2006, le mouvement contre la LEC-CPE
Le CPE a été sur toutes les bouches durant le mouvement des retraites de 2023. A usage variable… Pourtant, même pour ceux et celles qui l’ont faite en 2006, la lutte contre le CPE est déjà une autre histoire. Ce texte revient sur la place de SUD Étudiant et de Solidaires durant le mouvement, et sur la façon dont, après cette lutte, SUD-Étudiant a « gagné » sa place dans l’Union avant que la fusion avec la FSE ne donne naissance à Solidaires Étudiant-e-s, syndicat de luttes. Pour cet article ont été nécessaire les mémoires d’Etienne (Rennes), Laure, Bruno, Jacques, Léo, Sylvain, Etienne (Saint-Denis), Pierrot, Mylène, Samuel. Merci à elles et eux.
En 2006, Anouk Colombani était étudiante à l’Université Panthéon-Sorbonne et syndiquée à SUD étudiant Paris 1. Syndiquée à SUD Culture, elle est aujourd’hui co-secrétaire de Solidaires Seine-Saint-Denis. Elle est également une animatrices du site ruedelacommune.com et des activités liées
De mi-janvier 2006 au début du mois d’avril 2006, des millions de personnes s’opposèrent à une mesure dénommée Contrat première embauche (CPE [1]). Cette mesure, inclue dans la Loi pour l’égalité des chances (LEC [2]), disposait qu’un jeune en dessous de 26 ans puisse effectuer une période d’essai de 2 ans. Il pourrait ainsi être licencié du jour au lendemain, sans motif et sans préavis. Le 7 février, une première journée d’action lance la mobilisation dans les universités. C’est au début du mois de mars que l’ampleur devient significative, avec plus de la moitié des universités impactées par le mouvement, pourcentage qui ne fera qu’augmenter au fil du mois de mars. Le 7 mars une première grande journée interprofessionnelle rassemble un million de personnes.
Au niveau de Solidaires, la mobilisation est notamment portée par SUD-Étudiant, le syndicat étudiant de l’Union. La présence d’un syndicat étudiant dans une organisation interprofessionnelle est une anomalie dans la tradition française. Si la fédération SUD-Étudiant [3] avait rejoint Solidaires en 1999, sa présence fait encore question en 2006. La Fédération syndicale étudiante (FSE [4]), autre syndicat de lutte sur le terrain, reproche aussi régulièrement à SUD-Étudiant son lien avec un syndicat professionnel. À la fin du mouvement, les deux syndicats engagent un processus de fusion qui aboutira, en 2013, à la naissance de Solidaires Étudiant-e-s, syndicats de luttes, une longue gestation issue de la lutte contre le CPE.
Le CPE : 4 mois de luttes intenses
Au mois d’août 2005, Dominique de Villepin, alors Premier ministre, annonce la naissance d’un nouveau contrat : le Contrat nouvel embauche (CNE). Il s’agit de la mise en place d’une période d’essai de deux ans, qui concerne les entreprises jusqu’à 20 salarié∙es. Le CNE voit la naissance d’une intersyndicale, qui ne parvient pas à mobiliser. Pourtant, cette mesure est tout de suite perçue comme profondément injuste par une partie des étudiants et étudiantes, mais ça ne suffit pas à mobiliser. À SUD-Étudiant Paris 1, on débat même de la pertinence d’inscrire la revendication de suppression du CNE dans les tracts électoraux de fin d’année. L’intersyndicale nationale (CGT — CFDT — FO — UNSA) ne parvient pas à lancer une mobilisation.
