Mutualité Française : historique, évolutions et situation actuelle
UN EMBRYON DE MUTUALITÉ OUVRIÈRE DES LES ANNÉES 1400
L’esprit mutuel prend ses sources au Moyen-Age, lors de la mise en commun du savoir professionnel des ouvriers anciens et expérimentés sur les divers chantiers, ce qui conduit à la naissance du Compagnonnage. C’est la période où se forgent des professions d’ouvriers, de techniciens qui vont construire, travailler la pierre, le fer, le bois…pour bâtir des maisons, des monuments, des cathédrales, des ponts. Ces personnes, très qualifiées, vont protéger les villes par des remparts, les embellir par des monuments, des statues… En même temps, il faut de la matière première : du bois, du fer, du charbon. Il faut les extraire, les transporter, les travailler avant de les emmener sur les grands chantiers de construction. Tout ceci n’a plus rien à voir avec le travail des paysans !Plus rien à voir avec les rapports entre les serfs et les seigneurs. Dès le moyen-âge, les ouvriers hautement qualifiés ont élaboré tout un système de solidarité : formation de haute qualification, habitat, maintien en santé autour du compagnonnage et des premières caisses de secours. La solidarité consistait déjà à s’organiser socialement et à repousser la charité.
UNE PREMIÈRE APPROCHE DE LA SANTÉ PAR LES MUTUELLES DES LES ANNÉES 1700
Dans les mines, les forges, la vie des ouvriers est rude ; les accidents du travail, mais aussi les explosions au fond des mines et sur les chantiers, sont fréquents. Les dirigeants, qu’ils soient les riches propriétaires, Maîtres des mines, des forges ou du tissage, essaient de contenir l’organisation du monde ouvrier. Le peuple vit en grande misère mais il s’organise. Au moment de la révolution industrielle et des manufactures, nombre d’ouvriers sans qualification, ayant des conditions de travail et de vie innommables, pratiquèrent l’entraide. Les ouvriers mettent en place des caisses de secours mutuels pour s’entraider en cas de maladie ou de grève.
LA DUALITÉ S’INSTALLE DANS LES SOCIÉTÉS DE SECOURS MUTUELS
Les caisses de solidarité furent toutes interdites par la mise en place de la loi Le Chapelier de 1791, mais le régime bonapartiste les recréa en les encadrant et en positionnant à leur tête des notables à sa solde. Ces caisses se sont toutefois développées au cours XIXème siècle et trouvèrent un renfort par la création des mutuelles de fonctionnaires au début du vingtième siècle. Ont donc toujours cohabité, des mutuelles ouvrières sur une base de solidarité et de classe et des mutuelles « officielles », plus enclines à collaborer avec les pouvoirs en place.
C’est le fruit d’une très longue histoire qui remonte à la Révolution française ; la loi Le Chapelier interdit toute forme d’association ouvrière ou paysanne. Cette situation va durer près de 100 ans, avec interdiction dans les usines, les ateliers, de tout « rassemblement de plus de 3 personnes ». Les syndicats ne seront reconnus et légalisés qu’en 1884, avec la loi Waldeck-Rousseau. C’est par les caisses de secours mutuel que l’entraide se crée, que petit à petit la révolte monte dans les mines, dans le tissage. Elles organisent des luttes revendicatives, tout en prenant en charge la maladie, les obsèques et peu à peu les retraites. Le monde ouvrier apprend vite et s’organise. Les ouvriers du Livre, les imprimeurs vont diffuser les informations, les savoirs, Ils vont créer les premières caisses de secours mutuel par la mise en commun d’une part de son salaire afin d’aider ceux qui sont sans travail ou malades. A cette époque, l’État est encore très globalement absent sur ces terrains de l’aide et de l’assistance. Ce sont des années de réflexion, d’organisation pour le mouvement ouvrier en France et en Europe. Apparues à la veille de la Révolution, les sociétés de secours mutuels couvrent 250 000 personnes en 1848. En 1821 la première Union départementale mutualiste est mise en place : le grand conseil des sociétés de secours mutuel des Bouches-du-Rhône est fondé.
