Fiscalité et Sans papiers
En 2008, Solidaires Finances Publiques a activement participé au lancement de la campagne « Racket », en vue d’obtenir une régularisation globale, dans l’esprit de celles déjà effectuées en France et en Espagne : si, en 1982, le gouvernement de l’époque a pu régulariser 124 000 Sans papiers et si l’Espagne en a fait de même en 2005 pour 600 000, pourquoi serait-ce impossible aujourd’hui ? Le gouvernement devrait pourtant être sensible au fait que le Produit intérieur brut espagnol a cru de 3,5 points l’année de cette 6ème régularisation massive en 15 ans. Mais notre première implication dans la défense des travailleurs et travailleuses sans papiers est née un peu avant, lors d’une rencontre, en novembre 2007, entre Droits devant !!1, la CGT Finances et nous-mêmes, pour réagir à la publication par le ministère de l’Economie, des Finances et de l’Emploi de la liste des 152 métiers dits « en tension », ceux-ci devenant inaccessibles à certains immigré.es sans papiers, en fonction de leur pays d’origine. Ensuite, le déclenchement de la grève des travailleurs sans papiers, en octobre 2009, avec le formidable impact qu’elle a eu sur l’opinion publique, et l’approfondissement des réflexions sur le sujet « fiscalité et Sans papiers », ont naturellement conduit notre organisation à s’investir fortement dans la lutte pour la régularisation, en prenant l’angle de son champ professionnel, la fiscalité, pour interpeller le ministère des Finances et tenter ainsi de peser sur les choix gouvernementaux.
Durant ces 3 premières années de luttes, deux faits méritent une évocation toute particulière :
- A chaque réunion à Bercy, entre le ministère et les organisations de la campagne « Racket », des travailleurs et travailleuses sans papiers étaient présent.es dans notre délégation. C’est une première forme de reconnaissance de leur légitimité et de leur lutte.
- A l’occasion de l’organisation des permanences militantes fiscales pour aider les Sans papiers à déclarer leurs revenus, les services de Bercy nous ont fait livrer 3 000 déclarations d’impôts vierges ! Mais si nous avons réussi à porter ce sujet au plus haut niveau du ministère des Finances, avec la tenue de plusieurs réunions à Bercy, présidées par des hauts fonctionnaires expressément mandatés par les ministres successifs, la régularisation du plus grand nombre demeure encore un combat. Cela dit, l’administration fiscale a, de fait, reconnu leur existence, et par les temps qui courent, c’est déjà presque une victoire
30 novembre 2007 : première manifestation de Sans papiers devant Bercy
Plus de mille travailleurs et travailleuses sans papiers et leurs soutiens ont manifesté le 30 novembre 2007, entre Bastille et Bercy. Dans le cortège, nombre d’entre eux et elles brandissaient leurs déclarations de revenus et leurs avis d’imposition (ou de non imposition). A l’issue de la manifestation, un conseiller de la ministre Lagarde a reçu une délégation qui lui a présenté les revendications des sans papiers : « la liste des 152 métiers sous tension, publiée par le Ministère de l’ économie, des finances et de l’emploi, réservée à des ressortissant.es de certains pays, doit être aussi, et dans les meilleurs délais, être ouverte aux travailleurs et travailleuses sans papiers de l’Afrique, de l’Asie, de l’Amérique du Sud, etc., qui travaillent , aujourd’hui et déjà depuis plusieurs années, dans les secteurs professionnels identifiés comme le BTP, le nettoyage, la restauration, l’aide à la personne…pour ne donner que quelques exemples ».
Par ailleurs, la délégation a remis officiellement au conseiller de Madame Lagarde, une liste de 1 200 noms de travailleurs et travailleuses sans-papiers, en vue de leur régularisation par le travail. Enfin, Solidaires Finances publiques, en sa qualité de syndicat des agents des Impôts et du Trésor, a fait part de ses plus vives condamnations et inquiétudes, s’agissant de la saisine inacceptable de certaines administrations publiques de l’Etat afin que ces dernières fournissent des informations et participent même à des opérations de vérification de la régularité du séjour des personnes étrangères. Durant l’hiver 2007-2008, plusieurs Sans papiers furent régularisés, mais au cas par cas… Pour Solidaires Finances publiques, un colossal chantier revendicatif s’ouvrait et une stratégie à long terme de mise sous pression de Bercy allait prendre forme.
