Du fonctionnement de fait aux règles statutaires

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Les militantes et les militants qui connaissent un peu l’histoire de la création de l’Union syndicale Solidaires savent plus ou moins qu’à l’origine des Statuts de Solidaires, il y a le fonctionnement « de fait » du Groupe des Dix. L’objet de cet article est de revenir sur le fonctionnement retenu par les syndicats de ce qui s’est appelé progressivement Groupe des Dix.


Adhérent au Syndicat national unifié des Contributions directes et du Cadastre en 1965, Gérard Gourguechon, fut secrétaire général du Syndicat national unifié des impôts (SNUI, aujourd’hui Solidaires Finances publiques) de 1980 à 1986, avant d’être porte-parole du G10 puis de l’Union syndicale Solidaires jusqu’à son départ en retraite, en 2001. Il est co secrétaire de l’Union nationale interprofessionnelle des retraité∙es Solidaires (UNIRS).


Démocratie syndicale : les comptes-rendus des réunions nationales du G10 sont diffusés aux syndicats de base. La séance du 6 janvier 1996 était consacrée aux « mouvements sociaux de novembre/décembre 1995 », et suivie d’une « rencontre entre le G10 et des cheminots CFDT ». [Coll. CM]
Démocratie syndicale : les comptes-rendus des réunions nationales du G10 sont diffusés aux syndicats de base. La séance du 6 janvier 1996 était consacrée aux « mouvements sociaux de novembre/décembre 1995 », et suivie d’une « rencontre entre le G10 et des cheminots CFDT ». [Coll. CM]

Du fonctionnement de fait aux règles statutaires

Il faut bien avoir en tête qu’au départ, il n’y avait aucune volonté, ni même idée, de construire quelque chose, ni même un embryon de structure. L’idée, c’était plus ou moins celle d’une intersyndicale interprofessionnelle, plus ou moins permanente. Et même pour une telle « intersyndicale », la perspective de règles de fonctionnement était déjà difficile à admettre. Tout ceci s’est fait par choix successifs, pour répondre à des questions concrètes qui étaient posées au groupe et à chaque organisation membre du groupe au fur et à mesure des réunions et des décisions prises collectivement.

Au départ, une réunion intersyndicale interprofessionnelle entre 10 organisations

Le 10 décembre 1981, dix syndicats ou fédérations autonomes se réunissaient pour la première fois : la FGSOA (Fédération générale des salariés des organismes agricoles et de l’agro-alimentaire), le SNUI (Syndicat national unifié des Impôts), la FGAF (Fédération générale autonome des fonctionnaires), la FADN (Fédération autonome de la Défense nationale), la FGAAC (Fédération générale autonome des agents de conduite – SNCF), la FAT (Fédération autonome des transports – RATP), le SNCTA (Syndicat national des contrôleurs du trafic aérien), le SNJ (Syndicat national des journalistes), la FASP (Fédération autonome des syndicats de Police), le SUACCE (Syndicat unifié des agents et cadres des Caisses d’épargne).

L’initiative de cette réunion revenait à la FGSOA. Au lendemain du 10 mai 1981, la FGSOA pensait que le changement politique (l’arrivée de la gauche au pouvoir) pouvait être l’occasion d’un rapprochement entre les organisations syndicales, rapprochement apte à peser pour le progrès social et pour la satisfaction des revendications (comme en 1936, avec une pression sur le patronat et sur le pouvoir politique). Après avoir rencontré la CGT et la CFDT qui lui ont aussi parlé d’unité syndicale mais en précisant l’une et l’autre que l’unité passait par l’adhésion à leur confédération, la FGSOA a pris l’initiative de contacter certaines organisations syndicales « autonomes et progressistes », indépendantes, non confédérées. Elle a donc initié un certain nombre de rencontres bilatérales dans ses locaux, puis elle a proposé cette réunion commune à toutes celles qui lui avaient répondu favorablement pour une première rencontre. Cette réunion s’est tenue dans les locaux du SNUI, dont le siège était alors central dans Paris (rue des Mathurins, dans le 8e arrondissement) et disposait d’une salle assez grande pour accueillir une vingtaine de personnes. Dès cette réunion, il a été décidé de poursuivre les contacts, d’échanger, de confronter nos analyses, nos revendications et nos pratiques. Nous voulions aussi réfléchir aux causes de la désyndicalisation et agir pour l’unité syndicale. Après avoir constaté que la plupart des syndicats présents étaient nés de la scission entre la CGT et la CGT-FO en 1947-1948 et de leur refus de choisir entre ces deux confédérations, les dix organisations ont tout de suite ajouté qu’il n’était pas question de créer une quelconque structure interprofessionnelle confédérale supplémentaire ou d’agir contre les confédérations existantes. C’était l’unité la plus large qui était souhaitée.