Le 15 juillet 1850, la loi sur les sociétés de secours, tout en maintenant la liberté d’association, rend possible une forme de contrôle par l’État grâce à la « reconnaissance d’utilité publique ». En 1852, Napoléon III réorganise les sociétés mutualistes et en fait un instrument de contrôle social. Il soumet les sociétés de secours mutuel au régime d’autorisation en distinguant trois catégories. Les sociétés autorisées sont reconnues d’utilité publique, placées sous tutelle et réglementées. Les sociétés approuvées ont des statuts soumis au préfet, des effectifs limités et un président nommé par l’Empereur lui-même ou le préfet du département. Elles ont des avantages fiscaux et financiers. Les sociétés libres, peu nombreuses, n’ont pas de capacité juridique et ne peuvent bénéficier de subventions. Toutes ou presque sont gérées par des notables – les dirigeants des villes et des communes – et sont organisées sur une base géographique alors qu’auparavant elles s’organisaient sur une base professionnelle. Mais, aussi institutionnalisés qu’ils soient, les groupements de base demeurent des structures de proximité gérées par des citoyens engagés, sur un territoire, dans une entreprise ou un secteur économique. Il s’opère alors une division du mouvement social entre les sociétés de secours mutuels et ce que seront les syndicats. Le premier congrès mutualiste se tient en 1883 ; la charte de la mutualité est élaborée en 1898. La loi du 1er avril 1898 octroie à la mutualité un véritable statut. Elle autorise, sur simple déclaration, la création de sociétés libres. En donnant à la mutualité la possibilité d’organiser des unions et de créer des caisses autonomes, la loi lui ouvre notamment tous les champs d’activité de la protection sociale : assurance-vie, assurance invalidité, retraite, œuvres sanitaires et sociales (dispensaires et pharmacies par exemple), allocations chômage. Pour mémoire, la création de la Confédération générale du travail (CGT) date de 1895. Le syndicalisme se fixe alors comme objectifs d’améliorer la vie quotidienne des travailleurs et travailleuses à travers les revendications immédiates, mais aussi de rompre avec le capitalisme pour créer une société égalitaire.
La Fédération nationale de la mutualité française (FNMF) est créée en 1902 et compte 3 millions de membres. Les mutualistes continuent de progresser : au nombre de quatre millions en 1914, ils sont fois dix plus que nombreux que les syndicalistes. La première fête nationale de la Mutualité se déroule en 1904 sous le patronage du président de la République Émile Loubet. En 1928, la loi instituant les Assurances sociales est adoptée. En 1930, le mouvement mutualiste participe à la gestion des Assurances sociales. En devenant gestionnaires de ces assurances sociales, les mutualistes deviennent une sorte de rouage de l’État et délaissent le côté social et militant qui prévalait avant 1914. On peut dire que c’est une forme de bureaucratisation du mouvement. En 1936, se créent des sociétés de secours mutuel, à l’initiative du Parti communiste. En 1941, la Mutualité soutient la charte du travail de Vichy. Le mouvement mutualiste « défend l’ordre établi » et il ne s’était par reconnu dans les actions ouvrières de 1936.
UN TOURNANT AVEC LA CRÉATION DE LA SÉCURITÉ SOCIALE EN 1945
A la fin de la deuxième guerre mondiale, le Conseil national de la Résistance (CNR) décide la création de ce qui sera la Sécurité sociale ; il s’agit de permettre à l’accès aux soins mais aussi d’aider les familles et d’offrir le droit à la retraite pour les vieux travailleurs. C’est de cette volonté que naîtra le plan complet de Sécurité sociale, visant à assurer « à tous les citoyens » des moyens d’existence, dans tous les cas où ils sont incapables de se les procurer par le travail. C’est dès la mise en place de la Sécurité sociale que se crée la confusion : les mutuelles de la Fonction publique en refusent le principe, conservent leur organisation, obtiennent des fonds de réserve et règlent les dépenses sur des bases différentes du régime général. La faille a été ainsi créée. En revanche, les « mutuelles de travailleurs » vont soutenir et participer à l’organisation de la Sécurité sociale. Mais le Conseil d’administration de la Sécurité sociale d’élargi de plus en plus. Année après année, on a ajouté des organismes qui n’étaient représentants ni des ouvriers, ni directement des employeurs mais plutôt de la finance, et surtout de l’État.