En janvier, est cette fois annoncée la loi dite d’égalité des chances, comprenant le CPE (article 8). Le 19 janvier, les organisations de jeunesse et les syndicats étudiants créent le collectif STOP CPE [5]. Celui-ci comprend un spectre assez large : Jeunes CGT, UNSA Jeunes, UNEF, UNL, Cé, SUD-Étudiant, FSE, FIDL, UEC, JOC, ATTAC Campus, Mars Jeunes, Réso, Léo Lagrange, PRS Jeunes, MJC, MJS, JSRAG, JCR, Jeunes Verts [6]. Un spectre d’organisations aux pratiques très différentes. Celles-ci appellent à une grève le 7 février, sur le seul mot d’ordre du CPE. À partir de cette date, les premières universités entrent en grève grâce à d’importantes Assemblées générales. Elles décident généralement le blocage et voient ainsi grossir la participation aux AG suivantes. Cependant, il ne faudrait pas oublier que le principal argument du blocage reposait sur la protection des étudiant∙es grévistes. Bloquer la fac, c’était assumer le risque collectivement et protéger en particulier les boursier∙es, qui étaient menacé∙es de perdre leur bourse au bout de 3 absences. Une application du droit de grève, qui n’existe pas pour les étudiant∙es…
En mars règne une ébullition radicale dans les universités françaises qui touchent aussi bien les traditionnelles « facs rouges », comme Rennes 2, Toulouse Mirail ou Tolbiac que les sages, Poitiers, Marne-la-Vallée ou La Sorbonne. On ne dort plus et on débat révolution. On occupe les universités et on organise des actions de blocage sur les routes, les gares ou les agences ANPE (l’ancêtre de Pole Emploi puis France Travail). Contrairement au collectif STOP CPE, la plupart de ces AG vont se prononcer contre la loi dans son entier et non uniquement contre le CPE. Parmi les mesures qui choquent, la loi prévoit aussi l’apprentissage à partir de 14 ans, le travail de nuit à partir de 15 ans, la mise en place d’un service civil volontaire (ancêtre du service civique !), des exonérations supplémentaires pour les entreprises installées dans les zones prioritaires… Cette orientation est confirmée en coordination nationale. Dès le 18 février, la première coordination qui a lieu à Rennes demande le retrait de toute la loi. Durant les 10 coordinations, cette orientation ne changea pas. Pourtant, à l’annonce du retrait du CPE en avril, la mobilisation s’arrête. La LEC est aujourd’hui toujours en vigueur.
Le CPE : une lutte de malentendus
La lutte contre le CPE repose sur une contradiction. La loi dite d’égalité des chances était supposée répondre aux émeutes de 2005, donc à une jeunesse perçue comme non étudiante. En novembre 2005, à la suite des assassinats de deux jeunes garçons de Clichy-sous-Bois, Zyed et Bouna, les quartiers populaires manifestent sous la forme d’émeutes. Malgré quelques tentatives [7], les étudiants et étudiantes restent en dehors. Ce lien entre deux mouvements aux formes différentes sera omniprésent dans le mouvement contre le CPE. Dans les AG, sont ainsi créées des commissions pour lier les « deux mondes ». Celles-ci se concrétisent souvent en affrontement entre les étudiant∙es issu∙es des quartiers, des cités et ceux/celles qui fantasment ces espaces, et qui ne prennent jamais conscience que le monde étudiant est aussi composé de « jeunes de cité ». En mars 2006, les manifestations commencent à être attaquées — comme l’avait été celles du mouvement lycéen contre Fillon ; très vite sont pointés du doigt « les jeunes banlieusards ». Dans la presse, on lit que ceux-ci viennent « faire leurs courses » et qu’ils expriment un « racisme anti-blanc ». Du côté du mouvement, on s’affronte dans les AG sur « la protection des cortèges ». Si SUD-Étudiant et la FSE avaient souvent gagné sur le fond, ils ne parviennent pas à faire émerger un discours sur la question. La lutte contre le CPE va ainsi participer à la construction de l’existence de deux mondes et d’un fossé qui les sépareraient après lequel nous courons encore.
Coordination versus syndicats ?
Une des grandes tensions du CPE restera les conflits entre la coordination nationale étudiante et les syndicats étudiants, bientôt liés à l’intersyndicale nationale interprofessionnelle. Une des données principales du CPE a été l’exercice d’une forme de démocratie directe (que SUD-Étudiant appelait l’autogestion et la FSE l’auto-organisation). Cette démocratie directe prend corps dans les assemblées générales locales, le plus souvent déclinées dans des commissions et un comité de mobilisation. SUD-Étudiant défend alors un système ouvert de commission et de comité de mobilisation, avec des mandaté∙es identifié∙es qui doivent rendre des comptes, là où la plupart des autres organisations veulent « élire » les comités, en les refermant le plus souvent sur quelques militant∙es expert∙es. Le mouvement étudiant hérite alors d’années de pratiques de coordination (depuis les coordinations d’infirmières notamment). Le mouvement de 1995 et, plus proche, celui de 2003 (mouvement contre la loi d’autonomie des universités) ont déjà été l’occasion de fondation de réseaux militants et des moments d’expérimentation, mais l’échelle du CPE n’avait jamais été atteinte. Surtout, durant le CPE s’impose une coordination nationale, que les UNEF avaient refusé en 1995, allant jusqu’à attaquer physiquement les coordinations de l’époque.
