pas concevable que des décisions soient prises avec l’accord de toutes les organisations nationales, des engagements de celles-ci, et qu’ensuite on constate que certaines ne considèrent pas la priorité définie ensemble comme une priorité, voire émettent de fortes réserves sur son existence même. Ceci a des conséquences sur la réussite de l’initiative elle-même, mais aussi sur le sens de notre engagement interprofessionnel commun. Comme pour les autres points, la manifestation du 24 mars est un révélateur de ce dysfonctionnement, mais il n’est pas le premier. […] Dans nos fédérations et nos syndicats nationaux, comment articulons-nous « décisions collectives prises démocratiquement en Bn ou en Cn » et « autonomie de chaque structure nationale » ? Par ailleurs, il nous faut trouver un équilibre entre la légitimité des mandats qui peuvent être arrêtés en amont des Bn et Cn, et le fait que les camarades présent∙es peuvent être amenés à prendre des décisions engageant leurs structures sur certaines questions en séance.
La participation inégale recoupe deux éléments qui peuvent paraître contradictoires, mais sont complémentaires : la majorité des manifestant∙es était issue du secteur public, mais la mobilisation a été plus importante dans nos « petites » structures que dans les « grandes ». […] La participation plus faible de nos grosses structures renvoie au point précédent ; le nombre insuffisant de manifestant∙es du secteur privé met en évidence deux sujets : la quasi-absence de quelques organisations (sans doute révélatrice de difficultés de fonctionnement, sur lesquelles nous devons nous pencher, car cela nous concerne tous), et les efforts de développement que nous avons encore à faire vers le secteur privé qui nécessitent des décisions collectives pour dégager les moyens nécessaires. La question du développement doit être posée lors des Bn et Cn, mais surtout au sein des structures professionnelles, des Solidaires locaux : sans plans de travail précis, sans priorités clairement définies, nous choisirions de limiter notre développement, et donc de ne pas peser plus fortement sur le mouvement social.
La prise en charge par les Solidaires locaux
Nos réalités sont diverses d’un département à un autre ; mais là aussi les différences de prise en charge ont été au-delà de cette situation. Il semble que cela renvoie à des visions un peu différentes de ce qu’est « construire une action syndicale ». Pour certaines équipes, d’emblée il s’est agi de mener une campagne de masse, en organisant des diffusions dans un maximum de lieux publics, devant des entreprises, etc., tout en organisant la participation militante (transport collectif, relances des structures professionnelles locales, etc.). Pour d’autres, cela a consisté à s’assurer de la présence des quelques animateurs/trices du Solidaires départemental. Nos orientations, réaffirmées notamment à travers nos congrès, sont claires : nous construisons un syndicalisme de masse ; c’est dans cette optique que nous devons prendre en charge les initiatives que nous décidons.
En tous cas, les efforts réalisés par une majorité de Solidaires locaux doivent être mentionnés. Mais, une fois de plus, il faut rappeler que les Solidaires locaux ne peuvent agir qu’en fonction des moyens mis en œuvre par les syndicats et sections syndicales « professionnels » de leur champ géographique ! […] Faisons le point sur les moyens syndicaux mis dans le développement de notre outil syndical interprofessionnel : en commençant par nos structures de base (section, syndicat), le temps consacré par chaque délégué∙e, etc. […]
Construire une action syndicale, nationale et de masse
Les deux termes sont importants. L’aspect national rappelle les points évoqués précédemment sur la nécessité d’harmoniser la prise en charge au sein de nos organisations des décisions communes, et des moyens à mettre en œuvre pour cela. Le caractère de masse signifie qu’il s’agissait bien à travers la campagne pour la réussite de cette manifestation du 24 mars, d’organiser un travail de popularisation de nos propositions (voire de notre existence) le plus massif possible ; ceci dans deux directions : les secteurs professionnels où nous sommes déjà implantés (et cela a été fait avec modération dans certains secteurs où nous sommes pourtant assez influents), et ceux où nous ne le sommes pas (à travers des diffusions dans les gares, centres commerciaux régionaux, zones industrielles, aux portes d’entreprises, etc.). Ce dernier aspect est indispensable si nous ne voulons pas un syndicalisme à pratiquer « entre nous », si nous voulons un syndicalisme qui pèse sur les évènements, un syndicalisme qui n’a pas pour but essentiel de commenter ce qui se passe… sans nous !
Cette dimension est essentielle. Avant l’expérience de la manifestation du 24 mars, nous avions déjà eu l’exemple du mouvement « retraite » en 2010 : le bulletin quotidien Solidaires publié durant tout le mouvement avait été analysé par quasiment toutes nos équipes comme un outil pertinent,… et très peu l’avait utilisé en le diffusant dans les manifestations, sur les piquets de grève, etc. La campagne pour les élections dans les entreprises de moins de 11 salarié∙es nous oblige à rompre avec ces pratiques autocentrées, sous peine d’avoir une fois de plus du matériel, des idées, des propositions, sans doute justes… mais inconnus des salarié∙es !