Avec création de la Sécurité sociale, les mutuelles continuent d’exister ; même si elles n’ont pas le vent en poupe à la Libération, elles restent une force avec 15 millions d’adhérents après la guerre. Avec la création de la Sécurité sociale en 1945, la Mutualité va connaître un véritable tournant. Il apparaît d’emblée que la Mutualité ne jouera pas auprès de la Sécurité sociale, le rôle d’organisme gestionnaire qui avait été le sien auprès des Assurances sociales. Aux élections à la Sécurité Sociale de 1947, la Mutualité ne recueille que 10 % des suffrages, loin derrière la CGT et la CFTC. Les syndicats ouvriers sont donc les partenaires essentiels pour la gestion de la Sécurité sociale. Qui plus est, la Mutualité s’arc-boute sur ses principes : maintien de l’acte volontaire individuel de prévoyance et lutte contre l’étatisation de la protection sociale. Il s’agit d’un moment difficile pour la Mutualité, qui doit réduire ses moyens. Mais elle comprend très vite qu’elle doit négocier. Elle se retrouve confinée dans les domaines restés en marge du régime de base, en particulier dans la couverture santé complémentaire des salarié.es, au niveau individuel comme, en partie, au niveau collectif.
Le poids des mutuelles en France s’explique par le fait que l’intervention de l’État dans le social y a été beaucoup plus tardive que dans la majorité des pays européens. Rappelons que la Sécurité sociale de 1945 a été précédée par deux lois : une, votée en 1910, qui a constitué des retraites pour 2,5 millions de personnes et une, en 1930, établissant les Assurances sociales. Elles ont été investies par les mutualistes : aussi le pays compte 15 millions de mutualistes à la Libération. En 1946, les mutuelles ouvrières (issues de 1936) sont exclues de la FNMF. La Fédération des mutuelles ouvrières (FMO) sera créée en 1960. En 1946, la Mutualité décide cependant de s’intégrer dans ce nouveau paysage de la protection sociale. Se créent alors la MGEN, la MGPTT et la MGET. La loi Morice de 1947 accorde aux sociétés mutualistes la possibilité de se transformer en sections locales de Sécurité sociale. C’est de cette période que date la gestion de la Sécurité sociale de base des fonctionnaires et des étudiants par des mutuelles. Vers la même époque se crée l’Union des caisses chirurgicales mutualistes. La mission mutualiste trouve un nouveau vecteur de développement.
La désaffection mutualiste pour la prévoyance collective d’entreprise plonge ses racines dans le divorce historique entre mutualité et mouvement ouvrier. La Mutualité laisse alors le champ libre aux Institutions de prévoyance (IP) ; d’autant plus que le décret du 8 juin 1946 confie les régimes complémentaires de retraites naissants, aux institutions de prévoyance, dont certaines sont l’émanation directe des compagnies d’assurance. Cette attitude de la Mutualité s’explique aussi par le caractère obligatoire de l’affiliation à ces régimes. C’est en effet antinomique de l’attachement, quasi viscéral, au principe d’adhésion volontaire, expression de la vision libérale défendue par la Mutualité. Dans les IP, les partenaires sociaux construisent progressivement des dispositifs de protection complémentaire des salarié.es.
La complémentaire santé, jusqu’alors domaine quasi exclusif des sociétés mutualistes, s’ouvre avec le décret du 24 janvier 1956, qui légalise la présence des compagnies d’assurance, dans les contrats collectifs et en particulier dans le domaine des frais médicaux et pharmaceutiques. La Mutualité pâtit toutefois de la distance prise avec les forces vives du monde du travail. En outre, au fur et à mesure que ses éléments croissent ou se regroupent, des notables s’emparent peu à peu du pouvoir. La dimension de mouvement social de la Mutualité tend alors à s’estomper. En 1948, la FNMF tient son premier congrès national depuis 1939, sur le thème « La Mutualité a-t-elle un avenir ? » Les mutualistes prennent conscience de leurs possibilités d’action en matière de complémentarité, de création d’œuvres sociales et de prévention.