Une intersyndicale interprofessionnelle qui devient permanente

Dès les premières rencontres, et au fur et à mesure qu’elles se suivaient (sept réunions en 1982, onze réunions en 1983), certains problèmes matériels ont bien dû être solutionnés. Rapidement, nous nous sommes considérés comme une intersyndicale interprofessionnelle permanente. Dès que nous avons souhaité nous exprimer collectivement par un communiqué de presse, il a été retenu de mettre en en-tête les 10 logos des 10 organisations, avec, en signature, les 10 adresses. Puis, progressivement, il a été ajouté « Groupe des Dix », et ce même quand nous avons été plus de dix organisations regroupées (c’est en octobre 1984 que nous avons pris l’appellation « Groupe des 10 »).


Lors du congrès de janvier 1998. [DR]
Lors du congrès de janvier 1998. [DR]

La primauté laissée à chaque syndicat de base

Quand nous avons souhaité rencontrer des représentants des pouvoirs publics (ce qui est arrivé assez rapidement : le 6 septembre 1982, nous sommes reçus par M. Bernard Brunhes, conseiller technique à Matignon), il a été nécessaire, au préalable, de cadrer nos interventions, de leur donner de la cohérence. C’est ainsi que nous avons pris l’habitude de nous exprimer collectivement seulement sur des sujets sur lesquels nous étions tous d’accord. Ceci nécessitait de bien préparer, en amont, les audiences éventuelles pour décider entre nous des points qui allaient être abordés. Une objection d’une seule organisation était suffisante pour que le point soit retiré, comme ne faisant pas accord unanime. Et cette objection pouvait être soulevée par l’une quelconque des organisations. Tous les syndicats présents alors ont facilement adopté entre eux ces règles du jeu, car ils étaient tous habitués à vivre en totale indépendance depuis 1948, sans aucune autorité de tutelle. Aucun syndicat n’aurait accepté que des propos soient tenus en son nom, alors que cette question n’aurait jamais été débattue auparavant en interne, en congrès. Logiquement aussi, quand ça coinçait sur un point pour une organisation, nous gardions ce point en réserve pour en discuter ensuite entre nous et pour essayer de nous convaincre les uns les autres. À chaque fois, il s’agissait de répondre à une question concrète : de quoi nous allons parler ensemble ? C’est bien plus tard que nous avons essayé de théoriser tout ceci, en parlant de fonctionnement au consensus, en constatant que nous donnions la même importance à toute objection venant de toute organisation, quelle que soit sa taille. Nous avons ensuite formulé cette pratique comme étant la volonté de reconnaître la totale souveraineté de chaque organisation, chaque congrès de chaque structure devant rester maître de son organisation et de ses choix, orientations, revendications et actions. Cette pratique de fait est devenue la disposition statutaire par laquelle chaque organisation membre dispose d’une voix, quelle que soit sa taille, quel que soit le nombre de ses adhérentes et adhérents. Et ce fonctionnement au consensus conduit à rejeter le fonctionnement majoritaire, dans lequel une décision est considérée comme adoptée si elle l’est par une majorité de structures, ou une majorité d’adhérentes et d’adhérents membres des différentes structures. Dans les deux cas, le fonctionnement majoritaire peut conduire à ce que l’expression officielle d’un syndicat membre (l’expression de sa confédération, par exemple) soit à l’opposé de ce que le congrès de ce syndicat a pu directement voter. Ceci a ensuite été théorisé comme étant la volonté de donner la primauté au syndicat de base sur la structure interprofessionnelle. Une autre conséquence a été le souci d’éviter l’émergence d’un appareil syndical plus ou moins bureaucratique venant coiffer les structures de base et pesant sur leur libre expression. La primauté donnée au syndicat de base, ça signifie donc aussi que ce sont les syndicats de base qui maîtrisent les moyens syndicaux et non l’appareil interprofessionnel. Le fonctionnement au consensus pouvait donner le sentiment de perdre du temps : il fallait consacrer plus de réunions entre nous pour parvenir à convaincre toutes les organisations sur une expression commune. Par contre, ensuite, nous savions que toutes les structures étaient d’accord entre elles : on allait poursuivre sur des bases communes et claires. Ceci pouvait aussi conduire à des situations qui auraient pu sembler embarrassantes, ainsi quand, lors d’une audience, il nous était demandé quelle était la position du G10 et qu’il fallait répondre que certaines organisations avaient un avis et que d’autres organisations avaient un autre avis. Malgré la demande éventuellement pressante de notre interlocuteur, nous répondions que le débat était en cours et se poursuivait dans le G10.

