Circulez ! Y a rien à voir
Le président des « riches », qui était venu à Tourcoing vanter les bienfaits de la théorie du ruissellement pour les habitants et habitantes des quartiers populaires, sucre 46,5 millions d’euros du budget de la politique de la ville, gèle des contrats aidés, annule 184,9 millions d’euros de crédits pour le logement social, et baisse les Aides personnalisées au logement (APL) pour pas moins de 5,5 millions des personnes les plus paupérisées. A aucun moment, Macron n’envisage de redonner simplement ce qui relève du droit commun à ces municipalités qui fonctionnent avec un budget de moins de 30% que les autres. Mais tout va bien ! Pour ce qu’il nomme « la reconquête républicaine », il envisage d’envoyer plus de policiers dans une soixantaine de quartiers. Peu importe que le chômage des moins de 30 ans y soit en moyenne de 35%, que dans certains quartiers ce soit même 50%, peu importe que la précarité y soit endémique. Peu importe, car ce qui compte c’est l’assèchement de nos revenus, la liquidation de nos services publics, y compris dans les quartiers paupérisés où ils sont le plus nécessaires, pour arroser davantage les plus fortunés. Mais évidemment, le risque est grand que ces mêmes quartiers se révoltent ; il leur faut donc assumer une gestion ordo-libérale. Pour nous, la misère et la répression. Le racisme institutionnel, c’est précisément cette gestion de sous-dotation par l’Etat de zones ségréguées qui concentrent des populations noires, arabes et des femmes de familles monoparentales. Le racisme institutionnel, c’est précisément d’y envoyer plus de flics.
Dans nos quartiers, la police mutile, viole et tue. Le risque est chaque jour plus grand de porter le deuil. Les commémorations de ceux morts dans les mains de la police se succèdent dans notre agenda militant. On se doit d’y ajouter les victimes de la police que sont ceux et celles qui sont totalement invisibilisé.es, parce que migrants et migrantes. Ils nous font la guerre en tenue de char d’assaut pour ce que nous sommes. Et pour chaque arabe et noir assassiné au printemps de sa vie, s’organise une première marche blanche. S’en suivent des révoltes, dont certains ne veulent voir que les fumées noires ; d’autres y verront la lumière des flammes sur un quotidien qui n’en peut plus des stigmatisations racistes. A l’emploi, au logement, à l’école, tout dysfonctionne, tout ramène à un statut d’infériorité, et ce racisme structurel prend toute son ampleur avec la police. Lamine Dieng dont on s’apprête à commémorer la mort avait 25 ans, Adama Traoré devait fêter le jour de son assassinat ses 24 ans, Amine Bentounsi tué d’une balle dans le dos avait 28 ans. La liste est longue et s’allonge beaucoup plus vite ces derniers temps. Depuis le vote à l’Assemblée nationale, il y a un peu plus d’un an et avec une écrasante majorité, de la loi de « présomption de légitime défense » pour les policiers, le bilan de l’année 2017 est accablant. Le chiffre sera rendu public prochainement dans le rapport établi par le collectif « Urgence notre police assassine », mais le nombre de tués par balle a été au moins multiplié par deux par rapport aux autres années.
Le quotidien des jeunes des quartiers reste un harcèlement physique et moral continu de la part de la police. Alors même que l’Etat français a été condamné à deux reprises pour contrôle aux faciès, cette cérémonie de dégradation s’amplifie avec des violences qui portent atteinte à l’intégrité des victimes. A Argenteuil, comme le montre une vidéo de témoignage de jeunes et de parents de quartiers populaires1, une femme explique qu’un policier ayant craché au sol a exigé que son enfant de quinze ans se mette à quatre pattes pour essuyer ce crachat avec sa main. Dans le XIIème arrondissement de Paris, plusieurs jeunes ont décidé de présenter une plainte collective rassemblant 44 griefs contre les policiers d’une brigade appartenant à un groupe de sécurité de proximité, surnommée la brigade des tigres. Yassine M. explique que ce sont trois à quatre contrôles policiers par semaine en moyenne qu’il subit. Parfois, ces contrôles sont accompagnés de coups et d’insultes, après ou avant une virée au poste, et de palpations et de fouilles pudiquement qualifiées d’humiliantes quand il s’agit, selon le récit du plaignant, de doigts dans les fesses. Ces palpations que l’un des policiers appelle « le rituel de vérification », s’accompagnent de propos du type « Ça te fait quoi quand je te passe un doigt dans le cul ? ». A ce jour, plusieurs collectifs contre les violences policières se sont constitués ; ils ont récemment appelé à une nouvelle marche de la Dignité. Beaucoup dans les quartiers savent qu’ils ne peuvent pas compter sur la justice tant l’impunité policière est flagrante. La France a d’ailleurs été interpellée par le faux-commissariat aux droits de l’Homme des Nations Unies à Genève sur la question de « l’impunité des forces de l’ordre », à la suite des affaires François Bayiga, Adama Traoré et Théo Luhaka.
Pour l’essentiel, les affaires sont classées, dans le cas où en amont les policiers ont accepté d’enregistrer la plainte. Les rares condamnations à l’encontre des policiers se traduisent, pour la majorité, par des amendes de 724 euros en moyenne. Ne cherchez pas de la prison ferme, même lors d’assassinats : les seuls cas, très rares, enregistrés sur 30 ans ne touchent que des policiers hors service. La seule stratégie de défense des victimes de ces violences policières racistes, reste de filmer la police en amont. La circulaire numéro 2008-8433-D du 23 décembre 2008 nous autorise légalement à le faire. Mais cela n’empêche pas que des policiers volent les portables et les cassent.
On pourrait croire que la lutte pour la dignité est perdue devant un tel rapport social de domination systémique et structurel ; il n’en est rien. Les collectifs contre ces violences se battent, et l’envoi récent de l’armée en treillis à Beaumont-sur-Oise, face à des enfants noirs et arabes qui se sont retrouvés pour quelques activités sportives en hommage à Adama Traoré, n’intimide ni sa sœur Assa qui dénonce cette gestion coloniale des quartiers, ni l’ensemble du collectif qui exige la libération des frères d’Adama et la fin du harcèlement sur leur famille.
En réalité ce chemin de lutte c’est le chemin de dignité, et si parfois les victimes du racisme sont invitées à parler, à visibiliser leurs luttes, le plus souvent, y compris dans les organisations de transformation sociale, elles sont ignorées ; ou alors, on estime que leur combat est un combat secondaire. Alors parfois, sans être invitées, elles entrent par effraction dans le paysage des mobilisations et imposent leurs luttes, leurs stratégies. Le motif est simple : les premières et les plus grandes victimes du néo-libéralisme, sont aussi les premières victimes des violences policières.
Omar Slaouti.
1 https://youtu.be/AIHNFcsZmHY
- Circulez ! Y a rien à voir - 25 février 2019