Dijon : Chez nous
Le 19 mars, cortège intersyndical dans les rues de Dijon à l’appel de la CGT, FO, FSU et Solidaires. Parcours déclaré, cortège ordonné reprenant un circuit pourtant interdit depuis les manifestations contre la loi travail et leurs « incidents » de l’époque, soit quelques tags et vitrines brisées à l’actif du cortège de tête. On emprunte ainsi la rue de la Liberté, principale rue commerçante, puis les grands boulevards, avant de se terminer par un discours de clôture, traditionnel, devant la préfecture : Appel, à la sono de la CGT, à la « poursuite du mouvement » auquel, à vrai dire, personne ne croit vraiment. A l’image du cortège, aussi ordonné que morne, mis à part des sonos criardes d’où sortent quelques mots d’ordre revendicatifs, c’est silence dans les rangs. Défilé parfaitement maîtrisé, avec des services d’ordre désœuvrés. Être sur la photo est donc le seul intérêt, si on peut dire, et tout le monde connaît et feint d’ignorer la suite : aucune. Bataille autour du nombre de manifestantes et manifestants, histoire de dire que, quand même, on était nombreux cette fois, puis retour chez soi, où on n’oublie pas de regarder les images de la mobilisation à la télé, 20 secondes, ou sur réseaux sociaux et le lendemain les quelques lignes dans la presse écrite. Une journée de salaire perdue, tel un rituel, sans même l’idée, pour beaucoup, d’imaginer créer de rapport de force. Un détail tout de même, important : un cordon de CRS pour protéger la préfecture, visière relevée, au nombre de douze. La manif à peine « dispersée » que les CRS rangent déjà leur attirail … malgré la présence encore de plusieurs dizaines de manifestants et manifestantes. Mieux, les portes de la préfecture sont déjà réouvertes. C’est dire la peur qu’inspire aujourd’hui les mobilisations syndicales et du monde du travail.
De sorte que s’ils et elles avaient été dans les parages, s’ils et elles avaient élaboré la stratégie pour (et nul doute que ce sera pour bientôt vu la vitesse d’apprentissage), des centaines de gilets jaunes avaient toute latitude pour envahir les lieux de pouvoir, dont l’approche, lors des actes du samedi, est interdite. Dommage qu’ils et elles ne soient pas là, mis à part celles et ceux présent.es, essentiellement des retraité.es. Une minorité cependant, car nous sommes un jour de semaine, la plupart sont au travail et/ou loin de Dijon, un jour de grève plus le prix du trajet, ce peut être rompre le fragile équilibre matériel de leur existence. 10 € qui manquent pour des revenus de moins de 1000 € par mois, ce peut être le basculement dans les ennuis bancaires. Et le risque d’une dégringolade sociale. La grève, de ce point de vue si souvent exprimé par de très nombreux et nombreuses Gilets jaunes, c’est pour celui et celle qui peut se la payer. Il n’y avait donc, pour le pouvoir, aucune crainte de prise de ce Palais d’hiver. De l’extérieur, l’exercice du 19 mars est apparu parfaitement balisé entre État et « partenaires sociaux », chacun jouant son rôle. Presqu’entre partenaires de jeu d’une pièce de théâtre. Les mots ont un sens, les Gilets jaunes le rappellent, les syndicats sont partenaires du Medef et de Macron, l’ennemi. Presqu’étrangers à cette partie du monde du travail voire invisibles, sauf à la télé. D’où le rejet, puissant.
