Les lois Travail dans leur monde
C’est fin février 2016 que les premiers éléments du projet de loi Travail furent connus. Le rapport de forces créé obligea le gouvernement à quelques reculs par rapport au texte initialement concocté avec le patronat (essentiellement le MEDEF) ; mais le contenu demeurait totalement inacceptable. Cette loi s’inscrit dans la suite d’antécédents du même type : accord national interprofessionnel MEDEF – CFDT – CFTC – CGC en 2013, loi Macron en 2015. Elle va plus loin : c’est une remise en cause de fond des droits des travailleuses et travailleurs, articulée autour de différents points qui font système.
Ca s’appelle la lutte des classes…
Au fil du 20ème siècle, des grèves, des manifestations et des blocages de l’économie1 avaient permis la généralisation d’un principe simple :
- le Code du travail prévoyait un ensemble de normes, applicables dans toutes les entreprises et bénéficiant à tous les salarié-es ;
- une convention collective ne pouvait contenir de dispositions plus mauvaises que le Code du travail ;
- même chose pour un accord d’entreprise vis-à-vis de la convention collective.
Autrement dit, ce qui était obtenu par les luttes syndicales dans de grandes entreprises ou à l’occasion de grèves généralisées, bénéficiait aussi aux salarié-es d’établissements, entreprises et secteurs où le rapport de forces est plus favorable aux patrons.
Depuis une trentaine d’années, plusieurs gouvernements de Droite et de Gauche avaient déjà écorné ce principe mais subsistait ce qu’on appelle « le principe de faveur ». La loi Travail 1 annule cela ! Pour tout ce qui concerne le temps de travail, c’est entreprise par entreprise que ce sera « négocié » ; en réalité, dans une multitude de cas, parce que le nombre de syndiqué-es ne permet pas de créer une force suffisante face à la direction, ce sera imposé à travers le traditionnel chantage à l’emploi. C’est la porte ouverte à l’allongement du temps de travail pour le même salaire, à une flexibilité encore plus grande, … et à l’accroissement des profits pour celles et ceux qui vivent de notre travail.
La loi prévoit aussi de diminuer la rémunération des heures supplémentaires et d’en modifier le calcul pour nous en payer moins. Notre santé sera mise en danger par la suppression des périodicités de visites médicales. La médecine du travail est réduite à l’accompagnement d’un permis d’embaucher et de licencier, excluant tout rôle de prévention. La loi contient aussi des mesures pour faciliter encore plus les licenciements individuels et collectifs. Cela fait des dizaines d’années que le patronat obtient des mesures dans ce sens au nom de la lutte contre le chômage ! Résultat, il y a aujourd’hui plus de 6 millions de chômeurs et chômeuses en France. Mais 118 milliards de bénéfices pour les seules entreprises du CAC 40, ces deux dernières années.
Ce sont toujours des grèves, des manifestations et des blocages de l’économie qui ont permis le progrès social. Aucune avancée n’est tombée du ciel, fusse celui-ci localisé à l’Elysée ou à Matignon. Quand est promulguée une loi plus favorable aux travailleurs et aux travailleuses, c’est que ceux-ci et celles-ci ont su créer un rapport de forces le permettant. Toujours, le patronat s’y oppose arguant que « ce n’est pas possible, ça va mettre en péril les entreprises ». Les luttes sociales permettent d’imposer les changements. Il en fut ainsi de l’interdiction du travail des enfants, de la journée de 8 heures, des congés payés, des 40, puis 39, puis 35 heures, de la Sécurité sociale, des Statuts et des Conventions collectives, etc. Ce qui était « impossible », « utopique », « extravagant », devient la loi ! A l’inverse, dans les périodes où l’organisation collective des salarié-es est plus faible, où les luttes sociales sont plus rares, le patronat impose ses revendications. C’est encore ce qui se joue aujourd’hui.
Retour sur 2016
Organisée en seulement quelques jours, la première journée de luttes du 9 mars a été un succès. Des manifestations ont eu lieu dans de très nombreuses villes en France, preuve que le refus de cette loi était ancré profondément dans la population. Nous étions déjà un demi-million de manifestants et manifestantes : cela illustre le grand ras-le-bol existant dans le pays. D’autres manifestations ou grèves (secteur ferroviaire, retraités, santé-social, etc.) ainsi que les occupations d’universités qui commençaient, confirmaient déjà une mobilisation sociale importante dans tous le pays.
En mars, on a assisté au retour d’une très forte mobilisation de la jeunesse étudiante et lycéenne, après quelques années bien calmes. Mais le pouvoir a étouffé ce mouvement : par la fermeture rapide de facs pour éviter qu’elles ne deviennent des lieux de discussions, de partage des colères et décisions d’actions ; par une très forte répression aussi. Une fois de plus l’absence, ou dans le meilleur des cas, la grande insuffisance de liens avec les organisations syndicales de salarié-es n’a pas permis une prise en compte de cette problématique par les collectifs syndicaux locaux. C’est dommage car une telle implication serait plus efficace que les lamentations répétées sur « la jeunesse qui ne se reconnait plus dans les organisations syndicales »… Certes, les sigles UNEF, FIDL et UNL figuraient sur les appels nationaux intersyndicaux, mais c’était sans conséquence dans les entreprises et les localités ; les syndicats affiliées à des organisations interprofessionnelles n’ont, aujourd’hui, pas la force suffisante pour jouer ce rôle ; c’est le cas de Solidaires étudiant-e-s et plus encore des très rares structures SUD Lycée ou CGT Lycée. Pour autant, il faut noter qu’un nombre non négligeable de ces jeunes a participé à l’ensemble du mouvement, se trouvant notamment dans les Nuits Debout ou « les cortèges de tête » des manifestations de certaines villes.
Sans surprise, gouvernement et patronat ont fait le coup du second projet qui est présenté comme « moins pire que le premier ». Mais … un peu moins pire que très pire, ça reste très mauvais ! L’arnaque patronale et gouvernementale consistait à nous convaincre de comparer ce deuxième texte par rapport au premier … Alors que la seule comparaison utile est entre cette seconde version d’une part, la réalité et nos droits actuels, voire nos revendications, d’autre part. C’est ce qu’expliquaient ensemble, CGT, FO, Solidaires, FSU, UNEF, UNL, FIDL mi-mars :
[Ce texte] ne répond pas aux aspirations fortes, exprimées par les jeunes, les salarié-e-s et les chômeurs pour l’accès à l’emploi et sa sécurisation. La création d’emplois de qualité ne justifie pas la casse du code du travail mais nécessite un changement de politique économique et sociale. Ce texte continue à diminuer les droits des salarié-e-s et à accroître la précarité, notamment des jeunes. Décentralisation de la négociation collective au niveau de l’entreprise et affaiblissement des conventions collectives de branches, fragilisation des droits individuels acquis, mise en cause des majorations des heures supplémentaires, facilitations des licenciements, affaiblissement de la médecine du travail… sont autant d’exemples de régressions qui demeurent.
Le gouvernement savait pouvoir compter sur la CFDT pour cautionner son projet ; ce fut fait dès mi-mars 2016. Cette organisation cesse alors toutes critiques pour, au contraire, défendre ardemment le projet de loi. Mais quelques collectifs CFDT ont exprimé leur désaccord avec ce soutien à des régressions sociales. Dans le même temps, le MEDEF menaçait la présidente de la CGC de représailles si elle ne soutenait pas plus explicitement la casse du Code du travail ! Une méthode qui illustre la crainte que le mouvement social inspire à celles et ceux qui l’emploient. Epilogue quelques semaines plus tard : le congrès de la CGC décidait un changement d’orientation confédérale, cette organisation réclamant alors l’abandon du projet de loi…
En apportant quelques aménagements, en répondant ici ou là à des revendications catégorielles, le gouvernement a joué la division : entre organisations syndicales dans un premier temps, entre mouvements de jeunesse et syndicats ensuite. Si cela a suffi à satisfaire CFDT, UNSA ou CFTC, pour l’essentiel ces manœuvres ont échoué : quelques collectifs de base CFDT ou UNSA sont restés dans la lutte, d’autres syndicats (CNT-SO, CNT, LAB, STC…) aussi, et le front commun entre CGT – FO – Solidaires -FSU et mouvements de jeunesse a tenu. Il a continué à réclamer le retrait du projet de loi El Khomri.
Dans l’Etat espagnol, en Italie, en Grèce ou en Allemagne par exemple, le syndicalisme institutionnel, affilié à la Confédération européenne des syndicats (CES), a accompagné ouvertement de nombreuses contre-réformes, a signé plusieurs accords réduisant les droits des travailleurs et des travailleuses ; il n’en n’est pas de même en France, où la CGT notamment demeure très présente dans les luttes et ne signe pas au plan national interprofessionnel d’accords de régression sociale. C’est une différence notable avec le DGB en Allemagne, les Commissions ouvrières et l’UGT dans l’Etat espagnol, GSEE en Grèce, ou même la CGIL en Italie.
