Femmes zapatistes, luttes, rencontres et non-mixité
L’ENGAGEMENT ET L’ORGANISATION DES FEMMES
Dans l’organisation zapatiste, les femmes se regroupent, dans les communautés, en collectifs ou coopératives : artisanat, élevage, cultures, herboristerie, sages-femmes, etc. L’organisation sociale et familiale traditionnelle a maintenu des espaces non mixtes, entretenant de fait des moments d’échanges et de solidarité entre femmes. Bien entendu, les résistances à leur participation à tous les niveaux de responsabilité, que ce soit dans l’armée clandestine (l’EZLN) ou dans l’organisation civile, n’ont jamais vraiment cessé. Elles étaient autorisées, et même encouragées, à prendre des responsabilités par certain·es ; mais l’organisation familiale et communautaire est restée un moyen d’y mettre des freins (grossesses, garde d’enfants…). Malgré ceci, les femmes ont poursuivi leur chemin, ont continué à s’organiser et à revendiquer leurs droits à l’intérieur de l’organisation.
En 2007, les femmes zapatistes organisaient une rencontre avec les femmes du monde. Pendant trois jours, en plénière, de nombreuses companeras, avec différents niveaux de responsabilités, ont expliqué aux femmes du monde comment elles vivaient avant, ce qui a changé, comment elles se sont organisées pour obtenir leurs droits et comment elles luttent avec les enfants zapatistes. Les hommes pouvaient se rendre à la rencontre, mais ne pouvaient pas intervenir. Ils étaient autorisés à faire la cuisine, le ménage, s’occuper des enfants et aller chercher du bois. Cette première initiative publique des femmes zapatistes montre la nécessité interne d’ouvrir un espace de parole et de partage d’expériences exclusivement féminin. Elle montre aussi la conscience des femmes de la spécificité de leur lutte pour leurs droits dans un espace préservé de la parole et de l’avis des hommes.
Pendant la décennie suivante, toute une génération a alors été éduquée dans une société et une école égalitaire construite par les zapatistes. Les femmes ont pris une grande part à la construction du système éducatif qui a permis aux filles d’accéder à l’école, à la maîtrise du castillan en plus de leur langue maternelle (plusieurs langues mayas sont parlées au Chiapas : tzeltal, tzotzil, tojolabal, chol et mam), de se former, de connaître leurs droits. Toutefois, elles ont continué à affronter les résistances d’hommes, mais aussi de femmes, en particulier ceux et celles qui s’étaient « construit·es » avant 1994.
LA PREMIÈRE RENCONTRE INTERNATIONALE, POLITIQUE, ARTISTIQUE, SPORTIVE ET CULTURELLE DE FEMMES QUI LUTTENT
Ces rencontres ont réuni 2000 femmes zapatistes et environ 6000 femmes du Mexique et du monde. Il s’agissait d’une rencontre non mixte et aucun homme n’a été admis dans l’enceinte de la rencontre. Toute la logistique interne était prise en charge par les femmes zapatistes et des centaines de discussions, débats, pièces de théâtre, spectacles, activités sportives… ont eu lieu pendant les 3 jours. Dans le discours d’ouverture, le 8 mars, les femmes zapatistes ont identifié ce qu’elles nomment la triple exploitation, l’intersectionnalité : « Parce que j’ai vécu le mépris, l’humiliation, les moqueries, les violences, les coups, la mort parce que je suis une femme, une indigène, une personne pauvre, et maintenant une zapatiste. »
Elles ont aussi abordé les résistances qu’elles rencontrent : « Et ne croyez pas que ça a été facile, ça nous a coûté beaucoup et ça continue à nous coûter beaucoup. Et pas seulement à cause de cette chiure de système capitaliste qui veut nous détruire, c’est aussi parce que nous devons lutter contre le système qui fait croire et penser aux hommes que les femmes sont inférieures et que nous ne servons à rien. » Puis elles ont expliqué la dimension non-mixité de la rencontre :« Nous pensons que nous devions nous retrouver entre femmes pour pouvoir parler, écouter, regarder, faire la fête, sans le regard des hommes ; peu importe que ce soient des hommes bons ou des hommes mauvais. »