L’aspect fiscal de la campagne « Non au racket sur les cotisations sociales des travailleurs sans papiers, non à l’injustice fiscale »
Orientée dans un premier temps sur l’aspect « cotisations sociales », la campagne prend appui depuis fin 2009 sur la relation entre l’impôt et les travailleurs et travailleuses sans papiers. En effet, elles et ils déclarent leurs revenus, payent de la TVA, mais n’ont aucun droit en retour. Pire encore, le traitement de leurs déclarations fiscales est fortement inégalitaire et nous avons recensé trois cas de figure discriminants :
- soit la déclaration est correctement « taxée », mais sans la moindre reconnaissance citoyenne en retour, alors que contribuer au fonctionnement de la société par sa contribution fiscale est un acte citoyen inscrit dans la déclaration des droits de l’Homme de 1789 (article 14, consentement à l’Impôt) ;
- soit la déclaration n’est volontairement pas « taxée », suite à des ordres manifestement illégaux donnés dans certains Centres des impôts ;
- soit le quotient familial et le barème de taxation ne sont pas correctement appliqués : quand un travailleur prête son « identité » à d’autres, tous les revenus des 3, 4 ou 5 personnes travaillant sous la même identité sont imprimés sur la déclaration de revenus pré-remplie du « prêteur ». Même si la somme due est répartie entre eux, de fait, elle n’est pas calculée conformément aux lois de la République et aux dispositions du Code général des impôts.
Face à de telles injustices, Solidaires Finances publiques s’est inscrit dans une campagne d’actions en plusieurs actes, étalée sur plusieurs années, pour obtenir la régularisation des travailleurs et travailleuses sans papiers et aussi pour œuvrer à la fédération des différents mouvements et collectifs. Au fond, sur ce sujet sensible et important, notre demande est simple : tous les contribuables, c’est-à-dire celles et ceux qui contribuent aux charges publiques ou qui manifestent leur consentement à la contribution commune, doivent être traité.es sur le même pied d’égalité. Ce qui signifie notamment que, lors de la prise en charge de la déclaration, lors de la gestion et lors du traitement contentieux, il ne doit pas y avoir de différence dans la façon dont sont traité.es les contribuables (origine du déclarant, adresse du foyer où il est hébergé…).
En fin d’année 2009, en complément de la grève des travailleurs et travailleuses sans papiers, plusieurs Collectifs de Sans papiers (CSP) ont occupé des Centres des impôts, à Nice et à Créteil notamment. Pour Solidaires Finances publiques, ce type d’action est tout à fait légitime, mais il devait être coordonné pour pouvoir réellement interpeller les autorités administratives et politiques de Bercy. C’est pourquoi nous avons élaboré une stratégie d’actions en plusieurs actes, stratégie destinée à obliger le ministre du Budget et des Comptes publics à reconnaître les travailleurs et travailleuses sans papiers en tant que contribuables. Mais, tout en considérant que ce premier pas franchi pouvait ouvrir le chemin vers d’autres formes de reconnaissance, il fallait néanmoins s’assurer que les actions à mener ne mettent pas en danger d’arrestation les sans papiers qui y participeraient. De toute évidence, et à l’instar des mobilisations « ordinaires » des travailleurs et travailleuses, l’action de masse, médiatisée et soutenue sans réserve par les agents et les organisations syndicales de l’administration concernée, était la solution à mettre en œuvre. Durant toute la période d’actions et de sensibilisation qui allait s’ouvrir, seule l’unité syndicale a fait défaut, les autres organisations étant soit indifférentes, soit uniquement impliquées sur la grève lancée en octobre 2009. Du côté des Sans papiers, ceux et celles de Droits devant !!, des CSP du 17ème arrondissement de Paris, de Créteil et de Seine Saint Denis, de l’ATMF2 et du Ministère de la régularisation3 ont massivement répondu présent.es.
L’occupation de la Direction des services fiscaux de Paris centre
Le 1er acte s’est donc déroulé le 12 janvier 2010, jour où 200 travailleurs sans papiers ont occupé la Direction des services fiscaux de Paris centre, pour obtenir une audience à Bercy sur leur traitement fiscal inégalitaire, injuste et même parfois illégal. Il aura fallu 4 heures à l’administration des Finances publiques pour qu’elle accepte ces demandes. Pendant ce temps, les militants et militantes de Solidaires Finances publiques ont distribué aux agents un tract expliquant les raisons de cette mobilisation et le maire du 2ème arrondissement, Jacques Bouteau, s’est déplacé pour soutenir le mouvement. France Info et le Monde ont couvert l’ensemble de l’occupation. Par cette action aux Impôts, qui prolongeait celles menées à l’URSSAF, à la CNAV, à l’OIT et auprès de plusieurs consulats, les travailleurs et travailleuses sans papiers et les organisations qui les soutiennent ont interpellé le gouvernement pour lui demander la régularisation globale et un traitement des déclarations de revenus conforme aux lois. S’ils et elles payent de la TVA, ils et elles souhaitent aussi payer justement leur impôt sur le revenu !