De notre point de vue de militants et militantes ayant fait le choix de construire et développer le syndicalisme Solidaires, il est évident que ce que porte la CGT, sans parler de FO ou de la FSU, ne nous convient pas sur de nombreux aspects2 (rapport à l’auto-organisation des travailleurs et travailleuses, rôle du syndicalisme en matière de transformation sociale,…) ; pour autant, nous ne pouvons occulter cette différence avec les situations dans d’autres pays européens ; elle explique, en partie, pourquoi nous n’avons pas le même rapport à l’unité syndicale que nos camarades de la CGT de l’Etat espagnol ou des différents « syndicats de base » italiens, par exemple.
Le coup de bluff du gouvernement n’a pas marché. La tentative de désamorcer le rejet de son projet de loi a échoué, les organisations qui négocient et organisent le recul social n’ont pas convaincu.
- Le gouvernement a tenté de mettre les fonctionnaires de son côté avec une augmentation de 0,6% en 2016 et en 2017 : alors que la dernière augmentation date de 2010, un fonctionnaire payé 1 300 € par mois s’est donc vu gratifié de 7,80 € de plus à compter de l’année à venir !
- Dans le secteur privé, les actionnaires continuent de s’enrichir et les patrons ont empoché 50 milliards grâce au « pacte de responsabilité » : c’est moins que le montant annuel de leurs fraudes fiscales !
- Les chômeurs et chômeuses savent bien que ce n’est pas en détruisant les quelques droits de celles et ceux qui ont encore un boulot qu’ils et elles retrouveront du boulot.
- Les retraité-es étaient dans la rue dès le 10 mars pour leurs revendications spécifiques et ont participé aux actions interprofessionnelles contre ce projet de loi qui attaque les acquis des générations précédentes.
- La promesse d’une « garantie jeunes » qui n’est pas financée n’a pas trompé les lycéen-nes et les étudiant-es : ils et elles ont répondu par les grèves et occupations de nombreux établissements.
Le mouvement s’est poursuivi, les journées de manifestations se sont succédées, quelques unes assorties d’appel national unitaire à la grève. 9 mars, 12 mars, 17 mars, 24 mars, 31 mars, 9 avril, 12 avril, 14 avril, 20 avril, 28 avril, 12 mai, 17 mai, 19 mai, 26 mai, 14 juin, 23 juin, 28 juin, 15 septembre … à la question « on continue ? », dès le mois d’avril nous disions : « la réponse est double ; oui, s’il s’agit de poursuivre le mouvement social jusqu’à l’abandon du projet de loi Travail pour ensuite imposer nos revendications ; non, ça n’a pas de sens de continuer ainsi à coup de journées d’action sans lendemain. Il faut préparer et organiser la grève reconductible ; des organisations syndicales nationales (Solidaires, CNT-SO, CNT, des fédérations CGT), de nombreuses structures syndicales interprofessionnelles, des milliers de syndicalistes (notamment autour de l’appel On bloque tout !3), une partie des participants et participantes aux Nuits Debout, ont raison de l’affirmer ! »
On bloque tout ?
Des milliers de syndicalistes de différentes organisations ont soutenu l’appel On bloque tout !, qui affirme « la seule manière de gagner et de faire plier le gouvernement, c’est de bloquer l’économie. Les travailleurs et les travailleuses doivent en effet prendre leurs affaires en mains dans cette lutte et ne doivent pas s’en remettre à des politiciens ou politiciennes qui n’ont que les élections de 2017 en vue. Et pour bloquer l’économie, ce qu’il faut c’est confirmer l’ancrage de la grève, préparer sa généralisation et sa reconduction partout où c’est possible dans les jours et semaines qui suivront ! Alors nous obtiendrons le retrait du projet de loi El Khomri. Alors nous pourrons préparer la contre-offensive, NOTRE contre-offensive en popularisant des revendications qui permettent de rassembler, sur lesquelles les équipes syndicales pourraient s’engager ensemble, à la base et dans l’unité ».
Cet appel a été lancé par des militants et militantes qui, lors du mouvement social de 2010 avaient contribué aux deux appels « pour la grève générale ». Nous n’étions pas, en mars 2016, dans le même contexte qu’en septembre 2010, c’est pourquoi il ne s’agit pas d’un appel à la grève générale, mais à la construire. Pointer cette nécessité de construire un mouvement, rappeler que le blocage de l’économie est une arme essentielle pour les travailleurs et les travailleuses, replacer leur action directe au cœur de la stratégie pour gagner quand d’autres jouent sur les promesses électorales, montrer que cette démarche est portée par des collectifs militants de différentes organisations syndicales, voilà quels étaient les buts essentiels de cette initiative. Bien qu’ignoré depuis le début par certains courants, il est signé par plus de 1 500 syndicalistes Solidaires, CGT, CNT-SO, FSU, CNT, LAB, CFDT, FO, STC, UTG et plus d’une centaine de structures syndicales (nationales, régionales ou locales, professionnelles ou interprofessionnelles). Citons un extrait d’un de ses communiqués pour illustrer la démarche :
« Le mouvement social qui a débuté le 9 mars s’est depuis amplifié et marque les esprits avec plusieurs journées de grèves et de manifestations, des actions symboliques, de nombreux blocages de cibles économiques sans compter la dynamique des Nuits Debout en lien avec la mobilisation. Pour combattre l’action directe des travailleurs et des travailleuses, le gouvernement, le patronat tentent de restreindre le débat aux seuls parlementaires ; nous ne tomberons pas dans ce piège de la démobilisation collective qui serait un aveu d’échec alors que la lutte continue et doit s’amplifier.
Ce mouvement social est aussi marqué par une très forte répression, délibérément mise en œuvre par le gouvernement pour tenter d’affaiblir notre mobilisation : gazages massifs des cortèges syndicaux, arrestations et condamnations de militant.e.s allant jusqu’à des peines de prison ferme, brutalités policières extrêmement graves… La violence est bel et bien celle de ce gouvernement et de ses forces de l’ordre au service des patrons.
[…] Le mois de mai doit être celui durant lequel le mouvement social prendra toute son ampleur : pour cela nous ferons tout pour que la grève des cheminot.e.s à partir du 18 mai soit aussi celle de la convergence des luttes, à travers une grande journée de grève interprofessionnelle. D’autant que dans la même période, une grève reconductible unitaire est aussi annoncée dans le transport routier.
Parce que ce n’est pas à l’Élysée, ni à Matignon, ni au Palais-Bourbon qu’on obtiendra satisfaction : organisons-nous collectivement et de façon unitaire, faisons grève et reconduisons la, développons les actions de blocage économique et soyons toutes et tous dans la rue le 18 mai pour le retrait total de la loi « travail » ! Nous invitons […] à s’emparer de ces propositions, à les porter dans les intersyndicales locales et les assemblées générales, pour faire de la journée du 18 mai une démonstration de force permettant de reconduire la grève. »
Il est nécessaire de renforcer cette dynamique, de combattre les sectarismes. Ses initiateurs et initiatrices ont voulu donner une suite à cet appel, dans ce souci de pérenniser le travail unitaire, de créer un élan permettant d’aller plus loin. Cette étape fut un échec. La volonté de ne pas se transformer en un mouvement prétendant se substituer aux collectifs syndicaux a aboutit à la mise en veille du réseau ; ce qui a d’autant plus laissé place au Front social, lancé en 2017. Le trio qui anime celui-ci est source de critiques de bien des syndicalistes que nous côtoyons dans les luttes : pour nombre de camarades de Sud Ptt et Solidaires, le syndicat Sud Ptt 92 fait preuve d’une pratique dont le caractère sincèrement offensif sur le terrain n’a d’égal que l’aspect qui peut paraitre à beaucoup manœuvrier et polémique en interne ; le syndicat CGT Info Com est détesté par bien des équipes syndicales CGT de la branche (imprimeurs, correcteurs, journalistes …) qui lui reprochent une volonté de s’implanter en piétinant les autres syndicats CGT de la profession et un « gauchisme » aussi récent que purement verbal ; quant au dernier tiers, il est constitué d’un militant qui se présente au nom du syndicat d’une usine fermée4 depuis trois ans. Pour autant, le Front social remplit un vide et ses configurations locales sont très variables et bien souvent sans rapport avec sa tête d’affiche parisienne. Pour perdurer de manière utile, il lui faudra trouver un mode de fonctionnement donnant aux comités locaux toutes les facultés de décider les actions et orientations, pas seulement de valider ce qui est présenté ; il faudra aussi dépasser la seule posture dénonciatrice envers « les bureaucrates », pour s’atteler à la construction d’un pôle unifiant le syndicalisme de luttes, à partir des pratiques locales quotidiennes. Pas sûr que ce soit l’ambition de tous ses animateurs…
Pour en revenir à l’appel On bloque tout !, il convient de dire clairement que dans l’esprit de ses animateurs et animatrices, il s’agissait bien d’organiser le blocage de l’économie, ce qui passe par la grève et sa généralisation ; les actions visant à « bloquer » ponctuellement certaines activités (des transports, des usines, des raffineries, des services, des moyens de communication, …) peuvent être des moments dans la mobilisation, mais pas le but. Dans certaines villes, cet aspect a pu s’estomper ; ce fut parfois un moyen de nier les difficultés à organiser et tenir la grève. On peut faire illusion momentanément, mais on ne gagne pas une bataille sociale d’une telle ampleur avec des artifices…
La grève générale ne se décrète pas
C’est vrai. Mais ça tombe bien, nous n’avons ni besoin, ni envie de décret. Ce qu’il nous faut, ce sont des organisations syndicales qui affirment que la grève reconductible est nécessaire, qui la préparent et l’organisent en donnant aux travailleurs et travailleuses tous les moyens nécessaires à cela. Crier « grève générale, grève générale » alors qu’il n’y a pas grève, ne sert à rien. Y appeler est nécessaire mais insuffisant. C’est un long travail. Dans les entreprises et les localités, beaucoup de syndicalistes s’y emploient ; ils et elles sont à la CGT, à FO, à Solidaires, à la FSU, à la CNT-SO, à la CNT, à LAB, au STC, il y en a même une poignée à la CFDT ou à l’UNSA. Des jeunes engagés à l’UNEF, l’UNL ou la FIDL y contribuent ; la Coordination nationale étudiante, Solidaires étudiant-e-s ou encore les syndicats CGT et SUD Lycéens défendaient cette position. Des collectifs d’intermittents du spectacle s’inscrivent dans cette dynamique. Le sujet fut aussi largement débattu dans beaucoup de rassemblements Nuit debout.
