Ecofascisme : ne respirez jamais votre air avant de l’avoir fait bouillir !

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La mode actuelle pour l’écofascisme découle d’une réalité historique qui, depuis des décennies, tente de rapprocher l’extrême droite de l’écologie. La « bienveillance » ou la minimisation des pensées écofascistes au sein des milieux écologistes et émancipateurs peuvent créer des ravages parce qu’elles induisent une incapacité à penser le monde, la lutte et l’exploitation de manière rationnelle. Elles ne font qu’encourager la confusion inédite qui règne aujourd’hui et s’inscrivent dans un cadre réactionnaire et fasciste.


Éducatrice spécialisée, Marion Bagnaud est membre de Sud Santé-Sociaux et secrétaire départementale de Solidaires Haute-Savoie.


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Des fondements historiques lointains

Le récit courant de l’écologie politique en France ancre cette dernière à gauche, et ce de manière non équivoque. On nomme ici « écologie politique » l’approche culturelle de la science ayant pour objet les relations des êtres vivants avec leur environnement et les autres êtres vivants. Or, dans l’histoire, l’écologie n’a pas été forcément synonyme d’émancipation ; elle contient aussi la conception d’une pensée profondément réactionnaire, avec l’éloge de la nature comme socle : elle est un ordre naturel auquel devrait se soumettre les humain∙es, organisant leur société en conséquence. Ainsi, de la nature découlerait un ordre racial et patriarcal. Le terme « écofascisme » a été inventé par le polémiste finlandais Pentii Linkola, qui prônait une diminution rapide de la population humaine par strangulation, afin de lutter contre les problèmes attribués à la surpopulation. Mort en 2020, il était également connu pour ses positions en matière de désindustrialisation, d’immigration zéro et son positionnement antidémocratique, qualifiant la démocratie de « religion de la mort ». L’écofascisme ainsi considéré n’est aucunement lié au fascisme historique et n’en partage pas non plus les ambitions. Sont plus généralement considérées ici comme « fascistes » les théories qui ne respectent ni la vie humaine, ni les formes démocratiques.


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Les fondements de la pensée écofasciste remonte quant à eux, à la fin du XIXème siècle. Contemporain du décollage industriel anglais, l’économiste Thomas Malthus est connu pour ses travaux sur les rapports entre les dynamiques de croissance de la population et la production, analysés dans une perspective « pessimiste ». Il fait alors de la surpopulation la principale cause du problème écologique et préconise une régulation volontaire des naissances, notamment au sein des classes populaires et l’arrêt de toute aide aux nécessiteux et nécessiteuses, afin d’éviter la fin prématurée de l’espèce humaine. Son nom a donné dans le langage courant l’adjectif négativement connoté « malthusien » qui désigne un état d’esprit plutôt conservateur opposé à l’investissement et à l’accroissement. L’écofascisme puise également sa source dans le mouvement Völkisch en Allemagne. Ce courant intellectuel et politique paganiste défend une vision antimoderne et antiprogressiste, où l’homme retrouve un épanouissement originel dans le respect d’une nature idéalisée. Le mouvement völkisch se dote très tôt d’une série d’idées et de penseurs qui nourrissent leur imaginaire grâce à deux figures du XIXème siècle : Ernst Moritz Arndt et Wilhelm Heinrich Riehl. Tout premier exemple de pensée « écologique » au sens moderne du terme, Arndt se prononce en 1815 contre l’exploitation à courte vue des forêts et des sols, condamnant la déforestation et ses causes économiques. Riehl, quant à lui, était un opposant acharné à l’avènement de l’industrialisation et de l’urbanisation. Tous deux flattent en parallèle la pureté raciale du peuple germanique, prétendument envahi par les Juifs et les Slaves. L’amour de la terre se lie alors à l’antisémitisme, et le mysticisme de la nature au populisme ethnocentrique. Le biologiste Ernst Haeckel, qui a inventé le mot « écologie » en 1866, fut lui-même un partisan du mouvement Völkisch et soutenait avec enthousiasme l’eugénisme racial.

Si les prémisses d’extrême droite de l’écologie sont peu connues du grand public, l’activisme écologiste du IIIème Reich l’est encore moins. Au lendemain de la Première Guerre mondiale, la méfiance de la modernité dans une logique écologique est étroitement liée au national-socialisme. Les idées écologiques réactionnaires, dont les contours sont esquissés ci-dessus, ont exercé une influence puissante et durable sur nombre des figures centrales du NSDAP [1]. Tout au long des écrits, non seulement d’Hitler, mais de la plupart des idéologues nazis, on peut discerner une dépréciation fondamentale des humains vis-à-vis de la nature et, comme corollaire logique à cela, une attaque contre les efforts humains pour maîtriser la nature.  « L’aile verte » du parti nazi obtint, avant son éviction en 1942, de nombreuses avancées en matière d’environnement, y compris la création de plusieurs milliers de fermes agroécologiques en Allemagne. Leur écologie était historiquement liée à l’idée d’enracinement, ils défendaient le « sang et le sol » qui visait à définir une communauté politique racialement homogène sur un territoire délimité par des frontières naturelles.