La coordination porta plusieurs éléments importants [8] : le retrait de toute la loi, et non le simple retrait du CPE ; une large plateforme de revendication, reprenant des éléments plus universitaires et sociétaux ; la volonté de représenter le mouvement contre l’UNEF [9] et la Confédération étudiante [10] (Cé de son petit nom) et leurs médiatiques président∙es [11] ; la volonté de discuter avec l’intersyndicale interprofessionnelle, dont le tempo ne convenait pas ; le tout saupoudré d’appels à la grève générale. La coordination nationale devient rapidement un enjeu de pouvoir où les organisations de jeunesse et les syndicats cherchent à imposer leur vue. Chaque début de coordination est un moment de grande tension où la fac accueillante contrôle les mandaté∙s. Dans les universités, les mandaté∙es sont aussi contrôlé∙es sur leurs votes lors des débats. Qui a mal voté peut se voir exposé à la vindicte de son AG. Ces coordinations — au nombre de 10 pour toute la lutte — vont totalement à l’encontre des prévisions des syndicats, en particulier la Confédération étudiante, mais aussi l’UNEF. Si la Cé ne considérera jamais la coordination, la chose est plus ambiguë pour l’UNEF. C’est cette ambiguïté qui entraine la volonté de contrôler la coordination nationale, en poussant pour des délégations acquises à l’UNEF ou en inventant des délégations. Ainsi il n’est pas rare qu’arrivent deux délégations d’une même université, créant des tensions et parfois l’annulation des deux délégations.
En parallèle s’élargit l’intersyndicale nationale dans des conditions étonnantes : « Solidaires n’avait jamais été accepté dans les intersyndicales nationales. En 2003, je me souviens qu’on s’était pointés à des réunions et on s’était fait mettre dehors. […] je pense que ce qui a fait bouger les choses, paradoxalement, c’est les relations entre les organisations étudiantes. La CFDT voulait à tout prix que soit prise en compte l’existence de la Confédération étudiante (Cé). En gros, la CGT a mis la balance “si on accepte la Confédération étudiante, on est obligé d’ouvrir à tout le monde, donc du côté des salarié∙es, on ouvre à Solidaires et à la FSU”. […] Ce sont des petits jeux subtils entre l’UNEF et la CGT d’un côté, et la CFDT et la Cé de l’autre. […] Solidaires a été intégré avec l’ambiguïté sur SUD-Étudiant, parce qu’en fait SUD-Étudiant venait dans la délégation de Solidaires. Évidemment le problème de l’UNEF, ce n’était pas Solidaires, c’était SUD-Étudiant. [12] » Cette explication fournie par la porte-parole de Solidaires Annick Coupé quelques années plus tard n’est ni claire ni comprise au moment de la lutte. SUD-Étudiant choisit d’ailleurs assez rapidement de ne plus venir en intersyndicale nationale au profit de la coordination. Ce choix est orienté par le fait que l’intersyndicale ne partage pas la revendication de retrait de la loi dans son entier, mais aussi par le fait qu’elle appelle plutôt à un soutien à un mouvement dit « de jeunesse » plutôt qu’à la construction d’une lutte interprofessionnelle. Solidaires essaye bien d’avancer la revendication contre la LEC sur le fond, et la volonté d’avancer collectivement, mais ses positions restent marginales et peu écoutées ; les liens sont aussi faibles avec SUD-Étudiant. Autant d’éléments qui laissent dubitatifs du côté de SUD-Étudiant.
Le rôle de SUD-Étudiant et de la FSE
Les deux syndicats de lutte vont ainsi s’évertuer à faire tenir cette lutte qu’ils perçoivent comme horizontale. C’est un travail sur les pratiques démocratiques en AG (par exemple sur les questions d’antisexisme, de tour de parole, de commissions, de mandatement, etc.), mais aussi la mise en réseau permanente avec des acteurs et actrices du mouvement du social. SUD-Étudiant et la FSE soutiennent aussi ouvertement les occupations. Les militant∙es de ces organisations sont souvent à l’organisation des occupations de nuit, avec sécurisation des occupant∙es et des locaux. Ainsi, après la fermeture de la Sorbonne pour éviter toute occupation, le 9 mars, c’est par le local de SUD-Étudiant -dont la fenêtre était incidemment ouverte- qu’entreront les occupant∙es, le 11 mars. Ce type de petits gestes — oubliés — sont légion dans la lutte.