Alors, pourquoi ça n’a pas vraiment démarré ? L’absence d’un secteur professionnel moteur pèse. Le secteur ferroviaire à plusieurs reprises, l’Education nationale en 2003, les raffineries en 2010 jouèrent ce rôle. Il y a des grèves reconductibles en France, en 2016 comme aujourd’hui, souvent dans des entreprises privées, mais elles restent localisées. Après que la fédération CGT ait inventé une grève sectorielle à la SNCF deux jours avant le mouvement interprofessionnel du 28 avril, il eut été possible de rebondir sur cette surprenante décision, en construisant un mouvement reconductible à compter du 26, dans la perspective du 28. Ni la CGT, ni SUD-Rail, ni FO, n’ont voulu, préférant préserver l’unité, dans ce secteur professionnel, avec UNSA et CFDT. La fédération CGT a ensuite annoncé une grève reconductible à partir du 18 mai, avant de transformer cela en une nouvelle grève « carrée », cette fois de 48 heures, les 18 et 19 mai ; et de recommencer les 25 et 26 mai ! Face aux propositions et tentatives de grève reconductible lancées alors par SUD-Rail et FO, la CGT mettait encore en avant la nécessité de ne pas se couper de l’UNSA et de la CFDT (qui soutenaient le projet de loi Travail !).
Bilan : lorsqu’enfin un appel à la grève reconductible a été lancé dans le secteur ferroviaire, à compter du 31 mai au soir, la CFDT a abandonné la grève dès le 1er jour, et l’UNSA le 2ème ! La grève s’est poursuivie à la SNCF, mais dans des conditions difficiles : les collectifs les plus combatifs étaient épuisés par les multiples grèves carrées qui avaient précédé le mouvement ; la division syndicale n’a pas aidé ; le gouvernement a fait des concessions sur les sujets professionnels pour éviter le renforcement du mouvement interprofessionnel. Incontestablement, une occasion rare a été loupée fin avril puis mi-mai 2016 ; nous le disions l’an dernier : « sans doute faudra-t-il porter plus d’attention dans le bilan sur cette volonté d’isoler cheminots et cheminotes des autres travailleurs et travailleuses »5
Des possibilités auraient pu exister autour d’autres secteurs professionnels : raffineries, ports et docks, routiers, … Mais, soit le moment de ces grèves ne correspondait pas à une possibilité d’élargissement interprofessionnel, soit il n’y avait aucune volonté d’élargir de la part de la majorité des animateurs et animatrices de ces mouvements ; les deux explications pouvant par ailleurs se cumuler. Mais d’autres questions se posent : y-a-il vraiment besoin d’un secteur professionnel moteur ? Quel est la marge entre cette demande de « locomotive » du mouvement et les grèves par procuration dont on parle tant depuis 20 ans ? Plus prosaïquement, pourquoi n’arrivons-nous pas à convaincre la masse des travailleurs et travailleuses6 que leur action directe et collective est nécessaire ? Victoire culturelle, donc politique, du camp réactionnaire ; affaiblissement des réseaux militants portant un projet de transformation sociale ; manque de crédibilité des organisations syndicales (et politiques) ; précarité permanente et massive qui permet au patronat de faire pression… Tout ceci, et bien d’autres choses, est connu. Même si la pratique est insuffisamment répandue, des bilans sont régulièrement tirés. L’un des enseignements majeurs est sans doute qu’il faut, non pas rompre avec un certain activisme qui entretient la santé militante7, mais en relativiser l’intérêt et placer nos priorités ailleurs : dans la reconstruction, le recentrage, le renforcement et le développement de nos forces organisées, … Des termes qui renvoient, de manière quelque peu provocante, à des débats et pratiques du passé, certes ; mais qu’il faut remettre au goût du jour, en concordance avec les réalités d’aujourd’hui. Pour mettre fin à la spirale des défaites sociales, pour gagner sur nos revendications, pour rendre crédible, puis effective, une transformation sociale radicale, nous avons besoin de nous organiser. Nous avons besoin d’outils collectifs efficaces. Nous avons besoin de projets qui donnent envie et qui soient partagés. Nous avons besoin de nous unir. Nous avons besoin de faire fructifier nos diversités … Attelons-nous à ce genre de choses. Le plus utile à nos luttes futures n’est peut être pas ce qui fait le plus de bruit ou de vues sur Internet8 ?
La situation en juin 2016
Revenons-en à juin 2016 : la grève à la SNCF était réelle mais moins forte qu’elle ne le fut pour des mouvements similaires dans le passé. Les raffineries étaient également en grève, mais de manière inégale selon les sites. Les transporteurs routiers, après avoir fait grève vers la fin mai ont cessé le mouvement après avoir obtenu des garanties pour leur secteur, essentiellement sur le paiement des heures supplémentaires. D’autres mouvements ont touché des centres de traitement des déchets, les ports et docks, les centrales nucléaires, et aussi des entreprises privées de toutes sortes, mais souvent sous forme de débrayages plutôt que de grève reconductible.
On ne peut taire le changement de discours perceptible du côté des confédérations FO puis CGT à compter de début juin. Alors que durant des semaines le seul mot d’ordre était « abandon du projet de loi Travail », désormais, nombre d’interventions mettaient en avant des « points de blocage » qu’il faudrait traiter avant de possibles « négociations » … Certes, tout ceci en prenant soin de rappeler dans le même temps la demande de retrait du projet de loi. La même contradiction apparente a existé quant au mouvement : d’un côté, la CGT contribuait très largement à multiplier les actions de « blocage », affichant ainsi une certaine radicalité, mais dans le même temps elle ne mettait manifestement pas tous ses moyens en branle pour renforcer et généraliser la grève. L’exemple de la RATP est édifiant de ce point de vue : il y a bien eu un appel à la grève reconductible de la CGT (et de Solidaires) à compter du 2 juin, mais en dehors de quelques sites (où on retrouve souvent des signataires de l’appel On bloque tout !), il ne s’est pas passé grand-chose…
Pour autant, ce serait une erreur de considérer que si la grève ne se généralise pas, c’est seulement « la faute aux confédérations qui trahissent ». Contrairement à des mouvements passés de ce type, il n’y a pas de secteur où Solidaires est apparu comme faisant la preuve qu’une grève massive et longue était possible. Le poids des précédentes défaites sociales pèse, mais aussi, inévitablement, celui d’une insuffisante prise en compte de la dimension interprofessionnelle du syndicalisme. Le mouvement s’enracine bien plus là où il y a des unions locales interprofessionnelles, CGT ou Solidaires, déjà installées dans la réalité sociale de ce territoire.
