Love football, hate sexism !
Longtemps considéré comme un bastion masculin dans la pratique tant que dans l’espace social que constituent les tribunes, le football peine à s’ouvrir sur la mixité. Les tribunes sont encore perçues comme des espaces privilégiés de construction de la masculinité dans un contexte identitaire exacerbé.
Le cadre institutionnel du football n’offre pas plus de débouchés à une expression de la pratique et de la passion partagée. Du traitement médiatique du football féminin aux propos et attitudes discriminantes des acteurs du football professionnel, la route est longue vers l’égalité dans les pratiques sportives ou de loisirs.
Des alternatives voient le jour pour porter l’idée neuve d’un football populaire accessible à tous et toutes sur le terrain comme dans les tribunes. Certains discours en disent long sur la persistance de préjugés sexistes « admis » parmi les acteurs du football. La condescendance est de mise lorsqu’il s’agit pour les médias d’évoquer les femmes et le football. Lorsque ce n’est pas du mépris pur et simple. Nous ne nous épancherons pas tant ces illustrations sont légion, mais vous laissons apprécier quelques exemples de machisme décomplexé : “Je ne parle pas football avec les femmes. […] Qu’elles s’occupent de leurs casseroles et puis ça ira beaucoup mieux.” Bernard Lacombe, manager de l’Olympique lyonnais. « T’avais des grosses dondons certainement trop moches pour aller en boîte le samedi soir. Aujourd’hui, ça n’a plus rien à voir. Elles ont progressé […] et en plus maintenant ce sont des filles. Mais par rapport à une équipe masculine, ça vaut que dalle. » Pierre Ménès journaliste sportif invité à se prononcer sur l’équipe de France féminine
Si l’on se penche sur la pratique, les données statistiques reflètent d’ailleurs ce désamour d’une façon troublante, le football est le sport qui compte le moins de licenciées (4.1%). Ce nombre ne doit pourtant pas être corrélé à une demande particulièrement faible mais bien plutôt à une volonté défaillante de la part des clubs et des équipements sportifs municipaux d’allouer des budgets suffisants aux équipes féminines. Cette carence s’applique d’ailleurs à tous les domaines du temps libre : Des études ont fait apparaitre qu’environ 2/3 des bénéficiaires entre 8 et 20 ans de l’offre de loisirs publique ou associative subventionnée étaient des garçons. Les proportions de fréquentation masculine atteignent quasiment 100 % concernant les équipements sportifs publics d’accès libre.
Peu nombreuses sont les femmes qui se déplacent régulièrement au stade pour voir des matches, moins nombreuses encore celles qui ne viennent pas accompagnées. La construction clanique de la plupart des groupes de supporters explique en partie l’exclusion ou la relégation des femmes en leur sein. Les rapports sociaux, l’entre soi qui les animent se réfèrent à des modes d’identification traditionnels pour ne pas dire réactionnaires1.
Les femmes dans les groupes ultras sont très minoritaires et le plus souvent assignées à des missions subalternes. Les références constantes à la domination masculine se manifestent dans les différents espaces occupés par les supporters (la tribune, le local, le bar ou le car lors des déplacements). Les chants valorisant la virilité de l’équipe soutenue contre la faiblesse manifestement féminine de l’équipe adverse ainsi que l’esthétique guerrière des noms des groupes de supporters, des slogans, des visuels ou du rythme des tambours, créent et exaltent un corps collectif viril. La frénésie identitaire associée aux matches revêt parfois une fonction cathartique, « carnavalesque » dont les femmes et les immigrés sont les premières victimes. Exutoire, le spectacle du football est une chambre d’écho à la montée en force des idées réactionnaires dans la société.