Les travailleurs et travailleuses sans papiers ont également demandé à être reçu.es par le directeur général des Finances publiques, pour qu’il s’explique sur les ordres manifestement illégaux donnés dans des centres des Impôts, ordres qui provoquent la non-taxation de déclarations de revenus déposées par des Sans papiers, et sur le fait que ces dernier.es n’aient aucun droit citoyen en retour de leurs contributions fiscales. Cette audience aura lieu quelques semaines plus tard, précédée d’une manifestation arrivant à Bercy. Tous les travailleurs et travailleuses sans papiers et leurs organisations étaient invités à y participer.
Depuis des décennies, la majorité des 400 0004 Sans papiers en France sont des travailleurs et travailleuses déclaré.es, en CDI, CDD ou en intérim renouvelé, avec des papiers incomplets ou faux sur lesquels les patrons ferment les yeux. Dans cette situation, ils et elles payent impôts, taxes et cotisations sociales, sans pouvoir bénéficier des droits et des prestations qui y sont attachés (retraite, allocation chômage, logement social, services publics et citoyenneté, etc.). Ces travailleurs et travailleuses, même lorsqu’ils ou elles obtiennent leur régularisation, ne bénéficient aucunement des droits attachés aux cotisations versées. L’Etat français, par l’intermédiaire de l’URSSAF, des ASSEDIC, des Caisses de retraite, du Trésor Public, encaisse ainsi environ 2 milliards d’euros par an sans jamais décaisser, ni donner de droits en retour. Les autres Sans ppapiers, par dizaines de milliers (notamment les femmes) sont contraint.es au travail dissimulé (dit « au noir »), permettant à bon nombre de patrons de surexploiter ces esclaves modernes, flexibles à merci, sans verser de cotisations à l’URSSAF.
Concernant la situation des travailleurs et travailleuses sans papiers au regard de l’impôt, les injustices sont également flagrantes et insupportables : Toutes et tous payent des impôts, que ce soit sur leurs revenus, car ils et elles sont une majorité à les déclarer, et sur la consommation puisqu’ils et elles payent systématiquement la TVA. Certain.es, qui cumulent plusieurs revenus sur leur déclaration pré-remplie car ils prêtent leur « identité » à d’autres, ne sont pas taxés justement au regard de leur quotient familial. En retour, alors qu’ils et elles contribuent, comme devrait d’ailleurs le faire chaque citoyen.ne français.e, en fonction de leurs possibilités, au budget de l’Etat, celui-ci ne leur accorde aucun droit citoyen et s’obstine à les chasser pour les reconduire à la frontière. Pire encore, dans certains cas, leur déclaration de revenus leur est renvoyée sans taxation, c’est-à-dire non prise en compte.
2 000 Sans papiers marchent sur Bercy
Le 4 février 2010, 2 000 Sans papiers ont défilé, de la Place d’Italie vers Bercy, à l’appel des organisations membres de la campagne « Non à l’injustice fiscale, non au racket sur les cotisations sociales » ; encore une fois, nombre d’entre eux et elles brandissaient leurs déclarations de revenus et avis d’imposition.
A l’issue de cette manifestation, et grâce à la pression mise lors de l’occupation du 12 janvier, une délégation, composée de 9 Sans papiers et de 5 militants syndicaux ou associatifs, fut reçue au ministère des Finances par la chef du service de la fiscalité, expressément mandatée par les ministres Woerth et Lagarde. Cette journée marque une étape importante dans la lutte des travailleurs et travailleuses sans papiers pour leur régularisation. En effet, avec cette audience accordée par Bercy, donc au cœur de l’appareil d’Etat, avec une mobilisation exceptionnelle des collectifs de Sans papiers et de leurs soutiens pour réussir la manifestation, avec une oreille attentive du ministère, les injustices provoquées par la non régularisation ont été portées à un niveau décisif pour les faire cesser. Pendant plus d’une heure, nous avons exposé toutes les injustices sociales et fiscales dont sont victimes les travailleurs et travailleuses sans papiers, témoignages à l’appui, et exigé une prise de position des deux ministres. Sans surprise, seul E. Woerth a répondu, en nous renvoyant vers le ministre de l’Immigration et de l’identité nationale ; il s’est réfugié derrière les circulaires permettant aux préfets de ne régulariser au compte-goutte que quelques personnes parmi les 400 000 surexploité.es en France. Surtout, il a ignoré la question la plus significative de notre lutte : comment le ministre du Budget et des Comptes publics peut-il accepter que le gouvernement dont il est membre, favorise le travail au noir, donc la fraude fiscale, en ne régularisant pas les travailleurs et travailleuses sans papiers qui participent activement à l’économie dans le bâtiment, la restauration, l’intérim et l’aide à domicile notamment ?