La loi est votée durant l’été 2016
Craignant de ne pas avoir de majorité sur le texte lui-même, le gouvernement a utilisé une des armes que lui confie la Constitution via l’article 49-3 : pour que le projet de loi ne soit pas validé, il faut que les parlementaires votent une motion de censure, c’est-à-dire qu’ils fassent tomber le gouvernement. Ce sont donc toujours les parlementaires qui décident, mais sans discussion de fond sur le projet de loi, sans amendement et en changeant l’objet du vote. Le gouvernement instrumentalise l’institution républicaine ; il sait que ça peut fonctionner (voir les votes sur l’Etat d’urgence ou les précédentes utilisations de cet article 49-3). Ca a marché : il n’y a pas eu suffisamment de députés de Gauche pour déposer leur propre motion de censure (il faut 10% des parlementaires) ; et la plupart ont refusé de voter celle déposée par la Droite.
Malgré le coup de force du recours à l’article 49-3, le processus parlementaire fait que la loi ne pouvait être votée avant mi- juillet ; de plus, l’exemple du Contrat Première Embauche, tout juste 10 ans auparavant, le rappelle : même votée, une loi peut être abandonnée et jamais appliqué. C’est ce que le mouvement social de 2006 avait permis. Après la mi-juin et même à l’occasion de la « rentrée sociale » de septembre 2016, il était donc encore possible de mener la bagarre contre l’application de la loi Travail. Le 15 septembre, il y eut une nouvelle journée nationale interprofessionnelle de grève et de manifestations ; et puis plus rien. FO a refusé de tenir une nouvelle rencontre intersyndicale pour discuter de suites possibles. CGT et FSU ont mis en avant cette défection pour en rester là. Dans les semaines suivantes, quelques initiatives unitaires ont été décidées nationalement : plate-forme revendicative unitaire, recours juridiques… Mais il n’y avait plus de mouvement social en cours : sans surprise, l’absence de dynamique a fait que les collectifs militants, et plus encore la masse des travailleurs et des travailleuses, les ont ignorées.
A compter du dernier trimestre 2016, il faut aussi dire qu’un certain nombre de syndicalistes ont choisi de prioriser les campagnes électorales présidentielles et législatives de 2017. Cela a des conséquences sur l’activité syndicale en termes de forces militantes ; mais aussi sur la conception même des mouvements sociaux, la solution étant finalement censée venir du renouvellement des personnes gérant les institutions en place. L’apothéose étant la ligne politique d’un candidat aux élections présidentielles indiquant que voter pour lui permettrait « d’économiser des kilomètres de manifestation ». De ce point de vue, le fait que la campagne proposée au sein de Solidaires dès l’été 2016, finalement lancée à la fin de l’année via ATTAC9, n’ait pas existé en dehors de quelques villes, a aussi pesé. Entre temps, on était passé d’un projet de campagne de masse avec matériel national diffusable dans les lieux de travail, à une série d’actions symboliques mobilisant un public militant.
Nuit Debout
Une des nouveautés de ce mouvement, est l’apparition des Nuits Debout. Trois éléments nous paraissent devoir être retenus à ce propos :
- Tout d’abord, ces rassemblements ne sont pas comparables à ce qu’a été le mouvement des Indignés dans l’Etat espagnol, ils ont assemblé beaucoup moins de monde.
- Ensuite, il faut mettre en évidence l’existence de cette dynamique Nuit Debout dans des centaines de villes à travers tout le pays, donc pas seulement à Paris, Place de la République.
- Enfin, ce mouvement montre qu’il existe un réel besoin de débats, de démocratie, une remise en cause de la démocratie représentative et des institutions de la république bourgeoise.
Mais tout ceci reste inégal : une partie des participants à Nuit Debout refusait ce qu’ils et elles appellent une politisation, c’est-à-dire une transformation sociale et politique de la société ; à Paris, une commission Grève générale a travaillé avec des syndicalistes et notamment avec l’Union syndicale Solidaires ; dans les autres villes, ce sont très souvent des syndicalistes (Solidaires ou CGT pour l’essentiel) qui animaient les Nuits Debout. Contrairement à ce que quelques courants politiques ont voulu faire croire, ce n’était nullement le lieu de la coordination de la grève, pour une raison évidente : le point commun aux participants et participantes n’était pas d’être en grève. Il n’en reste pas moins que ce que porte ce mouvement (démocratie, remise en cause des institutions…) interpelle directement le mouvement syndical : pourquoi laisser cela s’organiser sur des bases qui, trop souvent, nient les antagonismes entre classes sociales, l’exploitation, les rapports hiérarchiques et les inégalités inhérentes au système capitaliste ?
Les mouvements sociaux : une arme contre l’extrême-droite
Dans le texte intitulé « Solidaires contre le fascisme », on lit « Le Front National, l’extrême-droite, ne sont jamais très à l’aise en période de fort mouvement social et leurs prises de position peuvent alors varier d’un jour à l’autre … En revanche, ils savent bien que chaque défaite du mouvement social, comme chaque lutte non menée, leur ramèneront leur lot de nouveaux électeurs-trices potentiel-les. Comme le disaient déjà l’appel des 250 et Ras l’front10il y a 25 ans, leurs avancées sont faites de nos reculs » […] « La présence et l’activité syndicales au plus près des travailleurs et des travailleuses (quotidiennement sur les lieux de travail), la reconstruction d’un tissu syndical interprofessionnel de proximité sont des actes antifascistes concrets. Cela peut paraitre une banalité, mais nous le répétons, c’est parce que nous mènerons des luttes victorieuses sur le terrain des droits sociaux et économiques que nous pourrons faire reculer durablement le FN ».
Les mouvements sociaux font taire l’extrême-droite ; c’est un fait confirmé par plusieurs exemples au fil des années. Certes, avec la séquence contre la loi Travail, l’extrême-droite ne s’est pas volatilisée, Il eu fallu être d’une grande naïveté pour penser ainsi. Mais, une fois de plus, elle a disparu du paysage dès lors qu’il y avait un fort mouvement social : dans ces moments, ce ne sont pas ses sujets de prédilection qui sont au centre des discussions populaires. C’est important. Ce n’est pas la réponse-miracle, mais ça rappelle l’importance du mouvement social dans la lutte contre le fascisme, son efficacité sur ce plan (sans doute plus que des postures politiques sans prise réelle auprès de la masse des travailleurs et des travailleuses) et toute sa dimension politique. A contrario, parce qu’elle a réussi, avec l’aide de bien des forces politiques de Droite et de Gauche, a imposer une certaine hégémonie sur ses sujets de prédilection, et surtout sur la manière de les aborder, l’extrême-droite revient en force lorsque le sujet politique n’est plus le mouvement social mais qu’il est rythmé par les joutes télévisées entre prétendants et prétendantes au sacre.
La violence de l’Etat
L’Etat d’urgence se caractérise par une restriction des libertés individuelles et collectives et se traduit par une forte répression des mouvements sociaux. Nous l’avions constaté dès sa mise en place, fin novembre 2015, au moment de la COP 21, avec plusieurs arrestations et assignations à résidence arbitraires. Mais 900 parlementaires sur 906 avaient jugé utile de ne pas voter contre la mise en place de ce régime d’exception !
Dès le début du mouvement, en mars 2016, les jeunes furent particulièrement visé-es : fermetures administratives d’établissements, interventions et violences policières sur les campus universitaires, menaces et sanctions disciplinaires envers des lycéen-nes… A partir des manifestations du 24 mars, un pas de plus était franchi : gaz lacrymogènes, matraques, arrestations, etc., systématiquement, la police provoque, les CRS chargent les manifestants et manifestantes. Cela fait écho aux condamnations de syndicalistes, à l’intrusion de forces de police, l’arme au poing, sur des lieux de travail… La violence et les provocations policières n’ont cessé de s’amplifier. Dans beaucoup de villes, nous sommes systématiquement confronté-es à un dispositif policier agressif, cherchant l’incident, attaquant des manifestants et manifestantes à coup de gaz et de matraques, avec des nuées de policiers en civils mêlés aux « troubles » ensuite hypocritement décriés. A Lille, la police a saccagé des locaux syndicaux (CNT), à Rennes elle a perquisitionné ceux de Solidaires. Le 28 avril, le gouvernement passait un nouveau cap, avec conférences de presse du ministre de l’intérieur puis du préfet de police de Paris, pour dénoncer « les casseurs » et mettre en garde les responsables des forces syndicales organisant des manifestations !
« 24 policiers blessés » dit la police : les grands médias relaient. « Des dizaines de manifestants blessés » disent les manifestant-es : les mêmes n’en parlent pas. Au soir des manifestations du 28 avril, la meute était lâchée ; tout ce qui ressemblait à un opposant à la loi Travail était sommé de dénoncer publiquement « les violences commises ce jour ». Le ministre de l’Intérieur a convoqué les journalistes pour déplorer que 24 policiers aient été blessés; mais il se tait chaque jour de l’année, alors que 109 personnes sont blessées au travail, quotidiennement, toutes professions confondues. Le préfet de police de Paris a organisé une conférence de presse parce qu’il y avait un blessé grave parmi les « forces de l’ordre » ; il se tait chaque jour de l’année, à propos des 2 morts au travail que nous connaissons quotidiennement dans le pays. Le Premier ministre a annoncé une forte répression envers ceux qui ne respectent pas la loi républicaine ; il se tait chaque jour de l’année, quand patrons, banquiers, actionnaires et autres profiteurs conchient la république, fraudent par milliards, tuent des travailleurs et des travailleuses.