SUD-Étudiant et Solidaires
À défaut d’une stratégie commune au niveau national, les liens entre les militant∙es de SUD-Étudiant et des autres syndicats de Solidaires vont se construire au niveau local. Les grévistes peuvent s’appuyer sur un soutien des syndicats professionnels, à la fois dans l’impression des tracts [13] et dans la co-organisation d’actions comme les occupations (notamment ANPE) ou blocages (en particulier les gares). Ces liens sont importants, car la présence de SUD-Étudiant dans Solidaires n’a rien d’une évidence. Le choix fait en 1999 demeure une énigme et les syndicalistes des syndicats professionnels regardent avec circonspection les militant∙es étudiant∙es. Les rapprochements sur le terrain vont fonder des liens importants. C’est un cheminot qui permet que les étudiant∙es fuient des rails qu’ils occupaient en échappant à la répression policière, c’est un postier qui apprend à se servir d’une Roto, c’est une assistante sociale qui explique les droits…
L’un des grands combats de SUD-Étudiant sera de remettre en cause la notion d’« organisation de jeunesse ». C’est toute une nouvelle conception du monde étudiant que le syndicat essaye de faire émerger. Son discours ne repose pas sur l’idée que les jeunes sont « précaires », il repose sur l’idée que « les jeunes et les étudiant∙es » sont des travailleurs et travailleuses comme les autres. J’insiste des travailleurs et travailleuses comme les autres. Cette idée, Solidaires ne la comprendra pas tout de suite. D’ailleurs, aux congrès Solidaires de 2008 et 2011, les mandaté∙es de SUD-Étudiant sont mis devant le fait accompli : l’UNEF est invitée au congrès sans que SUD-Étudiant n’ait été consulté, protégée par le Secrétariat national. Traitement réservé à la seule fédération étudiante. Cet événement est un signe d’une incompréhension fondamental. SUD-Étudiant a au cœur de son corpus deux concepts majeurs : le salaire étudiant (contesté alors par le SNUI) et une définition de l’étudiant∙e comme travailleur/travailleuse à double titre. Il ou elle travaille à la fac gratuitement et hors de la fac pour un salaire. Les autres syndicats étudiants entendent « étudiant salarié » au sens d’une séparation fondamentale entre ces deux temps. C’est cette seconde conception qui transparait dans les discours de Solidaires, où on continue à entendre « organisation de jeunesse » durant plusieurs années. Elle va cependant s’effacer au fil du temps. À la fois en lien avec le départ de la génération qui avait créé Solidaires, mais aussi avec l’obstination des syndicalistes étudiant∙es. Le mouvement contre le CPE se situe à une charnière complexe, il est à la fois l’apogée des mouvements étudiants depuis 68 et en même temps la fin. Or, le fait d’avoir un syndicat d’étudiant∙es qui est à la fois dans le monde étudiant et hors du monde étudiant offre une équation efficace de prise en charge des questions du travail. Au fil du développement des permanences juridiques, des présences sur telle ou telle manif va s’opérer une normalisation du syndicat dans Solidaires.