Nous avons également interpellé son successeur, F. Baroin, dès son arrivée à Bercy et il ne nous a jamais répondu. Mais ce blocage, certes prévisible, ne résistera pas au temps ni surtout aux autres actions que nous allions mener ; une réunion technique eût bel et bien lieu le 12 juillet 2010, 6 mois jour pour jour après la 1ère occupation d’un service des impôts. Incontestablement, la situation des travailleurs et travailleuses sans papiers, lorsqu’elle est évoquée honnêtement dans toutes ses dimensions (humaine, sociale, économique, fiscale, etc.) devant nos dirigeants, met ces derniers dans un embarras tel qu’ils préfèrent répondre par la répression et les expulsions, y compris vers des pays où la guerre sévit. Pendant ce temps, les déclarations patronales en faveur d’une régularisation « simplifiée » des travailleurs et travailleuses sans papiers se multipliaient !
Concernant les pures injustices fiscales, (déclaration 2042 non prise en compte, reprise de prime pour l’emploi, quotient familial non retenu car travailleur seul en France, déclaration pré-remplie avec plusieurs salaires versés à un seul nom…) que l’on a découvert en discutant avec les Sans papiers, Bercy a refusé la tenue d’un groupe de travail spécifique « fiscalité et Sans papiers », au motif que la législation fiscale actuelle répondait aux problèmes ! En se voilant ainsi la face, l’administration contribue de nouveau à créer des injustices fiscales et n’a, en plus, aucune honte lorsqu’elle encaisse les impôts dus par ces Sans papiers qui ont des fiches de paye mais pas le moindre titre de séjour. En fait, elle préfère ignorer que s’ils et elles sont sur notre territoire, c’est pour travailler, en particulier dans les secteurs où il y a pénurie de main d’œuvre, ce qui fait que nombre d’entre eux payent des impôts.
Ils vivent ici, ils bossent ici, ils payent leurs impôts ici, ils restent ici !
Les Sans papiers sont, avant tout, des gens qui ont du fuir leur pays à contre cœur, à cause de guerres, de famines, de plans d’ajustement structurel dictés par le Fond monétaire international et la Banque mondiale, ces institutions qui étranglent économiquement et endettent de manière exponentielle les pays du Sud. Originaires pour la plupart de nos anciennes colonies, ils et elles se réfugient naturellement en France, pays des droits de l’Homme et du citoyen, pour y travailler et y gagner de quoi faire survivre leurs proches. Suprême hypocrisie, l’argent ainsi envoyé à leurs familles représente trois fois l’aide publique au développement alloué par le gouvernement français aux pays africains…
L’opération « les Sans papiers déclarent leurs revenus »
Après avoir réussi les deux premières actions de la campagne « Non à l’injustice fiscale », en janvier et février 2010, il fallait passer à une étape supérieure, celle qui permettrait, d’une part d’accentuer la pression sur Bercy, d’autre part de sensibiliser encore un peu plus l’opinion publique et les agents des Impôts et du Trésor. L’importance politique et pratique du dépôt, par les Sans papiers, de déclarations de revenus fut donc mise en avant, d’autant plus que la date limite de dépôt approchait (le 31 mai) et que cette période connait toujours un certain retentissement médiatique. Le printemps a donc été mis à profit pour :
- convaincre les travailleurs et travailleuses sans papiers qui ne le faisaient pas encore de déclarer leurs revenus à l’administration fiscale, même lorsqu’ils proviennent d’une activité dissimulée (travail au noir) ;
- organiser des permanences fiscales militantes, les 17 et 18 mai, aux sièges des organisations membres de la campagne « Racket »
Un tract intitulé « Déclarer ses revenus aux Impôts, c’est lutter pour la régularisation ! » a été réalisé et distribué massivement dans les foyers et dans les associations de soutien aux immigré.es. L’intérêt de cette opération fût tel que le GISTI et la FASTI décidèrent à cette occasion de s’associer à notre stratégie. L’élargissement du mouvement devenait une réalité. A notre grande surprise, les services de Bercy répondirent favorablement à notre demande, en nous livrant 3 000 déclarations de revenus vierges pour tenir ces permanences.