Tant en matière de provocations et répressions policières, qu’en termes de menaces sur les organisations syndicales, le gouvernement a été de plus en plus loin ; il a même tenté d’interdire la manifestation parisienne du 23 juin, soulevant la réprobation, non seulement des organisations syndicales qui soutenaient la lutte depuis mars mais aussi d’organisations comme la Ligue des Droits de l’Homme ; ainsi, la LDH a annoncé qu’elle appellerait à la manifestation si celle-ci était interdite (bien d’autres organisations ont fait de même). Finalement, à l’issue d’une négociation qui n’était peut être pas nécessaire car, de fait, la manifestation aurait eu lieu, la préfecture de police a accepté un parcours beaucoup plus court que prévu et sous forme de boucle fermée.
De graves agressions policières ont eu lieu, certaines avec des conséquences extrêmement importantes : fractures, mutilations11… Le 15 septembre, notre camarade Laurent Théron de Sud santé sociaux perdait l’usage d’un œil suite à un tir de grenade des forces de [leur] ordre. Dans son texte de bilan publié en décembre 2016, la fédération des syndicats Sud éducation cerne le problème :
« La répression policière et les techniques de maintien de l’ordre à l’égard des cortèges ont effrayé bon nombre de salarié-es et les ont empêché-es de venir manifester. Jamais la police n’avait été aussi provocatrice à l’égard des cortèges syndicaux, dans les grandes agglomérations : cortèges coupés en deux, nasses policières, utilisation de grenades de désencerclement, tirs tendus de flashball, présence massive en tête de cortège dictant le tempo de la manifestation pour en arriver aux parcours avec fouilles systématiques à l’entrée, impossibilité de prendre le cortège en cours de route, etc. Ces techniques sont utilisées depuis des années dans les quartiers populaires et dans les mobilisations type Notre Dame des Landes ou ZAD. La nouveauté réside dans la mise en place à une échelle bien plus vaste de ces techniques et dans l’utilisation de l’arsenal législatif relevant de l’État d’urgence pour restreindre les libertés publiques et individuelles : interdiction de manifestations, interdictions préventives individuelles de manifester, assignation à résidence de militants et militantes,… Ne soyons pas dupes : il s’agit là d’une volonté délibérée du pouvoir de mettre l’accent dans les médias sur la supposée violence des manifestant-es, en tentant de diviser le mouvement social et d’isoler les contestataires du reste de la société. Malheureusement ces techniques ne font que préfigurer la criminalisation accrue du mouvement social dans les mois et les années à venir. »
Le transfert de nombre de dispositions permises par l’état d’urgence dans la loi « ordinaire » confirme ce qu’écrivaient les camarades de Sud éducation12. Le mouvement a été marqué par une grande violence policière, par la répression. Le terrain avait été préparé par l’Etat d’urgence mis en place avec l’appui ou la complicité de tous les groupes politiques représentés au Parlement. Le mouvement syndical doit se préoccuper de cette situation ; il faut ré-impulser des actions de désobéissance, ne pas accepter les reculs des libertés, et parallèlement s’organiser contre la répression et pour la solidarité.
Loi travail 2 : pour annuler 1936, 1945, 1968, 1981…
Après le 49-3 de 2016, c’est par le recours à un autre outil institutionnel que le gouvernement de 2017 a procédé : les ordonnances. Le résultat est le même : le Parlement donne carte blanche à l’Exécutif ; la tâche est aisée lorsqu’on dispose d’une majorité absolue à l’Assemblée nationale. Mais avant la validation de ces ordonnances, fin septembre, le gouvernement Macron a voulu associer une partie des organisations syndicales. CGT, CFDT, FO, CGC et CFTC ont été invitées, au début de l’été puis fin août, à deux séries de réunions pour leur présenter les projets. Tout a été fait pour diviser le mouvement syndical : seules ces 5 confédérations ont été conviées et surtout, toutes les réunions ont été organisées en tête à tête avec la délégation gouvernementale, chacune de ces 5 organisations syndicales devant s’y présenter à tour de rôle. Pas une seule rencontre avec toutes les parties prenantes ! De quoi permettre au gouvernement, et donc au patronat qui le mandate, de tirer les ficelles ! CFDT et CFTC se complaisent dans ce genre de situations ; FO y a trouvé de quoi se satisfaire et ne pas appeler à la journée nationale de grève et manifestations du 12 septembre13 ; CGC et CGT ont demandé une rencontre en présence des 5 confédérations, mais ont participé jusqu’au bout au processus mis en place par le gouvernement. Il est vrai que les propositions de rencontre intersyndicale, lancées à plusieurs reprises par Solidaires depuis fin avril, n’avaient trouvé aucun écho de la part des organisations qui avaient mené la lutte ensemble en 2016. Le choix de la CGT de lancer seule l’appel au 12 septembre n’a pas aidé à construire un mouvement unitaire, mais il nous revient de trouver les moyens de contourner le sectarisme.
Les dispositions antisociales de la loi Travail 2 sont nombreuses, La CGT, l’Union syndicale Solidaires, la CNT-SO, mais aussi le Syndicat des Avocats de France, le Syndicat de la Magistrature ou encore la Ligue des Droits de l’Homme, ATTAC et Copernic, ont produit des analyses pertinentes et complètes. La lecture des projets d’ordonnances amenait à dresser une liste bien longue14 :
- Piétinant le Code du travail et les conventions collectives une entreprise pourra baisser les salaires, modifier le temps de travail, les congés, les majorations d’heures supplémentaires…
- En cas de licenciement illégal, l’indemnité prud’homale serait plafonnée. Ou comment planifier et quantifier tranquillement la criminalité dès lors qu’elle est patronale !
- Le plancher de 24 heures hebdomadaire pour un contrat à temps partiel n’est plus la règle dans la loi. Les temps d’astreinte peuvent être décomptés des temps de repos. Les 11 heures de repos obligatoire par tranche de 24 heures peuvent être fractionnées. Le dispositif « forfaits-jours », qui permet de ne pas décompter les heures de travail, est étendu à l’ensemble des salarié.es. Flexibilité et précarité à tout va !
- Suppression des DP, CE et CHSCT. Une instance unique est créée ; disparaissent la plupart des prérogatives existantes qui permettaient aux salarié-es d’être informés et de se défendre. Le nombre de délégués sera au moins divisé par deux.
- Une multinationale pourra fermer une entreprise « en difficulté » sur le territoire français, et licencier, sans que les profits colossaux qui sont réalisés dans le monde soient pris en compte. Il est déjà si facile pour une entreprise de plomber ses comptes au travers des jeux d’écritures et des transferts vers « les paradis fiscaux » !
- Une mesure peut-être imposée par référendum contre l’avis de 70% des syndicats. Bien entendu, ces référendums s’organiseront avec chantage à l’emploi…
- Une entreprise pourra légalement licencier sans avoir de « difficultés économiques ». Les employeurs n’auront plus obligation de faire des offres de reclassement individuelles, ils pourront se contenter de … donner un accès internet en interne sur des offres « d’emplois accessibles » !
- Après un accord d’entreprise, un salarié qui refuse un changement dans son contrat de travail (salaire, temps de travail, conditions de travail) pourra être licencié pour faute. …
- Une entreprise ou un groupe de moins de 1 000 salarié-es pourra mettre en œuvre un plan de licenciement avant une cession de fonds de commerce ou d’activité. C’est la remise en cause du transfert et de l’obligation de reprise du personnel.
- La durée du congé en cas de décès d’un proche (enfant, conjoint-e, …) n’est plus garantie par la loi.
- La visite médicale d’embauche est transformée en une « visite d’information ».
- Par simple accord d’entreprise, on peut passer à 12 heures de travail par jour et à 46 heures de travail par semaine.
- Les conditions de recours aux Contrats à durée déterminée (CDD) seront définies branche par branche : la durée pourra être portée à 5 ans, alors qu’actuellement elle ne peut excéder 18 mois sur un même poste ; on pourra inventer des « CDI de chantier », qui transforment le contrat à durée indéterminé en CDD (avec même moins de garanties que ces derniers).
Nous nous attarderons ici sur le seul volet relatif au fait syndical. Il comprend deux aspects :
- la disparition des instances représentatives du personnel (CHSCT, DP et CE15), remplacées par un Comité Social et Economique aux contours encore incertains mais dont il est déjà acté qu’il entérinera la suppression de plusieurs attributions et droits des délégations actuellement existantes ;
- l’extension des moyens donnés à l’employeur de contourner les sections syndicales d’entreprise, pour imposer des mesures, même très majoritairement refusées par celles-ci.