Violent envers les femmes, le football ne l’est pas que dans la parole. L’organisation de la coupe du Monde de football s’accompagne systématiquement de la mise en place parallèle d’un véritable mondial de la traite des femmes. En 2006, on estimait à 40 000 le nombre de femmes « importées » d’Europe Centrale et d’Europe de l’Est vers l’Allemagne pour « servir sexuellement ». Un bordel géant de 3000m2 a été érigé aux abords du Stade Olympique de Berlin pouvant accueillir 650 clients en même temps.”Sur des zones clôturées de la taille d’un terrain de football, on a construit des « cabanes du sexe » ressemblant à des toilettes appelées, « cabines de prestation ». Capotes, douches et parking étaient à la disposition des acheteurs avec un souci particulier de protéger leur « anonymat ».”2
En dépit de ce contexte sombre, des alternatives existent.
Sur le terrain, il faut mentionner l’action des dégommeuses. Initiée en 2010 cette équipe composée majoritairement de lesbiennes militantes utilise le football comme vecteur de lutte contre les discriminations. « Les Dégommeuses sont engagées dans des actions de proximité (sensibilisation du public sportif aux stéréotypes de genre), dans du plaidoyer pour promouvoir le sport féminin et la visibilité lesbienne, et dans des projets de solidarité internationale, en lien notamment avec l’Afrique du Sud. En 2016, Les Dégommeuses souhaitent organiser un “Euro solidaire”, qui mette la focale sur les conditions de vie des réfugié-e-s LGBT qui ont fui leur pays d’origine en raison des discriminations liées à leur orientation sexuelle ou identité de genre »3.
En tribune, les supportrices soutiennent leur équipe avec la même ferveur que leurs camarades masculins. Elles investissent elles aussi les groupes de supporters, obligeant ces derniers à interroger leurs pratiques. Ce sont par ailleurs les groupes les plus progressistes qui ont intégré l’antisexisme à leur identité affichant ce combat sur des banderoles (la Brigade Nord 99 de Hanovre intitule un tract « AGAB : All Gender Are Beautifull »), des autocollants, à travers des tracts, et lors d’occasions dédiées telles que la semaine contre les discriminations coordonnée par la FARE (Football contre le racisme en Europe) qui est l’occasion pour ces groupes de parler de sexisme en montant des expositions4, en organisant des réunions sur ce thème. Néanmoins parce que les pratiques évoluent lentement, certaines supportrices font le choix de s’organiser entre femmes, en non-mixité, c’est le cas des SenoritHas aus Jena dont le manifeste « If I were a boy » révèle leur volonté d’exister dans les stades en tant que femme.
La lutte contre le sexisme dans les stades est donc une lutte politique dont la prise en charge résulte d’une politisation des groupes de supporters mais aussi de la résurgence d’une contre-culture féministe. Encourager l’engagement des femmes dans ces groupes, c’est aussi affirmer l’égalité et la solidarité entre tous les supporters contre les discours des institutions qui criminalisent les groupes de supporters et en premier lieu ceux qui défendent des valeurs progressistes. La campagne « Ich fühl mich sicher » (« je me sens en sécurité ») lancée en 2014 par le réseau F in Fuẞball combat les contrôles accrus et les campagnes anti-supporters menées par les autorités qui se justifient par l’argument de la sécurité des femmes dans les stades. De même, lorsque la Fédération Turque de Football sanctionne les supporters du Fenerbahce en leur interdisant l’accès au stade en 2011 et 2013, des milliers de femmes viennent enflammer le stade et des affrontements entre ces supportrices et les forces de l’ordre ont lieu avant la rencontre prouvant encore une fois que le supporterisme n’est pas une histoire de genre.
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1 Guyon Stéphanie, « Supporterisme et masculinité : l’exemple des Ultra à Auxerre. », Sociétés & Représentations 2/2007 (n° 24), p. 79-95
2 Extrait de la pétition initiée en 2006 par Coalition against trafficking in women (CATW).
3 http://www.lesdegommeuses.org/
4 En 2010, la BAFF et le réseau F in Fuẞball organisent l’exposition « Tatort Stadium. Le racisme et les discriminations dans le foot » – http://www.tatort-stadion.de/ .
- Love football, hate sexism ! - 24 février 2017