De nombreuses anomalies dans le traitement de dossiers par l’administration fiscales ont été relevées. Pour les résoudre, la régularisation (titre de séjour) est la solution idéale. Mais dans l’attente de cette décision, l’administration fiscale doit prendre des mesures pour que les injustices fiscales cessent. Après la réussite des permanences, il fallait donc trouver le moyen d’obliger Bercy à organiser la réunion technique dont la tenue avait été refusée par E. Woerth. Ainsi, la nouvelle étape de la campagne prendra la forme d’une occupation d’un centre des Finances publiques (nouvelle appellation des Centres des impôts) le jour de la date limite de dépôt des déclarations de revenus, le 31 mai. En déclarant leurs revenus et en le faisant savoir, les travailleurs sans papiers ont rempli un devoir citoyen, ils en acceptent les obligations et exigent en retour que leur participation active à l’économie française et à la vie sociale soit reconnue. En les aidant à remplir leurs « obligations déclaratives », les militants et militantes des organisations syndicales et associatives ont commis un délit de solidarité : obligations d’un côté, délit de l’autre, seule la régularisation peut stopper l’hypocrisie !
Le dépôt des déclarations des Sans papiers au Centre du 16ème arrondissement, à Paris
Lundi 31 mai, dans le cadre de la campagne « Non au racket sur les cotisations sociales, non à l’injustice fiscale », 200 travailleurs et travailleuses sans papiers, muni.es de leurs déclarations de revenus, se sont rendu.es au Centre des Finances publiques du 16ème arrondissement de Paris, pour déposer leurs déclarations et exiger d’être reconnu.es comme des contribuables à part entière. Ce centre avait été choisi car il a la particularité de rembourser énormément d’impôts aux plus aisé.es, via le système du bouclier fiscal. A l’issue de cette action, les manifestants et manifestantes ont rejoint les grévistes qui occupaient les marches de l’Opéra Bastille, jour et nuit, depuis jeudi 27 mai. Après deux heures de manifestation et d’occupation pacifique, Bercy a accepté de tenir, dans les jours qui suivaient, la réunion technique que nous réclamions depuis 6 mois sur la situation des travailleurs et travailleuses sans papiers au regard de la fiscalité. Près de 2 000 tracts expliquant les raisons de la mobilisation des travailleurs et travailleuses sans papiers ont été distribués aux agents des Impôts présent.es sur place et surtout aux contribuables venant déposer leur déclaration. Nous avons ainsi pu mesurer en direct que l’opinion publique était de plus en plus sensible à la cause des travailleurs et travailleuses sans papiers et que leur régularisation est largement souhaitée. France 3, Libération, l’Humanité, les Echos et l’AFP ont relayé cette action du 31 mai.
Bercy, enfin à l’écoute, réfléchit à leur prise en charge fiscale…
Suite à cette occupation du 31 mai, une réunion technique a donc eu lieu le 12 juillet entre les services de Bercy en charge de la fiscalité (application, juridique, contrôle fiscal) et une délégation de la campagne « Racket » (Droits devant !! et Solidaires Finances Publiques). Pendant deux heures, après avoir rappelé que seule la régularisation globale permettrait de mettre fin aux injustices, nous avons évoqué toutes les situations particulières rencontrées par les travailleurs et travailleuses sans papiers au regard de la fiscalité. Nous avons particulièrement insisté, documents à l’appui, sur :
- les craintes et la peur provoquées par la réception de certains courriers administratifs (convocation avec pièce d’identité), qui conduisent les sans papiers à ne pas oser se rendre devant un fonctionnaire des Impôts et donc à ne pas obtenir d’avis d’imposition ou de non imposition ;
- le fait que les travailleurs et travailleuses sans papiers contraint.es de travailler « au noir », mais qui souhaitent déposer leurs déclarations de revenus, sont obligé.es de rembourser leur éventuelle prime pour l’emploi, ou de ne pas recevoir d’avis (quand l’administration préfère les ignorer) ;
- le manque de compréhension de l’administration quant à leurs conditions d’hébergement, donc de domiciliation fiscale (4 matelas dans 11m2, ça existe, malheureusement) ;
- l’existence d’associations et de syndicats qui pourraient se porter garants de l’authenticité des déclarations de travailleurs et travailleuses sans papiers ;
- les méthodes douteuses de certains employeurs qui établissent de fausses fiches de paie et qui, de ce fait, mettent les Sans papiers encore plus en difficulté lorsque l’administration fiscale les examine en étant alors induite en erreur ;
- les conséquences de la Déclaration pré-remplie quand plusieurs travailleurs sans papiers sont déclarés sous le même nom (donc surimposés) et les difficultés qu’ils rencontrent en cas d’homonymie ou d’utilisation d’un alias.