D’où viennent ces droits des travailleurs et des travailleuses dont le patronat est en passe d’obtenir la suppression ?
- La généralisation des Délégués du Personnel dans les établissements d’au moins onze salariés date de la loi du 24 juin 1936 qui reprenait là une des dispositions des accords Matignon signés durant la grève générale de Mai-Juin.
- Les Comités d’Entreprise ont été institués par les Ordonnances du 22 février 1945, en application du programme du Conseil National de la Résistance, dont le patronat était très majoritairement écarté car ayant collaboré avec les régimes fascistes.
- La section syndicale d’entreprise devint légale par la loi du 27 décembre 1968, concrétisant un des engagements pris lors des négociations de Grenelle, pendant la grève générale de cette même année.
- Les CHSCT datent de la loi du 23 décembre 1982, dernière des quatre lois modifiant profondément le Code du travail promulguées par le gouvernement issu de l’arrivée de la Gauche au pouvoir, le 10 mai 1981.
1936, 1945, 1968, 1981 : quatre moments où le patronat16 est en situation de faiblesse et où il a peur du mouvement social qui joue pleinement son rôle politique. Une peur parfois exagérée, une faiblesse trop souvent vite compensée par les compromissions de celles et ceux que l’autonomie des travailleurs et travailleuses effraie. Mais le fait est indéniable : patronat et bourgeoisie se vengent de défaites sociales passées et laissent libre cours à une haine du peuple qu’il leur fallait plus ou moins contenir ! La sortie de Macron sur « les fainéants, les cyniques et les extrêmes » n’en est que l’écume.
Ce ne sont pas seulement des contre-réformes antisociales qu’il faut combattre ; tous les droits des salarié-es, à commencer par celui de s’organiser et de se défendre collectivement, sont frontalement attaqués. Nous voulons l’abolition du salariat ? Le pouvoir en place aussi ! Pour nous, il s’agit de le remplacer par une société égalitaire, autogestionnaire, féministe, écologiste, mettant un terme à l’exploitation des êtres humains ; le gouvernement entend y substituer l’auto-entreprenariat, l’ubérisation, la précarité générale, la loi des plus forts comme seule règle de vie.
1936, 1945, 1968, 1981 … Alors oui, il faut réussir les journées de grève et manifestations ; oui, il est indispensable de les préparer, notamment en prenant les moyens d’y donner un caractère unitaire plus affirmé. Mais l’enjeu impose de construire d’autres perspectives. En termes de dates, car il ne s’agit pas d’aligner des journées « pour l’honneur » ; en termes de projet émancipateur et crédible, lié à la défense quotidienne de nos intérêts de classe, individuels et collectifs, car c’est ainsi qu’on pourra construire un mouvement fort, ancré parmi la masse des travailleurs et travailleuses, qu’ils et elles soient en activité, en retraite, au chômage ou en formation.
1936, 1945, 1968, 1981 … reprenons les questions essentielles : l’unité et l’unification du mouvement syndical, son implantation, sa capacité à se transformer en véritable force syndicale et sociale pour jouer le rôle politique qui doit être le sien, la réalité de son internationalisme face à celui des forces capitalistes17… Il y a urgence. Mais pas obligation de se précipiter pour satisfaire au zapping des réseaux (anti ?) sociaux ou aux appétits politiciens. A partir des enseignements du passé et sans le mythifier, en fonction des réalités contemporaines et sans les considérer inéluctables, construisons, créons, osons…
La dimension internationale
La loi Travail en France s’inscrit dans une offensive des capitalistes qui est internationale ; rien qu’en Europe, on peut citer les lois Hartz en Allemagne, les contrats 0 heure en Grande-Bretagne, le Job’s Act en Italie, les accords Patronat/CCOO/UGT dans l’Etat espagnol, bien sûr les mémorandums en Grèce, et encore la loi Peeters en Belgique ; l’attaque se retrouve sous diverses formes sur les autres continents. Quelques exemples :
En Allemagne, ce sont les lois Hartz qui ont modelé l’actuel état des rapports sociaux dans le pays. Elles sont issues d’une commission d’experts présidée par Peter Hartz qui rendit son rapport en 2002. Les représentant-es de la centrale syndicale DGB ont approuvé. Evidemment, comme toujours, on parlait de mettre en œuvre « une cure radicale contre le chômage ». La réalité des quatre lois provenant directement de ce rapport consensuel fut tout autre. La première loi étendait les possibilités de recours au travail temporaire et durcissait les obligations des chômeurs et chômeuses (refus de salaires plus bas ou de mobilité géographique entrainent d’importantes réductions des allocations, voire leur suppression) ; Hartz II instaurait les « mini-emplois18 » et les aides à l’auto-entrepreneuriat ; Hartz III a transformé l’Office fédéral du travail19 en une Agence fédérale pour l’emploi, avec mise en place d’objectifs de « rentabilité », site par site. Hartz IV supprime les différentes allocations-chômage, fusionne l’assistance-chômage avec les aides sociales, réduit considérablement les montants, réduit la durée et durcit les conditions d’indemnisation. Pas seulement pour l’anecdote mais parce que cela illustre le cynisme ambiant de certains milieux, il faut parler de ce qui aurait pu s’appeler Hartz V : quatre mois après l’entrée en vigueur de la dernière de ses lois, Peter Hartz, ex Directeur du personnel chez Volkswagen, démissionnait à cause de ses implications dans un scandale mêlant divers responsables de cette entreprise : malversations, pots-de-vin et aussi voyages auprès de prostituées offerts à des représentants du personnel… Il a été condamné en 2007.
Les quatre lois Hartz datent de 2002 et 2004 ; on voit d’où vient le « modèle allemand » tant mis en exergue par nos gouvernements successifs, de Droite et de Gauche. Le résultat ? La ministre du travail, Andrea Nahles, en donnait un brillant aperçu il y a quelques mois, lors de la présentation du rapport annuel du gouvernement allemand sur la richesse et la pauvreté : « les quatre dixièmes les moins aisés de la population salariée ont gagné moins en 2015 qu’au milieu des années 1990 ». Dans le pays, les ménages appartenant au 10% les plus fortunés possèdent plus de la moitié de la richesse totale ; les 50% de la population les moins favorisés se partagent 1% de cette richesse (qu’ils et elles produisent). Selon Eurostat, 20% de la population allemande est en risque de pauvreté ou exclusion totale. Les jeunes, les femmes, les personnes migrantes et celles en retraite représentent les catégories les plus touchées par cet excès de pauvreté et précarité aux conséquences dramatiques, notamment en matière de santé et d’exclusion sociale20. Mi-août 2017, l’Institut national de statistiques a précisé l’ampleur des dégâts : en Allemagne, parmi les travailleurs et les travailleuses, il y a 13,4% de temps partiel à moins de 20 heures par semaine, 10,2% « d’indépendant-es » dont la moitié en auto-entrepreneuriat, 7,2% en contrats à durée déterminée, 5,9% en « mini-jobs », 2% en intérim. Soit près de 14 millions de personnes sur une population active de 44 millions. Voilà qui relativise énormément le fameux « miracle allemand » et son taux de chômage plus réduit qu’en France.
Un petit focus sur les 2 millions d’auto-entrepreneurs, puisque c’est une « solutions-phare » de Macron : 600 000 gagnent mois de 790 euros par mois ; moins de la moitié cotise pour la retraite.
C’est aussi pour « favoriser l’emploi en CDI » qu’ont été imposées plusieurs contre-réformes, dont le Jobs Act, en Italie. Fruits du rapport de forces entre 1960 et 1970 plusieurs lois sécurisent réellement les conditions dans lesquelles sont employés les travailleurs et travailleuses de ce pays : interdiction du travail intérimaire en 1960, réglementation des CDD en 1962, jusqu’au « statut des travailleurs » de 1970.
A compter de la fin des années 1990, la marche arrière s’accélère. En 1997 et 2003, deux contre-réformes flexibilisent grandement la relation de travail dès son origine : le recours aux CDD est facilité et de nouveaux contrats atypiques sont inventés. Dans les années qui suivent, le gouvernement Berlusconi s’appuie sur les demandes de la Commission européenne et de la Banque centrale européenne pour s’attaquer aux retraites, à la fonction publique, aux services publics, à la négociation collective. En 2012, sur le modèle des lois Hartz, les allocations-chômage sont restructurées, le montant en est réduit, la durée de perception raccourcie. Cette même année, puis en 2014 et 2015, une nouvelle couche législative est mise, cette fois pour flexibiliser la fin de la relation de travail : le licenciement des personnes en CDI est facilité, les possibilités de recours juridiques des travailleurs et travailleuses sont réduites.