En 1955, est publié le premier Code de la mutualité. A partir des années ? que s’amorce un renouveau. Louis Calisti (1923-2005), président de la Fédération nationale des mutuelles de travailleurs, propose une « mutualité d’action et de gestion ». Le courant qu’il impulse replace la démocratie et l’engagement social au cœur de la démarche. La constitution de la Fédération des mutuelles de France (FMF), par le regroupement des mutuelles exclues de la FNMF, marque le passage du concept de neutralité politique stricte, dont se réclamait le courant majoritaire, à un concept d’« indépendance en mutualité». On renoue ainsi avec le mouvement que pouvaient représenter les mutuelles ouvrières face à celles qui, « autorisées » et « gestionnaires », s’appuyaient sur les institutions. En 1960, la Fédération nationale des mutuelles ouvrières (FNMO) est créée. Henri Raynaud, de la CGT, en devient le premier président. En 1964, la Mutualité d’entreprise commence à se structurer au sein de la FNMF.
Le congrès de mai 1967 de la FNMF marque la reconnaissance définitive de la Mutualité d’entreprise et du bien-fondé d’une coopération avec le syndicalisme. Les quatre ordonnances Jeanneney du 21 août 1967, sur la Sécurité sociale, majorent les cotisations, réduisent les prestations, suppriment les élections aux Caisses primaires, séparent les régimes famille, maladie et vieillesse en trois Caisses nationales autonomes. Mutualistes et syndicalistes manifestent ensemble contre cette réforme. En 1968, la Fédération nationale des mutuelles ouvrières (FNMO) devient la Fédération nationale des mutuelles de travailleurs (FNMT). Leurs adhérents peuvent rester membres de la FNMF (système de la double appartenance qui existera jusqu’en 1985).
LES ÉVOLUTIONS DU SYSTÈME DES MUTUELLES DEPUIS 1970
A partir des années 1970, les compagnies d’assurance commencent à réinvestir dans le domaine de la santé, au détriment des mutualistes. Elles sont confortées par le cadre européen, qui pousse à cela. Elles commencent à pratiquer des tarifs différenciés en fonction de l’âge, pour attirer la clientèle ; certaines mutuelles commenceront à utiliser les méthodes assurantielles. Par ailleurs, la Mutualité a très longtemps ignoré les syndicats. La Fédération nationale de la mutualité française (FNMF), doit attendre 1971 pour rencontrer officiellement la CFDT, la CGT et FO : la division entre les mouvements mutualistes et syndicaux a donc été très longue. Elle a contribué à l’isolement de la Mutualité française. En 1979, la FNMF organise une très grosse mobilisation contre la mesure du gouvernement Barre sur « le ticket modérateur d’ordre public ». Le Congrès de la FNMF de 1988 prend acte du mouvement de concentration des mutuelles qui, selon elle, « est un phénomène naturel pour les groupements qui deviennent progressivement des entreprises ». Bref, la FNMF s’adapte à la marchandisation du secteur. En 1989, la loi Evin place sur le même plan les mutuelles, les institutions de prévoyance et les compagnies d’assurance, sur le marché des complémentaires-santé, tout ceci dans le cadre des impulsions fixées par la Commission de Bruxelles. En 2004, dans le cadre de la loi Douste-Blazy réformant l’Assurance maladie, est créée l’UNOCAM (Union nationale des organismes d’Assurance maladie complémentaire), qui officialise la place des complémentaires-santé dans la prise en charge et la maîtrise des dépenses de santé. L’accord national interprofessionnel du 11 janvier 2013 relatif à la compétitivité des entreprises, programme de créer de nouveaux droits pour les salarié.es au plus tard à compter du 1er janvier 2016. Ce sera, à compter de cette date, la généralisation de la mise en place d’une couverture santé collective dans les entreprises. La concurrence entre les mutuelles, les institutions de prévoyance et les compagnies d’assurance va être rude pour se partager ce nouveau marché.