La préparation de cette manifestation nous permet aussi de pointer nos insuffisances vis-à-vis des « boites en lutte ». […] Dans plusieurs cas, nous n’avons aucune activité envers les salarié∙es en lutte alors même que ces mouvements durent plusieurs jours, voire semaines (le contraire est vrai : des équipes locales apportent leur solidarité, se mettent à disposition des grévistes, dès lors qu’elles ont connaissance d’une lutte dans leur secteur géographique). Les liens construits ces dernières années reposaient sur des collectifs aujourd’hui éclatés (le « meilleur » exemple est celui des Conti), et il nous faut faire de ce sujet une priorité pour nos Solidaires locaux. Il nous faut améliorer la coordination nationale des informations sur les entreprises en lutte, et faire de notre présence à leurs côtés une des priorités de chaque Solidaires départemental. Une fois de plus, c’est la question des moyens consacrés à l’interprofessionnel qui est en cause. Les moyens en temps militant, en dégagements permanents ou non, en finances. C’est aussi une question politique quant à la conception des Solidaires départementaux qui ne doivent pas être simplement des lieux de réflexions, mais aussi des outils de notre développement.
Construire une initiative Solidaires
C’est la première fois que nous décidions une manifestation nationale organisée par l’Union syndicale Solidaires. Cela montre que nous pouvons le faire ! Mais cela ne signifie pas pour autant qu’agir seul est notre ligne de conduite. Au-delà de l’effet très positif en interne et de la dynamique créée dans de nombreuses équipes, cette manifestation n’a pas fait la une des médias, n’a pas fait bouger de façon visible les rapports de forces avec les autres OS, le patronat et le gouvernement. L’unité d’action syndicale demeure un outil important et indispensable ; nous continuerons à la rechercher, mais en sachant aussi nous démarquer de positions que peuvent partager d’autres syndicats, mais que nous jugeons nocives. Ce fut déjà le cas, lors des mouvements unitaires de ces dernières années à travers plusieurs refus de signer des communiqués communs qui nous paraissaient dangereux pour la réussite des actions en cours ; la manifestation du 24 mars montre que nous pouvons aussi nous démarquer en proposant et construisant une alternative concrète.
Reste que cette alternative est encore trop faible. Une des motivations de cette manifestation était de montrer que dans la période électorale le syndicalisme demeurait nécessaire et devait agir. Force est de constater qu’y compris dans les forces militantes de Solidaires, la période électorale a conduit à un retrait de certain∙es par rapport à la préparation du 24 mars. Ce n’est là qu’une constatation, qu’il faut mettre en parallèle de nos écrits multiples qui disent l’inverse.
Construire une initiative de masse, cela suppose aussi de travailler avec d’autres organisations syndicales, notamment des collectifs militants de la CGT, voire d’autres syndicats. Nous avons eu beaucoup de mal sur ce point. […] Solidifier les liens entre équipes militantes de différentes organisations syndicales est une nécessité ; des cadres doivent être (re)mis en place, en articulant réflexions communes et engagements communs.
Notre proposition d’organiser une manifestation nationale pour l’emploi a été faite lors de l’intersyndicale de février, sans aucun écho des autres organisations. Cette proposition a été relayée par certaines de nos structures professionnelles, certains de nos Solidaires locaux, mais pas tous ; c’est sans doute une faiblesse, car cette interpellation fait aussi partie du nécessaire débat avec les autres forces syndicales. Les organisations de chômeurs/ses, au moins MNCP et AC !, ont répondu positivement à notre proposition, c’est un élément positif, mais la force de celles-ci, actuellement, ne permet pas de mettre des milliers de personnes dans la rue, surtout avec un délai de préparation finalement assez court.
La couverture médiatique a été très faible. C’est évidemment un handicap, même si ce n’est pas à cette aune que doivent être mesurées l’utilité et la justesse d’une action syndicale. Notons qu’y compris les médias « militants » ont pour la plupart fait l’impasse sur la manifestation, avant comme après (Politis, Mediapart, Basta, etc.). Le choix de prioriser la campagne électorale y est pour beaucoup, mais cela rappelle aussi ce que nous pesons, d’une part en réalité, d’autre part aux yeux des médias.
La manifestation
Du point de vue organisationnel, pas de problème particulier ; l’équipe, essentiellement constituée autour de Solidaires 75, en fera un bilan plus approfondi, mais comme dit plus haut cela a largement contribué à la réussite de la manifestation. Même chose pour les animations musicales. Dernier point sur les aspects pratiques, et pas le moindre : pour des raisons matérielles, mais aussi politiques liées à l’état de notre construction, il nous faut retenir que le délai de 2 à 3 mois pour une telle initiative, s’agissant d’une construction « à froid » est insuffisant.
Conclusion
Cette manifestation marque une étape dans la construction de notre Union syndicale Solidaires. Étape qui n’a pas été facile à franchir, mais les enseignements que nous tirerons et surtout les décisions collectives que nous prendrons vont nous permettre de poursuivre notre développement, celui d’un outil collectif utile aux salarié∙es et à leurs luttes. Le renforcement des Solidaires locaux est une nécessité, prouvée encore une fois par cette manifestation. Il nous faudra donc voir dans quelques temps quelles dispositions nous avons pris dans nos organisations pour mettre en œuvre cela.
⬛ Christian Mahieux
[1] Extrait du compte-rendu de la réunion du Secrétariat national Solidaires du 13 janvier 2012. Celui-ci comprend alors onze membres : Annick Coupé, Catherine Lebrun, Cécile Gondard-Lalanne, Christian Mahieux, Denis Turbet-Delof , Eric Beynel, Jean-Louis Galmiche, Jean-Michel Nathanson, Patrice Perret, Thi-Trinh Lescure, Thierry Lescant.
[2] Toutes les citations qui précèdent dans ce paragraphe sont issues de la note n°1, datée du 10 février 2012.
[3] Tous les membres du Secrétariat national étaient porte-parole de l’Union, dont Annick Coupé était déléguée générale.
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