Actes
Quatre jours plus tard, acte 19 des Gilets jaunes. Changement de décor : la rue de la préfecture est barrée par des barricades transparentes ; les CRS sont en nombre, visières rabattues, boucliers et gazeuses/matraques entre les mains, BAC avec flashball, canon à eau, véhicules en nombre à quelques mètres. Comme toujours depuis le début du mouvement, la manifestation aura été quasiment improvisée et aura emprunté la rue de la Liberté en long en large et en travers (c’est en effet grâce aux Gilets jaunes que les cortèges syndicaux peuvent à nouveau l’emprunter), se sera divisée pour se recroiser. Elle se sera arrêtée devant Mac Do, Starbucks et quelques banques, tous conspués pour leurs soutiens et connivences avec le pouvoir, pour leurs profits expatriés dans les paradis fiscaux. Une manif où, mis à part à l’heure des gaz de fin d’après-midi devant la préfecture, vrai lieu de pouvoir mais désertée les samedis (gaz qui peuvent être tôt dans la journée), cela débat, chante, revendique justice, égalité, démocratie, anticapitalisme et solidarité. Tout cela sans sono. Pour la plupart des participants et participantes, le 17 novembre et ensuite furent la première fois, de leur vie. On y jongle, se déguise, joue du saxo, de la clarinette et du djembé, mais également au foot dès que l’occasion se présente (!). Une manif majoritairement féminine, où tous les âges se côtoient, familles au complet, personnes seules, handicapées, malades y compris en lit médicalisé, artisan.es, paysan.nes, assistantes maternelles, aides de vie, vendeuses, employé.es de PME, ouvriers agricoles, chômeurs et chômeuses, précaires de l’Education nationale… beaucoup abîmé.es par le travail et ses maux, en gilet jaune pour la plupart, en k-way noir aussi ; le black bloc est en effet assez tendance ; une masse identifiable à la couleur et impressionnante. Une véritable trouvaille, cette couleur jaune. A noter : un renouvellement important des cortèges. Manifester, chez les Gilets jaunes, c’est voyager : à Dijon, 90 % de la manif n’est pas issue de l’agglomération. On fait des centaines de bornes en covoiturage pour venir, participer à la fête, humer ce parfum volontiers insurrectionnel puis repartir en fin d’après-midi. Le samedi suivant, ce sera ailleurs ; on tourne acte après acte, de manif en manif, selon les appels « nationaux ». La gaieté, le « pas beaucoup ou plus de thunes au 10 du mois », la haine du système oligarchique, de la connivence de pouvoir et du flic, la revendication sociale, fiscale et environnementale. Revendication politique aussi, autour de la démocratie, contre l’étouffoir des institutions perçues comme adversaires à l’expression de la volonté populaire, ce besoin en réalité de tout renverser.
Car si le referendum d’initiative citoyenne ou RIC, concept inventé par Etienne Chouard, intellectuel aux accointances d’extrême droite, a été perçu comme l’instrument de la remise en cause des diktats du pouvoir, il s’est aussi accompagné d’une remise en cause du cadre lui-même, cette 5ème république asphyxiante pour les libertés démocratiques. Cette analyse globale est, en réalité, le témoin d’une conscientisation à marche forcée d’une partie importante du mouvement, dont la barre à gauche, ici à Dijon, ne fait plus guère de doute, tant les slogans anticapitalistes peuplent ces cortèges. Mais les Gilets jaunes, et c’est ce qui rend l’analyse complexe et partielle, c’est aussi l’hétérogénéité d’un mouvement, sa diversité d’approches, son absence d’a priori politique. Sa diversité géographique également. Si les Gilets jaunes « de sensibilité de gauche » se retrouvent à l’assemblée des assemblées de Commercy puis de St Nazaire sur un projet social et anticapitaliste, animent les assemblées populaires, une partie non négligeable y est parfaitement étrangère. Et si l’extrême droite, la plus en pointe dans le combat antisyndical, a paru active notamment aux débuts, dès le mois de mars, elle avait déserté les rangs.