LES ÉVOLUTIONS DE LA MUTUALITÉ OUVRIÈRE
Rappelons que la Fédération nationale de la mutualité française (FNMF) est restée tout au long de son histoire très proche des gouvernants ; cela a entraîné pour elle plusieurs erreurs historiques, dont l’adhésion à la Charte du travail de Vichy. L’ordonnance du 19 octobre 1945, signée par Pierre Laroque, permet à la Mutualité de développer de nouvelles missions (rembourser le ticket modérateur, assurer des missions de prévention). Par ailleurs, la création des Comités d’entreprise par l’ordonnance du 22 février 1945 donne une nouvelle opportunité aux mutuelles pour gérer les œuvres sociales. De nombreux militants mutualistes et syndicalistes vont s’en saisir pour constituer des mutuelles d’entreprise. Celles-ci vont se regrouper dans la Mutualité ouvrière, puis la Fédération nationale de la mutualité des travailleurs, et enfin la Fédération des Mutuelles de France en 1986, pour marquer la différence avec la Mutualité « officielle ».
Dans le même temps, la Mutualité ouvrière se fondait dans la Mutualité française, à la suite de plusieurs votes des fédérations se soldant par l’intégration de la fédération ouvrière dans la FNMF. En 2000, au moment du vote sur l’intégration dans la FNMF, les mutuelles se réclamant des valeurs de solidarité représentaient un honorable pourcentage (plus du tiers des départements). Aujourd’hui elles n’ont plus d’organisme national. Il reste, ici ou là, quelques mutuelles ouvrières mais qui n’ont plus les moyens de se reconnaitre, de se rassembler sur le plan national. Deux facteurs sont contraires : les fermetures d’usines, le comportement du syndicalisme qui a peu à peu « emboité » le pas à la FNMF ou même précédé ses dérives. Pourtant, en 2002, la FNMF a réussi à absorber les Mutuelles ouvrière grâce aux reniements successifs de ses dirigeants.
L’Union nationale des groupements mutualistes solidaires (UNGMS), créée après l’intégration dans la FNMF, n’a pas résisté aux coups de boutoirs incessants. Il faut des forces militantes pour résister (force mutualiste ou force syndicale). Nous n’avons pu garder de structure nationale mais si un travail se faisait nationalement sur les valeurs de 1945, nous sommes persuadé.es que cela serait possible. Dans le Vaucluse, nous avons une mutuelle (complément Sécurité sociale) et une Union d’œuvres sanitaires et sociales qui rendent l’accès aux soins possibles. La situation n’est pas simple ; ce n’est pas un fleuve tranquille que de défendre un patrimoine appartenant à la classe ouvrière tout en refusant qu’il serve à autre chose que l’accès aux soins et en préservant, les valeurs humanistes de partage, valables de tout temps.
La FNMF continue aujourd’hui sa logique marchande puisqu’elle cherche un marché européen au détriment des mutualistes et adhère totalement aux orientations de l’Union européenne. Dans le domaine de l’Assurance maladie, le néolibéralisme s’appuie aujourd’hui sur les complémentaires-santé pour marchandiser la santé et accélérer la privatisation de la sécurité sociale et les systèmes de soins. Le nouveau Code de la mutualité a donné l’obligation aux Mutuelles d’adopter les mêmes contraintes que les assurances privées (obligation de réserves financières, contraintes administratives, poids des responsabilités personnelles). Cela a entraîné les administrateurs et administratrices de petites mutuelles à laisser absorber leurs structures : seules 700 mutuelles ont résisté, sur les 4500 préexistantes. Cette concentration a largement détruit la Mutualité de proximité, celle qui est porteuse des idéaux mutualistes : autogestion (possible dans les petites mutuelles), réflexion et observation permettant la prévention dans les usines (recherche des risques) et les réalisations sanitaires et sociales répondant aux besoins locaux.