Le contrat de travail précaire est devenu la norme en Grande-Bretagne, à l’image du contrat 0 heure : les salarié-es sont perpétuellement à disposition de l’employeur qui les appelle quand il le souhaite et ne les paie que sur la base des heures effectuées. Aucun minimum n’existe ! Le patronat a aussi le droit d’annuler au tout dernier moment des heures prévues, sans le moindre dédommagement. Près d’un million de personnes sont astreintes à ce type de contrat. La récente grève des travailleurs et travailleuses de McDonald’s à Londres montre que la résistance et la volonté de changement existent !
Dans l’Etat espagnol, fin 1977 était signé le Pacte de la Moncloa par lequel le gouvernement, la plupart des partis politiques, les organisations patronales et les confédérations syndicales UGT et CCOO21 s’engageaient à maintenir la paix sociale pour assurer une « transition sereine vers la démocratie ». C’est dans ce contexte que, depuis, plus de cinquante lois ont bouleversé les rapports entre salarié-es et patronat ; on imagine dans quel sens… Dans les années 1980/90, les objectifs portent sur quatre axes essentiels : assouplir les règles de recours et d’utilisation des contrats temporaires ; renforcer et imposer la mobilité géographique et professionnelle ; faciliter les licenciements ; affaiblir le rôle de l’Agence pour l’emploi, au profit des agences de travail temporaire qui en reprennent les attributions22. Dans le même temps, les jeunes de moins de 30 ans, les chômeurs et chômeuses de longue durée, les salarié-es de plus de 45 ans, les travailleurs et travailleuses handicapés, se voient imposer un nouveau type de Contrat à durée indéterminée : en cas de rupture de celui-ci, l’indemnisation est considérablement réduite … ou comment transformer le CDI en CDD ! A partir de 2010, ceci s’appliquera à tous. Dans le même temps les licenciements sont encore plus aisés : extension des licenciements dits économiques, préavis raccourci, et surtout le non-respect de la procédure de licenciement n’entraine plus sa nullité et la réintégration.
Les accords nationaux interprofessionnels que les CCOO et l’UGT signent avec le patronat prévoient une « modération salariale » sur plusieurs années. Ils sont aussi le prélude à la nouvelle contre-réforme globale de 2012, malgré plusieurs grèves organisées par les syndicats « alternatifs23 » : dans les entreprises de moins de 50 salarié-es, la période d’essai d’un CDI est portée à un an ; l’indemnité perçue en cas de licenciement injustifié est encore abaissée ; l’employeur peut unilatéralement imposer des modifications du contrat de travail dans de nombreux domaines (temps de travail, heures complémentaires pour les temps partiels, mobilité géographique et professionnelle, …) ; et les accords d’entreprise priment sur les conventions collectives, tant pour les salaires que pour l’organisation du travail, la mobilité, etc. Toute ressemblance avec une situation connue ailleurs n’étant pas fortuite, il faut préciser que la répression des mouvements sociaux est croissante ; la ley Mordaza24 de 2015 criminalisant potentiellement toutes celles et tous ceux qui résistent, désobéissent, manifestent, … ou sont seulement soupçonnés de le faire.
Entre 2009 et 2015, en termes réels, le salaire moyen a baissé de 6%. Près de 25% des emplois sont sous forme de contrats temporaires, qui représentent 90% des embauches. Leur durée moyenne a chuté : 78,6 jours en 2007, 53,4 jours en 2015. Et malgré cette précarité, le taux officiel de chômage est de 17,8% (9,5% en France25).
La loi Peeters a été adoptée par le Parlement belge en février 2017. Annualisation du temps de travail, possibilité d’aller jusqu’à 9 heures par jour et 45 heures par semaine sans paiement d’heures supplémentaires, invention d’un contrat intérimaire à durée indéterminée, développement de la flexibilité et du temps partiel, … Tout ceci est développé par Gérald Renier dans ce numéro26.
Au Brésil, le Code du travail a été profondément revu en juillet 2017. Plusieurs grèves ont eu lieu, l’unité syndicale est revenue après la longue parenthèse des années de gouvernement du Parti des Travailleurs durant lesquelles la CUT a couvert des mesures fort critiquables27 ; La difficulté à aller au-delà de journées isolées n’a pas permis de faite céder le patronat et le gouvernement. La loi adoptée par le gouvernement du brigand Temer prévoit notamment l’affaiblissement du Code du travail au profit des « négociations » entreprise par entreprise ; des mesures favorisant le temps partiel ; une flexibilité accrue du temps de travail ; des licenciements encore plus faciles ; la réduction des possibilités de recours aux tribunaux pour les salarié-es victimes de mesures illégales de la part de l’employeur. Au Brésil, avant même cet énorme retour en arrière, 14 millions de personnes vivent sous le seul de pauvreté…
Ces exemples, qui pourraient être plus nombreux, posent la question de la réalité de l’internationalisme du mouvement ouvrier et notamment du mouvement syndical. Il y a urgence à rassembler les syndicalismes de lutte à l’échelle internationale. C’est sans aucun doute un des sujets sur lesquels il nous faudrait collectivement travailler plus efficacement, sauf à vouloir nous contenter de commenter les évènements et analyser nos défaites successives28.
Soutenir les luttes dans chaque pays, être présent-es dans les manifestations des un-es et des autres, organiser des tournées internationales d’information syndicale29, publier du matériel commun, lancer des campagnes internationales, tout cela est possible. Il ne s’agit pas de décréter la construction d’une nouvelle confédération internationale mais d’agir concrètement pour unifier et renforcer notre syndicalisme. C’est ce que nous essayons de faire, notamment à travers la construction et le renforcement du Réseau syndical international de solidarité et de luttes30, qui est ouvert aux organisations syndicales nationales ou locales, professionnelles ou interprofessionnelles, aux courants syndicaux, qui se retrouvent dans les orientations et pratiques d’un manifeste commun.
Bilans et perspectives, que faire, et toutes ces sortes de choses…
Le contenu du projet de loi justifiait notre opposition résolue ; mais ce mouvement a cristallisé bien d’autres refus. Des jeunes y ont exprimé leur rejet d’un avenir fait de précarité, de pauvreté et d’exclusion ; des chômeurs et chômeuses réclamaient le respect de leurs droits et de leur dignité ; des retraité-es ont manifesté une solidarité intergénérationnelle qui s’oppose à la propagande du « chacun pour soi » ; des salarié-es en ont marre de bosser plus pour gagner moins, mais aussi des conditions de travail exécrables, des pressions et des sanctions, du chantage à l’emploi, de la hiérarchie qui impose ses décisions souvent sans connaître le travail réel, etc. Tous dénoncent l’inanité des promesses politiciennes et l’auto-reconduction de celles et ceux qui se prennent pour une élite ; autant d’éléments qui, d’ailleurs, ont grandement contribué, depuis des années, à la banalisation de l’extrême-droite et, au printemps 2017, à la réussite électorale d’En marche.
Articuler ces deux aspects, le refus de ce projet et les revendications plus larges, est une des responsabilités du mouvement syndical ; du moins du (fort) courant syndical qui ne se satisfait pas d’organiser des actions pour témoigner de désaccords, mais qui entend construire des luttes gagnantes, et par là favoriser la rupture avec les systèmes économique et politique en place.
Un exemple issu des lois Travail de 2016 et 2017 pourrait synthétiser cette situation. Répondant aux revendications patronales, les gouvernements Hollande et Macron ont institué des référendums pour contourner les refus d’une majorité syndicale d’accepter des accords antisociaux. Il faut combattre cette orientation ; mais comment ? En brandissant, certes à juste titre, le respect du fait syndical ? Au risque de ne pas être compris par nombre de salariés qui ne verront pas pourquoi il serait dangereux de les consulter ? Non. Soyons offensifs et inventifs ! Nous pourrions organiser une vaste campagne syndicale unitaire pour exiger la généralisation de ces référendums dans les entreprises et les services : pour ou contre les licenciements ? Pour des augmentations en sommes uniformes ou en pourcentage ? Pour augmenter les salaires ou les profits des actionnaires ? Pour ou contre des embauches ? Ainsi, tout à la fois, nous combattrons la disposition pro-patronale de la loi, nous montrerons que le syndicalisme ne craint pas l’avis des travailleurs et des travailleuses, nous créerons les conditions de débats sur les lieux de travail posant la question de la démocratie en entreprise. A nous syndicalistes de montrer que la démocratie ne peut être questionnée sans s’interroger sur comment le droit de propriété règle la question du pouvoir en entreprise, comment le rôle de l’Etat pèse sur le champ démocratique dans le secteur public… Au-delà, une telle démarche peut se décliner autour de bien d’autres sujets : l’organisation et le temps de travail, la formation, etc.