Une intersyndicale ouverte, mais selon quelques critères

Dès les premières années, dès que nous avons commencé à nous exprimer collectivement, quelques autres structures syndicales également indépendantes et autonomes ont pris contact avec notre regroupement pour demander à nous rejoindre. Il n’y avait aucune règle pour rejoindre le groupe, et toutes les organisations présentes à l’origine étaient contentes de constater que nous pouvions attirer d’autres syndicats. Pour nous, c’était la confirmation que notre démarche unitaire avait un petit écho. À l’usage, nous avons aussi constaté que ceci pouvait conduire à des malentendus. En septembre 1983, suite à la tenue de propos estimés xénophobes de représentants d’une organisation nationale d’agents communaux, nous avons décidé de son départ. Ce n’était pas simple, car notre regroupement n’était géré par aucun règlement, aucun statut, il n’y avait pas de cotisation pour « adhérer », il n’y avait même pas d’adhésion formelle. En dehors de la présence de cette organisation, les autres syndicats ont décidé, même si la question du racisme n’avait jamais été abordée auparavant entre nous, que les propos tenus ne pouvaient être entendus dans notre groupe. Tout simplement, nous avons retenu de ne pas inviter ce syndicat aux réunions suivantes. Et c’est à partir de là que nous avons aussi théorisé dans notre fonctionnement l’idée que, pour rejoindre notre groupe, et pour s’assurer que nous pourrions continuer de fonctionner au consensus après l’adjonction d’un nouveau membre, il fallait, au préalable, avoir une rencontre avec l’organisation postulante pour lui expliquer le sens de notre démarche. Si, à la suite de cette première rencontre, l’organisation postulante confirmait sa demande et si le groupe acceptait cette demande, et l’acceptait à l’unanimité des membres déjà dans le Groupe des Dix, l’organisation postulante était invitée à assister et à participer aux réunions et aux travaux du G10 pendant un certain laps de temps (nous avions retenu ente 6 mois et 2 ans). Cette période, désignée « phase d’observation », permettait aux organisations déjà membres de se rendre compte des éventuelles difficultés que pourrait poser la nouvelle organisation pour le maintien de notre fonctionnement au consensus, et à l’organisation postulante de voir si sa venue au G10 allait finalement lui convenir ou pas. C’est ainsi que, le 30 novembre 1989, le jeune et nouveau syndicat SUD PTT, avec lequel des contacts avaient été pris, a commencé à participer aux réunions du G10 en qualité d’observateur. L’arrivée de ce syndicat va aider à l’interprofessionnalisation du G10 par la pratique des militantes et des militants de SUD PTT. Et ces nouveaux camarades vont trouver dans le fonctionnement du G10 un système qui évite l’affrontement entre majoritaires et minoritaires, … où on termine toujours minoritaires et où on doit ramer contre une image confédérale qu’on rejette.