L’objectif de cette rencontre était bien de s’organiser entre femmes comme groupe social opprimé : « Ou bien nous nous mettons en concurrence […] et nous nous rendrons compte que personne n’y a gagné. Ou bien nous nous mettons d’accord pour lutter ensemble, avec nos différences, contre le système capitaliste patriarcal qui est celui qui nous violente et qui nous assassine. Ici, peu importe votre âge, si vous êtes mariées, célibataires, veuves ou divorcées, si vous êtes de la ville ou de la campagne, si vous êtes membres d’un parti, si vous êtes lesbiennes ou asexuelles ou transgenres ou quelle que soit la façon dont vous vous identifiez, si vous avez fait des études ou pas, si vous êtes féministes ou pas. […]. Ce qu’on ne va pas faire, c’est d’accuser les hommes ou le système de nos erreurs. Parce que la lutte pour notre liberté en tant que femmes zapatistes est la nôtre. Ce n’est pas le travail des hommes ni du système de nous donner notre liberté. Au contraire, on peut dire que c’est le travail du système capitaliste patriarcal de nous maintenir dans la soumission. Si nous voulons être libres, nous devons conquérir la liberté nous-mêmes en tant que femmes. »
Toutes les femmes ont exprimé le fait que la liberté, la sécurité et la sororité créées par cet espace non mixte ont permis des moments d’échanges et de parole de grande qualité et une prise de conscience collective de la nécessité de se revoir. Cet événement a demandé un énorme travail collectif et les discours des zapatistes sur les questions du système patriarcal en lien avec le capitalisme, étaient très offensifs et très politiques : « C’est pour ça que cette rencontre est pour la vie. Et personne ne va nous offrir cela, sœurs et compañeras. Ni le dieu, ni l’homme, ni le parti politique, ni un sauveur, ni un leader, ni une leadeure, ni une cheffe. Nous devons lutter pour la vie. » Le discours de clôture est un engagement à continuer à s’organiser et à lutter partout :
« Sœurs et compañeras :
Ce 8 mars, à la fin de notre participation, chacune d’entre nous a allumé une petite lumière.
Cette petite lumière est pour toi.
Emmène-la, sœur et compañera.
Quand tu te sentiras seule.
Quand tu auras peur.
Quand tu sentiras que la lutte est dure, c’est-à-dire la vie,
Allume-la à nouveau dans ton cœur, dans tes pensées, dans tes tripes.
Et ne la laisse pas là, compañera et sœur.
Emmène-la aux disparues.
Emmène-la aux assassinées.
Emmène-la aux prisonnières.
Emmène-la aux femmes violées.
Emmène-la aux femmes battues.
Emmène-la aux femmes harcelées.
Emmène-la aux femmes violentées de toutes les façons.
Emmène-la aux migrantes.
Emmène-la aux exploitées.
Emmène-la aux mortes.
Emmène-la et dis-leur à toutes et à chacune d’entre elles qu’elle n’est pas seule, que tu vas lutter pour elle.
Que tu vas lutter pour la vérité et la justice que mérite sa douleur.
Que tu vas lutter pour qu’aucune autre femme ne souffre à nouveau dans quelque monde que ce soit.
Emmène-la et convertis-la en rage, en colère, en décision.
Emmène-la et unis-la à d’autres lumières.
Emmène-la et peut-être alors seras-tu convaincue qu’il ne peut pas y avoir ni vérité, ni justice, ni liberté dans le système capitaliste patriarcal.
Alors peut-être nous nous reverrons pour mettre le feu au système.
Et peut-être que tu seras à nos côtés pour nous assurer que personne n’éteigne ce feu jusqu’à ce qu’il ne reste plus que des cendres.
Et alors, sœur et compañera, peut-être que ce jour-là, qui sera la nuit, nous pourrons dire ensemble :
« Bon, maintenant on va enfin commencer à construire le monde que nous méritons et dont nous avons besoin ».
Cette flamme a été emportée dans de nombreuses géographies avec une colère et une force dupliquée.