Sur tous ces points, l’administration a eu une écoute attentive et une nouvelle rencontre était annoncée pour septembre. Pour les organisations de la campagne « Non au racket sur les cotisations sociales, Non à l’injustice fiscale », il était urgent que Bercy publie une note interne appelant l’attention des agents de la DGFiP et leur donnant des directives claires pour examiner les situations de cette population très particulière mais néanmoins soucieuse d’être traitée avec le respect et les droits qu’elle mérite.
A l’automne 2010, la lutte continue…
Après la réunion du 12 juillet à Bercy, une nouvelle séance de travail avec le ministère doit avoir lieu en septembre. De toutes façons, après la réussite des permanences fiscales, nous assurions le suivi des Sans papiers qui ont déposé leur déclaration de revenus et continuions de recenser tous les problèmes auxquels ils sont confrontés (convocation avec pièce d’identité, demande de justificatifs, etc.), pour intervenir chaque fois que c’est nécessaire auprès des services fiscaux. De plus, dans le cadre de la publication fin septembre de l’audit commandé par Besson sur le « coût des immigrés », nous avions décidé de contre attaquer dès sa sortie, de façon très offensive, sur les apports des immigré.es. Cette action aura comme support le bilan de la campagne « Racket » depuis qu’elle a été lancée. Durant les années suivantes, la campagne s’est poursuivie en augmentant le nombre de permanences fiscales chaque printemps, y compris en province (Lille, Lyon, Angers…), en occupant à plusieurs reprises des Centres des Finances publiques afin de peser sur Bercy et en améliorant notre matériel pédagogique à destination des Sans papiers.
23 décembre 2010, V. Pécresse reconnaît l’égalité fiscale pour les Sans papiers !
Alors que ses prédécesseurs n’avaient jamais daigné nous répondre, Valérie Pécresse nous a adressé un courrier qui précise : « j’ai demandé à la DGFiP que la note adressée aux CFP en vue de la prochaine campagne de déclarations de revenus mentionne explicitement qu’il faut traiter de manière homogène les déclarations de revenus des travailleurs sans papiers ». Si cette reconnaissance officielle est une avancée non négligeable pour notre lutte, la régularisation étant la seule solution permettant l’arrêt des injustices, elle va aussi aider les agents des Finances publiques dans leurs relations avec ces contribuables. En tous cas, une hypocrisie est tombée : à partir du moment où l’administration fiscale envoie des déclarations de revenus pré-imprimées, voire pré-remplies pour certaines, à des milliers de travailleurs et travailleuses sans papiers, c’est bien la moindre des choses d’affirmer qu’ils et elles doivent être traité.es de manière homogène. Mais la Ministre n’a pas souhaité intervenir auprès de son collègue de l’Intérieur, comme nous le lui avions demandé, afin de lui suggérer de réviser les critères de régularisation. En effet, à partir du moment où un ministère aux missions régaliennes reconnaît l’existence des travailleurs et travailleuses sans papiers et accepte leurs impôts, la logique voudrait que tous les services de l’Etat, préfectures comprises, fassent de même.
Mai 2012 : Les Sans papiers reçoivent leur déclaration de revenus pré-imprimée à leur nom et adresse !
Brandissant la photocopie de leur déclaration de revenus 2011, une centaine de Sans papiers (Droits devant !! et CSP 17ème) et leurs soutiens ont manifesté devant le ministère de l’Economie et du Budget, le 31 mai 2012, date limite pour le dépôt de la déclaration. Plusieurs médias, dont l’AFP, étaient présents. Cette manifestation faisait suite aux permanences fiscales des 23 et 24 mai, qui ont aidé 250 Sans papiers à remplir leurs obligations fiscales. Une délégation de 8 militants (Union SNUI-SUD Trésor Solidaires, Droits devant !!, CSP 17ème et RESF) a été reçue pendant une heure par la chef du service de la Fiscalité. Elle a d’abord affirmé qu’elle ferait un compte rendu précis aux nouveaux ministres, accompagné d’un rappel de nos interventions depuis 3 ans. Ensuite, après avoir rappelé l’effort de clarté de l’administration en direction des agents des Finances publiques (une instruction interne précise pourquoi et comment prendre en compte les déclarations de revenus des Sans papiers), la représentante du ministre a confirmé que la DGFiP ne donnerait pas d’information aux services de police concernant les Sans papiers. Notre délégation a pris bonne note, rappelant néanmoins que certains Sans papiers n’avaient toujours eu aucun retour suite au dépôt de leur déclaration en 2011. Nous avons ensuite insisté pour que le nouveau ministre de l’Economie, et son délégué au Budget, interviennent auprès de leur collègue de l’Intérieur, en faveur d’une mesure de régularisation globale, seule façon d’en finir avec les injustices. A titre d’exemple, nous avons évoqué la prime pour l’emploi que ne peuvent recevoir les Sans papiers contraint.es de travailler « au noir » du fait de leur non régularisation. Si l’administration fiscale reconnaît l’existence des sans papiers en leur envoyant une déclaration de revenus pré-imprimée à leurs noms et adresses, le gouvernement doit les régulariser ! En fin de réunion, la délégation a déclaré que le changement de gouvernement avait fait naître un fort espoir de régularisation pour les Sans papiers et que si cet espoir était déçu, les actions d’occupation reprendraient de façon plus dure.