Pendant le même temps, est née l’idée de rédiger un document dans lequel figureraient nos objectifs syndicaux, le sens de notre démarche, nos valeurs et nos pratiques. La finalité, c’était de disposer d’un écrit qui scellerait plus ou moins les engagements communs aux organisations membres du G10 et qui serait remis aux organisations postulant à nous rejoindre. Cette charte des valeurs sociales et syndicales communes à nos organisations syndicales a demandé du temps avant d’être rédigée. Les travaux ne commenceront réellement qu’en 1990, et se retrouveront plus ou moins dans le préambule aux statuts de l’Union syndicale Solidaires adoptés en 1998.

Le droit de véto, en complément du consensus, pour accélérer un peu les prises de décision

Au cours de l’année 1988, le sentiment s’est développé dans plusieurs organisations d’un piétinement du Groupe : difficultés pour élargir le champ de nos analyses communes (par exemple, certains sujets ne pouvaient être abordés du fait qu’une organisation estimait qu’il s’agissait de questions non syndicales mais « politiques »), incapacité à développer une solidarité réelle entre nous lors du développement d’un conflit dur dans un secteur où le G10 était bien présent et bien engagé (de nombreux conflits à la SNCF et à la RATP durant l’hiver 1986/1987, la forte grève des aiguilleurs du ciel, la grande grève de la Banque de France en 1987), lenteur pour la mise en place des contacts locaux (il n’y avait que quelques G10 locaux, prémices aux Solidaires locaux actuels), difficultés pour une intervention effective dans le débat public sur la question de l’unité syndicale. Les deux premières réunions organisées en 1989 ont été consacrées à cette réflexion souhaitée par toutes les organisations sauf la FGAAC, qui décidera de quitter le G10 en mai 1989. Il en est ressorti que la règle de l’unanimité devait être maintenue, sinon c’était faire naître une entité supérieure à chaque syndicat de base et c’était aussi prendre le risque de donner vie à une structure confédérale que tout le monde rejetait. Mais, en même temps, notre fonctionnement à l’unanimité nécessitait de la part de chaque organisation un minimum de bonne volonté pour éviter l’immobilisme.


A propos de la création de l’Union syndicale Groupe des Dix : « Le fait a précédé le droit » en une du journal hebdomadaire du SNUI du 27 janvier 1998. [Coll. CM]
A propos de la création de l’Union syndicale Groupe des Dix : « Le fait a précédé le droit » en une du journal hebdomadaire du SNUI du 27 janvier 1998. [Coll. CM]

Cette réflexion va avoir un effet positif sur la démarche du G10 dès l’année 1990 au cours de laquelle des initiatives sont prises dans plusieurs domaines. Le 9 mai 1990, le G10 adresse une lettre à chaque confédération et aux fédérations FEN (Fédération de l’Éducation nationale) et FGAF (Fédération générale autonome des fonctionnaires) leur proposant une rencontre pour débattre de l’état du syndicalisme français et des conditions de son redressement. Suite à cette lettre, le G10 rencontre effectivement la CGT (Louis Viannet) le 11 juin 1990, la FGAF (Jean-Pierre Gualezzi) le 12 juillet, la CGC (Marc Vilbenoit) le 17 juillet, la FEN (Yannick Simbron) le 4 décembre 1990, la CFDT (Nicole Notat) le 21 mars 1991. Le 26 juin 1990, le G10 tient un Forum qui rassemble environ 120 militantes et militants (nationaux, régionaux, départementaux) d’Île-de-France et de province des syndicats membres du G10. Cette réunion, non décisionnelle, manifeste le souhait de voir se renforcer cette expérience syndicale nouvelle, notamment par un renforcement des contacts pour une plus grande cohésion interne du Groupe et par la poursuite des initiatives tendant à favoriser l’unité syndicale. La volonté d’ouverture du G10 commence à se concrétiser par la participation du G10 à d’autres initiatives dont l’objectif est aussi le renouveau du syndicalisme : le 16 juin 1990 avec le Forum social européen, et le 23 juin 1990 avec la revue Collectif. Parallèlement, nous sommes contactés par la Confédération européenne des syndicats indépendants (CESI) que nous rencontrons le 5 novembre 1991.