Bombage fasciste « Sauvez les abeilles, pas les réfugiés ». [DR]

L’écofascisme, né en même temps que l’écologie, en réaction au monde industriel anglais du XIXème siècle, n’est pas mort avec le nazisme. Dans les années 1970, en France, une large nébuleuse idéologique d’extrême-droite se constitue autour de quelques organisations intellectuelles et d’une constellation de revues philosophico-politiques. Les intellectuels du Groupement de recherche et d’études pour la civilisation européenne (GRECE) en sont les principaux instigateurs. Son fondateur et investigateur de ce que l’on appellera la Nouvelle droite, le philosophe Alain de Benoist, se revendique lui-même décroissant et utilise le concept de nature pour légitimer « la sélection, l’inégalité et la hiérarchie ». Au creux de ces théories résident la haine de l’autre, le culte de la frontière et la hantise du métissage. Dès sa naissance, la Nouvelle droite a influencé la plupart des partis de droite et d’extrême droite européenne. Ainsi, ce courant de pensée s’est étendu rapidement à d’autres pays européens comme l’Italie et l’Allemagne et a ainsi provoqué une véritable révolution de la pensée dans l’extrême droite européenne, combinant les thèmes traditionnels de la droite avec l’écologisme, le régionalisme, le socialisme, le fédéralisme et le communautarisme. L’écologie apparaît pour la première fois dans les discours du Front national au début des années 1990, sous l’influence de Bruno Mégret. Lors du congrès de Nice, le 30 mars 1990, Jean-Marie Le Pen promeut une écologie nationale qui s’inscrit dans une optique identitaire. La scission au sein du parti entre Jean-Marie Le Pen et Bruno Mégret, en 1999, signe la quasi-disparition des thématiques écologiques du FN pendant près de quinze ans.

Une nébuleuse de groupuscules accapare les thèses écofascistes

A l’extrême droite aujourd’hui, une multitude de groupuscules utilise l’écologie pour nourrir leur obsession identitaire et réactionnaire. La menace est réelle et la situation inédite, alimentée à la fois par le péril climatique, la crise migratoire et la banalisation des discours xénophobes. Ils désagrègent des repères politiques antérieurement stabilisés pour développer des passerelles discursives entre des courants que l’on pourrait juger antagonistes. Brenton Tarrant, le terroriste ayant assassiné en 2019 pas moins de 51 personnes en attaquant deux mosquées de Christchurch en Nouvelle-Zélande, ainsi que Patrick Crusius ayant tué la même année 23 personnes et blessé 26 autres au Texas à l’arme automatique, se désignaient eux-mêmes comme « écofascistes » dans leur manifeste. En Europe, plusieurs groupuscules qui s’arment lourdement en prévision d’une hypothétique guerre civile, se revendiquent aussi de cette mouvance, tandis que de nombreuses personnes d’extrême droite pratiquent le survivalisme.

Considérant que les Français sont d’ores et déjà dépossédées de leurs villes, certains groupuscules appellent à créer des ZID (pour « Zones identitaires à défendre »). Ainsi, pour rejouer un retour à la terre sur fond de guerre raciale qui viendrait, le célèbre groupuscule dissous Génération Identitaire appelait à « développer des stratégies de résilience communautaire dans des espaces abandonnés » pour « y susciter une économie qui nourrit ses membres ou une partie importante ». Plusieurs fermes nationalistes ont déjà vu le jour en France, à l’instar de la plus connue appartenant à l’association Des racines et des elfes, dans la Nièvre. Ses membres prônent une vie en communauté, seulement entre blancs de souche, et ce dans un seul but de sauvegarde, de promotion et de transmission des identités régionales et nationales des peuples d’Europe. Des revues ouvertement identitaires et racialistes, comme Réfléchir ou Agir ou Terre et Peuple, défendent des projets écologique et caritatif, pour promouvoir des particularismes locaux, par peur d’être submergé par l’immigration, tel que le martèle la thèse du grand remplacement de Renaud Camus. A cette tendance « verte » de la droite radicale française vient s’ajouter la notion « d’écologie intégrale » qui fait le lien entre la bioéthique et l’écologie environnementale. En France, elle fut popularisée par l’encyclique Laudato Si du Pape François. Alors que la Nouvelle droite affiche clairement sa vision païenne du monde, celle-ci au contraire est d’inspiration catholique traditionnaliste. Fondée par des anciens membres des Veilleurs, une organisation satellite de La manif pour tous de 2013, ils développent leurs idées dans la revue Limite, dont la ligne éditoriale est fondée sur l’antiféminisme et l’homophobie.