La mobilisation continue, malgré la circulaire Valls…
En décembre 2012, les Sans papiers du CSP 17ème, de Droits devant !!, du CTSP Vitry 94, des CSP 75, du 93 et leurs soutiens (associations, syndicats dont Solidaires Finances Publiques) se sont à nouveau mobilisés pour exiger une loi de régularisation. La « circulaire Valls », en imposant des critères restrictifs, ne permettait nullement de régulariser les Sans papiers vivant et travaillant en France. Les critères de cette circulaire permettent encore et toujours les arrestations et les reconduites à la frontière. Ils maintiennent encore et toujours des centaines de milliers d’êtres humains dans la précarité, la misère, la peur et surtout dans une exploitation néocolonialiste.
Les 42 organisations de la campagne « Stop au Racket » se sont adressées au gouvernement par l’intermédiaire des ministres de Bercy, mais ce fut le silence. Face à ce mépris, les Sans papiers sont venu.es chercher une réponse, en occupant le Centre des Finances publiques de Paris Saint Sulpice, le 18 décembre 2012 (date de la journée internationale des migrant.es, organisée par l’Unesco). Après deux heures d’occupation pacifique avec distribution de tracts aux agents présents dans les étages et aux contribuables que nous laissions accéder librement aux nombreux services du site, une première réponse tombait : « La DGFiP accepte de recevoir une délégation, mais sans la présence d’un membre du cabinet des ministres ». Quel manque de courage politique ! Le gouvernement ne daignait pas nous écouter, refusait de prendre ses responsabilités et se contentait de nous renvoyer sur l’administration ! Finalement, face à la détermination des manifestants et manifestantes, qui ont aussi su ignorer les provocations policières mesquines et racistes (arrachage des drapeaux des CSP mais pas des syndicats, mise dans une poubelle de la banderole du CSP 94…), le ministre a finalement accepté qu’un membre de son cabinet reçoive début janvier une délégation de Sans papiers, reconnaissant ainsi le niveau politique et syndical de notre action et de nos revendications.
Nouveau ministre, nouvelle audience…
Une délégation (Solidaires Finances Publiques, CSP 17éme St Just, Droits devant !!, CTSP 94 Vitry, ATMF, Solidaires SUD Emploi, SUD Travail) a rencontré le conseiller social et économique des ministres Moscovici et Cahuzac le 17 janvier 2013. Dans un premier temps, celui-ci a tenté de dédouaner ses ministres, en rejetant le sujet de la régularisation sur le seul ministre Valls, et en se retranchant derrière l’excuse de la « nécessaire gestion des flux migratoires et de la solidarité gouvernementale ». Après avoir démonté, point par point, ses propos et le fantasme de l’appel d’air (les migrations ont toujours existé ; les Sans papiers quittent leur pays sous la contrainte du chômage, des guerres, des famines ; les barbelés aux frontières ne les arrêteront jamais…), nous lui avons rappelé que nos questions étaient adressées aux ministres de l’Economie, des Finances et du Budget car leurs contenus relèvent exclusivement de leurs domaines de compétence gouvernementale. Nous avons également déclaré que ces deux ministres avaient le devoir d’interpeller leur collègue de l’Intérieur à partir du moment où l’administration des Finances publiques reconnaissait l’existence des Sans papiers, en acceptant leurs déclarations de revenus et leurs impôts.
Un tout autre débat s’est alors engagé, sur la base de l’argumentaire de la campagne « Racket » : l’apport des Sans papiers à l’économie française est indiscutable, les patrons profitent des travailleurs et travailleuses privé.es de leurs droits élémentaires, l’absence de mesures de régularisation globale favorise la fraude fiscale et sociale, le montant des taxes pour l’obtention d’un titre de séjour est un racket, des Sans papiers se voient encore refuser le droit de déposer leur déclarations de revenus… Seule la régularisation peut arrêter ces injustices. Pour appuyer nos propos, un membre de la délégation a montré un courrier de l’administration lui refusant la prise en compte de sa déclaration de revenus, au motif qu’il n’avait pas de titre de séjour : le représentant des ministres a répondu que ce courrier était illégal, ce qui a d’ailleurs aggravé son trouble, et que la DGFiP écrirait au service concerné pour lui rappeler le droit. La suite de l’audience a été une discussion à bâtons rompus pendant laquelle il a reconnu que « nos arguments avaient une certaine portée » et que notre « éclairage était intéressant ». Pendant cette audience, la pertinence et la force des arguments de la campagne « Racket » ont permis de déstabiliser le représentant des ministres et de lui ouvrir les yeux sur la gravité de la situation.