Pendant le même temps, quand des positions sont arrêtées et décidées, l’habitude est prise de considérer que « c’est bon » dès lors qu’il n’y a pas d’opposition venant d’une organisation. C’est plus ou moins la concrétisation de ce qui était souhaité : faire preuve de bonne volonté pour éviter l’immobilisme. Quand, sur un positionnement, une grande majorité des organisations est d’accord, celle qui est contre constate qu’elle bloque le reste du groupe et peut-être amenée à s’interroger : si elle estime que ce n’est pas vital, elle peut laisser passer, sans manifester d’opposition ; par contre, si elle estime que c’est important pour elle, elle peut déclarer qu’elle s’oppose à cette orientation. L’une des premières fois où cette possibilité d’opposition a été utilisée, c’était alors que nous discutions des accords d’entreprise. Une organisation souhaitait qu’un syndicat minoritaire puisse s’opposer à un accord d’entreprise signé par des syndicats majoritaires. Le Syndicat unifié des Caisses d’épargne (SUACCE) qui, à l’époque, était largement majoritaire avec la CGT-Caisses d’Epargne, signait avec cette organisation des accords, eux aussi largement majoritaires (du fait de la représentativité syndicale liée aux résultats de ces deux organisations aux élections professionnelles). Le SUACCE a fait opposition à cette idée, arguant notamment que les accords d’entreprise majoritaires étaient démocratiques dès lors qu’ils étaient signés par les syndicats majoritaires aux élections professionnelles. Les salariés et salariées avaient voté, et auraient l’occasion éventuellement de sanctionner, et d’élire les syndicats aujourd’hui minoritaires. Cette disposition est devenue le droit de véto dans les statuts actuels de l’Union syndicale Solidaires.

Vers l’idée de rédaction de statuts

Au cours du premier semestre 1991, une réflexion est engagée à l’initiative de plusieurs organisations sur l’idée d’une structuration du G10. Des contacts locaux se mettent en place dans quelques régions (Provence, Centre, Midi-Pyrénées). Il est décidé de mettre en place des commissions de travail sur un certain nombre de thèmes (à approfondir) ou de secteurs (à coordonner) : Fonctions publiques, transports, banques, élections prud’homales, contacts locaux, régie publicitaire, locaux et moyens, rémunérations, retraites, protection sociale, CEFI et formation syndicale (le Centre d’étude et de formation intersyndical et interprofessionnel, CEFI, avait été créé en mai 1986).