Vie
En quelques mots, le mouvement des Gilets jaunes c’est la vie qui s’exprime au grand jour, sur la place publique, avec envie, joie d’être ensemble dans toute sa diversité, dans des cortèges improvisés aux parcours libres qui, depuis la fin des ronds-points, sont la manifestation visible du mouvement. C’est un antidote à la résignation. 23 actes et autant de manifestations sans qu’on en imagine la fin – certain.es ont déjà planifié l’acte 52, date anniversaire -, un mois de ronds-points, des actions de blocage, des assemblées populaires. Voilà qui socialise, tisse, solidarise et se solidifie : une famille s’agrège et se constitue par choix, dans laquelle on se congratule, s’apprécie, s’aime… mais également s’engueule : sur la nouvelle constitution à écrire, sur l’abrogation des loyers, sur ce « droit » de propriété qu’il faudrait peut-être remettre en question. Et quand une parole sexiste et/ou xénophobe fait irruption, son auteur se fait de plus en plus et vigoureusement tancer…
Macron démission !
Emmanuel Macron est le moteur du mouvement des Gilets jaunes, son masque emblématique. L’absence de réponse politique, les provocations verbales incessantes d’un pouvoir dont les ressorts autocratiques sont toujours plus mis à nu et la fuite en avant sécuritaire qui éborgne la démocratie et mutile les chairs, voici le carburant du mouvement. Les 10 000 interpellations, 2 000 jugements prononcés, 800 emprisonnements, 22 éborgné.es, 5 mains arrachées, une morte, des blessé.es en pagaille, les comparutions immédiates pour des faits souvent complètement anodins (pour un jet d’œuf !), des dispositifs supplétifs (police municipale jusqu’au directeur général des services de Rebsamen1) maniant la lacrymo, la matraque et la lance à incendie, n’est-ce pas là la validation (par le pouvoir) d’un mouvement social « dans le vrai » ? Le pouvoir mutile, frappe et tue car le pouvoir a peur. A titre de comparaison, le 19 mars, la présence policière figurative disait bien la vérité d’une mobilisation sans danger pour le pouvoir alors que 3 années auparavant, la loi travail et ses manifestations avaient pourtant suscité une violence policière sans équivalent ou presque et déjà ses éborgné.es par flashball. Samedi 6 avril, la manifestation dijonnaise est contrainte, pour éviter gaz, matraques et flashballs de traverser une voie de chemin de fer sur laquelle roulent des trains très régulièrement. Une chance qu’il n’y ait pas de blessé, dans un contexte que d’aucuns ont pu qualifier de guerrier. Mais cet épisode de tension extrême a vu des moments intenses en émotion se produire : des jeunes manifestant.es aidant des personnes âgées ou handicapées à traverser en toute sécurité la voie ferrée. La matraque ne réduit pas au silence la solidarité, l’entraide, la bonhomie et la gentillesse. Bien au contraire, la solidarité démontre qu’en situation d’urgence et de tension, presque de vérité, elle surmonte les barrières de la fragmentation et l’individualisme. Un exemple encore : ce passage se situait à quelque distance d’une mosquée. S’étant rendu.es compte de l’ampleur de la répression, les quelques fidèles présent.es se sont empressé.es de faire sortir plus d’une centaine de personnes par les locaux mêmes de la mosquée pour leur éviter le dispositif policier. Scène impensable au début du mouvement : deux mondes que s’estiment séparés voire opposés, quartiers populaires et Gilets jaunes, se sont rencontrés, remerciés et congratulés chaleureusement. Des barrières sociales sont tombées ce jour-là et le combat antiraciste a marqué des points.