Sous prétexte de ne plus être payeur aveugle de la part complémentaire, la Mutualité officielle a cautionné cette démarche et négocié sa place dans la nouvelle gouvernance de la Sécurité sociale ; elle a amené dans ses bagages les complémentaires privées lucratives multinationales d’assurance à la gouvernance de la sécurité sociale. Le 38ème congrès de la FNMF (2006) confirma cette orientation, qui l’entraîna, d’une part à réduire encore le nombre de mutuelles et ne laisser vivre que les services aux usagers dont la rentabilité financière est reconnue ; d’autre part, à étendre son pouvoir en négociant avec le corps médical des tarifs préférentiels (hors des conventions Sécurité sociale) : c’est le parcours santé mutualiste. Ce parcours de soins intégrés se veut une tentative de tirer, par la qualité, les soins servis aux mutualistes. Mais n’est-ce pas ce qu’ont déjà tenté les HMO [1] américaines, quand leur but était de faire de la qualité à moindre coût, avant de faire du moindre coût de mauvaise qualité ? La sélection par le risque est le dernier rempart qui permet de distinguer les complémentaires mutualistes des assurances à but lucratif. Mais la sélection par l’âge, n’est-elle pas une sélection par le risque qui ne dit pas son nom, car la probabilité de souffrir d’une maladie chronique augmente quand on vieillit ? C’est pourtant ce que proposent la quasi-totalité des mutuelles officielles : concurrence oblige !
UNE RUPTURE NÉCESSAIRE ET INDISPENSABLE AVEC LA LOGIQUE DES SSIG
En 2001, la transposition des directives d’assurance aux mutuelles a conduit à une séparation entre les mutuelles effectuant des opérations d’assurance et les mutuelles gestionnaires de réalisations sanitaires et sociales. Le financement de ces dernières par les mutuelles effectuant des opérations d’assurance a été fortement encadré. Les directives européennes, comme « solvabilité 2 » en 2013, ont mis en place de nouvelles normes pour l’ensemble des organismes d’assurance, y compris les mutuelles. L’objectif, sous couvert de la « protection des consommateurs et consommatrices », est en fait de développer un secteur assurantiel européen compétitif. Cette évolution avec ces normes est totalement à l’opposé des spécificités et des modes de régulation mutualistes. Les premières conséquences ont été une augmentation des tarifs pour se mettre en conformité avec les nouvelles règles, et la concentration des mutuelles. Les organisations locales qui assuraient la proximité en ont largement pâti.
Pour un nouvel avenir, il faut rompre avec son accompagnement du néolibéralisme. Il lui faut donc se détourner de la logique des SSIG (Services sociaux d’intérêt général), tels qu’ils sont mis en place par la réglementation européenne. La Mutualité officielle sert de coin dans le démantèlement de la Sécurité sociale. En jouant sur sa position de Sécurité sociale obligatoire par délégation pour certaines catégories de population (fonctionnaires, populations agricoles, etc.), et assurance complémentaire de nature économique par ailleurs, la Mutualité officielle introduit une notion de concurrence dangereuse pour toute la protection sociale obligatoire. Il est un autre domaine que celui de la santé où la Mutualité officielle sert de cheval de Troie au néolibéralisme : c’est celui du médico-social. Elle se veut un acteur de l’économie sociale, soumis à concurrence, mais dans le même temps elle réclame la protection illusoire et temporaire de textes délimitant un champ d’activité hors concurrence. Elle oblige à préciser et à restreindre le champ « des missions d’intérêt général » : ne pas être un prestataire de services comme les autres « privés », en définissant, par exemple, des publics fragiles et vulnérables destinataires de leurs prestations. Elle perd ainsi son caractère mutualiste en recréant la charité. Un comble pour une institution qui a organisé la solidarité !
En France, tous les présidents de la République ou presque ont participé à l’Assemblée générale de la Mutualité Française. Le ver était peut-être déjà dans le fruit, si on se souvient que c’est Napoléon III qui a réorganisé les sociétés mutualistes en 1852. En 2018, lors de l’Assemblée générale de la FNMF, on a retrouvé à la même tribune, le président Macron, le président de la FNMF et le représentant des Assurances privées ; le trio financier devient alors totalement explicite. Il était évident que la FNMF venait de se donner aux compagnies d’assurance et qu’elle entrainait avec elle la Sécurité sociale puisque Mutualité et Sécurité sociale sont dans leur définition une seule identité.