Le départ, en janvier 1993, de la FAT, de la FGSOA et de la FMC, qui vont rejoindre la FEN en cours d’éclatement, et la FGAF, pour constituer l’Union nationale des syndicats autonomes (UNSA) va accélérer le processus de structuration du G10. Le fait que des organisations membres du G10 décident de le quitter pour rejoindre d’autres organisations et monter une nouvelle structure syndicale interprofessionnelle semble montrer que le besoin de structuration est présent dans nos organisations. Par ailleurs, le départ de ces trois syndicats vers la FEN-UID (la FEN « socialisante », dans un contexte politique de Parti socialiste déjà bien droitisé) va aider à l’homogénéisation des syndicats qui restent dans le G10. Aux Finances, en 1989, un grand conflit social a marqué la cassure d’une grande partie des adhérentes et adhérents du SNUI d’avec ce qu’est devenu le PS. Dans d’autres secteurs professionnels, les personnels, et leurs organisations syndicales, ont fait la même expérience et le même constat. Ceci va conduire, au niveau national, à une cassure en France entre les organisations syndicales qui suivent les dérives du PS et de quelques autres et les organisations syndicales qui continuent de privilégier les revendications de leurs membres. Cette homogénéisation idéologique va par exemple se concrétiser en octobre 1993 lors du lancement de la campagne « Agir ensemble contre le chômage » (AC !) où des militants et des militantes de plusieurs syndicats du G10 figurent parmi les premiers signataires de l’appel : SNABF, SNJ, SNMSAC, SNUI, SUD-PTT, SU/CE, CRC-Santé, SUD-CAM (créé récemment avec des camarades ayant quitté la FGSOA qui venait de rejoindre la FEN et des camarades de la CFDT du secteur Crédit agricole). Ils participeront activement aux marches organisées par AC !, qui se termineront par la manifestation nationale du 28 mai 1994 à Paris.


Octobre 1996, le numéro 9 de 10Fusion, « journal édité par le Groupe des Dix », avec en page 3 un article titré « En marche vers l’Union Syndicale ». [Coll. CM]
Octobre 1996, le numéro 9 de 10Fusion, « journal édité par le Groupe des Dix », avec en page 3 un article titré « En marche vers l’Union Syndicale ». [Coll. CM]

Au cours de l’année 1994, les instances dirigeantes (congrès, conseil syndical, commission exécutive, etc.) de plusieurs syndicats du G10 décident d’engager le G10 vers la constitution d’un pôle syndical alternatif nouveau, pouvant jouer un rôle unitaire entre des confédérations divisées. Les syndicats du G10 participent aux manifestations organisées le 17 mars 1994 contre le SMIC-Jeunes. À Paris, tous les syndicats du G10 manifestent ensemble pour la première fois dans un regroupement significatif.  Durant tout le dernier trimestre 1994, les travaux permettent de clarifier la cohérence des statuts souhaitée par les organisations qui envisagent une plus forte structuration interne du G10. Les statuts doivent faire mention des valeurs et des pratiques auxquelles les syndicats membres de l’Union se réfèrent, et ils doivent refléter ces valeurs et pratiques par un certain nombre de principes. Ils doivent ainsi affirmer et garantir l’indépendance syndicale, assurer la primauté du syndicat de base sur les structures fédérales ou interprofessionnelles. Ils doivent aussi affirmer la volonté d’ouverture, le refus du sectarisme, la recherche d’une unité toujours plus large. Ce sont les discussions sur les modalités de prise de décision qui seront les plus longues : il s’agit d’éviter que l’Union puisse décider à la place de l’un quelconque des syndicats membres, de faire en sorte que ces derniers restent maîtres de toutes leurs revendications et actions, professionnelles comme interprofessionnelles, tout en permettant de donner une identité et une dynamique à l’Union syndicale du G10. Les projets de statuts sont rédigés au début de 1995 et vont être ensuite progressivement examinés et adoptés par l’organe directeur de chacun des syndicats du G10. Et le 30 novembre 1995, une assemblée générale commune se tient à Saint-Ouen, regroupant les représentantes et les représentants de 13 syndicats et fédérations. Elle va ouvrir la période transitoire pendant laquelle les projets de statuts de l’Union seront testés et au cours de laquelle les revendications générales et sectorielles seront précisées et partagées : à compter du 1er janvier 1996, le G10 va tester ces statuts en faisant « comme si » l’Union était créée. D’autres syndicats membres du G10 vont examiner et adopter ces projets de statuts un peu plus tard, au cours de cette période de mise en rodage. Cette façon retenue pour adopter les statuts tenait notamment au fait qu’ils ne ressemblaient à rien d’existant et que les réponses aux questions que nous pouvions nous poser ne pouvaient être que collectives. Nous savions que nous voulions fédérer nos énergies, et pas les dissoudre dans un appareil confédéral où des courants s’affronteraient entre des majoritaires et des minoritaires. Nous pensions que nos appels à l’unité syndicale seraient peu crédibles si nous n’étions même pas capables, entre nous, d’avoir une démarche unitaire, et pas seulement majoritaire. En créant effectivement une nouvelle structure, les organisations ne participaient pas à un émiettement supplémentaire du syndicalisme français, mais contribuaient à l’émergence d’une dynamique de rassemblement. Créer une nouvelle organisation, ce n’était pas un aveu d’échec, c’était la marque d’une volonté de se doter d’un outil plus fort pour peser en faveur de l’unité du monde ouvrier.