De SUD-Étudiant à Solidaires Étudiant∙es
C’est précisément autour de ces questions que le CPE fut aussi le début d’un processus de fusion, qui aboutit en 2013 au regroupement de SUD-Étudiant, de la FSE et de quelques syndicats autonomes. En 2006, l’idée de rassembler les syndicats de lutte est omniprésente. Les revendications sont très similaires, les pratiques aussi. Mais c’est bien autour de la conception de l’étudiant·e et l’appartenance au syndicat professionnel que les débats vont se cristalliser. La construction de ce syndicat repose sur un débat autour du retournement de la conception du syndicalisme étudiant. SUD-Étudiant passa par exemple un temps conséquent à déconstruire les chiffres du chômage « des jeunes » et la notion de catégorie « Jeune », notamment pour construire les mobilisations de 2007 et 2009 (contre la loi d’autonomie des universités), de 2010 (retraites) et contre les nombreuses réformes de l’université. L’idée étant que la catégorie « Jeune » était, en grande partie, inventée et permettait, au contraire de ce qui était affiché, de créer de la précarité. La précarité des moins de 26 ans et des étudiant∙es n’était pas liée à leur jeune âge ou à leur attente d’entrée sur le marché du travail, mais bien à la création d’une catégorie aux contours flous, que les gouvernements souhaitaient précarisés. Exactement ce qu’a voulu entériner le CPE de façon extrême. Dans les universités, avec les syndicats professionnels, SUD-Étudiant développa des campagnes sur le droit du travail ; dans certaines facs des permanences de droit furent tenues. Face à cela, la FSE défendait une vision plus classique, mais importante, de la lutte des classes et du rôle des étudiants et étudiantes dans celle-ci.
EXTRAIT DES TEXTES DE CONGRES DE SUD-ÉTUDIANT
Le Havre, 2007 — Bilan du CPE
« Le mouvement “anti-CPE” a démontré la pertinence d’être en lien avec une organisation syndicale de salariés. Nous n’avons jamais travaillé autant avec eux que lors de ce mouvement. Ce travail allait de l’aide matérielle pour le tirage de tract au travail en commun lors d’interventions en AG ou actions communes (par exemple pour le blocage des gares avec SUD-Rail). Il convient cependant de nuancer notre appréciation par les positions prises par le Secrétariat national de Solidaires durant la mobilisation. Dans un souci d’entrer dans la cour des grands des intersyndicales nationales et d’unité syndicale, L’Union syndicale Solidaires a fait preuve d’un certain suivisme durant la mobilisation. Ce n’est que très tardivement qu’elle reprendra dans les communiqués l’élargissement au retrait du CNE et de la LEC. Face à cela, il convient à l’avenir de s’impliquer davantage dans les instances nationales de Solidaires, car tout au long du mouvement nous n’avons pas été très présents lors des réunions nationales de Solidaires et cela a contribué à les laisser agir sans contradictions réelles et crédibles. Lors de mouvements sociaux, on pourrait même aller au-delà de la participation aux instances nationales en exigeant par exemple une rencontre en début et fin de chaque semaine avec le Secrétariat national de Solidaires pour un échange d’informations, de points de vue et l’élaboration commune d’une ligne pour la semaine suivante. Cela incitera le Secrétariat national à davantage à prendre en compte nos prises de positions surtout dans un mouvement social où la jeunesse est à la pointe de la lutte. »
EXTRAIT DES TEXTES DE CONGRES DE SUD-ÉTUDIANT
Le Havre, 2007 — L’Union syndicale solidaires
« Le travail avec l’Union Syndicale Solidaires doit être la priorité pour les deux ans à venir, en effet, si nous voulons continuer à créer un syndicalisme de lutte efficace, reconnu par tous et toutes, qui puisse continuer à s’étendre et à grossir, à avoir une existence réelle en dehors des périodes de mouvement, il faut continuer à accentuer nos liens avec l’Union syndicale Solidaires, avec le monde du travail. En effet, la précarité et le travail salarié des étudiant∙es n’est plus à prouver, et si nous voulons être crédible face à la réalité estudiantine, nous devons être capable de répondre aux problèmes posés. La question de la précarité, qui est la première caractéristique de l’étudiant∙e salarié∙e doit être un des points de travail le plus suivi avec l’Union syndicale Solidaires, nous devons arriver à faire un travail intelligent en la matière, en apportant notre expérience sur les questions de précarité et en sachant apprendre sur les questions de droit du travail et de conditions de travail. De plus, lorsque l’on parle de crise du syndicalisme, on ne peut faire l’impasse sur les difficultés à faire que les jeunes salariés se syndiquent, et sur cette question, nous devons avoir un rôle clé, non seulement sur l’image que nous pouvons apporter du syndicalisme, mais aussi en créant un réflexe de syndicalisation dans la jeunesse. »