Manifestation devant Matignon
Le jeudi 30 mai 2013, les Sans papiers des CSP 17ème et 95, de la coordination 75, de Droits devant !!, de l’ATMF et plusieurs organisations soutenant la lutte des Sans papiers pour la régularisation (Solidaires Finances publiques, SUD Travail, Solidaires SUD Emploi, Front de Gauche…) ont marché sur Matignon, à l’appel de l’Union nationale des Sans papiers et de la campagne « Stop au racket ». Un « chargé de mission » du Premier ministre est venu à notre rencontre à l’issue de la manifestation. Nous lui avons remis une copie du courrier envoyé par les organisations de la campagne « Stop au racket » au Ministre Moscovici (demeuré sans réponse depuis juillet 2012) et la liste des revendications de l’Union nationale des Sans papiers. Nous avons également exigé d’être reçus en délégation par le Premier Ministre courant juin.
6 mois plus tard…
En réponse à la manifestation des Sans papiers du 14 novembre 2013 devant le ministère de l’Economie, à l’appel de la campagne « Stop au racket » et de l’Union nationale des Sans papiers, une délégation de huit camarades (CSP 17ème, 93, 95, Droits devant !!, Solidaires Finances publiques, SUD Travail, ATMF) a été reçue par une conseillère sociale du ministre Moscovici, accompagnée de deux responsables de la Direction générale des Finances publiques. Le directeur adjoint du cabinet qui nous avait reçu le 17 janvier dernier et qui est donc parfaitement au courant de la situation dramatique des Sans papiers, a refusé d’assister à cette audience et d’entendre leurs revendications…
A titre d’exemple, en régularisant au moins les 270 000 Sans papiers titulaires de l’Aide médicale d’Etat, ceux-ci pourraient exiger des contrats de travail légaux, puis verser des cotisations sociales, puis payer des impôts sur des salaires décents, et continuer de payer la TVA qui représente 48 % des rentrées budgétaires ! Et l’Etat économiserait en plus 800 millions d’euros d’AME ! Surtout, les hommes et les femmes sans papiers pourraient vivre « normalement », circuler librement comme le peuvent les marchandises et les capitaux, sans peur de la rétention, ni de l’expulsion synonyme de « retour à moins de zéro ».
En 2014, l’action débouche sur une petite victoire
A partir de 2014, lors de l’examen des dossiers de régularisation, les préfectures, et notamment celle de Paris, reconnaissent la fourniture de 5 avis d’imposition consécutifs comme justificatif suffisant pour prouver la fameuse présence de 5 ans sur le territoire. Cette reconnaissance, fruit de notre ténacité, est une petite victoire incontestable qui renforce aussi notre motivation à poursuivre sans relâche la campagne-racket. Les permanences fiscales sont chaque année plus nombreuses, et les militant.es qui les tiennent ont désormais à leur disposition un guide technique.
Aujourd’hui encore, la lutte doit continuer !
10 ans après le lancement de la campagne-racket, si le bilan est positif, si des lignes ont bougé, la politique migratoire française reste toujours aussi injuste. Seules de fortes mobilisations, seule la volonté des militant.es syndicaux et associatifs, et des Sans papiers, ont permis de petites avancées. Mais la loi de régularisation n’est toujours pas à l’ordre du jour. Il ne faut rien lâcher, il faut continuer de harceler le gouvernement pour stopper l’hypocrisie générale du traitement des Sans papiers. Cette cause est légitime, par ses revendications et par la solidarité qu’elle génère. C’est une cause syndicale car elle concerne des travailleurs et travailleuses victimes d’injustices inqualifiables. C’est une cause universelle, car elle touche à l’humanité toute entière.
Hervé Mazure.
2 Association des travailleurs maghrébins de France ; www.atmf.org
3 Le 17 juillet 2009, après un rassemblement unitaire, plusieurs centaines de personnes ont investi un local désaffecté appartenant à la CPAM, au 14 rue Baudelique, dans le 18ème arrondissement de Paris. Cela deviendra le « ministère de la régularisation de tous les Sans papiers ».
4 Environ 300 000 hommes et 100 000 femmes.
- Fiscalité et Sans papiers - 21 janvier 2019