Tout cela grâce à Macron… Ce même Macron qui concentre tous les rejets. Car si le patronat paraît absent de la cible, démontrant que les Gilets jaunes, mouvement composé pourtant pour beaucoup de travailleurs et travailleuses précaires, aux revenus tout juste suffisants, n’est pas un mouvement du monde du travail, l’oligarchie, elle, la connivence et la corruption de sphères du pouvoir politique en sont des cibles majeures. Ainsi de l’ISF ou du CICE2 visant clairement les détenteurs du capital, la haute bourgeoisie et le Medef dont il est à noter la stratégie d’invisibilisation médiatique donnant moins prise au mouvement. Les réalités du travail ne sont, pour autant, pas absentes du mouvement des Gilets jaunes. C’est juste un mouvement « en dehors du travail ». On y constate que, soit le syndicalisme est un grand inconnu (une grande majorité de Gilets jaunes travaille dans de toutes petites structures), soit il n’est là que pour faire décor, très éloigné de la réalité du travail. Notons aussi l’absence du grand patronat et que le « patron », c’est parfois le pote qui bosse comme ses salarié.es. On serait tenté de dire que la semaine les corps souffrent au boulot, le samedi, ils hurlent leur douleur dans la rue.
Ronds-points et cabanes
Depuis début mars, les actes du samedi sont colorés des tons anticapitalistes. Non pas que le k-way noir y soit majoritaire. Non, c’est affaire de maturation politique, initiée sur les points de rassemblements. Pour faire perdurer l’acte initial du 17 novembre, qui a rassemblé plusieurs centaines de milliers de personnes (7 000 sur Dijon, la moyenne syndicale se situant dans la fourchette entre 1500 et 2000) sur plusieurs milliers de lieux de rassemblements, le mouvement a choisi, pour être visible, d’investir les lieux de passage routiers : des ronds-points, des péages d’autoroutes, des entrées de zones commerciales, de dépôts de carburant…. C’est une population majoritairement issue des milieux ruraux, en périphérie parfois très éloignée des centres urbains, très « blanche », marquée politiquement au « centre droit » et ayant voté en grande partie Macron ou déserté les lieux de vote, ulcérée par les taxes pétrolières qui ne cessent d’augmenter et rendent les trajets de plus en plus inabordables. Jusqu’alors isolé.es et dépourvu.es ou presque de vie sociale, les Gilets jaunes se sont retrouvé.es, dès le 18 novembre, avec la volonté de construire dans la durée le mouvement quand bien même « une fois qu’on a tout obtenu, on rentre chez nous et on reprend notre vie comme avant ». Une fois les premières discussions de celles et ceux qui n’avaient jamais parlé ensemble, qui ne se connaissaient pas voire ne s’étaient jamais cotoyé.es, le rond-point devient rapidement un lieu de rendez-vous obligé. Pas de hiérarchie, on est toutes et tous dans la même m…. Et donc, comment vivre avec moins que le SMIC une fois payé les charges, loyers et assurances, quand il reste 100 € pour manger et à plusieurs ? Quand un plein d’essence remet en question le fragile équilibre budgétaire familial ? Quand pas de vacances, pas de loisirs, c’est quoi l’intérêt de vivre en marge d’un monde de consommation en grande partie inaccessible ? Système à changer voire à culbuter, chasser. Mais impossible de faire grève, risquer les comptes dans le rouge, l’engrenage vers celles et ceux qui ont encore moins voire n’ont plus rien. Et pas question d’être des « assisté.es » sociaux, plutôt bosser comme des malades, faire 70 h par semaine même si la vie de famille, c’est le néant, 1 jour par semaine de repos au mieux.
D’où le nécessaire aménagement de ces lieux inhospitaliers et la construction des cabanes et autres bâtiments en dur, toujours plus grands, par l’addition des savoirs faire. Parler, agir, partager sa souffrance mais également joie et l’envie que « tout change » et ensemble. En très peu de temps, revenir en arrière est devenu impossible, l’essentiel est maintenant que le mouvement dure, d’autant que le pouvoir est à ce moment-là (novembre/décembre) totalement muet. Car on n’a pas fait tout cela pour rien et, en plus, vu la liste des revendications, une vie n’y suffira peut-être pas. Rassemblé.es et donc socialisé.es ; aidé.es en cela par un ravitaillement, dans les premiers temps, totalement hors de proportions au point qu’il fallut même construire pour stocker la nourriture. Discuter, se comprendre, rêver, agir en commun (à bloquer l’économie, les raffineries, lever des péages routiers…), des lieux de réunions, parfois même chauffés, sont mis en place. Une énergie collective pour reprendre main sur sa vie, ne plus subir, manger à sa faim quand, par manque de thunes, il n’est parfois pas possible de faire plus d’un repas en 3 jours…. Des liens se tissent, des amours, des inimitiés aussi y compris entre ronds-points. La présence de racistes, des fachos qui disent que c’est « l’autre le problème » divise. Pourtant l’« autre » est lui aussi présent.ee, partage la même galère et la même gamelle. Les stéréotypes et les discriminations peuvent ainsi voler en éclats. De même pour le machisme, lui aussi bien présent, l’égo surdimensionné. Le collectif, arme efficace contre le racisme, le sexisme et l’homophobie ?