Ce débat va se formaliser autour de la question de l’appartenance à Solidaires. La FSE refuse catégoriquement que le futur syndicat soit membre de Solidaires. SUD-Étudiant refuse catégoriquement de sortir de Solidaires. Après plusieurs années de discussion, lors du congrès de fusion de Saint-Denis en fin d’année 2012, c’est « Solidaires Étudiant-e-s, syndicats de luttes » qui est choisi comme nouveau nom pour l’organisation ; dans la nuit comme dans toutes les grandes histoires de syndicalisme… Les propositions étaient pour le moins farfelues, allant de FUSEE à FSE (pour Fédération SUD-Étudiant). Pas sûre que l’impact aurait été le même sur l’avenir de la nouvelle fédération. Le nom de Solidaires émerge parce qu’après des années de discussions, l’appartenance à l’interprofessionnel fait accord. Elle apparait comme une nécessité. Les militant∙es de la FSE, qui défendaient une liberté de travail avec tous les syndicats interprofessionnels, se sont accoutumé∙es à Solidaires, avec qui ils et elles ont appris à travailler dans les cadres interprofessionnels. Les militant∙es de SUD-Étudiant ne veulent toujours pas abandonner leur organisation. Et ce d’autant plus que la fédération y a gagné en légitimité, à la fois par le travail mené depuis 2006, mais aussi par le transfert de militant∙es dans les syndicats professionnels. Certes, c’est après des mois et des heures de débat — et un étonnant vote Condorcet [14] — que le nom de Solidaires s’impose. On y ajoute le pluriel à syndicat et à lutte pour bien marquer les histoires complexes dont arrivent chaque section. Mais il va faire évidence [15].
Même si les générations avaient changé, Solidaires Étudiant-e-s est bien l’enfant du CPE. La nouvelle fédération reprend l’ensemble des éléments bilan : la nécessité de s’inscrire dans le monde du travail, l’importance de penser les luttes au pluriel, l’interprofessionnel et l’autogestion des luttes. La présence d’un syndicat étudiant dans une organisation interprofessionnelle reste une anomalie dans le paysage français. À Solidaires de la choyer. À la fois parce que l’enjeu de la formation universitaire est l’affaire de tous et toutes, mais aussi parce que 18 ans après le CPE, SUD-Étudiant a fourni à Solidaires nombre de militant∙es efficaces, sur le terrain comme dans les instances. À l’heure des attaques contre les droits syndicaux, c’est tout sauf négligeable.
⬛ Anouk Colombani
[1] Le Contrat premières embauche, correspond à l’article 8 de la loi LEC. Il n’est pas promulgué.
[2] Annoncée en janvier 2006, elle est toujours en vigueur aujourd’hui mais sans son article 8.
[3] Membre de Solidaires jusqu’en 2013, SUD-Étudiant fusionne alors avec la FSE.
[4] Fondée en 2003 à partir de militant∙es refusant la fusion des deux UNEF.
[5] Selon la tradition des années 2000 de créer des collectifs « STOP QQCHOSE », tradition heureusement disparue aujourd’hui.
[6] Soit des « secteurs Jeunes » d’organisations syndicales interprofessionnelles, des syndicats d’étudiantes et étudiants, des « Jeunesses » de partis politiques, des associations…
[7] Cf. par exemple cette affiche de SUD-Étudiant Paris 1 retrouvée dans mes archives. SUD-Étudiant Paris 1 tenta à l’époque d’appeler à des manifestations de soutien. Une partie même de l’université de Saint-Denis.
[8] Tous les appels des coordinations sont disponibles sur le site du GERME.
[9] Issu de la réunification des deux UNEF, en 2001.
[10] Fondée en 2003 à partir de militant∙es refusant la fusion des deux UNEF, la Cé est arrimée à la CFDT dès 2004 mais sans en être officiellement membre. Elle disparait en 2013 suite à la perte de sa représentativité.
[11] Respectivement, Bruno Julliard et Julie Coudry.
[12] « L’intersyndicale nationale sous la pression des mouvements de jeunesse » in Collectif, Universités sous tension, retours sur la mobilisation contre la loi pour l’égalité des chances et le CPE, éditions Syllepse, 2011.
[13] Je précise ici qu’on imprimait à l’époque, quotidiennement, des milliers de tracts. Les réseaux sociaux n’existaient pas.
[14] Chaque proposition est, tour à tour, opposée à chacune des autres ; l’emporte celle qui a toujours eu la préférence.
[15] Il est bien sûr resté des poches de résistance comme à Lille, où la section garda quelques années le nom de SUD-Étudiant.
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