Partir des revendications concrètes, faire le lien avec les sujets plus généraux, en dégager des perspectives d’ensemble, c’est permettre que de très nombreuses personnes se posent la question d’un changement de société ; plus utilement qu’à travers les programmes élaborés en circuit fermé par des organisations politiques. Encore faut-il se donner les moyens du débat avec la masse des travailleurs et des travailleuses. La grève reconductible permet cela à travers les débats en A.G. de grévistes, mais aussi les nombreuses discussions informelles sur le lieu de travail alors réapproprié, ou les échanges avec d’autres secteurs en lutte, avec les jeunes qui occupent universités et lycées, avec les chômeurs et chômeuses, etc. Nos aspirations démocratiques ne peuvent être déconnectées de la manière dont nous construisons et animons les A.G. Celles-ci doivent correspondre aux collectifs de travail habituels des collègues pour qu’ils et elles s’y expriment naturellement, il ne s’agit pas de les transformer en meetings syndicaux (qui peuvent correspondre à d’autres temps du mouvement).
En 2016, il y a eu six mois de lutte à l’échelle nationale. C’est un évènement qui compte : par son sens en matière de lutte des classes, par ce dont un tel mouvement est porteur pour l’avenir.Ce mouvement a été une réponse à une attaque très forte : une remise en cause fondamentale des droits des travailleurs et travailleuses en France, à travers un projet de loi gouvernemental répondant aux revendications du patronat : une déstructuration de la législation sociale, pour faire exploser les droits collectifs, renforcer considérablement l’exploitation des travailleurs et travailleuses, d’abord dans les plus petites entreprises, ensuite dans toutes les autres en faisant jouer le dumping social, le chantage à l’emploi, etc. Le tout, en maintenant au chômage une masse importante, pour renforcer la pression.
Nous mettrons en avant deux points essentiels, qui peuvent apparaitre opposés mais ne sont pas contradictoires :
- C’est une défaite du mouvement social, du mouvement syndical, des travailleurs et des travailleuses.
- C’est le retour au premier plan, pendant 6 mois, de la lutte des classes dans son expression la plus claire. Ce fut une longue période durant laquelle « la politique » se faisait dans les entreprises et dans la rue, par celles et ceux qui faisaient grève, manifestations, assemblées générales, débats, occupations, blocages, … Il y a un enjeu autour de la formation syndicale des jeunes actifs et actives dans cette lutte, et aussi autour de l’adhésion au mouvement syndical d’une partie d’entre eux et elles.
Si nous voulons être efficaces, nous n’échapperons pas à une réflexion sur notre incapacité à construire, durant ces six mois, une grève nationale interprofessionnelle :
- absence de secteurs entraînant les autres ;
- faiblesse des forces syndicales qui y appellent ;
- refus de certaines d’y appeler ;
- déserts syndicaux de plus en plus importants : les petites entreprises, mais aussi des zones territoriales où le travail dit informel prend le dessus,…
On a les explications, mais il faut travailler sur ces enseignements et le faire collectivement, unitairement ; sinon, on se condamne à renouveler l’exercice consistant à commenter nos défaites.
- Le syndicalisme a un rôle à jouer, pour la défense des revendications immédiates, dans le cadre du système actuel ; mais aussi dans la lutte contre le fascisme ; et, parce qu’il est l’expression autonome des travailleurs et des travailleuses (au sens large : en incluant chômeurs et chômeuses, personnes en retraite, jeunes en formation), il doit construire les nécessaires ruptures avec le système capitaliste, dans la perspective d’une transformation sociale radicale.
- Il faut prendre le temps de vrais bilans, dans toutes nos structures syndicales ; mais ces bilans doivent être suivis de décisions sur ce que nous devons changer dans nos pratiques et nos priorités et celles-ci doivent être mises en œuvre. Sinon, c’est se limiter à du bavardage.
- Unifier le syndicalisme de luttes est une de nos tâches essentielles aujourd’hui. Cela doit se faire dans le cadre d’une politique syndicale claire, démocratique, offensive et avec pragmatisme, en partant des situations réelles dans chaque pays, dans chaque secteur ; répéter des slogans rabâchés sans effet depuis des années ne suffit pas.
- La dimension internationale du syndicalisme doit aussi être une priorité ; c’est une évidence dès que nous analysons l’action des patrons et des gouvernements d’une part, la réalité des mouvements sociaux d’autre part. Tirons-en les conclusions qui s’imposent si nous voulons être plus efficaces.
1 Ce ne sont pas seulement ces actions, ces faits, ces évènements, qui ont permis cela : ils ont contribué à créer le rapport de force idéologique et politique indispensable à leur succès ; et dans un rapport dialectique, ils s’en sont nourri.
2 Ce qui ne retire rien au fait que nous avons aussi beaucoup à en apprendre.
4 L’usine a été fermée après de nombreuses luttes menées par ce syndicat CGT, animé par ce militant. Ce fut aussi le lieu de pratiques particulièrement sectaires, notamment vis-à-vis de SUD et Solidaires.
5 Voir « la grève de 2016 dans le secteur ferroviaire » [Mathieu Borie, Christian Mahieux, Frédéric Michel, Julien Troccaz], dans le dossier « grève des cheminots et des cheminotes de 1986 et 2016 : et si on parlait de grève reconductible ? ». Les utopiques n°3, septembre 2016, pages 72 à 111.
6 Au sens de la classe sociale qu’ils et elles représentent : salarié.es, retraité.es, chômeurs.ses, en formation,…
7 La « gymnastique révolutionnaire », disait-on au début du siècle passé.
8 Internet, qui est par ailleurs un outil militant très utile.
9 Initialement proposée sous le nom « Une autre campagne », elle s’est fondue avant même d’avoir été proposée aux autres forces du mouvement social dans celle issue d’ATTAC « Nos droits contre leurs privilèges ».
10 RLF, réseau de lutte contre le fascisme et l’extrême droite, qui comptait plusieurs dizaines de collectifs locaux à la fin des années 1990.
11 Voir « la violence structurelle du travail et la violence contre l’autogestion des travailleurs » [Philippe Arnaud]. Les utopiques n°4, février 2017, pages 90 à 97.
12 A ce sujet, on se rapportera aux articles « assigné-es à résistance » [Théo Roumier], « l’état d’urgence, seconde nature de l’Etat » [Jean-Jacques Gandini], « ce que tout révolutionnaire devrait savoir de l’antiterrorisme »
13 La moitié des Unions départementales et plusieurs fédérations FO y ont toutefois appelé, contrairement au mot d’ordre confédéral.
14 Bien sûr, pour récompenser quelques organisations syndicales qui font le sale boulot de désinformer les travailleurs et les travailleuses, il est possible qu’une mesure ou deux soient atténuées avant les décrets d’application. A la lecture de la liste et vu l’ampleur des modifications, on comprendra que cela ne change rien.
15 Comités d’Hygiène, Sécurité et des Conditions de Travail – Délégué du Personnel – Comités d’Etablissement et Comités d’Entreprise.
16 Le patronat, et plus généralement tout le camp des réactionnaires.
17 Voir à ce propos l’article « Invoquer l’unité, oui ; la faire c’est mieux ! » [Théo Roumier, Christian Mahieux]. Cahier de réflexions Les utopiques n°4, février 2017.
18 Plus de 7 millions de personnes survivent avec ces « mini-jobs » (payés 450 euros par mois au maximum) et « midi-jobs » (850 euros maxi) pour lesquelles les cotisations sociales sont drastiquement réduites.
19 L’OFT était l’équivalent de l’ex Agence nationale pour l’emploi (ANPE) en France.
20 Plus d’éléments avec par exemple cet article : « Allemagne. Pauvreté et santé publique sous le régime des lois Hartz » [Christoph Butterwegge], sur le site www.alencontre.org
21 Commissions Ouvrières.
22 La loi de 1994 donne aux entreprises la possibilité de créer leur propre agence de travail temporaire.
23 CGT, Intersindical, CNT, Solidaridad obrera, IAC, LAB, ELA, CUT, CIG…
24 Loi du bâillon.
25 Chiffres d’avril 2017 pour les deux pays.
26 Pages XX à XX.
27 Sur le Brésil : revue internationale n° 11 de l’Union syndicale Solidaires, janvier 2017.
28 Nous renvoyons sur ce point à une contribution intitulée « le syndicalisme, l’Europe, l’euro : de quoi parle-t-on ? Et surtout : en parler pour quoi faire ? » ; texte de Stéphane Enjalran et Christian Mahieux, paru dans le n° 28 (Janvier 2016) de la revue Contretemps (www.contretemps.eu), qui reprend très largement une contribution de la commission internationale de l’Union syndicale Solidaires. Ecrit, fin 2015, il nous semble toujours d’actualité.
29 En 2016, nous avons reçu de nombreux messages de soutien, nous avons pu compter sur la présence de délégations internationales lors de plusieurs manifestations, nous avons été invités à expliquer notre lutte et son sens lors de réunions organisées en Allemagne, au Brésil, en Uruguay, en Belgique, en Italie, en Espagne, en Suisse, en Grèce.
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