Doléances
Ce n’est pas pour rien que le système s’en est pris aux ronds-points et aux cabanes. De tels lieux de socialisation, où l’on combat sa solitude, ses préjugés, sont en réalité des cours de politique en accéléré. Donc dangereux. A partir d’une perception d’une fiscalité pétrolière injuste et des questions de pouvoir d’achat, en de nombreux endroits, les débats ont rapidement porté sur les questions d’égalité, d’injustice en termes de répartition des richesses et donc de justice fiscale, sociale, environnementale. Ce sont toutes les connivences et la réalité d’un système oligarchique, où ce sont toujours les mêmes qui se gavent, qui sont mises à nu. Tout un système à revoir quand on ne s’est jamais intéressé.es au « monde » qui nous entoure, trop occupé.es à occuper sa place aux dépens des autres, pour certain.es à survivre, dans une société qui, quand on l’analyse bien, a besoin de nous mais ne veut pas franchement de nous. L’idée émerge ainsi qu’un autre monde est indispensable, et que là, on peut peut-être commencer à le concevoir. Services publics gratuits, socialisation de la finance mise à disposition de l’intérêt général, nouvelle constitution faisant la part belle aux contre-pouvoirs, aux mandats impératifs et à l’absence de hiérarchie. Reste à savoir comment valider démocratiquement cette impressionnante liste de revendications et/ou cahier de doléances, loin du grand débat du pouvoir, qui n’est pas perçu comme un espace où être (ce serait faire bien trop d’honneur à l’ennemi). De nombreuses AG sont tenues, réunissant toujours plus de monde… pour déboucher sur la décision de fonctionner au consensus et si ce dernier n’est pas possible, vote avec majorité des 2/3. Toute ressemblance…
Reste la nécessité de retrouver un ou des lieux pour se réunir, se former, décider, se construire une « identité », une famille, une classe sociale. Certains songent à réinvestir les ronds-points, d’autres à réquisitionner des locaux pour une Maison du peuple : une tentative a échoué en face de la Maison des syndicats, en face de Solidaires, le syndicat ami qui soutient le mouvement quasiment depuis le départ, a prêté ses locaux, son matériel d’impression, son café, ses contacts, ses conseils…
Syndicats ?