LA VRAIE MUTUALITÉ A ENCORE UN AVENIR AU SERVICE DE LA POPULATION
Par esprit de résistance, 33% d’opposants et opposantes à la fusion des Mutuelles ouvrières au sein de la Mutualité officielle ont créé l’Union nationale des groupements de mutuelles solidaires en 2002. Les Mutuelles de l’UNGMS revendiquent la « prise en charge à 100% des soins efficaces et nécessaires, dans le cadre d’une réelle démocratie sanitaire… ». Il s’agit de permettre aux citoyennes et citoyens de se réapproprier leur Sécurité sociale et de la soustraire, dans l’état actuel de la législation européenne, aux appétits financiers. Du fait de la proximité avec leurs membres, les Mutuelles de l’UNGMS ont aussi un rôle dans le repérage des besoins (nouveaux ou pas) de la population et la mise au point de nouveaux services, avant de les confier à la puissance publique pour que toutes les personnes puissent en profiter dans le cadre de services publics (services de soins au domicile, aide à domicile des personnes en perte d’autonomie, services de prévention, d’information). La Mutualité peut encore organiser plus de centres de santé de proximité.
Ce n’est pas un syndicat ou un autre, une Fédération mutualiste, aussi grosse soit-elle (FNMF) qui va gagner, c’est le monde financier ; la Sécurité sociale risque de disparaître et être récupérée par le groupe financier VYV (toute la littérature des mutuelles FNMF porte ce logo). Le Gouvernement Macron qui prévoit de remplacer les cotisations salariales par l’impôt indique bien la suite ! La sécurité sociale de 1945 aura vécu à peine plus de 70 ans ; aujourd’hui, elle est mal en point. Pour la reconstruire il faudra un peuple solidaire et acteur, un gouvernement dont la composition serait majoritairement humaniste, une meilleure répartition des richesses, une véritable politique écologiste, quelques autres points protégeant la démocratie ; par exemple, l’économie sociale est aussi importante que le syndicalisme et celui-ci l’est tout autant que les partis politiques… Les principes de la Mutualité des travailleurs (à son origine) peuvent accompagner un gouvernement de ce type. Cette Mutualité-là a un savoir-faire en prévention, en organisation sanitaire, en soins à domicile. Il suffit d’être clair sur les principes, sur les rôles de chacun. Il faudrait alors faire émerger, par département, les mutuelles ou unions départementales gérant des œuvres sanitaires ou sociales qui existent encore et qui n’ont pas adhéré à la FNMF, ou des mutuelles prêtes à reprendre les fondamentaux des anciennes mutuelles ouvrières.
Dans le Vaucluse, nous avons une bonne expérience de gestionnaire de structures de soins (sans recherche d’excédent financier pour les propriétaires). Nous pourrions encore l’élargir sur la prévention des risques, sur la formation aux bons gestes, bons produits, bonnes règles d’hygiène, bien être pour les patientes et patients. Dans quelques entreprises, nous avions créé un « monsieur Santé ou madame Santé », un ou une déléguée à la Santé analysant et recherchant, avec le médecin du travail, le facteur de risque, dès que les ouvriers signalaient des douleurs, des absences à répétition sur un poste de travail en particulier. A l’école, nous travaillons pour mettre en avant des règles d’hygiène pour les enfants, une bonne nutrition, des conseils pour les équipes des cantines scolaires. Il y a la possibilité d’intervenir aussi dans les hôpitaux, les transports… Tout doit être découpé pour bien analyser les facteurs de risques, les éviter ; l’écologie doit participer partout. La défense de la Sécurité sociale, qui est un acquis républicain, va de pair avec la promotion des mutuelles restées fidèles aux idéaux de solidarité et d’entraide. Il est de l’intérêt des CSE et des syndicats de se tourner pour la complémentaire santé des salarié.es vers des mutuelles partenaires ne répondant pas à la logique du marché. Nous sommes prêts à nous inscrire dans une telle perspective.
avec la participation d’Alain Caillot
[1] Health Maintenance Organizations : organisations pour le maintien de la santé. Ces organisations, généralement proposées par les entreprises, offrent une gamme complète de prestations de santé en contrepartie d’un prépaiement forfaitaire. Pour être pris en charge, les patient.es ne peuvent aller voir que des médecins ou hôpitaux inscrits sur la liste qui est fournie par la HMO.