Comme énoncé ci-dessus, la Rassemblement national n’a, pour l’heure, pas vraiment d’orientation écologique, mais des figures importantes comme Hervé Juvin et Andréa Kotarac (ancien membre de la France insoumise) ont créé, en 2020, le mouvement Les localistes. Dans son manifeste, ce mouvement assure que « toute la France est à défendre » et que l’échelle locale doit être considérée comme le principal support de l’identité. Défendre un territoire permet de défendre son identité, thèse qui renvoie une nouvelle fois à la théorie du grand remplacement. Qu’elle soit néopaïenne tendance populaire ou catholique conservatiste tendance élitiste, l’écologie est aujourd’hui plus que jamais une aubaine pour l’extrême droite, qui peut justifier par ce biais la nostalgie d’un monde traditionnel et fermé, centré sur l’identité culturelle et régionaliste. Quand cela ne justifie pas les thèses les plus xénophobes et réactionnaires. Si certain∙es achètent des fermes à la campagne pour défendre leur identité et leur terroir, d’autres s’arment lourdement en prévision d’une hypothétique guerre civile, à tel point que les autorités commencent à y être attentives. En effet, certain∙es apprennent les rudiments de la survie en milieu hostile, où se mêlent culture de l’alimentation saine et fascination pour les armes, haine des migrant∙es et jardinage, ainsi que virilisme et néopaganisme. Cette pratique, qui se nomme le survivalisme, est issue d’une pensée profondément réactionnaire, qui est aujourd’hui très perméable aux idées d’extrême droite. Rien que sur les trois dernières années, plusieurs groupes de survivalistes d’extrême droite comme Recolonisons la France, la nouvelle OAS ou des personnes plus isolées se réclamant du camp accélérationniste ont été arrêté en possession de centaines d’armes, se préparant tous à l’arrivée de l’effondrement et de la guerre civile. Leurs membres, souvent issus des milieux en lien avec la police et la gendarmerie, se donnent comme mission de sauver la race blanche. Le fasciste notoire Alain Soral surfe également sur cette mode, en organisant des stages de survie dans les Pyrénées-Orientales et en distribuant, via ses sites Prenons le maquis et Au bon sens, des articles en lien avec le survivalisme ou encore des produits sains et enracinés « pour lutter contre l’incohérence de la société de consommation ».


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Attention, passerelles dangereuses !

La France, comme ailleurs dans le monde, est loin d’être épargnée par des liens parfois nauséabonds. On peut retrouver des personnes liées à l’écofascisme dans le Mouvement écologiste indépendant d’Antoine Waechter. Cet ex-candidat « ni de gauche ni de droite » à la présidentielle compte dans son mouvement plusieurs militants issus de la Nouvelle droite, comme les militants Laurent Ozon, Fabien Niezgoda ou encore François Bousquet. De leur côté, les militants anti-OGM Gilles-Éric Séralini et Michel Georget ou même l’ancien porte-parole de Kokopelli (association française qui distribue des semences libres de droits) ont tous participé à des émissions de l’ultradroitière sur Radio Courtoisie, plusieurs fois condamnée par le CSA pour des propos révisionnistes. Aussi, à partir des années 2015, des militants et militantes écologistes ont dénoncé des infiltrations progressives de groupes d’ultradroite tel que le Mouvement pour l’action sociale (MAS) sur la ZAD de Sivens. Des documents appelant à la rébellion nationale ou au « putsch » ont été distribués. Une présence de l’ultradroite fût également signalée sur la ZAD de Notre-Dame-des-Landes, avec la présence du groupe Le lys noir se réclamant à la fois de l’anarchisme et du royalisme. Si, depuis une centaine d’années déjà, des groupes de droite réactionnaire labourent le champ du terroir, du localisme et de l’écologie, l’idée de diffuser en douce des idées d’extrême droite est plus récente. Et la technique de dédiabolisation rudement efficace.

Se tourner vers l’avenir

L’écologie est devenue, à juste titre, une préoccupation majeure au fil de la crise environnementale que nous traversons. Parce qu’elles sont sujettes à interprétations, certaines conceptions communes de l’écologie offrent de véritables prises programmatiques et conceptuelles pour l’extrême droite. Cependant, il nous faut également constater que celle-ci n’est pas unanime en matière d’écologie. Le développement durable récupérable par le RN et la décroissance de la Nouvelle droite, ou encore le survivalisme, sont des projets différents. Les écofascismes réactionnaires traditionalistes diffèrent des projets de dictatures technocratiques vertes indépendantes des questions de traditions. Et c’est sans compter qu’une part significative de l’extrême droite demeure productiviste, voire climatosceptique. Ainsi, deux tâches s’imposent aux antifascistes. Tout d’abord, lutter contre cette situation nécessite de désamorcer immédiatement ces prises de position et de rejeter toutes pensées réactionnaires liées à l’écologie, afin de tuer dans l’œuf toute fascisation des esprits. En parallèle, la stratégie consiste aussi à souligner les contradictions et les incompatibilités des différents projets des extrêmes droites comme autant de facteurs de division, pour les empêcher de régner. L’écologie doit continuer de se construire sur la base des valeurs sociales et démocratiques car l’écofascisme n’a rien d’un fantasme, il est déjà une réalité.


Marion Bagnaud


[1] Nationalsozialistische Deutsche Arbeiterpartei (Parti national-socialiste des travailleurs allemands).

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