Karine, la trentaine, auxiliaire de vie, payée à peine le SMIC pour 35 heures par semaine (un luxe), mais de nombreuses heures prélevées sans raison par son patron, des conditions de travail déplorables qui provoquent douleurs et TMS3 chez ses collègues plus âgées. Yann, 34 ans, chauffeur routier dans le secteur frigorifique, dos déjà usé par le port répété de charges bien trop lourdes, et donc travailleur devenu handicapé ne disposant pas du matériel adapté, victime d’une homophobie incessante de ses collègues. Manu, artisan tailleur de pierre depuis 18 ans, dont le travail ne suffit pas à vivre un peu plus aisément, la dépense même pas trop conséquente peut rendre les choses compliquées (eh au fait Solidaires, ça syndique les artisans ?). Julie vendeuse dans une grande surface de vêtements discount, job sans réel intérêt avec pour seule motivation la compétition constante avec ses collègues, pour choper des primes de quelques centimes, les syndicats elle connaît, des « balances pour le patron ». Guillaume, 42 ans, ouvrier agricole, au parcours professionnel chaotique, à se faire du blé pendant qu’il le peut encore (et qui aimerait bien construire un peu sa vie « en dur »). Sophie, serveuse à la « Cloche » (le grand hôtel de luxe) parce qu’il faut bien vivre, 26h par semaine payée à peine le SMIC, elle aussi en compétition avec ses collègues, d’où une ambiance pourrie et aucune solidarité. Sandrine, la cinquantaine, aide-soignante en EHPAD, percluse de TMS l’empêchant de soulever son bras de plus d’une dizaine de centimètres, en arrêt et stressée par son retour et son avenir. Marco, étudiant en socio venu sur un rond-point, jamais plus reparti, passé rapidement des convictions macronistes à la gauche dite « radicale ». Ahmed, 25 ans, employé aux toilettes payantes de la gare, sanctionné d’un blâme pour avoir permis à plusieurs manifestants d’uriner gratuitement. Françoise, retraitée de la Fonction publique, vivant seule et ayant dû reprendre un petit boulot d’aide à domicile pour joindre les deux bouts…
C’est tout un monde du travail dégradé, relativement modeste, désenchanté, travail souvent même forcé, qui peuple les rangs des actes du samedi. Un monde en très grande partie inconnu des syndicats, qui font mine d’ignorer que les revendications des Gilets jaunes recoupent en grande partie les leurs…. Mépris envers des manifestants et manifestantes qui ne se seraient pas bougé.es au moment de la loi travail, et dont on clame qu’ils (et elles, mais surtout ils) ne partagent pas nos valeurs antisexistes et antiracistes : surtout un prétexte, la réalité tenant sans doute plus, comme toujours, à la difficulté de prendre en charge le projet interprofessionnel. Et de se confronter à des réalités sociales et demandes qui interpellent et bousculent la pertinence de notre quotidien professionnel et pratiques syndicales de boite. Peur aussi d’être victime de l’arbitraire et de la violence policière. Si la participation de Solidaires aura été essentiellement militante, parfois un peu plus large, elle est néanmoins continue. Sans ostentation, c’est à dire sans drapeaux ou presque, certain.es revêtant des Gilets jaunes, badges, d’autres de simples stickers et autocollants mais prenant soin de toujours rester visibles. Comme une volonté d’équilibre entre présence et discrétion. Ainsi, par la mise en place d’un minimum de service d’ordre, léger mais pourvoyeur de sécurité pour les manifestant.es ; rapidement remarqué et tout aussi vite jugé indispensable. Les drapeaux, ce sera pour plus tard… Des liens se tissent vite ; fusent des questions sur le travail et par-delà sur les conditions de vie. Comme pour des permanences, mais « à l’air libre », des réponses sont données, souvent construites ensemble, rendant intelligible la construction collective et donc syndicale. Quand le mouvement s’éteindra, il se dit qu’un syndicat pourra servir de structure d’accueil pour préserver la flamme (encore vive). Au final, Solidaires apparaît assez bien comme un outil syndical à part, à l’écoute non seulement du monde du travail mais aussi et surtout à l’écoute du mouvement social et de la société en général. D’ailleurs la CGT, qui a refusé de prêter des salles de réunion à l’usage des Gilets jaunes et dont l’appareil s’en tient à distance respectable, colporte la rumeur que Solidaires, c’est le syndicat des Gilets jaunes… Ce qui est une réalité, à Dijon, il fait désormais indiscutablement partie de la famille (gilets) jaune.
1 Maire de Dijon
2 Impôt de solidarité sur la fortune – Crédit d’impôt pour la compétitivité et l’emploi.
3 Troubles musculosquelettiques.
- Dijon : Chez nous - 31 mars 2020