LA SECONDE RENCONTRE INTERNATIONALE DE FEMMES QUI LUTTENT CONTRE LES VIOLENCES
En 2019, la dimension politique de la rencontre a franchi un cap, avec la thématique choisie : les violences faites aux femmes comme corollaire du système patriarcal. Dans l’organisation des rencontres, la non-mixité a été réaffirmée et même renforcée avec la prise en charge totale de la sécurité et de la logistique par les femmes zapatistes (archères de l’EZLN, conduites des véhicules, alimentation). Elle l’a aussi été avec un discours virulent pour agir contre les violences :
« Sœur et compañera, nous devons nous défendre.
Nous auto-défendre en tant qu’individues et en tant que femmes.
Et surtout nous devons nous organiser pour nous défendre.
Nous soutenir toutes.
Nous protéger toutes.
Nous défendre toutes.
Et nous devons commencer maintenant.
[…]
Parce que c’est pour cela que nous nous réunissons, sœur et compañera.
Pour crier notre peine et notre rage.
Pour nous accompagner et nous motiver.
Pour nous prendre dans les bras.
Pour savoir que nous ne sommes pas seules.
Pour chercher des chemins de soutien et d’entraide.
Ce n’est pas seulement du réconfort dont nous avons besoin et que nous méritons.
Nous avons besoin de vérité et de justice et nous les méritons.
Nous avons besoin et nous méritons de vivre.
Nous avons besoin de liberté et nous la méritons.
Et ces besoins si importants nous pourrons peut-être les conquérir si nous nous soutenons, nous protégeons et nous défendons. »
Dans une démonstration de force, les insurgées et miliciennes zapatistes ont affiché leur stratégie défensive face aux violences. Une femme victime était entourée par un tourbillon de dizaines de femmes, équipées d’un arc et de flèches. Le dernier cercle tourné vers l’extérieur, arc et flèche levés. Le message est clair : « Répondre à l’appel de la femme qui demande de l’aide. La soutenir. La protéger. Et la défendre avec ce que nous avons. » Pendant ces rencontres, un espace de parole sur les violences a été ouvert. Durant trois jours, le flot de dénonciations, de témoignages, de pleurs, n’a pas cessé. Des centaines de femmes, victimes ou témoins de violences, de harcèlement, d’assassinats ont trouvé, parfois pour la première fois, une sécurité et une confiance pour libérer leur parole. Première étape indispensable avant d’être en capacité de surmonter la douleur et la peur ; et de vivre, de s’organiser et de lutter pour que cela s’arrête. De nombreux espaces d’organisations, de luttes et d’expressions artistiques se sont aussi ouverts pendant 3 jours. Face à ce déferlement de paroles bouleversantes, l’organisation et la détermination des femmes ont été réitérées dans le discours de clôture :
« Notre devoir en tant que femmes que nous sommes et qui luttent est de nous protéger et de nous défendre. […]
C’est ainsi, sœur et compañera, nous devons vivre sur la défensive.
Et nous devons apprendre à nos enfants à grandir sur la défensive.
Et ce jusqu’à ce qu’elles puissent naître, s’éduquer et grandir sans peur.
Nous en tant que zapatistes pensons que c’est mieux pour cela d’être organisées.
Nous savons qu’il y a celles qui pensent que cela peut aussi se faire de manière individuelle.
Parce que nous sommes des femmes qui luttons oui, mais nous sommes des femmes zapatistes.
Pour cela, compañera et sœur, le résultat que nous t’apportons c’est que parmi nos compañeras zapatistes cette année, aucune n’a été assassinée ou portée disparue.
Oui, nous avons quelques cas, selon la dernière réunion que nous avons eue, de violence contre la femme.
Et nous sommes en train de voir comment punir les responsables, tous des hommes.
Et non seulement les autorités autonomes s’en occupent, mais nous aussi nous nous en occupons en tant que femmes zapatistes que nous sommes. »
Les femmes zapatistes parviennent ainsi à agir efficacement contre les violences faites aux femmes sur leur territoire, dans un pays laminé par les féminicides et les violences. Et leur force vient de cette construction du « nous », les femmes, unies contre le système qui nous opprime :
« Ce n’est pas seulement du réconfort dont nous avons besoin et que nous méritons.
Nous avons besoin et nous méritons de vivre.
Nous avons besoin de vérité et de justice et nous les méritons.
Et ces besoins si importants nous pourrons peut-être les conquérir si nous nous soutenons, nous protégeons et nous défendons. »
- Un Réseau de femmes migrantes à Rome - 1 septembre 2020
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