Des conditions pour adhérer à la nouvelle Union

Pendant les mouvements sociaux de novembre-décembre 1995, 16 des 18 organisations du G10 participent très activement aux grèves, actions et manifestations contre le Plan Juppé. C’est l’occasion d’un renforcement du G10 et d’un rapprochement supplémentaire entre les équipes militantes, à tous les niveaux et dans toutes les régions. En janvier 1996, des cheminots CFDT rencontrent le G10 et font état des débats au sein de la confédération après l’engagement de Nicole Notat dans un soutien au Plan Juppé et après les mouvements de novembre-décembre. Et, le 11 février, les nouveaux syndicats SUD-Rail participent à la manifestation parisienne aux côtés des syndicats du G10. Le positionnement de la direction confédérale CFDT en soutien au gouvernement provoque des affrontements entre équipes militantes dans plusieurs fédérations, unions régionales, unions départementales, syndicats, etc. Ceci va donner naissance à de nouvelles organisations syndicales qui décident de quitter la CFDT et qui, assez souvent, optent pour prendre contact avec le G10, dans le sillage de SUD PTT, des camarades oppositionnel∙elles, comme elles et eux, à la direction confédérale CFDT, et qui ont été exclu∙es de la CFDT lors du conflit des camions jaunes de La Poste, en 1988.


Une manifestation unitaires du personnel des Impôts. Illustration du rapport d’activité pour le congrès national du SNUI, publié dans L’unité en 1996. [Coll. CM]

Ces demandes à rejoindre le G10 vont conduire à préciser les conditions d’adhésion des nouveaux syndicats. La question est posée concrètement par une lettre du 28 mai 1996 de SUD-Trésor demandant son adhésion au G10. Cette demande posait problème, car, dans ce secteur professionnel, une organisation syndicale membre du G10 (le SPASET) était déjà implantée. La solution retenue visera à un équilibre entre une volonté de faire du G10 un pôle d’accueil ouvert, et la nécessité d’une cohérence et d’une homogénéité pour permettre un fonctionnement au consensus. SUD-PTT ayant précisé qu’il n’est pas question de faire une « confédération des SUD », l’ambition commune est bien de dépasser une diversité d’histoires et de cultures par une convergence de projet syndical basé sur des valeurs sociales et des pratiques syndicales communes. Il est retenu que le fonctionnement au consensus implique une discussion préalable pour s’assurer des convergences quant au projet syndical et quant aux valeurs sociales avec le syndicat qui postule. C’est la phase d’observation réciproque qui va permettre de vérifier que le fonctionnement au consensus sera possible. Si le syndicat postulant est implanté dans un secteur où le G10 est déjà présent par un de ses syndicats membres, les deux organisations doivent engager des discussions pour aboutir à une union. C’est ainsi qu’en décembre 1996, le syndicat Solidaire-Unitaire au Trésor, réunion du SPASET et de SUD-Trésor, est reçu par le G10.

Tout ceci se retrouvera, noir sur blanc, dans les statuts et dans le règlement intérieur adoptés lors du congrès constitutif de l’Union syndicale de janvier 1998 à Créteil. C’est une union syndicale qui est mise en place, pas une confédération.


Gérard Gourguechon

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